Manuel Periáñez___________________________________manuelperianez1940@gmail.com |
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Colloque à Toulon, avril 2013 : présentation powerpointde mon intervention sur la « marsupialité » des seins humains... |
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Colloque organisé par : Mme. Pr. Martine Sagaert Mme. Dr. Natacha Ordioni laboratoire Babel - EA2649
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Un sein ou deux, Toulon 2013, notes de mon intervention | ||||
1 - Les seins des femmes
sont une
énigme anatomique. Pour allaiter, il n’y a pas besoin de seins, chez
tous les mammifères des glandes mammaires y suffisent. La forme
spéciale des seins humains est expliquée par D. Morris par l’évolution
de la séduction sexuelle (la « perte » du signal de la vulve
multicolore des primates lors du passage à la station debout aurait entraîné
l’apparition de signaux frontaux rappelant les fesses, cf. Le singe
nu). Helen Fisher renchérit pour sa part sur cette théorie, en
détaillant tous les plaisirs liés aux tétons et aux aréoles qui en
font, pour elle, un item anatomique purement sexuel (The sex contract);
elle dénie là à mon sens un plaisir érotique de l’allaitement, sans doute encore
scandaleux à l'époque aux USA... Je critique Morris et Fisher,
excellents anthropologues mais mauvais ethnologues : l’ethnographie des
modalités de la vie sexuelle selon les cultures (comme celle, assez
exhaustive, de Ford et Beach en 1952) n’en montre qu’une douzaine
(surtout la nôtre) où est les seins soient érotisés ; dans des
centaines d’autres cultures les seins ne sont pas investis comme
symbole sexuel; ils sont même parfois frappés de tabou sexuel!
L’érotisme mère-bébé, ainsi préservé du monde sexuel adulte, est,
tacitement du moins, presque partout admis. Je retiens de Morris/Fisher
l’idée
importante d’un déplacement (d’une imitation anatomique d’autres items
corporels), mais pour moi le relativisme culturel pèse suffisamment
lourd pour qu’une autre fonction doive être cherchée qui soit mieux à
même d’expliquer l’invention des seins humains de façon satisfaisante,
comme le demandait déjà Heinrich Ploss en 1884 (Das Weib, ch.8). L’idée très
importante de Weston La Barre (L’animal humain, 1946) d’une
longue interdomestication de leurs corps respectifs par le désir de chacun des
deux sexes contenait d’ailleurs toute la démarche de Fisher, à un
niveau théorique plus fort (le pénis humain est tout aussi
extraordinaire que les seins).
La théorie des « fesses de
devant » de Morris a eu beaucoup de succès. Cela me semble
étrange, car elle est bien naïve ! Il
est
tout à fait évident que le puissant fessier humain s’est développé
précisément pour permettre la station debout, et qu’il n'existait donc
pas encore de fesses
au moment de la perte du fameux signal multicolore. Par ailleurs, si
c’est
cette perte qui devait être réparée, ce ne sont pas des seins mais un
autre signal multicolore, par exemple sur le bas-ventre, qui aurait dû
faire son apparition. D’autre part, comme l’a rapporté l’anthropologue
Pascal Picq, à la suite du spécialiste des Bonobos Frans De Waal, il
n’a pas fallu aux Bonobos attendre la disparition de leur multicolore
arrière-train pour pratiquer le
coït face-à-face, animaux dotés d’une grande affectivité comme ils le
sont. Le succès de la théorie de
Morris
semble donc relever de l’origine de la fantasmatique telle que la
voyait Lévi-Strauss, lorsqu’il disait : « il existe des choses bonnes à
penser, tout comme il y a des choses bonnes à manger ».
Que les seins soient une imitation des
fesses, c’est plaisant, c’est du fantasme bon à penser. Que les seins
déclenchent le désir sexuel, c’est tout aussi plaisant, mais seulement
vrai dans notre socioculture occidentale. En effet, l’ethnographie
etc. etc. cf. Patterns of sexual behaviour Ford et Beach, 1952. 2 - Mon maître et ami
Georges Devereux
répétait que plus une lacune scientifique est grande et ancienne, et
plus elle peut cacher quelque chose d’important. La cécité scientifique
devant l’énigme anatomique des seins des femmes est sans doute le signe
d’une grande portée anthropologique de leur fonction cachée. La cécité
en question s’appuie en partie sur l’énorme popularité folklorique du
thème des seins, au sujet desquels il semble acquis qu’il n’y ait rien
à penser ni à comprendre : c’est un sujet futile et plaisant, à moins
de s’occuper du cancer. Les féministes, pour leur part, démontrent de
l’hostilité face à ce thème, qui pour elles est avant tout celui d’une
partie du corps de la femme qui plaît beaucoup trop aux hommes. Simone
de Beauvoir déclarera ainsi à plusieurs occasions que « les
seins, les fesses, les femmes peuvent en faire l’ablation sans
inconvénient à tout âge de leur vie » (à la télévision vers 1980,
et dans Le deuxième sexe, p.48). De même, quand les féministes
anglaises décidèrent de rééditer le gros livre de Ploss pour se gausser
des bêtises des savants misogynes du XIXe siècle (comme elles l’ont
fait en France en ressortant des perles telles que De la débilité
mentale physiologique chez la femme, de Möbius, 1898), l'éditeur leur demandant d'enlever
un chapitre, elles enlevèrent précisément celui des seins! (Le chapitre
huit, cf. Paula Weidegger, History’s mistress, 1986). Pour une autre partie,
l’importance
initiale des seins est oubliée du fait d’un déplacement inconscient de
leur investissement vers les yeux, les testicules, les oreilles ou les
rotules (chez les Grecs les rotules des femmes étaient excitantes,
ce qui amusait particulièrement Georges Devereux, cf. aussi le destin de son propre article « The
testicles-breasts equation », que Lévi-Strauss a utilisé, lui aussi sur le mode
plaisant, dans les Mélanges offerts à Devereux, pour le supprimer plus
tard dans Le regard éloigné).
3 - La théorie de Mélanie
Klein,
décisive en son temps pour l’évolution des idées psychanalytiques,
contient à cet égard une manœuvre sans doute inconsciente, où le sein
(un sein unique, « bon » ou « mauvais » selon qu’il
est présent ou trop longtemps absent...) prendra finalement la place du
pénis dans la théorie phallocentriste de Freud. Cependant, avec
Winnicott et son objet transitionnel, qu’en partie il a théorisé contre
l’insupportable crépâge de chignon théorique entre Mélanie Klein et Anna-Freud,
on se rapproche sérieusement de la vraie fonction anthropologique des
seins. Similitudes et différences entre l’objet transitionnel de
Winnicott et le vrai sein. Non-détachabilité symbolique du sein pour
Freud (contrairement au pénis). Importance primordiale du regard de la
mère chez Winnicott : pendant que l’enfant boit le lait au sein, il
boit les affects de sa mère à son regard. Les fantasmes seins-yeux (cf.
Le viol, de Magritte, titre qui mérite psychanalyse à lui seul) me
semble procéder de l’hésitation du nourrisson entre les deux axes
horizontaux de la mère, essentiels à son stade de développement, l’axe
des nourritures terrestres qui passe par les deux aréoles, et l’axe des
nourritures affectives (cf. Cyrulnik), qui passe par les deux pupilles
de la mère (pupilles dilatées de plaisir, le plus souvent). Dilatation de la pupille et
degré de
sublimation du plaisir, expériences de E. Hess, hypothèses
« marsupiales » sur les fondements dyadiques de l’hypnose,
jonction vers les travaux de F. Roustang.
4 - La fonction vraie des seins ne
devient compréhensible qu’en prenant préalablement en compte le fait
qu’ils sont au nombre de deux et qu’ils délimitent ainsi une zone,
celle de l’entre-seins (en grec kolpos, ou golfe). Ce kolpos ou
entre-seins constitue avec les deux seins une zone maternante du corps
de la femme, traditionnellement appelée le giron (Bosom, boezem,
regazo, etc. dans d’autres langues européennes), ou le sein (au
singulier) au sens « d’au sein de ». Le sinus latin désignait cet
entre-seins et non les deux promontoires qui le jouxtent. Manie des psychanalystes de
ne parler
que du sein au singulier, là où Freud hésitait entre le singulier et le
pluriel; avec Klein, le singulier triomphe du fait qu’elle se place
résolument dans l’univers oral (une seule bouche, un seul sein,
alternativement bon ou mauvais). Mais Winnicott se demandera à la fin de sa
vie si pour le bébé il y a un ou bien deux seins : « [...] Can you tell me whether a baby fed at two
breasts knows of two, or is this at first a reduplication of
one? » (Home is where we start from, p.64). Exemples ethnologiques de
sociétés aux
seins socialisés (Lepcha, les femmes y allaitent tous les enfants) : les seins
des femmes leur appartiennent-ils vraiment? On peut penser que comme
les organes sexuels, ils « appartiennent » à l’espèce et non
aux individus. Leur grande diversité de formes, à corps égal ou
comparable, leur donne un air libertaire, indépendant, qui semble
souvent manifester un autre « projet » architectural que
celui du corps de la femme qui les porte.
Mais déjà, concernant le
placenta et
la vie intra-utérine, la plupart des auteurs souffrent, sans doute à
leur insu, d’un blocage qui me semble d’origine religieuse. La vie
intra-utérine a fait l’objet d’une idéologie paradisiaque, parfaitement
formulée par Rank : la naissance constitue un traumatisme, celui de la
perte du Paradis. Cela est critiquable, car rien ne prouve l’état de
félicité originelle du fœtus, bien au contraire. Cyrulnik (op.cit.)
recense tous les travaux qui prouvent la transmission croissante des
affects de la mère au fœtus, et son activité d’exploration de « la
caverne utérine ». Pendant la vie intra-utérine, le fœtus est
tranquille quand sa mère est tranquille, elle est la seule réalité du
fœtus. Mais il perçoit l’existence d’un monde au-delà de la mère, et il
a des réactions d’inquiétude lors de ces perceptions. Cet au-delà de la
mère, il demande à y aller, il veut naître et voir. Son angoisse lors
de l’accouchement reproduit peut-être davantage celle de sa mère
qu’elle ne lui est propre. Mais elle sera suivie de l’accès, en pleine
lumière, à cet au-delà qu’il reconnaîtra, et dont la reconnaissance
dans une certaine lucidité fera suite à la confusion des perceptions
intra-utérines. N’y a t-il pas là un modèle, une séquence que l’on
reconnaît dans la plupart des religions, quand elles nous promettent
une autre vie, meilleure, après la mort?
Le premier environnement, celui du giron de la mère, n’a donc pas seulement pour fonction d’offrir au bébé sa nourriture (ce qu’un biberon fait tout aussi bien) mais surtout de lui offrir le terrain de jeux où il pourra commencer à se décanter psychiquement de sa mère par l’élaboration de la dyade fusionnelle des débuts en deux « objets », moi et non-moi. En particulier, les jeux du nourrisson avec le sein montrent cette séquence que Freud avait remarqué, où 1°) la petite main du bébé détruit la courbe idéale du sein en la déformant; 2°) cette destruction s’annule dès que la petite main se retire; 3°) la courbe initiale se rétablit pleinement. Cette séquence constitue l’expérience d’une indestructibilité de la forme du sein, et donc de l’environnement premier, qui fondera la confiance de base dans la réalité extérieure et prépare l’avènement de l’objet transitionnel winnicottien. Le jeu résiliant avec le sein réel de sa mère constitue donc pour le bébé une première ébauche de sa relation ultérieure à l’objet détaché mais symbolisant la mère absente que nous décrira Winnicott. Il n’est pas interdit de penser ici au concept de la résilience telle qu’il a été développé par Boris Cyrulnik (qui d’ailleurs habite ici à Toulon). 7 - Une autre séquence se joue entre les seins, là où le kolpos, par sa dureté contrastant avec la mollesse « sympathique » de ses deux globes voisins, rassure le bébé lové au corps de sa mère que la fusion à la mère n’ira pas plus loin : les expériences néonatales du bébé avec ses limites et celles de sa mère ne sont pas sanctionnées par un engloutissement dans une nouvelle vie intra-utérine grâce à la résistance de l’entre-seins. Cette solidité de la mère vient compléter le « holding » winnicottien et permettre d'affronter la régression dans l'espace transitionnel, sans danger de tomber « à l'intérieur de la mère » (à l'intérieur de sa réalité psychique), comme l'a proposé Francis Pasche au sujet de la distinction entre réalité psychique et matérielle à travers la métaphore d’un sein-balcon permettant de se pencher sans crainte au dessus du vide. 8 - L’avènement des seins chez les jeunes filles pubères constituerait une préparation à la maternité non seulement au plan psychique, mais déjà dans ce que Mauss appelait « les techniques du corps » : les seins sont l’annonce de quelque chose qu’il faudra un jour materner en le tenant lové contre sa poitrine, le bébé, comme à la puberté elles « maternent » leurs seins en voie d’éclosion. Terreur de la puberté : avec quoi vais-je me retrouver ? Thème complexe de la métamorphose pubertaire féminine, de l’auto-maternage, de la magie et la misogynie : les sorcières et les sauvages ont des seins pendants (cf. Bücher; Lederer, Gynaephobia). Thème de la « guerre des seins » mère-fille à la puberté selon les avatars de leur(s) œdipe(s). Exemples cliniques rejoignant Groddeck et Reich (en partie).
Si
la Louve de Rome a curieusement des
seins
humains, c’est que la survie des jumeaux est impensable autrement (la
même Louve en version Flamande a des seins à la Rubens, au-dessus d'un
portail sur la Grand' Place de Bruxelles).
« Autrefois il n’y avait pas de
femmes; les hommes étaient homosexuels. Un jour, à la chasse en forêt,
ils découvrirent une femme, perchée en haut d’un arbre. Ils se la
disputèrent, et finirent par la déchirer en morceaux. Chaque homme
emporta chez lui un morceau de femme, et ils repartirent à la chasse.
Le lendemain, à leur retour, une femme se tenait devant chacune de
leurs cases, chaque homme avait une femme. L’une d’elles était jolie :
c’était celle qui était issue de la poitrine de la femme
originelle » (résumé de M29). |