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L'habitat évolutif :

                           du mythe aux réalités (1993-2013)


 

Remerciements

Danièle Valabrègue, du bureau de la Recherche architecturale, Anne Vigne et Daniel Watine, du Plan Construction et Architecture, ont tous les trois déployé des efforts incessants, finalement couronnés de succès, pour me faire écrire cette synthèse de recherches ayant trait à l'habitat évolutif. Qu'ils en soient chaleureusement remerciés, ainsi que :

Maurice Benoist (l'Effort rémois), Véronique Biau (CRH), Roger Biriotti, arch., Marc Bourdier (Tokyo), Xavier Bretin (Bruxelles), le CSTB-Sciences Humaines, J.-C. Cuvelier (Le logis social du Val d'Oise), Corinne Daubigny, philosophe, Laurent Debrix (Atelier BCDE), Mme Galmiche, bibliothécaire, Édith Girard, arch., Nikolaas J. Habraken (Cambridge, Mass.), Birgit Krantz (Lund), Lucien Kroll, arch., le Laboratoire d'Anthropologie Sociale, Pierre Lefèvre, arch., Rodolphe Luscher (Zürich), J.-J. Lyon-Caen, arch.-juriste, Isabelle Marghieri, arch., Georges Maurios, arch., F.-P. Moget, arch., Roger Oxman (Haïfa), Mme Picard (OPHLM de Montereau), Françoise Porchet, bibl., Anne Reychman (Atelier BCDE), Rouen-Habitat, Roland Schweitzer, arch., Milena Sosa (Caracas), Jacques Touchefeu (DHC), F. van den Werf (Rotterdam).

Enfin, ce travail n'aurait pas vu le jour sans la présence amicale mais attentive, durant quelques nuits, du chat noir de la maison, Charles-Édouard.


 

Table

Préambule à la publication en ligne de 2013 


Introduction

Un serpent de mer de l'architecture

 

Ch. I - L'idée de l’habitat évolutif, origines et tendances

Problématique générale et naissance du mythe

L'énigme psychologique de la verticalisation

Les précurseurs

Le mythe

 

Ch. II - L'habitat évolutif au Japon, espaces et pratiques

L'évolutivité de l'habitat traditionnel japonais
La rationalisation moderniste de l'espace de l'habitat
Les pratiques sauvages de l'évolutif
L'évolutif institutionnel

Le « Système de la maison du siècle », ou l'évolutif expérimental

 

Ch. III - De l'idée aux applications

La Suède : débuts frileux...

Göteborg : Järnbrott, 1954

Göteborg : Kallevach, 1960

Kalmar : Norrliden, 1971

Stockholm : Orminge-Ouest, 1967-1971

Les théoriciens : le SAR (Pays-Bas) et Alexander (USA)

Nikolaas J. Habraken

Christopher Alexander

La France : les premières expériences revisitées

Montereau-Surville, 1969-1971

Rouen, la Grand Mare, 1969-1972

Yerres, les Marelles, 1971-1975

L'évolution de l'évolutif, 1975-1993

 

Ch. IV - Effets de retour sur le logement individuel

Le logement individuel évolutif : un pléonasme ?

La « maison agrandissable pour jeunes ménages »

Pays et maisons en voie de développement

 

Ch. V - Comment gérer des logements personnalisés ?

Attitude des maîtres d'ouvrage envers la personnalisation du logement

Enquête auprès de repreneurs d'un logement personnalisé

Remarques sur la gestion et la relocation

Obstacles réglementaires et propositions

 

Ch. VI - Conclusions : du mythe aux réalités...

La dialectique de l'éphémère et du monumental

La prospective de la famille et l'évolutif

Le débat architectural et le système d'acteurs

Conclusions générales

 

Bibliographie générale de l'habitat évolutif (à la date de 1993)


 


 


 


 


 


 


 


 


 

 


 

Préambule à la publication en ligne de 2013

                                               


 

Cela fait vingt ans en 2013 que parut cette synthèse de recherches et articles consacrés au logement évolutif, éditée par le Plan Construction et Architecture sous le titre L’Habitat évolutif, du mythe aux réalités, (Collection Recherches, N°44). Certains des chapitres de ce texte me semblent toujours d’actualité, d’autres sont évidemment obsolètes, comme le ch.4 consacré au logement individuel et les analyses des obstacles juridiques du ch.5. Si je n’ai pu m’empêcher de rajouter çà et là quelques remarques de 2013, cette mise en ligne sur Internet ne donne cependant pas lieu à une refonte du texte. Dans leur ensemble, les idées que j’y ai exposées me paraissent toujours tenir la route. J’ai gardé la bibliographie, malgré le fait qu’elle paraisse désormais assez inutile, la moindre recherche avec Google donnant davantage de résultats. Il existe du reste des sites web consacrés au logement évolutif et son histoire, comme l’excellent site Flexible housing issu d’une recherche en 2004-6 de l’University of Sheffield School of Architecture en 2004-6 (http://www.afewthoughts.co.uk/flexiblehousing, Pr. Jeremy Till & Sarah Wigglesworth, and Dr Tatjana Schneider). 

Manuel Periáñez, mai 2013






Introduction


 


L'idée d'un habitat qui soit facilement adaptable aux changements dans la vie des humains qu'il héberge est naturellement très ancienne, comme toute idée-force  — qui ne se laissent pas oublier. Nous soutiendrons même volontiers qu'elle se situe aux origines de l'habitation, et que l'habitat évolutif peut être considéré comme l'habitat des origines, au plan anthropologique. Ce n'est qu'après la mise en œuvre, dans l'Occident du XIXe siècle, de techniques de construction complexes, ayant entraîné la rigidification du bâti, que l'idée d'un habitat évolutif, « personnalisable », a pu de nos jours nous apparaître comme une innovation. En regardant vers les origines et le vernaculaire il devient évident, au contraire, que l'habitat, même collectif, fut jusque-là assez aménageable ; et parfois le réaménagement en était prévu dans son principe même, ce qui constitue l'essentiel de l'idée du logement évolutif au sens moderne. Il y a donc presque, pour nous, pléonasme à accoler les termes « logement » et « évolutif », la formule évolutive constituant, de fait, le « socle anthropologique » de l'acte d'habiter.


 

Retrouvée il y a plus d'un demi-siècle, cette idée de l'évolutivité du logement reste vivace dans la communauté des architectes : PAN après PAN (1) les jeunes architectes proposent des solutions évolutives au problème de l'adéquation entre cellule-logement et mode de vie familial, et, souvent, ils sont en toute bonne foi persuadés d'avoir ainsi innové. Or, une idée qui est sans cesse redécouverte ne peut être qu'une idée forte, insensible à l'air du temps. Celle du logement évolutif ne cesse d'apparaître et de disparaître, tel un animal marin fabuleux. C'est le but de ce travail que de relancer le débat sur ce serpent de mer : nous serons ainsi mieux préparés à sa prochaine réapparition, imminente selon certains.

La diversité actuelle de l'architecture des logements sociaux est issue, tant au plan de l'ensemble des bâtiments qu'à celui de la conception des cellules, de la mise en œuvre de politiques d'innovation, de réhabilitation et de concertation avec les habitants : elle incorpore également les leçons tirées des expériences passées d'évolutivité du logement. Cette diversification alla de pair avec l'attention nouvelle que porta le jeune Plan Construction, il y a déjà vingt ans, à la qualité du logement social, accompagnant ainsi le dépassement du premier souci, seulement quantitatif, de la reconstruction d'après-guerre. Cette sortie de la pénurie du logement social, lente par moments, semble néanmoins certaine en tant que tendance lourde.

L'intégration dans le bâti des possibles changements socio-familiaux, concrétisée dans le système constructif même comme une intentionnalité préméditée, fait la différence, à notre sens, entre l'habitat évolutif proprement dit, et l'évolutivité originelle du vernaculaire au sens large, observable dans l'ensemble de l'univers du construit à de rares exceptions près, culturellement déterminées. L’évolutivité vernaculaire n'est possible qu'après coup et tant bien que mal, en cassant les partitions des anciens espaces (le plus souvent sans réutilisation d'éléments) : il est clair qu'au sens le plus large même les « grands ensembles » les plus inaltérables seraient « évolutifs » puisque récemment l'on a dynamité la pire des barres de la Cité des 4000 à La Courneuve pour améliorer l'urbanisme de cette ville...


 

 

1 — PAN : Programme Architecture Nouvelle

(concours d'idées destinés à faire

connaître de jeunes architectes.

Lancée en France il y a vingt ans,

la formule a connu un succès tel

qu'elle fut reprise au niveau

européen : les EUROPAN).

 

Il sera donc important de garder ici à l'esprit l'évolutivité prise dans un sens plus strict, celle qui, depuis la minka japonaise et ses éléments interchangeables, s'est toujours présenté comme une extension de l'architecture à la société : un type d'organisation socio-architecturale à même de réintégrer l'habitant, comme acteur primordial du processus de conception-réalisation de son logement, sur la base d'un consensus culturel fort et de longue durée (c'est-à-dire, d'une « tradition »). Notre problématique ne peut donc être ici purement architecturale ; elle sera aussi bien sociologique et psychologique, car nous allons tenter de décrire comment nous renouons  — graduellement —  avec cet habitat anthropologique fondamental, à travers la mise en œuvre de l'habitat évolutif moderne (dans laquelle le cadre psychologique qui préside à sa conception, mais aussi, à l'autre bout du processus, les modalités de la gestion ultérieure des logements ainsi personnalisés, joueront un rôle d'autant plus important qu'il aura été méconnu au départ). Dans son ensemble, en effet, la question de l'habitat évolutif se situe au carrefour de plusieurs débats assez différents, d'importance inégale, et aux enjeux relativement hétérogènes les uns par rapport aux autres :



 

  •  celui de la préfabrication de composants de la construction : débat à la fois technique, économique, de planification et de gestion ;
  •  celui de la personnalisation des logements, débat classique de sociologie de l'habitat depuis le Pessac de Philippe Boudon et ce qu'Henri Raymond a baptisé la compétence des habitants » ;
  •  celui, entre architectes, sur le bien-fondé du « mouvement Moderne », des aspects réducteurs du « fonctionnalisme », et de son « dépassement » ;
  •  celui de l'analyse, dans le fait urbain, des rapports sociohistoriques entre l'expression individuelle et collective, horizontale et verticale, de l'architecture vernaculaire ou de l'architecture savante. Débat qui renvoie en partie à celui, fondamental, de la place de l'individu dans la société...

 


À ce carrefour sont nées, de l'interaction de ces quatre domaines et parfois de leur collision, différentes époques aisément repérables dans l'histoire de l'habitat évolutif, que nous ne pourrons pas toujours traiter de façon égale. Notre orientation de chercheur en sciences humaines sera cependant maintenue ici sans pour autant trop méconnaître les facettes de notre sujet qui ressortissent de ces débats, facettes sur lesquelles du reste existent d'importants travaux.

Les maîtres d'ouvrage sont favorables à la diversification de l'habitat quand celle-ci se traduit par des arguments de vente (esthétiques, notamment) et par de la publicité gratuite comme dans le cas des REX (2), mais résistent très souvent à personnaliser les logements, dans le secteur locatif surtout. Les arguments qu'ils avancent le plus souvent sont qu'un logement personnalisé selon les désirs/besoins d'un locataire n'est que difficilement repris tel quel par le locataire suivant, et que le coût des réfections et de la gestion deviendrait très élevé si ces personnalisations devaient se multiplier. Nous verrons, au chapitre V, qu'il n'en est rien (c'est même l'inverse qui est manifestement vrai !), mais il n'empêche que cette réputation dépensière semble à l'origine de la quasi disparition du logement évolutif ces dernières années, bien davantage que les critiques architecturologiques dont il a été l'objet, que nous essayerons de voir à la fin...


 

 






2 — REX : Réalisations Expérimentales

 

En effet, si l'habitat évolutif est toujours très présent dans les préoccupations et les projets des étudiants d'architecture, il l'est beaucoup moins dans ceux des architectes installés, et les réalisations effectives sont en nette régression. Dans les années 80, la problématique du logement évolutif s'est progressivement dissoute dans celle de la participation des habitants à la réalisation du cadre bâti, considérée comme un moyen efficace de retrouver la complexité perdue de la ville traditionnelle. C'est sans doute la raison pour laquelle la littérature traitant de l'habitat évolutif, sporadique entre 1900 et 1940, croît progressivement jusqu'à des centaines de titres pendant la période 1960-1975, pour diminuer rapidement depuis, pendant que les publications sur la participation, elles, prennent le relais. Une revue de « l'habitat adaptable » dans une liste des quatre-cents premières REX du Plan Construction et Architecture montre environ 5% de réalisations dites « évolutives » contre 95% d'opérations « participationnistes ».


 

La période de l'architecture « postmoderne » semble également avoir nui à la poursuite d'une réflexion spécifique sur l'habitat évolutif : dans ce style architectural, les plans des logements sont commandés en grande partie par les façades, à caractère historicisant, le plus souvent. Cette période a vu, dans une grande mesure, l'abandon des positions fonctionnalistes et leur idéologie de la transparence (dans lesquelles la façade, idéalement, n'était que la conséquence des choix des partitions intérieures du logement, et pouvait donc exprimer une individualité bien que cela fût très rarement mis à profit !), pour un retour aux positions bourgeoises classiques de l'identité sociale symbolisée par une façade décorative. La mode du postmoderne a accru, ainsi, les enjeux de l'évolutif, qui jusqu'alors se limitaient à ceux, centraux et maintenant classiques, de la mobilité ou de l'immobilité des partitions intérieures, mais qui désormais s'étendent à la reconquête d'une façade individuelle... Un enjeu qui renvoie, lui, à une dialectique inconsciente entre l'éphémère et le monumental, le banal et l'exceptionnel, que nous essaierons d'esquisser à la fin de ce texte.


En ce qui concerne l'industrialisation du bâtiment, son histoire et la profusion de systèmes d'éléments constructifs qui en a résulté, les publications spécialisées comportent des dizaines de titres. Citons simplement l'article de 1976, clair et concis, de J.-P. Portefait, « 60 ans d'industrialisation : l'évolution des idées » (3), dans lequel l'auteur opposait les tenants du tout-métallique (« la mécanique parfaite ») à ceux du béton, une partie de bras de fer qui ne semble pas entièrement dépassée en 1993. Plus récemment, en 1989, Michel Royon (4) fait le point sur ce sujet et discerne actuellement un passage vers l'utilisation informatisée de « composants compatibles », qui représente à ses yeux un grand progrès par rapport à la préfabrication, aussi bien lourde que légère, des débuts de l'industrialisation de la construction. Les aspects architecturologiques de l'habitat évolutif sont beaucoup mieux étudiés que nous ne saurions le faire par des auteurs tels que Roger Oxman (5), en Israël, Helga Fassbinder et Jos van Eldonk aux Pays-Bas (6), qui leur ont consacré des travaux spécifiques, dont nous retenons ici de nombreux aspects.









3 — in : Techniques et Architecture, n° 321, nov. 1976, pp.73-79.

4 — Royon, M., 1989, « L'avenir de l'industrialisation de la construction par les composants compatibles », in : Logiques de l'habitat, Revue Espaces et sociétés n 52-53, l'Harmattan.


5 — Oxman, R., 1977, Flexibility in Supports, (thèse), Haïfa.



6 — Fassbinder, H., Eldonk (van), J., 1990, Flexible Fixation, the paradox of the Dutch housing architecture, van Gorcum.


Certains passages de travaux plus généraux abordent également cette question, notamment, en France, ceux de Monique Eleb-Vidal (7), qui étudie soigneusement le rapport entre architecture, modes de vie et intimité, et de Jean-Michel Léger (8), qui a récemment analysé pied à pied l'ensemble du logement social actuel, dans un texte dont la qualité tranche sur celle habituelle dans ce domaine.

Le processus de la recherche de la complexité esthétique (importante motivation sous-jacente de certains architectes pour les expériences de habitat évolutif) a été, quant à lui, excellemment étudié par le regretté B. Hamburger et par J.-L. Vénard (9).

 

Ce texte reprend et continue celui de 1984 pour le CSTB-Sciences Humaines, dont Isabelle Marghieri était corédactrice. Il s'est enrichi depuis des nombreuses réactions et contributions de personnes intéressées par le thème de l'habitat évolutif.

 

La masse des documents consultés nous a surpris par le nombre de termes synonymes utilisés pour désigner l'habitat évolutif : adaptable, agrandissable, à la carte, convertible, dynamique, élastique, évolutif, extensible, flexible, mobile, modulable, personnalisable, souple, transformable, variable... pour n'en citer que les plus courants.

Ce problème de légère confusion babylonienne s'est posé partout, et en France il fut tranché en 1973 par le groupe de travail
« Mobilité, flexibilité, obsolescence » du Plan Construction et Architecture (10), pour lequel :
 


7 — Eleb-Vidal, Monique, et al., 1990,
L'habitation en projets : de la France à l'Europe : Europan France 1989,
Bruxelles, Liège, P. Mardaga, 147 p., ill.

8 — Léger, Jean-Michel, 1990,
Derniers domiciles connus, Créaphis.

9 — Hamburger, B. et Vénard, M., 1976,
Série industrielle et diversité architecturale,
Doc. Française.



10 — Bulldoc N°42, mai 1972, p.119, et Bulldoc n°44, août 1973, pp.1-42.

« l'évolutivité est assurée par la flexibilité (possibilité d'aménager ou de réaménager l'espace à surface donnée) et l'élasticité (faculté d'accroître ou diminuer une surface). L'évolutivité permet de faire face à une certaine obsolescence des besoins et des goûts ».


Cette terminologie ne semble pas avoir bien résisté à l'évolution du langage ; elle avait d'ailleurs été immédiatement critiquée, notamment par Marcel Lods. Il semble plus efficace aujourd'hui de parler d'habitat évolutif pour tout logement ré aménageable et/ou agrandissable, et de préciser, le cas échéant, de quels types d'évolutivité il s'agit.



 




Chapitre I - L'idée de l'habitat évolutif, origines et tendances

Problématique générale et naissance du mythe
Du point de vue de Sirius, un survol historique de l'habitat des différentes sociétés humaines qui se succèdent sur notre planète ferait sans doute apparaître, tout au long de l'histoire, les habitats dits « évolutifs » plutôt comme la règle, et les logements rigides, aux murs et parois inaltérables et contraignants, plutôt comme l'exception. À l'inverse, ce qui nécessitait de braver l'usure du temps ou la destruction par des ennemis était construit « en dur » : monuments, temples, fortins et blockhaus ne sont jamais évolutifs (tout au plus agrandissables). L'habitat vernaculaire évolutif constitue ainsi un des deux pôles d'une dialectique de l'éphémère et du monumental, dialectique sous-tendue par celle de la vie et de la mort, au sens freudien d'Eros et Thanatos.

De façon très pertinente pour notre propos, Leroi-Gourhan (11) situe l'avènement de la demeure ainsi, entre la fixité et la mobilité :

« Dès le début du Paléolithique supérieur (allant avant 35000), on rencontre à Arcy-sur-Cure des substructures montrant qu'il existait déjà des huttes circulaires charpentées par des défenses de mammouths et dallées. L'utilisation des os et défenses de mammouths à des fins de construction est attestée en Ukraine et en Russie du Sud. C'étaient de véritables casemates circulaires dont la paroi était constituée par des centaines de gros os, de crânes entiers et de défenses. Ces structures exigeaient parfois plus d'une centaine de mammouths et devaient durer peut-être plusieurs générations. Leur fixité et leur caractère hautement sécurisant en font des demeures au sens propre du terme. 

Quel rapport pouvaient entretenir avec la notion de demeure les grottes ornées ? Elles ne semblent pas (Lascaux, Altamira, Niaux et beaucoup d'autres) avoir connu une fréquentation étrangère à la vie domestique, mais avoir été la demeure des esprits plutôt que celle des hommes. À la fin du Magdalénien, le problème change de base. L'économie fondée sur l'exploitation des ressources sauvages fait place progressivement à l'économie de production. À partir de ce point, on entre dans les incidences du monde actuel.

On peut se demander si “demeureest un terme du vocabulaire technique et si son usage s'impose autrement que pour définir un sentiment subjectif, celui du lien sentimental vis-à-vis d'un milieu où l'on se trouve bien logé dans ses habitudes familières. La tente du nomade, par la constance de sa disposition intérieure d'un espace recréé à chaque étape de la même manière, ne constitue-t-elle pas la forme idéale de la demeure ? Plus exactement, le terme “demeure" doit-il s'appliquer exclusivement aux structures fixes ? »


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11 — Leroi-Gourhan, André, 1984, « Demeure : espace construit dans lequel on vit »,

in : Corps écrit n°9, La demeure, PUF.

 

Voir également : Jourdan, L, 1987,

Des peaux de renne, du fil et une aiguille... :

essai de reconstitution d'un habitat magdalénien, éd. CNRS, Paris.

 

Voir également Rapoport, Amos (éd.), 1976, The mutual interaction of people

and their built environment, Mouton.

 

Les architectes ont souvent tenté de justifier ou de fonder leurs options esthétiques sur des spéculations concernant les origines de l'habitat humain, ainsi que le rappellent Jean Cuisenier (12), après J. Rykwert et La maison d'Adam au Paradis. De fait, la métaphore de la cabane, dans la quête des origines par les architectes, semble davantage significative du fonctionnement psychique (des architectes comme de nous tous), que pour l'anthropologie de l'habitat. Comme dans la cure psychanalytique, ces origines se révèlent mythiques et le « roman familial » qui les produit est destiné à justifier après-coup les attitudes actuelles du sujet.

Quand Le Corbusier trouve les origines de l'architecture dans les tracés régulateurs et « le lieu de l'angle droit », il touche au sacré et se retrouve fatalement à proposer une vision personnelle de l'homme primitif dressant le temple originel (forcément orthogonal) :



12 — Cuisenier, Jean, 1991,

La maison rustique : logique sociale

et composition architecturale,

PUF, pp.67-119.

 

« [...] Car, autour de lui, la forêt est en désordre avec ses lianes, ses ronces, ses troncs qui le gênent et paralysent ses efforts. En imposant l'ordre de son pied ou de son bras, il a créé un module qui règle tout l'ouvrage ; et cet ouvrage est à son échelle, à sa convenance, à ses aises, à sa mesure. Il est à l'échelle humaine. Il s'harmonise avec lui : c'est le principal. Mais en décidant de la forme de l'enclos, de la forme de la hutte, de la situation de l'autel et de ses accessoires, il a été d'instinct aux angles droits, aux axes, au carré, au cercle. Car il ne pouvait pas créer quelque chose autrement, qui lui donnât l'impression qu'il créait. Car les axes, les cercles, les angles droits, ce sont les vérités de la géométrie et ce sont des effets que notre œil mesure et reconnaît ; alors qu'autrement ce serait hasard, anomalie, arbitraire. La géométrie est le langage de l'homme. Mais en déterminant les distances respectives des objets, il a inventé des rythmes, des rythmes sensibles à l'œil, clairs dans leurs rapports. Et ces rythmes sont à la naissance des agissements humains. Ils sonnent en l'homme par une fatalité organique, la même fatalité qui fait tracer la section d'or à des enfants, à des vieillards, à des sauvages, à des lettrés. Un module mesure et unifie ; un tracé régulateur construit et satisfait. » (13)


 

 



 

 

 

 

13 — Le Corbusier, 1923,

Vers une architecture,

Vincent Fréal, 1958, pp.54-55

.

http://mpzga.free.fr/habevol/VUA1.jpghttp://mpzga.free.fr/habevol/VUA2.jpg

Le temple primitif selon Le Corbusier (in : Vers une architecture, op.cit.) À noter, la ressemblance frappante entre sa coupe et la Pyramide de Peï pour le Louvre...

 

Ce qui semble à peu près certain, en considérant le vernaculaire, c'est qu'il est presque partout évolutif, au sens traditionnel du terme. Le caractère fixe, défiant les siècles, est l'apanage du sacré et donc du monument. Il n'existe jamais de monument évolutif, les monuments sont en tout-ou-rien, et ce passage de Vers une architecture a ceci de remarquable que Le Corbusier, intuitivement, nous montre l'homme en train d'inventer le monument, et de passer de l'évolutif à l'immobile et (supposé) éternel : si son temple originel est encore évolutif, la découverte du caractère sacré du lieu de l'angle droit le destine déjà à la pérennisation « en dur ».

Cette prétention à l'éternité ne manque pas de créer des conflits avec les tenants d'autres conceptions non moins éternelles, et les monuments n'évoluent guère que par destructions successives. Les Égyptiens détruisaient tous les monuments du régime précédent, rarement les maisons. Les apports successifs de chaque génération au temple ou à la cathédrale constituent un compromis. Le monument, alors, se socialise, il passe du symbolique au discursif, et tient la chronique d'une époque.

L'historicisme, en architecture, nous semble se tenir ici, avec Bachelard. La rêverie de Bachelard  — de nos jours essentiellement reprise par P. Sansot —  se nourrit de la nostalgie et nécessite le vieillissement et la mort : la maison n'y est support de rêverie que par sa charge d'histoire. Cette attitude romantique semble ignorer la rêverie futuriste, tout autant possible si l'enjeu est celui de rêver (celle, par exemple, d’un Jules Verne vivant), mais s'attendrit sur le passé du futur : les utopies, bien mortes, sont enfin récupérables pour le romantisme...


 

Malgré cette quête des origines à laquelle s'adonnent volontiers les architectes (chacun y trouvant à justifier ses propres tendances esthétiques, comme semble le prouver Le Corbusier « trouvant » l'angle droit aux origines du sacré), et malgré la rêverie nostalgique bachelardienne (issue du terroir franco-européen), il faut bien admettre que les données de l'anthropologie et de l'ethnologie, bien au contraire, nous montrent nos origines le plus souvent dans un habitat périssable, constamment refait à neuf, et collectif-promiscuitaire. Ainsi Alfred Métraux (14) :


 

 

« Sous la grande hutte collective. La condition première pour vivre à l'aise dans la forêt, sans épuiser les terrains de culture ou le gibier, est de se tenir à l'écart de ses voisins. C'est pourquoi la plupart des Indiens amazoniens vivent en hameaux dispersés dans la forêt. Par crainte d'une attaque toujours possible, ils cherchent à se dissimuler. Aussi les maisons sont-elles construites en retrait des rivières, ces routes passantes ouvertes aux amis comme aux ennemis. Un rideau d'arbres les cache à la vue et des sentiers discrets à peine perceptibles les relient aux rives. Le site idéal pour un hameau amazonien est l'igarapé, petit affluent ou bras de rivière qui se détache d'un fleuve pour se perdre dans la forêt.

Les hameaux sont souvent constitués par une seule maison, deux tout au plus. Il est vrai que ces huttes sont alors de belle taille. L'habitation des Indiens guyanais ou amazoniens n'est généralement pas faite pour abriter une seule famille. Parfois, c'est tout un clan ou même toute une tribu qui loge sous un même toit. L'explorateur Lange, qui fut recueilli à demi mort par les Indiens Mangeroma du Purus, nous dit sa surprise quand, à son réveil, il se vit dans une “hutte colossale, haute de 12 mètres et de 35 mètres de diamètre“, qui servait de demeure collective à toute une tribu de 258 personnes. Les paillotes des Indiens du Guaporé sont, paraît-il, hautes de 20 mètres. Les grands carbets des Tupinamba mesuraient de 100 à 200 mètres et étaient habités par 150 à 200 personnes.

Ces grandes huttes collectives ne sont plus aussi fréquentes qu'elles l'étaient jadis. La diminution de la population, l'affaiblissement des liens sociaux, l'imitation des Européens ont, selon les cas, amené une modification de l'ancien type d'habitation. En Guyane, la hutte tend à devenir la demeure d'un seul couple, à moins que le maître du logis ne soit le père de nombreuses filles dont les maris viennent s'installer chez lui, comme par le passé.

L'adaptation au milieu n'a pas été sans influencer la forme et la structure des habitations. La Guyane nous offre deux types de huttes : l'un propre à la savane, l'autre à la forêt. Dans les plaines ouvertes, balayées par les vents, les huttes sont rondes et fermées par des murs en torchis ; dans la jungle épaisse, un simple toit à deux pans soutenu par quelques piliers suffit au confort. Les éléments de la charpente sont assemblés par des lianes, les Indiens ne connaissant ni clous, ni mortaises, ni tenons. Le toit est couvert de feuilles de palmiers imbriquées avec soin pour que la pluie ne pénètre pas. Fort souvent, il descend jusqu'au sol et constitue les parois. Le séjour à l'intérieur de ces huttes n'est rien moins que confortable. Comme chaque famille maintient son propre feu et que la fumée n'a pour issue que les portes basses et les interstices des parois, l'atmosphère y est à peine respirable. Fumée et obscurité offrent cependant l'avantage d'écarter les moustiques. Les compartiments occupés par chaque famille sont encombrés de paniers contenant les provisions, de jarres, de pots pour la cuisine et d'armes de chasse ou de guerre. Ce désordre n'exclut pas, d'ailleurs, un grand souci de propreté. Chaque matin, les femmes balayent le sol avec des balais en feuilles de palmier. C'est l'une des fonctions du chef de veiller à ce que la hutte et ses abords soient tenus propres. Si l'ingéniosité et le soin avec lesquels ces huttes sont bâties excitent notre admiration, rien dans ces constructions, n'a, à proprement parler, une valeur artistique. Il est fort rare que les parois ou les poutres soient agrémentées de peintures ou d'ornements sculptés. Cette indifférence à l'effet esthétique s'explique par la durée éphémère de ces habitations. Lorsque les champs tendent à être situés trop loin du hameau, le village est abandonné et d'autres huttes sont élevées dans le voisinage des brûlis. L'Indien quitte sa demeure sans regret. »

14 — Métraux, Alfred, 1946,

Les Indiens de l'Amérique du Sud,

Métaillié, 1982, pp.31-33.

 

 

 

 

 

 

http://mpzga.free.fr/habevol/amazonie.jpghttp://mpzga.free.fr/habevol/Hanoimusethnog.jpg

La « longue maison » des Jamadi (Amazonie) : un habitat aussi "fonctionnaliste" que nos HLM... In: A. Rapaport, 1976, Pour une anthropologie de la maison, Dunod.

Hanoï, musée ethnographique : la même forme se retrouve à l'autre bout du monde.

Ce texte de Métraux donne à réfléchir sur l'échec, chez nous, d'un fonctionnalisme étroit, limité aux besoins, qui a donné naissance au tant décrié Style International (15) : pendant des milliers d'années, les peuples amazoniens qu'il décrit ont vécu, et trouvé à loger des fonctions symboliques complexes, dans un habitat tout aussi fonctionnel ! Le bachelardisme serait-il un romantisme terrien socialement daté du retard historique en France de la Révolution Industrielle ? Le vernaculaire a cependant presque toujours été évolutif.

Il existe cependant des exceptions, qui confirment la règle, et de l'habitat vernaculaire fixe et monumental. En ethnologie, on peut trouver des peuples chez lesquels la maison courante se fétichise jusqu'à devenir un temple familial, notamment en Indonésie chez les Toraja, ou au Togo —mais la psychanalyse en verrait volontiers un équivalent dans la « religion privée » névrotique d'un Facteur Cheval). Cette rigidité symbolise la fidélité aux anciens, et possède donc un caractère religieux, qui la rapproche du temple, du monument identitaire.


 

15 — à ne pas confondre

avec le Mouvement Moderne :

cf. la plaidoirie de Bruno Zevi,

dans les Conclusions.

 

 

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Habitat traditionnel Toraja, Bétammaribé (Togo), et Palais du facteur Cheval : le sacré et le symbolique l'emportent sur le fonctionnel.



 

Après le passage du semi-nomadisme à la ferme, et la différenciation des espaces du logement, une autre forme de fixité s'est longtemps imposée, celle qui satisfait les besoins d'évolutivité par une offre de polyvalence des pièces, grandes et nombreuses.


 

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Le vernaculaire a cependant presque toujours été évolutif...

 

In: A. Rapaport, 1976, op.cit.

 

 

 

 

 

 

 

 


Nous reviendrons sur cette autre problématique au sujet de la REX de Saint-Ouen : celle d'une dynamique d'équilibre entre la surface et le calme offerts par le logement, entre le « sur-espace » et la satisfaction des habitants (16).

Giedion pense (17) que la différence entre les fermes européennes et américaines est que les premières sont construites d'emblée à un périmètre maximal, une unité cubique bien délimitée, dont l'intérieur est parfois laissé à finir aux générations suivantes. Nous serions donc profondément marqués dans notre conscience historique par un modèle plutôt peu évolutif, solide, durable (symboliquement « éternel »). Les Américains, au contraire, étaient « évolutifs » d'emblée. Leurs maisons se laissent compléter, modifier, étendre, voire même restreindre : « Parfois, comme pour la maison William Poperell à Kittery dans le Maine, elle se révéla trop importante pour une génération suivante et fut donc diminuée » (le domaine ayant été confisqué après la Révolution de 1779).

Il arrivait que de vastes demeures de maître aux charpentes de chêne soient scindées en plusieurs parties, dont on parvenait à tirer plusieurs habitations plus modestes, en les transportant ailleurs.


16 — Periáñez, M., 1990,

Saint-Ouen, Rendre de l'espace

au logement,

Plan Construction et Architecture,

collection Expérimentations, 71 p.

(avec Corinne Daubigny).

 

17 — Giedion, S., 1941,

Space, Time and Architecture,

Harvard, p.258

 

 

La préfabrication de la maison de pionniers américains est bien connue, et fut rendue possible par l'invention de la machine à fabriquer des clous bon marché. Le do it yourself américain remonte donc aux origines, et serait, selon Giedion, redevable de la flexibilité de la maison américaine, restée remarquablement stable dans une société extrêmement dynamique par ailleurs (et, sans doute pour cette raison même, connût le destin paradoxal de devenir un symbole de stabilité rassurante !). Par contre, « jusqu'au jour d'aujourd'hui la maison de l'européen est restée plus ou moins sa forteresse », précise t-il (18). Nous n'en sommes pas persuadés, mais pour aller dans son sens on peut citer les très remarquables villages fortifiés de la Svanetia (Caucase occidental) où depuis le XIe siècle chaque famille habite un petit donjon, non pas pour la défense collective, mais à cause des querelles de famille et la tradition locale de vendetta (19) ; cette configuration d'habitat exceptionnel rappelle l'expression de Richter au sujet des familles paranoïaques : les « familles-forteresses » (20).



 

18 — Giedion, S. 1941, op. cit. p.260.


19 — Rudofsky, B., 1964,

Architecture sans architecte,

Chêne 1980.


20 — Richter, H.E., 1970,

Psychanalyse de la famille,

Mercure 1971

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Maisons-tours défensives de la vallée de la Svanetia (Caucase occidental)

 

 

 

 

Quand la communauté se défend plutôt collectivement contre des tiers, il se crée un type de regroupement qui rappelle l'architecture « intermédiaire », récente dans le logement social, par exemple dans le Sud du Maroc ou chez les Pueblo du Mexique.

Que le logement individuel courant, conçu sans préoccupations d'ordre militaire, soit, de par lui-même, évolutif se comprend aisément en prenant conscience du fait qu'il est le résultat d'une longue évolution qui se donne à lire sous ses formes différenciées et stables actuelles, par exemple dans les stades de la maison grecque.




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L'évolution de la maison grecque,

 

In : C.A. Doxiadis,

The Mutual Interaction of People

and Their Built Environment,

Mouton, p.81

 


Cette longue évolution semble se répéter « en accéléré » dans les bidonvilles du tiers-monde. Drummond en a relevé, au Brésil, quatre stades principaux allant du simple abri provisoire à la maison digne de ce nom (en passant par des baraques de première et seconde génération). Les divers matériaux, plans-types, équipements et processus de réalisation sont résumés synoptiquement dans le schéma ci-dessous, extrait de son livre (21).


 

21 — Drummond, D., 1981,

Architectes des favelas,

Dunod, pp. 44-63.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les quatre stades d'évolution de la favela (bidonville), selon Drummond

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Des remarques très semblables pourraient être faites dans nos campings occidentaux, selon l'âge et la sportivité du campeur : on connaît, de la canadienne à la caravane de 12 mètres immobilisée à jamais, les diverses étapes de ce processus de spécialisation des espaces. Des solutions qui se rapprochent (spatialement) du bidonville et du camping ont été avancées pour les « jeunes ménages » : la psychologie de la première installation en couple peut effectivement se montrer favorable à des solutions évolutives venant réactiver les jeux des cabanes d'enfance (simulacre d'installation en ménage...), l'orgueil spartiate du camping à la dure comme preuve de non-embourgeoisement malgré le mariage n'est pas rare dans ces premières installations.

Nous sommes très proches d'Amos Rapoport quand il écrit :



 

« C'est la construction spontanée plutôt que la maison dessinée par un architecte que nous devons examiner pour découvrir parmi les valeurs qu'elle représente celles qui pourront nous aider à expliquer son succès. J'adopte l'idée qu'il existe une différence entre les deux types de construction en dépit de l'opinion émise par Dwight MacDonald que la distinction entre haute culture et culture populaire n'existe plus. Si nous considérons que les bâtiments dessinés par des architectes sont des bâtiments de style, et que les bâtiments primitifs et vernaculaires sont de l'art populaire, alors, suivant son argumentation, les bâtiments modernes non dessinés par des architectes devraient appartenir à ce qu'il appelle la “culture de masse“. Alors que l'art populaire est créé par le peuple quand existe une communauté, la culture de masse descend vers le peuple quand il y a une masse — atomisée en individus. Ses exemples sont choisis essentiellement dans le domaine de la musique — comparaison du jazz et de la musique populaire — et de la littérature, mais s'appliquent aussi bien à l'urbanisme qu'à l'architecture spontanés. Cet urbanisme spontané et ces constructions spontanées représentent certaines valeurs qui manquent aux bâtiments dessinés par des architectes, et expriment quelque chose sur les modes de vie, ce qui explique leur réussite et leur succès commercial. Même si les gens ne bâtissent plus leur propre maison, les maisons qu'ils achètent reflètent les valeurs et les désirs populaires plus sûrement que celles de la subculture du “design“ — et ces maisons constituent la tendance lourde de l'environnement bâti. La différence entre la maison populaire et la maison dessinée par un architecte peut aussi nous donner un aperçu des besoins, des valeurs et des désirs du peuple. L'homme moderne possède encore ses propres mythes, et les formes des maisons, bien que très différentes dans les détails, peuvent être dues à des motivations dont la nature n'est pas différente de celles du passé et qui sont toujours essentiellement socioculturelles dans le sens que nous avons proposé. [...] C'est pourquoi existe toujours la vieille quête de l'environnement idéal dont la maison est simplement une incarnation, et aux États-Unis la tendance récente à construire des immeubles et des villes nouvelles, autour des zones de loisir est une transposition frappante d'un vieil idéal sous une apparence nouvelle. » (22)


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


22 — Rapoport, Amos, 1969,

Pour une anthropologie de la maison,

Dunod, 1972, p. 175.  


L'histoire de l'urbanisme montre la répétition de l'apparition d'un « problème du logement », dans chaque situation où des masses affluent dans les cités, et tout aussi répétitivement l'application d'une solution rapide, liée à ces situations d'urgence, de précarité, des brusques surconcentrations urbaines non maîtrisées. Le Mexico actuel n'est-il pas dans la même situation que la Rome de Néron ? Le pharaon Akhenaton n'a-t-il pas fait édifier la première cité ouvrière ? L'étude des formes d'habitat prend trop souvent, par ce biais, le chemin d'une recherche urgente de solutions aux crises, au lieu de prendre le temps de faire la sociologie (et la psychologie) des époques et situations où le problème du logement ne s'est pas posé. Il en va, à vrai dire, un peu de même dans la plupart des autres champs étudiés par les sciences sociales et humaines : l'histoire n'échappe au calendrier des batailles que depuis une cinquantaine d'années ; la médecine, la psychanalyse connaissent mieux les états pathologiques que ce qui fait la bonne santé...

Dans un cas précis, un type de maison évolutive a même été explicitement la norme, utilisée par toutes les classes sociales pendant plusieurs siècles : le cas du Japon, que Marc Bourdier décrit en détail au chapitre suivant, et qui opéra, à notre sens, un passage du vernaculaire vers la modernité.

Les études de la quotidienneté de groupes humains vivant dans un habitat sans problèmes ne sont guère monnaie courante qu'en ethnologie... où l'on décrit le plus souvent des ethnies en train de disparaître rapidement. Dans notre champ, la recherche bien connue de Nicole Hautmont, Les pavillonnaires, serait une exception, bien que cette description d'une adéquation heureuse entre l'habitat et le mode de vie des habitants était, de fait, liée au concert de plaintes qui s'éleva contre les premiers « grands ensembles ».



La grande époque d'expérimentation de l'habitat évolutif entre 1965 et 1975 correspond, elle aussi, à cette période de critique et de dépassement du modèle des grands ensembles. Mais, si les pavillons (le retour aux pavillons) en étaient un antidote, personne ne semble avoir étudié les lieux et les moments historiques où d'autres « grands ensembles » n'ont pas soulevé le tollé que nous avons connu. Le palais de Versailles, d'un côté, la « longue maison » de beaucoup de peuples sans écriture, de l'autre, ou encore les deux-cents kilomètres de façades haussmanniennes dans Paris, ressemblent tous trois beaucoup plus à la barre HLM qu'à un pavillon, et même à du HLM où de surcroît l'isolation (phonique, et même visuelle chez les Indiens) était à peu près nulle. Bien sûr, les Français dans leur masse ne sont ni des Indiens ni des privilégiés. Mais cette remarque nous semble mieux poser le problème : comprendre comment quelques-unes, parmi les « mille et une façons d'être des hommes » auxquelles un Claude Lévi-Strauss a consacré son œuvre, ont produit d'elles-mêmes un type de regroupement spatial que nous avons tendance à ne considérer que comme un expédient technico-bureaucratique quand nous le voyons mis à l'œuvre pour résoudre le « problème du logement ».

Dans le cas des grands ensembles — appelés aujourd'hui le « hard french » dans le reste du monde ! —, quand la technique fut parvenue à surmonter leurs défauts principaux, les critiques se reportèrent vers la répétitivité des façades et des volumes (« architecture de caserne », « cages à lapins », etc.). Déplacement classique des frustrations, après la satisfaction des besoins les plus immédiats. Mais là aussi, il faudrait tenter de comprendre comment, par exemple, la bourgeoisie haussmannienne a, quant à elle, parfaitement accepté ses immeubles stéréotypés parisiens sans jamais élever de plainte contre une telle perte d'identité. Bien au contraire, ce fut pour cette classe sociale une époque de triomphe dans l'assomption jubilatoire d'elle-même.



On pourrait continuer ce chemin, celui de l'histoire sociale des formes d'habiter, et tenter une analyse néo-marxiste de « l'échec » des grands ensembles. Analyse dont l'étape la plus évidente serait le postulat d'un rendez-vous historique raté entre l'architecture moderne et le mouvement communiste, dont parle de Michelis dans un ouvrage fort documenté (23), avant d'aborder cette collusion étrange, entre la grandeur gaullienne et le PCF, dont naquirent les grands ensembles.

 

Ce serait, dans une telle optique, l'échec (stalinien d'abord, brejnévien maintenant) du communisme réel qui produisit la décomposition de la conscience de classe des masses encore ouvrières ; celles-ci désaffectèrent les représentations de l'aventure de la modernité (déjà récusée par Jdanov, cf. L’affaire du concours pour le Palais des Soviets en 1935), et cela se répercuta dans l'architecture : plus de navire corbuséen cinglant vers l'avenir radieux, mais un repli général sur le bon vieux pavillon ouvrier avec jardin.

L'histoire sociale nous apprend en effet que le repli sur l'autarcie relative que permet le jardin fut longtemps le réflexe d'ouvriers battus lors des durs affrontements sociaux qui jalonnent tout le XIXe siècle. Outre les différences de modes de vie, la préférence populaire pour le pavillon au détriment des grands ensembles peut, au plan de l'imaginaire social (24), constituer un acte symbolique, un « cultivons notre jardin » étendu à la politique. Comme si, pour croire aux grands ensembles et pour y vivre en oubliant leurs défauts au profit de leurs qualités (certaines, malgré tout) il avait fallu croire aux « grands récits » dont ils auraient été des pendants architecturaux : de « grands gestes » monumentaux, faits pour qui ose vivre monumentalement, c'est-à-dire dans les représentations d'un imaginaire social monumental, malgré le pressentiment de ses erreurs.

Évidemment, et cela a été suffisamment écrit, ces grands ensembles n'étaient qu'une pauvre solution d'attente visant à parer pour trente ans à l'urgence des taudis et des destructions de la guerre. Mais, pour ceux qui grâce à eux sortirent effectivement des taudis, ils furent beaux et majestueux, et eurent même des airs de « répétition générale » avant l'urbanisme radieux authentique que seule l'économie socialiste, puis communiste, rendrait possible. Avec son Plan Voisin pour Paris de 1922, par exemple, un Le Corbusier première manière avait déjà montré le rêve d'un remake ouvriériste ou naïf-communiste du haussmannisme : on démolirait l'architecture des fusilleurs de la Commune pour faire celle des continuateurs rationalistes des communards. La conquête du centre des villes, le marquage dans l'historicité la plus symboliquement érigée était un enjeu évident (même si c'était le même jeu, pour chaque nouvelle classe appelée à entrer en scène).


 

 

 

23 — de Michelis, Marco, 1979,

« Ville fonctionnelle, ville soviétique »,

in : URSS 1917-1978, la ville l'architecture, pp.92-140, L'équerre.

 




 

 

24 — Terme que nous empruntons

à C. Castoriadis, car il possède

l'avantage sur celui, classique, de

« représentations sociales »

de faire de surcroît référence à la vie psychique, au fantasme et au mythe.

Le cours que l'histoire allait prendre en réalité — connu de tous aujourd'hui — a été assez différent. Comme le signala Alfred Sauvy, une dynamique des besoins et des désirs, inconnue de Marx, allait fausser toutes les prophéties : une fois les besoins primordiaux des prolétaires classiques satisfaits, non par la Révolution, mais par le néo-capitalisme keynésien qui les transforma en consommateurs — et donc, en clients —, les ex-prolétaires devenus lower middle class ressentirent de nouveaux besoins, qui jusqu'alors avaient été dénoncés comme décadence bourgeoise (c'étaient des désirs, devenus besoins, parce que presque réalisables, contrairement aux fantasmes). Pour la sociologie française dominée longtemps par une pensée étroitement marxiste, il était à l'époque encore sacrilège de poser, comme le fera Bourdieu, que les représentations sociales des groupes sociaux ne coïncident pas forcément avec ces groupes sociaux.

Il est cependant trop facile de situer chez les ouvriers (au sens large) un rejet de l'architecture moderne, selon l'idée que le facteur déterminant serait ici celui du « goût », et que le goût ouvrier serait une reprise, plusieurs fois médiatisée, du goût bourgeois. Comme l'écrit Michel Verret, « de toutes les choses neuves que peut aimer l'ouvrier, beaucoup peuvent sembler laides. Du moins ont-elles la beauté de la nouveauté. Ce neuf, c'est la preuve tangible que l'ancien peut changer, que le mort ne saisira pas le vif. C'est aussi l'ouverture d'un avenir et la promesse de sa durée. » (25)

L'architecture moderne qui, dans les termes d'une analyse marxiste classique, aurait dû accompagner le changement qualitatif de civilisation que serait l'avènement du socialisme mondial, n'a connu son triomphe, par une ruse (dialectique ?) de l'histoire, que dans le camp capitaliste, USA en tête. Il est en effet tentant en 1993, après l'évanouissement de l'URSS, de déclarer que le socialisme prévu par Marx n'a réellement abouti qu'aux USA, qui, comme le signale cet excellent produit de l'insolence journalistique américaine qu'est Tom Wolfe (26), ont seuls réussi à faire habiter la classe dominante dans les logements fonctionnalistes élaborés par le Bauhaus à l'intention de la classe ouvrière.

Petite remarque, grandes conséquences : l'avant-garde communisante des architectes des années 20 n'a-t-elle pas tenté d'utiliser le potentiel révolutionnaire du moment pour réaliser des idées qui étaient, en fait, relativement déconnectées de la dynamique sociale en cours ? Cela reviendrait à dire, comme pourrait sans doute le faire Bourdieu, que le développement des idées architecturales possède sa logique propre, colorée au passage par les représentations idéologiques du moment, dont restent des images, des expressions, des gestes plastiques.

Quoiqu'elle paraisse tentante, nous laisserons à d'autres, plus authentiquement marxistes que nous, le soin de poursuivre ce genre de démarche, qui souffre à nos yeux du défaut majeur de tout historicisme : l'après-coup. Tout en leur recommandant de suivre le conseil d'Edgar Morin (27) : abandonner tous les vieux schémas, et tout arrêter pour analyser le monde d'aujourd'hui correctement, comme l'avait fait, il y a cent cinquante ans, Karl Marx. 


 

 

 



 

 

 

25 — Verret, M., 1979,
L'espace ouvrier,
Armand Colin, p.139.


 

26 — Wolfe, T., 1981,
From Bauhaus to our House,
Mc Graw Hill, Londres.



 

27 — Morin, Edgar,
« Le socialisme en ruines »,
in : Le Monde, 21/4/93.

Dans cette démarche taxinomique, rejoignons alors le ludisme heuristique d'un Feyerabend (28), et osons une métaphore structuraliste (autre approche démodée de nos jours...) : comparons l'architecte à un tailleur. Pour que son client soit content, il faut avant tout, quelle que soit la mode et ses canons esthétiques, que le tailleur lui confectionne un vêtement qui lui aille. Le tailleur a besoin pour cela de connaissances techniques et esthétiques, mais aussi, et c'est ce que nous voulons souligner, il est nécessaire, pour que le travail du tailleur aboutisse, que le client ne bouge pas, qu'entre le moment où il prend ses mesures et celui de la livraison du vêtement, la constitution anatomique du client soit restée la même. Cela est évident pour le corps humain, cela ne l'est pas toujours pour le corps social, dont la dynamique de changement rapide lui donne largement le temps d'évoluer entre deux écoles de pensée architecturale : il se peut que le tailleur-architecte ait une société de retard ! Car si, dans l'ensemble, depuis le fait majeur de l'émergence d'une immense classe moyenne, les grandes structures sociales se maintiennent, les changements microsociaux sont, eux, en pleine expansion et c'est justement le niveau où le logement opère : celui d'un fait social total, au sens de Marcel Mauss, dont il ne faut pas s'étonner qu'il doive être analysé sous l'angle de chacune des sciences sociales et humaines avant d'espérer en faire le tour.

 

Si le logement et le vêtement ont partie liée, c'est à travers une conception de l'architecture fondée sur le corps humain, ses espaces et proportions. Et c'est effectivement la première et plus vénérable conception de l'architecture. Pour mesurer toute l'étendue de la complexité de la demande, il faut maintenant passer du corps physique et du corps social, à la notion de corps psychique. Sans pour autant plonger dans la théorie psychanalytique de la psychogenèse (Winnicott, Sami-Ali, et al.), continuons la métaphore du tailleur. Un jour, le tailleur reçoit une commande étrange : le Zoo de Vincennes lui passe commande d'un vêtement pour chacun des cent douze animaux qui, ayant lu finalement le fabuleux Animal Farm d'Orwell, réclament d'être désormais décemment vêtus. Et, ne pouvant croire une chose aussi folle, le brave tailleur envoie cent douze costumes trois-pièces pour humain moyen. Il est clair que ce tailleur a gravement manqué d'impavidité scientifique, qu'il a préféré son confort psychique personnel à la prise en compte d'une réalité passionnante, et qu'en définitive il s'est planté. Or, voilà à peu près la situation des concepteurs du logement humain, social et autre, qui ignorent que le corps psychique de l'Homme peut prendre — et parfois sans crier gare — les formes les plus diverses !

Évitons, cependant, de rendre paranoïaques les concepteurs par cette révélation (les spécialistes de la paranoïa connaissent bien, d'ailleurs, la fantasmatique de la métamorphose du corps qui accompagne parfois cette maladie). Si le corps psychique prend les formes les plus diverses, il ne fait pas pour autant n'importe-quoi ! De fait, il existe un recensement quasi-zoologique des différents animaux psychiques que nous pouvons tous choisir d'être — pour des périodes elles-mêmes assez variables — et cela depuis longtemps : c'est simplement la classification de tous les états d'âme que les cliniciens du psychisme ont constitué lentement au fil de l'histoire de leur discipline, la « nosographie ». Il y a donc un catalogue, plusieurs même, des animaux psychiques, et de l'évolutivité de leurs états d'âme. Et l'habitat humain doit donc commencer à mieux tenir compte de ces formes extracorporelles, mais puissamment actives, que sont les structures de la personnalité et les états du Moi, ainsi que de leurs évolutions. Une des façons dont le logement peut mieux en tenir compte, c'est en devenant, en réponse à l'évolutivité humaine, lui-même évolutif : CQFD ! 


28 — Feyerabend, Paul, 1979,
Contre la méthode :
esquisse d'une théorie anarchiste
de la connaissance
, Seuil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 








 

 

 

 

La métaphore du tailleur devient un peu moins surréaliste quand on considère que le logement vient s'inscrire, un peu comme le vêtement, dans un jeu social qui est une des multiples facettes de la dialectique du soi et de l'autre, avec sa composante narcissique certaine. Il serait donc sans doute fécond de mener une réflexion sur l'apparence affichée à travers l'habitat. Ici, nous pourrions partir de l'apparent renoncement de la bourgeoisie haussmannienne à marquer son individualité dans la pierre, que démontre la monotonie des façades des beaux-quartiers. Mais on nous objecterait la volonté d'homogénéité sociale de la bourgeoisie, à laquelle on peut attribuer non seulement l'uniformité de ses deux cents kilomètres de façade haussmannienne dans Paris (pour un grand ensemble, là c'était même une mégastructure avant la lettre !), mais surtout l'étouffement de tout réel individualisme (Proust, Gide étant des rebelles-caution, dont, d'ailleurs un Trotsky se délectait). Pourtant, l'individualisme réprimé par la bourgeoisie n'a-t-il pas été dénoncé comme une tare bourgeoise par les marxistes, après avoir été un péché pour l'idéologie chrétienne ? De quoi la société a-t-elle peur chez l'individu, sinon de son aléatoire réalisation de Soi, tantôt fustigée comme « originalité », tantôt enviée comme « désaliénation » ?
Sans doute, une phase triomphaliste de la conscience collective d'un groupe social peut aider les individus qui le composent à en accepter plus facilement l'uniforme, surtout quand il y a lutte idéologique et a fortiori guerre civile. On peut cependant remarquer que les apparences sont plus faciles à abandonner pour qui tient la chose elle-même : peu importe l'ombre quand on tient la proie.
L'individu cependant n'avait pas, et n'a jamais son compte dans ces embrigadements. Chaque façade haussmannienne fut ainsi travaillée a minima par un narcissisme qui s'exprimait dans des micro-apparences (29). Le système constructif ne permettait pas autre chose que la pierre taillée : donc, tout un langage en nuances parla dans la pierre, par la dose de travail dans la taille, dans les ferronneries, les balcons...
Le logement bourgeois de cette époque, devenu ensuite modèle pour la classe moyenne, est un espace abritant une fonction spécifique, celle de recevoir. L'appartement bourgeois, d'ailleurs simple pied-à-terre le plus souvent (le « vrai » logement étant dans le terroir, le domaine familial des origines), possède le calme, l'espace, les facilités de la centralité urbaine.
Malgré tout ce travail sur les apparences, le salon bourgeois serait-il un équivalent, sublimé, du jardin ouvrier ? La fonction de réception étant au centre névralgique de la pratique sociale bourgeoise, comme l'autarcie de survie ouvrière qui repose sur le potager, il pourrait être permis de le penser.

is

 

 

 

 






 

 

29 — Le « narcissisme
des petites différences »,
dont parle Freud.


L'énigme psychologique de la verticalisation
Avec l'immeuble haussmannien, et le cumul de facilités qu'elle lui offre, la bourgeoisie classique sauta le pas de l'acceptation de l'étagement vertical des logements, qui fut de tous temps (depuis l'Antiquité jusqu'à l'immeuble de rapport parisien...) plutôt un signe de prolétarisation : « le stockage des familles populaires », diront des grands ensembles certains de leurs détracteurs.

Mais la verticalisation bourgeoise se fera, elle, dans la foulée élationnelle de son avènement, que l'on peut voir comme le couronnement du processus en marche depuis la révolution de 1789, après réduction des dépavages populaires : ce sont donc de toutes autres significations du vertical qui sont ici à l'œuvre... Le vertical, l'élan vers le ciel, a toujours été connoté de religiosité et de transgression, de monumentalité et d'éternité. Dans la mythologie, l'action des hommes sur l'axe vertical entraîne cependant nombre d'événements fâcheux : Babel, Prométhée... Récemment une mythologue américaine a pu intituler un texte « the dangers of upward mobility » (30). 



 

 



 

 

30 — O'Flaherty, W., 1980,

Women, Androgynes and other mythical Beasts,

Chicago Press.

http://mpzga.free.fr/habevol/Robida_vingtieme_siecle.jpg


 

 

 

 

 
 

 
 

 

Robida,

Le vingtième siècle,

In: Moget, 1985, Villas-Immeubles, p.8.


La verticalisation, pour F.-P. Moget (31), se serait effectuée par le passage de la maison à la maison à étage, puis à l'immeuble. Il y aurait donc eu, dans cet empilage, trois étapes de promiscuité :


— s'empiler « en famille »

— s'empiler entre familles du voisinage ;

— le passage à l'anonymat relatif des immeubles.


La résistance actuelle à la verticalité serait dès lors imputable en partie à un vécu de l'anonymat du voisin en termes de promiscuité ; les cas de bonne tolérance, au contraire, seraient imputables à un vécu de l'anonymat permettant de la supporter. La verticalité étant nécessaire dans l'urbanisme, localement en recherche de densification pour assurer l'animation et la centralité, le problème, peut-être rarement posé en ces termes, nous semble être celui de l'intégration dans la démarche de verticalisation d'éléments susceptibles de mettre à distance l'effet d'entassement (le stockage...) et, en même temps, de rassurer les verticalisés contre les contenus symboliques de la transgression prométhéenne à laquelle ils sont ainsi conviés...

Que la bourgeoisie ait pu assumer la verticalité, mettant à profit un de ses moments prométhéens, ne lui fournissait pas de solution psychologique du même type pour une verticalité ouvrière ou populaire, non pas conquise, mais donnée. Jusqu'à la solution actuelle de la lutte des classes par l'émergence de plus en plus dominante des classes moyennes (les prophéties de Tocqueville l'ayant sur ce point décidément emporté sur celles de Marx, comme Raymond Aron n'a cessé de le répéter), ces masses besogneuses restèrent dans des pavillons, puis les « utopistes » s'en mêlant, dans des cités-jardins horizontales. Leur verticalisation brutale, tentée à plusieurs reprises, conduisit partout aux mêmes récriminations, que l'on entend reproduites à l'identique depuis soixante-dix ans, et que, sans doute, l'on devait déjà entendre à Rome, comme la brève carrière d'urbaniste de Néron le laisse penser. Déjà en 1918, en Hollande, un des pères de l'architecture moderne, Berlage, avait brisé une lance pour la normalisation du plan des logements et la standardisation d'éléments de construction afin de loger décemment « la classe industrieuse », comme le rappelle Habraken, et il fut battu non seulement par la résistance prévisible des architectes, mais surtout par celle des ouvriers dont il cherchait à améliorer le sort, ce qui ne manqua pas de le chagriner :



31 — Moget, F.-P., 1985,

Villas-immeubles, immeubles-villas,

un genre ?,

EAPV, 87p., catalogue.

« Les ouvriers... voient dans la monotonie redoutée des files infinies des mêmes maisons et maisonnettes en fait un attentat contre leur personnalité, leur liberté, leur être-homme ; cette sorte d'habitat vous transforme vraiment en animal grégaire, traité en esclave, dépendant. Et cela est compréhensible. Car après la tutelle et le système d'attribution par en haut qu'ils ont longuement connu, ils craignent à nouveau l'élimination de la participation et de l'initiative qu'ils avaient lentement acquises sur leur logement. Et les logements que nous leur proposons signifient, comme une feuille révolutionnaire l'a caricaturé : un seul uniforme, une seule bouffe, une seule cage. » (32)


 



32 — Habraken, H.J., 1961,

De dragers en de mensen, Amsterdam.

 
Soixante ans plus tard, Michel Verret écrira encore :



« Si l'on ajoute à cette intrusion perpétuelle, quoique involontaire, du groupe sur le territoire privé, les contraintes de normativité, de quadrillage, de surveillance dont nous avons constaté le cumul dans le collectif étatiquement aidé, c'est bien sous le signe disciplinaire (cité-caserne), voire répressif (cité-prison) que l'ouvrier risque de vivre le collectif résidentiel. » (Verret, op. cit. p.100).



 

Il n'est pas très surprenant, sauf pour qui a été conditionné par l'architecture rigide des logements de ces derniers deux-cents ans, que la révolte contre la « mise en béton » de la famille populaire ait fourni, aux (rares) architectes qui se sont très tôt préoccupés de la question du logement social, l'occasion de tenter des synthèses du vertical et de l'horizontal : une constante de la problématique du logement social est la recherche d'une organisation collective susceptible d'allier les avantages du collectif et du pavillon. Cette préoccupation a conduit à des propositions mécanistes d'incorporer le jardin aux appartements ; dès 1922, Le Corbusier propose des immeubles-villas où chaque appartement possède un jardin (d'ailleurs, supérieur en superficie à ceux de certaines « chalandonettes » des années 70).



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Les immeubles-villas de Le Corbusier, 1922.

In: Vers une architecture, op.cit.

 

 

C'est, semble-t-il, le ciel qui pose ici problème : le pavillon ne séduit pas autant par son jardin, que par le fait qu'il n'a rien au-dessus de lui (sauf les dieux), comme en témoignent les nuages et les étoiles, les oiseaux… et les avions. Avoir, comme dans les immeubles-villas, un autre jardin au-dessus du sien, ce n'est déjà plus pareil. Quelle hauteur doit-on ménager entre des plateaux de porteurs pour que les « jardins suspendus » communiquent à nouveau avec le ciel ?
L'immeuble-villa a connu de multiples successeurs et quelques belles réussites ; ces réalisations, cependant, étaient le plus souvent organisées en un dégradé de terrasses adossées à des collines naturelles, comme pour en faire excuser l'entreprise de verticalisation des jardins, le lien avec le ciel étant maintenu. De cette époque datent les deux immeubles-étoiles de Renaudie, qui restent peut-être encore aujourd'hui les plus remarquables réalisations de jardins « suspendus » du logement social français : si l'un, à Ivry, s'étaye sur le prométhéisme communiste ambiant, l'autre, à Givors, semble remplacer celui-ci par la colline, à laquelle il ne s'adosse pas, et dont il reste totalement indépendant, en simple étayage symbolique.

L'autre tendance des recherches des architectes des années 20, dans le processus de verticalisation du logement populaire, a été celle du plan évolutif, qui semble vouloir offrir, comme l'immeuble-villa, un champ de liberté individuelle, peut-être héritier du jardin perdu, aux collectivisés verticalisés. Faut-il alors s'étonner que les premiers exemples que nous ayons trouvé de logements évolutifs proviennent d'architectes communisants des années 20 ?



Les précurseurs
L'évolutivité comme solution technologique est liée à la normalisation, et donc à l'industrialisation du bâtiment. Mais qu'il s'agisse de la standardisation du début du siècle ou de celle de l'après-guerre des deux conflits mondiaux, elle reposait sur le pari de la rareté de la main-d’œuvre qualifiée pour le bâtiment, et cette prévision socio-économique ne s'est que très partiellement réalisée, hormis le cas de la Suède (où une situation syndicale complexe a écarté la main-d’œuvre immigrée du secteur bâtiment). La recherche de la « mécanique parfaite » n'a donc pas réussi dans le bâtiment ce qu'elle avait suscité dans l'automobile et l'aviation, sources importantes de l'inspiration fonctionnaliste. Elle a cependant eu pour effet pervers de rigidifier le béton en composants dans une logique qui rappelle celle de la pierre de taille. Ce matériau révolutionnaire permet en lui-même une très grande souplesse (d'après Le Robert, son étymologie est celle d'un mot de vieux français, signifiant gravats, boue, gadoue : le contraire de « l'ajustement rigoureux »). Inventé par un jardinier bricoleur au siècle dernier, le béton armé permit des portées libres, rendant possible le plan du même nom, préconisé par le Bauhaus : la façade n'avait plus de fonction constructive, d'où le problème esthétique de la façade moderne, et l'édiction, en 1925, des « Cinq points pour une architecture moderne » par Le Corbusier.

Un de ces points, l'idée de hisser les immeubles sur des pilotis, de les rendre aériens, va dans le sens élationnel vertical que nous avons évoqué plus haut, signe d'aventure conquérante. Mais il se trouve que chez les peuples « primitifs », les pilotis sont employés pour se défendre des éléments ou entreprises hostiles. Le Bauhaus, Le Corbusier auraient-ils été d'emblée sur la défensive ?

C'est en 1924 en Hollande que l'idée moderne du logement évolutif prend son vrai départ, quand Rietveld construit une maison pour son amie Schröder, à Utrecht, maison célébrissime devenue le manifeste du mouvement De Stijl.



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Rietveld, Maison Schröder, 1924.

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Vue intérieure de la Villa impériale

de Katsura

 

Cependant, ses biographes n'ont trouvé aucune influence des théoriciens de ce mouvement néoplasticiste sur cette réalisation. Si la maison Schröder se lit comme un Mondrian à trois dimensions, c'est parce qu'un mouvement créateur commun unissait les architectes et les plasticiens hollandais de l'époque.

Il ne semble pas non plus que Rietveld ait subi d'influence japonaise : le jeu de cloisons coulissantes du deuxième étage, qui font de la maison Schröder une maison flexible, est l'idée de Rietveld qui, à 35 ans, transposait là ses idées sur le mobilier moderne (il était ébéniste d'origine). Le rapprochement avec le Japon est cependant saisissant, comme on peut le constater ci-dessus.



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Rietveld, Plans de la maison Schröder, in : Th. M. Brown, The work of G. Rietveld, architect, Bruna.

 

En 1927, à Stuttgart, un quartier entier de logements fonctionnels est construit, la Weissenhofsiedlung. La plupart des architectes les plus connus ultérieurement y construisent. Mies van der Rohe y érige des appartements transformables par l'habitant.

Ces habitations étaient à l'époque d'une conception tout à fait d'avant-garde en ce qui concerne les possibilités des plans : c'était un immeuble de trois étages du type « en lamelle », de très faible profondeur, avec des appartements traversants d'une façade à l'autre et des cloisons amovibles. Les planchers portaient sur les murs de façades et, en leur milieu, sur un ou deux piliers. Les baies étaient d'une dimension unique et formaient une bande continue sur toute la longueur de la façade, conformément aux doctrines du Bauhaus. Mis à part les exemples de distribution possibles (probablement de van der Rohe lui-même), nous ne savons rien concernant les logements effectivement aménagés par les habitants de cette époque à Stuttgart, ni d'éventuelles transformations ultérieures de ces logements.  



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Appartements flexibles de Mies van der Rohe, Stuttgart, Weissenhofsiedlung, 1927 : en haut : plans conventionnels ; en bas : plan libre et espace continu

 

In : Archi+, n°100-101, p.42.

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La différence entre les logements de Stuttgart et la maison Schröder est immense : dans les premiers, ce qui est proposé aux habitants, c'est la partition semi-permanente de leur espace selon des besoins ou désirs dont le concepteur les laisse juge, moyennant, en contrepartie, l'acceptation d'une discipline collective (serrée...) symbolisée par l'immeuble pris dans son ensemble. Chez Rietveld, il s'agit d'un habitat bourgeois densifié grâce aux cloisons-paravents coulissantes, permettant de moduler l'espace de réception, à l'étage, selon diverses configurations répondant aux événements dictés par le mode de vie de madame Schröder et ses enfants (et, plus tard, de Rietveld, qui finit par vivre avec elle) : ce n'est pas le jardin potager qui a été ici substantifié en évolutivité mais le jardin culturel des classes devenues aisées. La même remarque paraît valable pour la cloison sèche démontable d'Henri Sauvage, rue des Amiraux en 1929, la première réalisation flexible en France...

Si le plateau, le poteau, et le plan libre qu'ils permettent sont essentiels, au plan technique, dans l'émergence de l'idée de l'évolutif, la doctrine de l'acceptation d'une façade « fonctionnelle » (résultante aléatoire du plan libre, sans recherche esthétique volontaire, l'anti-façade, en somme) l'est certainement aussi.



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Le Corbusier, 1931-35, Plan pour Alger (Plan "Obus")

 
Le point suivant de notre cheminement concerne le plan pour Alger de 1931-35 de Le Corbusier, dit Plan Obus. Si l'œuvre de cet architecte a fait l'objet de centaines de livres, ce plan d'urbanisme est, lui, relativement méconnu. Il est pourtant, à notre avis, un des plus intéressants dans la pensée de Le Corbusier qui, à cette occasion, a exploré de façon provocante la problématique de la verticalisation des logements et des résistances qu'elle entraîne. Il s'agit d'une autoroute le long de la baie d'Alger, qui revient en épingle à cheveu à la cote 100, au-dessus d'un immeuble linéaire de plusieurs kilomètres, offrant quinze niveaux de terrain artificiel pour l'aménagement libre de logements, préfabriqués ou traditionnels, et même vernaculaires : sur son dessin, on perçoit facilement la diversité espérée par Le Corbusier dans l'appropriation de ses structures porteuses, y compris des villas de style arabe (il avait longuement étudié la Casbah d'Alger).

Manfredo Tafuri est parmi les rares à avoir analysé en profondeur le plan Obus pour Alger. Il écrit :



« Même si Le Corbusier cherche à éloigner l'angoisse par l'introjection de ce qui la cause, son propos ne se réduit pas à cela. Au niveau élémentaire de la production, c'est-à-dire celui de la simple cellule d'habitation, l'objectif qu'il se fixe est de concevoir un objet flexible et interchangeable qui favorise une consommation rapide. Dans les mailles des macrostructures formées par les terrains artificiels superposés, Le Corbusier laisse toute liberté dans les modes d'insertion des cellules d'habitation préconstituées ; autrement dit, le public est invité à projeter activement la ville. Un dessin particulièrement éloquent de Le Corbusier montre qu'il va même jusqu'à prévoir la possibilité d'insérer des éléments excentriques et éclectiques dans les mailles des structures fixes. La “liberté” laissée au public (le prolétariat dans l'immeuble d'habitation dont la courbe se déroule devant la mer, et la haute bourgeoisie sur les collines de Fort-L'Empereur) doit être poussée jusqu'au point de lui permettre l'expression de son “mauvais goût’. L'architecture devient ainsi à la fois un acte didactique et l'instrument de l'intégration collective. » (33)


 

 

 





 

 

33 — Tafuri, M, 1979,

Projet et Utopie, Dunod, p.108.

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Le Corbusier, 1931-35,

Plan pour Alger (Plan Obus).

 

Ajoutons que Le Corbusier semble avoir précédé Philippe Boudon (Pessac de Le Corbusier, qu'on ne présente plus) dans sa propre critique, la ville-ruban pour Alger nous montrant dès 1931 cette re-vernacularisation du fonctionnalisme que Boudon encensera en 1969 quand il décrira le quartier Frugès personnalisé par ses habitants sur le mode de l'échoppe bordelaise !

L'idée de faire rouler des autos sur le toit-terrasse de cette ville linéaire n'est sans doute pas sans rapport avec l'admiration exprimée par Le Corbusier envers l'usine Fiat à Turin et sa piste d'essais de voitures sur le toit ; elle marque, à notre sens, une certaine influence du futurisme italien et son exaltation du mouvement sur les idées de Le Corbusier ultérieures à l'urbanisme « en redan » de ses Plans Voisin des années 20. Le dynamisme de ces rubans de terrain artificiel serpentant à travers la baie d'Alger se retrouvera plus tard dans le traitement plastique des pilotis et des cheminées du bloc de Marseille, comme si l'« unité d'habitation de grandeur conforme » était un bout découpé dans ce ruban, dont la perte de dynamique devait être compensée par la plastique du toit-terrasse, rappelant les superstructures des paquebots.

L'ordonnancement prévu des blocs du type Marseille, par exemple pour Saint-Dié, rappelle d'ailleurs celui d'une flotte de navires. L'idée de l'immeuble-paquebot, comme figuration de mouvement, semble évidemment liée à des représentations du Progrès (prédécesseur humaniste du « sens de l'histoire » marxiste) : elle n'est pas sans lien non plus avec le schéma corporel, humain ou animal : maison de Baba-Yaga sur patte de poule, silos à grains galiciens (horreos), dont la légende prétend qu'ils déambulent la nuit...



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Si le ruban d'Alger, véritable ville-horizon, et le bloc de Marseille semblent indiquer un sens, ils posent bien, par-là, le problème de l'embrigadement des cellules familiales dans l'aventure collective, y compris le problème esthétique. Ce dessin de 1931 semble gagner la partie grâce à son immensité qui réussit à naturaliser, en quelque sorte, à faire rentrer dans l'ordre d'une néo-nature urbaine, par leur nombre, les différences individuelles à l'expression d'autant plus libre que les conséquences de chacun y seront limitées par leur quantité même. Il faudra attendre l'immeuble anarchiste de L. Kroll à Bruxelles, bien plus tard, et après intégration de l'expérience du SAR et du participationnisme, pour voir à l'œuvre l'idée de l'anti-façade.

 

Note de 2013 : l'idée de proposer du terrain artificiel en plateaux libres avait été déjà avancée, sur le mode de la dérision, dès 1909 dans une caricature d'un journal américain... et réalisée un siècle plus tard par le pavillon des Pays-Bas pour l'Expo 2000 !




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De gauche à droite : La Mémé à Bruxelles (L. Kroll), le pavillon hollandais pour l'Expo 2000, et la caricature de 1909 de J. Walker :

" Buy a cozy cottage in our steel constructed choice lots, less than a mile above Broadway. Only ten minutes by elevator. All the comforts of the country, with none of its disadvantages! "

Les résistances contre les immeubles-barre sont de nos jours considérées comme profondément ancrées dans le terroir. La solution de Renaudie à Ivry a consisté à casser la polarisation des significations que provoque l'orientation spatiale de l'immeuble-barre, le cap donné à suivre à l'immeuble-paquebot. En conséquence, ses « étoiles » ont un caractère tous-azimuts, sous l'influence de l'idée de l'habitat « proliférant » et « intermédiaire », qui se manifesta pour la première fois lors de l'Expo de Montréal de 1967.



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Jean Renaudie et Renée Gailhoustet, Les Étoiles, Ivry 1971-75

 

Moshe Safdie, Habitat 67, Montréal 1967

 

F. Hundertwasser & J. Krawina, Hundertwasserhaus, Vienne 1982-86


 L'influence la plus notable du plan d'Alger reste cependant son impact évident sur Habraken, manière 1960, même si aucun projet du SAR n'en assure la filiation : mais la Hollande est horizontale... Si le plan d'Alger propose une ville-horizon et des plates-formes offrant une liberté, évolutive au plan de l'infrastructure et des aménagements de logements, avec Yona Friedman, on voit apparaître la ville-firmament et l'idéologie de la mobilité totale :



« L'habitat de l'avenir proche doit être un habitat variable. La variation appropriée pourra être choisie par chaque habitant lui-même, pour lui-même. La liste des variations individuelles est énorme (j'en ai fait l'étude) : par exemple, à partir des éléments de construction standardisée en trois grandeurs différentes, il est possible de construire plus de deux millions de types d'habitations de trois pièces, totalement différentes. Ce qui revient à dire que, dans une ville de six millions d'habitants, il n'y aurait pas deux appartements semblables (pas plus qu'il n'existe deux individus qui se ressemblent exactement). » (34)



34- Friedman, Y., 1970,

L'architecture mobile, Casterman.

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Yona Friedman, 1960 :

 

la macrostructure pouvant aller

jusqu'à la ville continent.

 

Ici, l'auteur va plus loin que notre métaphore « structuraliste » du logement-vêtement : à travers la tridimensionnalité de sa trame urbaine, il avance vers des retrouvailles avec le contenu des fantasmes précoces d'adéquation entre le corps propre et le corps de la mère. L'habitat offre des dimensions fantasmatiques en termes corporéisés ; un habitat lui-même « tenu » par et dans un organisme immense ne peut que symboliser la relation première avec l'adulte tutélaire. Une toute autre source possible de la force, évidente, de cette proposition serait celle, éthologique, du lointain passé arboricole de notre espèce. Comiquement, le champion de l'organique et de l'horizontalité naturelle qu'était Wright devra se donner du mal (quand, en 1954 dans The Natural House, il cherche à se fonder sur des origines transcendantes, lui aussi), pour démentir l'évidence arboricole.



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Remonter dans les arbres, dont peut-être jamais nos très vénérables ancêtres primates n'auraient dû descendre, voilà une drôle de révolution. La même remarque vaudrait pour l'urbanisme souterrain, les villes flottantes, sous-marines ou intergalactiques : utopies fantastiques apparemment, mais qui pour le psychanalyste sont au contraire bien localisées dans des vécus précoces (préverbaux), pré- et post-natals et archaïques, tout simplement. La vive résistance que provoquent généralement ces projets est certainement due à la grande force de séduction de la promesse de retrouvailles avec notre archaïsme à tous qu'ils contiennent. Et, corollairement, au vif désir inconscient de les voir se réaliser (« Prenez vos désirs pour des réalités »).

 

Là où Le Corbusier laissait trois mètres sous ses pilotis d'Alger pour libérer le sol, Yona Friedman laisse cinquante mètres pour libérer tout le passé construit sur ce sol, qu'il respecte ainsi, sauf sur ce point (rédhibitoire pour la plupart d'entre nous) que couper le bâti préexistant d'avec son ciel relève à la fois du crime contre la relation au divin, et de l'escroquerie foncière (l'ancien était implicitement construit avec « vue imprenable » sur le firmament). Du reste, le vernaculaire, là aussi, avait précédé Yona Friedman, comme en témoigne l'image ci-dessus : une maison-arbre, en Nouvelle-Guinée. Ce n'est sans doute pas un hasard si Friedman s'est longuement consacré, par la suite, au tiers-monde et à l'autoconstruction en bambou...



L'ensemble de ces précurseurs de l'habitat évolutif ont ainsi fondé un mythe, dont on verra pourquoi il a la vie dure, et dont nous tenterons, à la fin, après avoir donné la parole à ses détracteurs, de dégager la part de vérité ainsi que les perspectives d'avenir, qui nous semblent assurées dans une formulation renouvelée. La naissance du mythe évolutif semble très liée à l'enthousiasme de F. L. Wright devant le pavillon japonais de l'exposition universelle de Chicago. Mais s'il travailla au Japon au début du XXe siècle, et plaît-il pour l'Empereur en personne, Wright devait par la suite démentir cette fascination originelle (il est vrai à une époque encore très proche de Pearl Harbour), et revendiquer le caractère américano-américain de l'architecture authentiquement moderne (la sienne, issue du terroir du Wisconsin) :



« Freedom of floor space and elimination of useless heights worked a miracle in the new dwelling place. A sense of appropriate freedom had changed its whole aspect. The dwelling became more fit for human habitation on modern terms and far more natural to his site. An entirely new sense of space values in architecture began to come home. It now appears that, self-conscious of architectural implications, they first came into the architecture of the modern world. This was about 1893. Certainly something of the kind was due.

A new sense of repose in flat planes and quiet “streamline” effects had thereby and then found its way into building, as we can now see it admirably in steamships, airplanes, and motorcars. The age came into its own and the “age” did not know its own. There had been nothing at all from overseas to help in getting this new architecture planted on American soil. From 1893 to 1910 these prairie houses had planted it there. No, my dear “Mrs. Gablemor”, “Mrs. Plasterbuilt”, and especially, no, “Miss Flattop”, nothing from “Japan” had helped at all, except the marvel of Japanese color prints. They were a lesson in elimination of the insignificant and in the beauty of the natural use of materials.

But more important than all, rising to greater dignity as idea, the ideal of plasticity was now to be developed and emphasized in the treatment of the building as a whole. » (35)


 

 

 

 

 


 

 

 

35 — Wright, F.L., 1954,

The Natural House,

Mentor book, 1963, p.17.

 
Malgré ses dénégations, les historiens de l'architecture s'accordent généralement à penser que Wright a fortement été influencé, non pas seulement et de façon abstraite par la philosophie de l'Orient — ce qu'il revendiquait volontiers — mais bien par la maison traditionnelle japonaise. Bientôt on assistera à la reprise de cet éblouissement par B. Taut et le Bauhaus, et cela deviendra un rituel désormais classique.
On retrouve l'idée mythique selon laquelle cette maison traditionnelle japonaise témoigne d'une bienheureuse convivialité nippone chez de nombreux éblouis, tel Frantz Jourdain, voyant des maisons japonaises à l'exposition universelle de 1889, sur les Champs-Élysées :



« [...] Pour le Japon, très ouvert et vraiment sympathique à l'activité moderne, les renseignements abondent. La maison, d'une élégance sobre, rend non seulement l'esprit de l'art japonais, mais explique même l'existence de cet heureux peuple qui vivait, récemment encore, comme dans des lanternes sans craindre ni les regards indiscrets, ni les malfaiteurs. Hélas, on remplacera bientôt, à Yeddo et Yokohama, ces antiques et mignonnes constructions par d'abominables bâtisses semblables à celle de l'avenue de l'Opéra et du Palais Royal, rue de Rivoli. Pauvre Japon ! » (36)


 

 

36 — Jourdain, F., 1889,

cité par Jarreau, Ph., in :

Du bricolage : archéologie de la maison,

CCI, 1985.

Un siècle (et deux Guerres Mondiales) plus tard, en 1976 encore, Ricardo Bofill déclare :



« Le logement idéal n'existe qu'en rêve et on peut en effet rêver d'un espace vivant et complexe qui réunirait les qualités de la tanière, de la minka japonaise et du home anglais, trois modes d'habitat animal parfaitement conséquents, surtout le second, où l'espace est modelable et indéfini, qui se plie aux usages de la quotidienneté et permettent une grande diversité des comportements » (37).


37 — Bofill, R., 1976,

« Du logement en prêt-à-porter au logement rêvé », in : Techniques et Architecture, n°312, janvier.

 

Il y avait cependant maldonne entre l'architecture occidentale et le Japon féodal, dans la mesure où la merveilleuse liberté intérieure de la minka japonaise était au service d'une conception de la famille on ne peut plus autoritaire et machiste : ce n'est certainement pas ainsi qu'elle fut lue par les occidentaux ! De manière assez générale, les différents acteurs autour des premières expériences de logements évolutifs n'avaient pas eux-mêmes des représentations comparables quant au degré, à la nature et à la portée de l'évolutivité. Pour certains habitants, celle-ci devait à la limite permettre, lors de certaines fêtes de famille, de démonter et remiser les cloisons de séparation entre le séjour et les chambres, pour créer ainsi, le temps d'un week-end, l'équivalent d'un grand salon de réception. Cette naïveté provoqua parfois un amusement condescendant : à tort, dirons-nous, car cette demande impossible rejoint le mythe d'une flexibilité totale, dont la demande inconsciente est assez forte pour qu'on en ait cru le Japon traditionnel le gardien. Des projets hollandais récents montrent la vivacité de cette demande.

 

Il y a, en fait, une micro- et une macro-évolutivité qui règlent notre adaptation de et à l'espace du logement, et que l'on peut schématiser par une échelle :



  • les ustensiles (vaisselle, draps, vêtements, livres, etc.) ;
  • les meubles « de contact » (sièges, lits...) ;
  • les meubles de famille (armoires, buffets...) ;
  • l'appropriation de « coins » dans les pièces ;
  • la réaffectation des pièces ;
  • le remaniement des cloisons légères ;
  • le percement de murs porteurs ;
  • la division des volumes, le rajout d'étages ;
  • la démolition et reconstruction de la maison ;
  • l'adaptation par déménagements successifs.



La dernière catégorie peut sembler hétérogène à la problématique : nous verrons dans les conclusions comment on peut concevoir que les déménagements en fassent partie intégrante. La formule du logement évolutif soulève toute la question des « modes de vie », de leur degré d'intimité familiale et individuelle, de leur évolution probable, et de leur rapport au logement familial. La famille occidentale serait en train d'opérer une mue, nous dit-on. Serait-elle, tel un bernard-l'ermite, susceptible de détourner à son profit la coquille délaissée par les japonais ?






Chapitre II - l'habitat évolutif au Japon, espaces et pratiques



par Marc Bourdier,

(Architecte DPLG, docteur-ingénieur de l'université de Tokyo, prof. à l'École d'architecture de Paris-Belleville)




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La diversité de la Minka

 

(In : K. Nishi, K. Hozumi,
What is Japanese Architecture ?
, pp.84-85. )

 


 


La maison traditionnelle japonaise (minka) a déjà fait couler beaucoup d'encre. Elle continue à fasciner de nombreux architectes et fait régulièrement la une des revues de décoration et l'objet de nombreuses publications artistiques. Malgré son agrément visuel, ce n'est pas un espace confortable au sens communément admis en Occident : il y fait froid l'hiver, on y vit à même le sol sur des nattes (tatami). De même, elle n'a pas le côté durable qui rassure les investisseurs attachés à la pierre. Elle nous offre cependant le rare exemple d'un système (conception, construction, philosophie esthétique) complet et complexe. Elle est ainsi en étroite liaison avec la nature de par le matériau utilisé pour sa construction (le bois) et de par les transitions subtiles et successives qui en relient le dedans et le dehors. Avec son vaste toit de chaume ou de tuiles, ses larges ouvrants, ses murs de torchis sur treillis de bambou et ses pilotis, elle permet à l'habitant de supporter des températures de l'ordre de plus de 40 degrés avec un taux d'humidité de 80 % l'été. Les assemblages de sa structure absorbent en souplesse les secousses dues aux tremblements de terre. Elle est enfin l'expression spatiale d'une organisation socio-familiale qui régit de manière très stricte les rapports et la hiérarchie entre les individus (place du chef de famille, de la femme, etc.).

Sur le plan architectural, ce qui la caractérise c'est tout d'abord son échelle : on a beau chercher des exemples de bâtisses imposantes dans l'histoire japonaise, on n'en trouve guère ; et la synthèse des principes qui régissent l'architecture de cette maison traditionnelle nippone est concentrée dans l'une des plus petites architectures qui existe au monde : le pavillon de thé.



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Shôkin-tei

(pavillon de thé de la villa impériale de Katsura, séparée du Palais, à Kyoto).

 

On retrouve en effet dans ce type d'édifice les éléments-clé qui ont fait rêver tant d'architectes modernes, à savoir : la simplicité des formes poussée à l'extrême ; les rapports sophistiqués entre l'ensemble et le détail ; le choix d'un système constructif poteau-poutre avec remplissage par simples écrans fixes ou mobiles ; la lisibilité délibérée d'une structure que des charpentiers réalisent avec un soin extrême en tirant le meilleur parti possible de leurs outils ; le système modulaire qui règle l'espacement des poteaux ; la variété des composants qu'autorise la logique de ce système ; l'organisation des métiers du bâtiment et des professions de fabricants de composants.

 

Ces nombreuses caractéristiques de l'architecture domestique traditionnelle japonaise amènent à penser que l'on se trouve ici en présence d'un archétype même de l'habitat évolutif, dans le temps comme dans l'espace.




L'évolutivité de l'habitat traditionnel japonais




Espace, temps et société

Les origines de ce qu'il est convenu d'appeler la maison traditionnelle japonaise remontent en fait au VIIIe siècle et à l'introduction du bouddhisme à partir de la Chine. Le plan-type des temples construits alors sur l'archipel par des artisans venus de Chine et de Corée est composé tout d'abord d'un corps principal de bâtiment (ou moya) lequel est flanqué partiellement, voire ourlé totalement, d'une large galerie couverte nommée hisashi. Ce principe originel d'organisation spatiale, constitué d'une partie principale et de son extension, ainsi que le système constructif qui lui est lié, donneront corps à ce que l'on retrouvera par la suite, et durant des siècles, dans l'architecture domestique. Les demeures aristocratiques, elles-mêmes, n'échapperont pas à la règle. Bruno Taut ne s'y trompait pas qui, dans les années 1930, considérait le palais détaché de Katsura (Katsura rikyû) comme le summum de ce que l'on puisse faire en la matière.

Ainsi énoncé, ce principe fondamental « d'extensibilité » donne sa première dimension à ce qu'il importe d'appeler « l'évolutivité » de la maison japonaise.

Mais une deuxième dimension tout aussi importante existe qui fait penser, un tant soit peu anachroniquement, au fameux « plan libre » tant rêvé par les signataires de la charte d'Athènes. Ce concept moderniste trouve, en effet, dans l'habitat domestique nippon son application bien avant la lettre.

Avec ses cloisons coulissantes, apparues vraisemblablement vers le XIIIe siècle, la maison japonaise est adaptable aux circonstances : en retirant deux ou quatre panneaux coulissants tendus de papier (fusuma) on fait aisément de deux pièces une.

 

Tout ceci s'organise toutefois dans un ordre spécifique rigoureux qui, s'il tolère que chacun puisse dans une même pièce manger, dormir ou étudier, impose à l'individu un rôle particulièrement précis dans le foyer et son espace. L'apparente plurifonctionnalité, au sens rationalo-moderniste du terme, que permet cet espace cache en fait un monofonctionnalisme, plus subtil mais non moins évident, que le nom de chaque pièce rappelle. La partie avant de la maison par exemple est réservée à l'accueil des invités avec successivement l'entrée (genkan), parfois distincte de l'entrée courante, puis une pièce réservée aux échanges de salutations, et enfin la salle de réception (zashiki). Le soin apporté à la décoration de cette dernière pièce est là pour signifier à l'invité le statut et le niveau économique de la maison. Double fonction satisfaite donc : contemplation mais aussi signification sociale.




À l'autre bout de la maison, la cuisine (daidokoro) et les éléments qui la composent sont des plus rudimentaires. À même le sol en terre battue, elle est physiquement séparée des autres parties surélevées de la maison. C'est le domaine réservé de la maîtresse de maison (okusan : littéralement, la personne du fond) dont la position de dominée au sein de la famille s'inscrit spatialement dans l'architecture.

 

Le confucianisme est en effet synonyme, au foyer, d'absolutisme du chef de la maison. La confusion est entretenue entre les mots mêmes de maison, famille, et chef de famille. Dans cet ensemble, la femme japonaise doit le respect au père avant la mariage, au mari une fois épousée, au fils une fois veuve. Le travail domestique auquel elle fait face, s'il est parfois partagé chez les familles aisées, n'est jamais délégué : nourriture, habillement, nettoyage, éducation, accueil des invités, travail des champs ou commerce, etc.

Si, tout le long de l'archipel nippon, chaque habitation fait souvent penser à une grande pièce découpée par des cloisons amovibles et pouvant être utilisée à un moment donné pour différentes tâches et par tous, la maison traditionnelle japonaise est en fait le lieu de l'homme et chacun des membres de la famille sait très bien les espaces qui lui sont réservés et ceux qui lui sont interd

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Les origines sacrées de la Minka

In : K. Nishi, K. Hozumi, op.cit., p.13


Composants et organisation de la construction

De par ses racines historiques et de par les pratiques qu'elle permet, la maison traditionnelle japonaise possède donc un caractère doublement évolutif :



  • d'un côté l'extension possible de l'enveloppe et donc du volume : la maison est comme une peau qui doit pouvoir être élastique et s'adapter à l'évolution de la composition de la famille et donc des besoins de ses membres ;
  • et de l'autre, la transformation aisée dudit volume : le temps ici est celui de l'instant et le volume habitable doit en autoriser les impératifs ou les humeurs, aidé en cela par un mobilier réellement mobile, et réduit à l'essentiel, et par de vastes espaces de rangement en partie intégrés à la structure du bâti, ou carrément extérieurs au bâtiment.



Ce caractère doublement évolutif ne peut fonctionner sans une définition et une identification parfaites des composants qui entrent dans la « confection » du bâtiment. De même ne peut-il réellement s'exprimer sans une stricte organisation des métiers de fabrication desdits composants. Enfin, il ne peut être opérant sans une coordination rigoureuse des tâches sur le chantier.

 

À chacun de ces trois niveaux, l'organisation de la production de l'habitat traditionnel nippon est exemplaire et a d'ailleurs étonné plus d'un responsable des politiques d'industrialisation du secteur du bâtiment dans le monde des pays développés après la Seconde guerre mondiale.

 

Au cœur de ce système traditionnel de production de l'habitat nippon trône le tatami. Natte de paille d'environ 1,80 m de longueur, 0,90 m de largeur et 5 à 6 cm d'épaisseur (mais de taille autrefois variable suivant les régions) ce composant n'a envahi l'ensemble des foyers japonais que très tardivement. Jusqu'au dernier quart du XIXe siècle, et ce contrairement aux autres composants standardisés des maisons, on ne le trouvait en effet que dans les demeures aristocratiques et les bâtiments de prestige. Il n'en demeure pas moins, de par son origine (la surface occupée par deux hommes assis ou par un homme couché), l'évolution de son usage (il était à l'origine mobile et ne recouvrait que partiellement le plancher de certaines pièces), son caractère d'unité de surface (même absent d'une pièce, il permet sous le nom de , et avec un préfixe numérique variable, de visualiser parfaitement la surface de celle-ci), etc., le composant par excellence de l'habitat nippon.

De plus, la manière dont, par ajouts successifs, il compose la surface d'une pièce en même temps qu'il la recouvre, montre à l'évidence que ce tatami est l'un des éléments-clefs du principe d'évolutivité de cet habitat traditionnel (38).

Sur le chantier pourtant, le fabricant de tatamis n'est qu'un intervenant comme les autres. Il rejoint le terrassier, le monteur, le couvreur, le menuisier, le maçon, le plombier, l'électricien et le jardinier, tout ce beau monde agissant de concert sous la direction de l'architecte-concepteur-exécutant qu'est le charpentier. Une grande connivence existe entre tous ces acteurs qui permet de réduire les pièces écrites à leur strict minimum : un plan dessiné par le charpentier sur une planchette de bois et où seules figurent les informations strictement nécessaires au travail de chacun (nom des pièces de la maison, emplacement des poteaux et angle du toit). À la seule vue de ce document laissé en permanence sur le chantier, chacun sait exactement ce qu'il doit faire et ajustera sur place les composants qu'il aura préfabriqué dans son atelier. Le fabriquant de tatamis apportera en temps utile les précieuses nattes sans avoir oublié de mentionner au revers de chacune d'elle la place exacte qui lui revient dans chaque pièce. Malgré le progrès des techniques de fabrication, jamais le processus de production des tatamis n'a pu être industrialisé correctement. Ici réside une énigme que seuls les fabricants de tatamis savent résoudre : bien qu'en apparence de taille identique, jamais un tatami ne peut prendre la place d'un autre.

 

Pendant des siècles, le double caractère évolutif de l'habitat traditionnel a pu perdurer grâce au système de composants qui entrent dans la construction de la maison et grâce aussi aux connaissances accumulées par des générations d'artisans capables de fabriquer ces composants et de les mettre en œuvre.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Cette évolutivité perdure-t-elle ? Et, si oui, comment ?



 

 

 

38 — Heinrich Engel,
The Japanese house, a tradition
for contemporary architecture,

Rutland-Tôkyô :
Charles E. Tuttel, 1964, p.79.

La rationalisation moderniste de l'espace de l'habitat



Après une évolution quasi inexistante pendant de longs siècles, la maison traditionnelle japonaise semble n'être plus qu'un vague souvenir pour quiconque se promène dans les grandes agglomérations comme Tôkyô et dans leurs cités-dortoirs. Les profondes et rapides transformations du mode de production de l'habitat et, de ce fait, l'apparition de nouveaux types de logements individuels ou collectifs ont entraîné, depuis l'après-guerre, une indéniable évolution du mode d'habiter traditionnel.




Occidentalisation et/ou modernité

Les origines de l'évolution récente du mode d'habiter au Japon sont nombreuses. L'influence occidentale n'est pas seule en cause. L’apparition du lit qui est présent aujourd'hui dans 42 % des foyers est certes de son fait ; il encombre les petits appartements et s'ajoute d'ailleurs à la literie traditionnelle (futon) qui, chaque matin, après avoir été exposée au soleil, regagne avec difficulté les espaces de rangement (oshiire) pratiquement supprimés dans le logement moderne. La chaise, quasiment absente des foyers japonais jusqu'à la Seconde guerre mondiale, est, elle aussi, venue d'occident.

Toutefois, les plus importantes modifications du mode d'habiter au Japon sont d'origine locale. Ainsi, la monofonctionalisation réductrice de chacune des pièces du logement contemporain (séjour, chambre à coucher, cuisine-salle à manger) trouve son origine dans un courant de réflexion qui date d'avant-guerre et qui répondait au souci d'améliorer les conditions d'hygiène des logements de l'époque en prônant par exemple la séparation spatiale des fonctions « manger » et « dormir ».
Lorsqu'ils furent publiés dans les années 30, ces travaux théoriques, présentés comme s'appuyant sur une observation fine du mode d'habiter dans les maisons des grandes agglomérations urbaines, firent l'effet d'une bombe. Ils contredisaient en effet l'originalité et la qualité des principes fondamentaux de l'architecture domestique nippone tels que reconnus localement par tous et tels qu'encensés par nombre d'architectes du mouvement moderne.

Il fallut attendre toutefois le lendemain de la défaite militaire pour que cette nouvelle manière d'analyser l'espace du logement urbain soit largement prise en compte. À la faveur de la reconstruction, les violents débats tournant autour de la définition d'une nouvelle politique du logement entraînèrent une révision en règle de l'image de la maison traditionnelle. Tout élément qui en rappelait de près ou de loin les traits distinctifs fut rejeté. On considéra par exemple que l'alcôve décorative (tokonoma), le surdimensionnement de l'entrée (genkan) ou même l'existence de pièces réservées plus aux cérémonies qu'à la vie quotidienne étaient des vestiges du féodalisme et devaient donc à présent être bannis.
Un enthousiasme certain caractérisa l'accueil réservé par les habitants aux premiers ensembles de logements standards, les fameux « 2 DK » (D pour Dining, K pour Kitchen et 2 pour le nombre de chambres à coucher), conçus sur la base de ces nouveaux principes. Les femmes, comblées, plébiscitèrent l'apparition d'une cuisine digne de ce nom et n'eurent pas toujours conscience que la satisfaction d'une partie de leurs désirs était le pendant de leur maintien au foyer.
Depuis 1955 (année du début de la construction de ces premiers appartements « modernes ») jusqu'à aujourd'hui, c'est par millions que les salariés japonais des grandes villes ont pratiqué le « 2 DK ». La domination de ce sigle sur le marché de la construction des logements est telle que sa racine sert encore de nos jours à nommer tout appartement dans un immeuble collectif (avec des variantes en « L » pour Living, et un préfixe numérateur variable ; exemples :

3 DK, 4LDK, etc.)



Le béton et le mètre



Si la modification de la manière de penser le logement dans le Japon moderne a bien été conditionnée par la programmation fonctionnaliste d'espaces à habiter pour le plus grand nombre, l'évolution des techniques de construction et l'utilisation de nouveaux matériaux jusque-là réservés aux bâtiments de prestige, ou expérimentaux, ont joué aussi un rôle important dans la transformation du mode d'habiter. Là où la structure poteaux-poutres de la maison traditionnelle autorisait la mobilité des partitions, l'utilisation du béton armé, ainsi que les procédés de préfabrication lourde (pour la construction des logements collectifs) a entraîné l'augmentation du nombre des murs pleins dans les espaces à vivre.

On aurait pu croire que ce phénomène se limitât aux seuls logements collectifs. Il n'en fut rien. Le nouveau Code de la construction, entré en vigueur dans les années 50, imposa aux petites maisons individuelles en bois (on compte encore aujourd'hui plus de 500 000 maisons individuelles construites en bois chaque année) de résister aux secousses sismiques et non plus de les absorber comme autrefois. L’une des solutions techniques retenues (par les organismes de crédits public au logement notamment) fut de rigidifier les structures et d'augmenter, là aussi, le nombre de contreventements et donc celui des murs pleins.

Enfin, la généralisation de l'utilisation du système métrique (même si les mètres-ruban des charpentiers conservent toujours une double graduation : la traditionnelle en pied : shaku, pouce : sun, fil : bu et la nouvelle en centimètres) désorienta l'habitant qui ne savait plus évaluer la surface de son logement à la seule vue du nombre des tatamis qui en recouvrent les pièces. Le maintien de ces composants traditionnels partait pourtant d'une bonne intention : conserver un élément fondamental de l'art de vivre japonais. Mais le tatami, dont la surface est de 1 ken x 3 shaku' et dont le nombre d'unités par pièces est défini (3, 4.5, 6, 8) s'accommoda mal de la « métrification » des mesures. Dans le transfert il perdit une vingtaine de centimètres en longueur.

 

Aussi brutaux et rapides qu'aient été ces changements dans la conception et la construction des habitations au Japon, peut-on pour autant conclure à la disparition, en l'espace de tout juste 40 ans, de ce qu'il convient d'appeler une véritable « culture de l'habiter » ?




Les pratiques sauvages de l'évolutif



Si, pour des raisons d'origines diverses, l'espace des habitations contemporaines s'est rigidifié au point de remettre en cause le principe traditionnel d'évolutivité de l'habitat, on ne peut en dire autant des pratiques que ce principe autorisait dans le passé et qui, elles, perdurent.



Dans l'individuel



Un rapide coup d'œil sur les statistiques publiées chaque année par le ministère de la Construction japonais montre en effet que les travaux de d'extension (zôchiku) et de transformation (kaichiku) de l'habitat existant représentent un volume d'activités très important, dont l'évolution se fait indépendamment de celle du marché du logement neuf. Des chiffres récents indiquent sur une période de cinq années (1983-1988) un nombre moyen annuel de 710 000 chantiers équivalant à un marché d'environ 160 milliards de francs.

Les logements individuels (dont l'espérance de vie est souvent inférieure au temps de remboursement des emprunts contractés pour les faire construire) n'étant pas de meilleure qualité que les petits immeubles collectifs de bas de gamme, on peut comprendre aisément qu'il faille procéder régulièrement à leur réparation et à leur amélioration. Cependant, les travaux réalisés sur ce patrimoine ne se limitent pas à un simple entretien et portent aussi sur la rénovation des pièces humides, l'augmentation de la surface du logement et même, dans certains cas extrêmes, la redistribution intérieure du volume bâti.

Longtemps mésestimé, et même ignoré, par les grands constructeurs de maisons individuelles, ce marché a été identifié de manière systématique, à partir de 1985, par le ministère de la Construction. À l'issue d'un programme de recherche qu'il avait lancé sur le thème de l'amélioration de la durabilité des logements, ledit ministère a aidé à la création du Housing Reform Center, organisme à but non lucratif chargé de mieux informer le consommateur (sensibilisation à l'entretien, exemples de diagnostic et de réalisations) et d'adapter l'offre aux besoins (développement des techniques d'évaluation, de réhabilitation, d'amélioration, abaissement des coûts, formation de techniciens capables de conseiller les propriétaires).

Si l'on peut parfaitement comprendre et même « visualiser » ce que ce type de transformations représente dans l'habitat individuel, on est en droit de s'interroger sur l'étendue de ce que le marché de l'évolutif représente dans le secteur du logement collectif.

En fait, et contre toute attente, le parc des logements collectifs est lui aussi le lieu de ces pratiques de transformations.



Dans le collectif



À part les nécessaires aménagements auxquels tout occupant d'un logement procède lors de son entrée dans les lieux, l'on sait très bien que la transformation des logements par les habitants, donc la pratique de l'évolutif, est un acte différé dans le temps. En effet, la situation du marché du logement dans les grandes agglomérations aidant, l'accédant, ou même le locataire, se contentera pendant un certain temps des conditions de logement qui sont les siennes, tout content qu'il est d'avoir pu, tant bien que mal, trouver chaussure à son pied.

Tenter donc de chercher comment les pratiques traditionnelles de l'évolutif perdurent dans les logements modernes collectifs japonais en se limitant à la seule observation d'immeubles construits dans un passé récent est une perte de temps. Les modifications spatiales seront minimes et il y a fort à parier que les occupants (jeunes accédants pleins de dettes ou frais locataires en cours de trajectoire résidentielle) seront particulièrement satisfaits de leur sort.

Par ailleurs, tenter de repérer ce que l'on pourrait appeler « l'évolutif sauvage en action » dans le parc de logements locatifs est aussi une gageure : tant les règlements et les diverses clauses de contrats interdisent souvent ce type de pratique.

Pour bien faire, il faudrait observer un ensemble de logements en copropriété et construits depuis un certain temps. Ce type de patrimoine est plutôt rare au Japon : la dernière guerre mondiale a été particulièrement dévastatrice dans l'archipel et la copropriété en immeubles collectifs est un phénomène relativement récent. À ces divers titres, il est particulièrement intéressant de se pencher sur l'état des immeubles à usage d'habitation construits par la fondation d'utilité publique Dôjunkai au lendemain du grand séisme ravageur de 1923 qui détruisit une bonne partie de Tôkyô et Yokohama. Ces immeubles, pour la plupart en R + 2 ou 3, abritent en fait les premiers logements sociaux japonais. Construits entre 1924 et 1933 sur seize sites différents ils ont servi de prétexte à la mise en application de nombreuses innovations sur trois plans : architectural, urbanistique et social.



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Immeubles de l'époque Dôjunkai

 

 

À l'utilisation expérimentale du béton armé pour des logements s'ajouta en effet un traitement de chaque opération comme un morceau de ville, avec ses commerces et ses équipements collectifs intégrés dans les immeubles de logements. Ces derniers furent prévus aussi bien pour des familles que pour des célibataires.

L'intérieur des appartements fit lui aussi l'objet d'une attention particulière. Il eut pour principale caractéristique d'être conçu sur le principe d'une mono-fonctionnalisation minimale de la cuisine et des toilettes qui permit une grande souplesse d'utilisation des espaces à vivre. Les deux ou trois pièces du logement étaient reliées en enfilade (comme dans les nagaya : maisons urbaines traditionnelles en longueur) ou en équerre (à l'image des fermes rurales). Le niveau de leur plancher fut surélevé par à cause de celui de l'entrée à laquelle elles faisaient face. Les pièces pouvaient donc, suivant l'humeur ou l'impératif du moment, être séparées les unes des autres par des cloisons coulissantes ou au contraire communiquer entre elles amplement.

Ces quelques éléments, empruntés très pragmatiquement au langage architectural du logement courant de l'époque, dénotaient la volonté de la part des concepteurs d'offrir à des populations, dont la seule référence spatiale étaient la maison en bois, un espace à habiter qui ressemblât le plus possible à celui auquel elles étaient habituées.

Successivement propriété de la fondation puis de la ville de Tôkyô, ces logements ont été vendus à leurs occupants au lendemain de la seconde guerre mondiale. Libérés soudainement des contraintes tatillonnes des règlements de locations, les habitants ont désiré transformer leurs logements.

Le résultat est surprenant et peut être observé aujourd'hui encore sur les rares sites qui ont résisté à la pression foncière et donc à la rénovation.




Contenus et pratiques de la transformation



Les transformations opérées par les occupants de ces premiers logements aidés japonais sont tellement riches de sens qu'il convient de les analyser avec méthode aussi bien au regard des processus de mise en œuvre que des résultats formels obtenus.

La décision prise par les responsables des syndicats de copropriétaires, syndicats créés pour gérer le patrimoine devenu commun, eu égard aux désirs et aux projets de transformation, varia suivant le groupe d'immeubles. À tel endroit, il fut convenu d'empêcher toute modification. À tel autre, tout chantier dut être soumis à l'autorisation préalable de l'assemblée générale des copropriétaires. Dans telle autre opération, chacun fut libre de procéder aux agrandissements de son choix, pourvu que cela n'apportât pas de gêne aux voisins immédiats. Dans un dernier groupe d'immeubles, enfin, le calcul de répartition des charges de copropriété fut modifié pour s'appliquer à la surface (extension comprise) réellement occupée par chaque famille.

On l'aura compris : pour qu'un tel type de demandes fît l'objet de décisions si différentes, il ne pouvait s'agir de simples travaux de décoration. Les transformations spatiales réalisées concernèrent tout d'abord le marquage de la limite entre espace public et espace privé, phénomène que l'on peut observer de plus en plus dans les grandes agglomérations japonaises. Ici, la cage d'escalier, à demi ouverte, d'un bâtiment en bordure d'opération, a été rendue aveugle par le rajout de feuilles de Plexiglas translucide. Là, au rez-de-chaussée d'un bâtiment de deux niveaux, lui aussi en bordure d'ensemble, le jardinet est aujourd'hui entouré d'un haut mur de parpaing qui n'existait pas à l'origine.

Ces deux exemples tendent à montrer qu'il existe dans le rapport privé/public une dimension spécifique concernant les relations entre le groupe d'immeubles et son environnement.

Quand elles touchèrent plus particulièrement au logement, les transformations prirent d'abord la forme d'un accroissement de mètres carrés de surface. Dans beaucoup d'endroits, le rajout prit la taille d'une pièce complète. Ailleurs, la nécessité d'installer des équipements non fournis à l'origine, et devenus indispensables depuis, entraina d'importants travaux. Ainsi en est-il des extensions nombreuses qui abritèrent des salles de bains. D'autres excroissances furent construites aussi pour servir d'espace de rangement rappelant comment les concepteurs de ces appartements avaient occulté une fonction si importante dans l'habitat traditionnel.

Quelques autres transformations affectèrent les entrées de petits bâtiments de deux étages : l'extension donna lieu là à une remise en position de l'entrée à cause de l'axe de disposition des pièces, à l'image de l'organisation spatiale classique d'une habitation traditionnelle.

Enfin, nombre de balcons, prévus initialement pour recevoir des plantations, furent fermés jusqu'à hauteur du brise-soleil. La fenêtre d'origine, ayant été remplacée par des fines cloisons coulissantes de papier montées sur un cadre en bois, prit place à la partie la plus extérieure de l'excroissance. Pour avoir pu observer ce dernier type de modifications du dedans comme du dehors, il nous est revenu en mémoire un élément traditionnel très important de la maison japonaise : l'engawa, ou passage couvert et vitré qui borde les pièces principales. L'échelle ici seule diffère.

Ces constatations rappellent étrangement celles faites en d'autres lieux sur d'autres bâtiments et qui ont valu à leur auteur d'être à l'origine de débats qui ne sont pas encore clos (Cf. Philippe Boudon, Pessac de Le Corbusier, Paris, Dunod, première édition et rajouts dans la deuxième).

 

L'originalité des transformations repérées sur ce patrimoine bâti japonais appelle maintenant une nouvelle série de remarques quant au processus qui les a vu naître. La réalisation de ces agrandissements est tout d'abord identique à celle d'une construction neuve. L'habitant ne se transforme en aucun cas en bricoleur du dimanche. Comme pour une nouvelle maison, il fait appel au spécialiste, le charpentier, ou plus exactement à la petite entreprise de construction de quartier qui a pris sa place en ville aujourd'hui. Dans un rapport étroit entre client et concepteur-exécutant, le projet prend forme et est réalisé. À certains endroits même, plusieurs familles se sont regroupées pour commander à une même entreprise une extension unique du rez-de-chaussée au deuxième étage, soit une pièce de plus par étage. Comment nommer ce phénomène autrement qu'en parlant « d'évolutif collectif » ou de « pratique collective de l'évolutif » ?

L'ensemble des transformations décrites ci-dessus, aussi bien de par leur taille et leur nature spatiale que de par le processus de leur mise en œuvre, oblige donc à confirmer que la modification (autre manière de nommer l'évolutivité) est réellement un élément invariant dans la sphère de l'habiter au Japon. On aurait pu penser que la structure de béton armé des premiers immeubles collectifs nippon aurait rendu impossible tout agrandissement. Il n'en est rien.

Les extensions volumiques (pièces supplémentaires, appentis, etc.) accrochées aux maisons individuelles comme aux immeubles collectifs et réalisées souvent au prix de véritable prouesses techniques pas toujours rassurantes, rappellent çà et là que le logement au Japon est, aujourd'hui comme hier, une peau qui doit s'adapter à l'évolution des besoins et de la composition de la famille.




L'évolutif institutionnel



Acteurs de l'installation, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, du logement standard en base « DK » dans le paysage de l'architecture domestique japonaise, les partenaires institutionnels de la promotion du logement public contemporain nippon n'ont jamais eu, jusqu'à un passé récent, de réflexion très poussée sur la notion d'évolutivité de l'habitat, au sens où nous l'avons évoqué ci-dessus.

Il est vrai qu'à l'origine, il n'entrait pas vraiment dans leurs prérogatives de se pencher sur le sujet.




De la rigidification



Une des caractéristiques principales de ces acteurs publics est qu'ils sont tous nés après la Seconde guerre mondiale. Le patrimoine bâti construit jusque-là avec des deniers d'État (immeubles de la Dôjunkai mais aussi maisons individuelles bâties pendant la guerre par la Régie Nationale du logement, ou Jûtaku eidan) ayant été vendu à ses occupants, les promoteurs de logements aidés de l'après-guerre ont donc démarré à zéro, sans avoir à se soucier de la gestion de vieux immeubles.

Dans ces années d'immédiat après-guerre, le gouvernement dut faire face aux mesures d'urgence pour relever le pays détruit. Il n'eut en fait guère le temps de se préoccuper de la mise sur pied d'une politique du logement, d'autant plus que la relance de l'industrie du bâtiment n'était pas une de ses priorités. « Le Conseil pour la Reconstruction » (Sensaifukkôin) regroupa divers services des ministères de la Santé Publique et du Trésor. L'ensemble devint en 1948 le ministère de la Construction.

Incapable de construire lui-même, l'État pensa donc faire construire par d'autres, et donc plus simplement par chacun. La promulgation en 1950 de la « Loi sur le crédit public au logement » (Jûtaku kin'yû kôko hô) prend ici tout son sens. Cette loi, même si elle concernait le milieu rural comme le milieu urbain, fut à l'habitat ce que la « Réforme agraire » (Nôchi kaikaku) de 1946 était au foncier. Elle s'inscrivit, pour partie, dans une stratégie d'ensemble d'accroissement de l'accession à la propriété individuelle.

La Caisse de crédit public au logement (Jûtaku kin'yû kôko), chargée de la mise en application de la loi, définit rapidement les fourchettes de salaires et de surfaces dans les limites desquelles un particulier pouvait prétendre bénéficier de ce crédit d'État à la construction.

Là ne s'arrêta pourtant pas l'étendue de ses pouvoirs. En l'absence de texte juridique précisant la responsabilité de la conception et de la construction dans le secteur du bâtiment, et pour faire face aux risques d'une mauvaise utilisation des deniers publics, la Caisse imposa des critères techniques très précis auxquels dut répondre toute construction « aidée ».

La pénurie en matériaux était telle que la Caisse fixa, au strict minimum, la section des pièces maîtresses (poteaux-poutres) nécessaire à la stabilité de la structure. De plus, la réflexion sur les mérites de la construction en béton ayant fortement progressé, l'on considéra dans les milieux spécialisés que, face aux incendies et aux séismes, la maison en bois devait pouvoir se comporter dorénavant comme un immeuble en béton.

Ainsi, pour rendre plus rigides les structures des maisons individuelles, on leur imposa, à partir des années soixante, un nombre minimal de murs pleins avec contreventements obliques. Ce qui du même coup rigidifia l'usage du volume habitable. Là où les pièces communiquaient largement entre elles, un mur sépara bientôt les fonctions et les personnes. Enfin, les parois extérieures devaient être revêtues de mortier afin d'éviter la propagation vers le voisinage du feu en cas de sinistre. Un tel revêtement se fendillant à la première secousse sismique, même de faible amplitude, laissait aisément pénétrer l'eau de pluie qui endommageait donc la structure de la maison. Celle-ci voyait sa durée de vie réduite souvent à une période inférieure au temps de remboursement des emprunts contractés pour faire construire.

Faisant fi des qualités de l'architecture traditionnelle et de ses variétés régionales (les nouvelles prescriptions techniques s'appliquaient uniformément sur l'ensemble de l'archipel), la Caisse de crédit public au logement a « autorisé » la construction de plus de 10 millions de maisons.

C'est bien évidemment ce parc de logements individuels, parce qu'il représente un immense marché de la réhabilitation, qui fait l'objet depuis 1985 de toutes les sollicitudes de la part des fabricants de composants du bâtiment, du Housing Reform Center et bien sûr du ministère de la Construction.




Un important parc « aidé »



Faute de revenus suffisants, une grande partie des travailleurs urbains et ruraux ne put bénéficier des prêts de la Caisse de crédit public au logement. À partir de 1951, le ministère de la Construction accorda donc des subventions (50 à 66% du coût de la construction) aux collectivités locales afin que celles-ci prissent en charge la promotion, la conception et la gestion de logements à louer. Ainsi se constitua, après la Guerre, le parc de logements sociaux japonais. Les habitudes prises à cette époque n'ont pas changé jusqu'à aujourd'hui et ces logements sont toujours programmés, conçus et gérés en régie directe par les directions du logement des municipalités.

Au grand nombre des maisons en bois construites dans le cadre de ce type de promotion s'ajoutèrent bientôt les immeubles collectifs en béton armé qui défigurent aujourd'hui le paysage des grandes agglomérations nippones.

Les directions du logement des municipalités japonaises ne sont cependant pas les seules responsables de cet état de fait. La pauvreté des plans-standards des immeubles qu'elles ont construits n'a d'égale que celle des opérations réalisées par un autre opérateur parapublic : la Régie nationale autonome du logement (Nihon jûtaku kôdan).

À sa naissance en 1955, cet organisme, bénéficiant de subventions de l'État pour alléger la charge financière de prêts spéciaux contractés auprès de diverses instances publiques et privées, fut chargé de construire des cités d'habitations de moyenne gamme pour les familles de travailleurs concentrés dans les grandes agglomérations. Il dut en outre promouvoir l'industrialisation de la production du logement.

Parce qu'elle est à l'origine de la normalisation du logement et de la rationalisation de sa production, la Régie nationale du logement (appelée aujourd'hui « Régie nationale du logement et de l'aménagement urbain » : Jûtaku toshi seibi kôdan) est l'une des institutions qui a le plus contribué non seulement à l'évolution du mode d'habiter mais plus généralement à l'évolution du mode de vie des japonais.

Alors que les municipalités gèrent aujourd'hui plus de deux millions de logements locatifs, la Régie autonome a participé elle à la construction d'un million et demi de logements locatifs ou en accession à la propriété.

L'un comme l'autre, ces deux fournisseurs de logements aidés ont dû dès la fin des années 70 s'interroger sur le devenir de leur parc immobilier.




Évolutif et réhabilitation



L'inflation des prix fonciers et le manque de terrains à bâtir dans les grandes agglomérations ont poussé les promoteurs-gestionnaires publics du logement à faire des choix stratégiques de valorisation de leur patrimoine, et à procéder, suivant l'âge et la morphologie du bâti considéré, à des opérations de rénovation ou de réhabilitation. Ainsi en est-il de la mairie/préfecture de Tôkyô, propriétaire d'un parc de plus de 250 000 logements, et de sa direction du logement chargée, en régie directe, de la programmation, de la conception et de la gestion desdits logements. À elle seule, cette direction procède chaque année à la rénovation de 3500 logements, à la construction de 1500 logements neufs et à la réhabilitation de près de 2000 autres. Dès la mise en place du dispositif d'intervention sur leur patrimoine bâti et face au considérable volume de travaux que celui-ci supposait, les autorités responsables de Tôkyô ont procédé à une rapide typologie du parc existant afin de pouvoir choisir clairement entre rénovation et réhabilitation. La démarche a été facilitée par le fait que l'ensemble de ce patrimoine a été réalisé sur la base de plans standard qui, s'ils ont bien évidemment évolué dans le temps, sont rapidement identifiable, facilitent toute formulation de diagnostic et aident donc à la prise de décision.

Dans ce cadre, les autorités locales de Tôkyô n'ont pas hésité à programmer des opérations de réhabilitation lourde sur des ensembles de bâtiments de R+2 à R+3. Il est vrai que pour la plupart, ces bâtiments n'abritaient que des logements exigus de deux pièces sans salle de bain le plus souvent. Trois types d'intervention ont été réalisés suivant les caractéristiques du bâti : transformation de trois ou quatre appartements en deux ; rajout en façade d'une salle de bain à chaque étage ; ou encore rajout d'une salle de bain et d'une pièce supplémentaire.

Le choix du type d'intervention a été fortement déterminé par les plans d'origine des appartements mais aussi en fonction du système constructif des bâtiments. Ainsi, à tel endroit, la structure poteaux-poutres en béton armé avec remplissage de parpaing a autorisé la transformation de deux logements en quatre. Ailleurs, dans le cas de murs porteurs, certains espaces de transition ont dû être aménagés par l'extérieur pour transformer deux appartements en trois.

Les rajouts lourds en façade ont, quant à eux, nécessité la construction de volumes indépendants sur le plan Constructif, toute reprise de structure semblant risquée au regard d'une réglementation antisismique particulièrement stricte et rigoureuse.

Grâce à un montage financier favorable la politique de réhabilitation des logements sociaux de la préfecture de Tôkyô peut aujourd'hui prendre effet dans des conditions relativement favorables pour les occupants. Le maintien des habitants dans les lieux semble avoir été respecté à peu près partout. L'augmentation des loyers, en contrepartie d'une amélioration du confort des logements (équipements et surface) a donné lieu à un correctif appliqué uniquement en fonction du degré d'accroissement de la superficie du logement et, dans certains cas, à un reclassement catégoriel des bâtiments.

Pour mémoire, signalons que les logements sociaux des collectivités locales sont classés en deux catégories : la première dont la construction et la réhabilitation sont subventionnées à hauteur de 50% des frais engagés et la seconde à hauteur des 2/3, et que le reste du coût des travaux est en général pris en charge sur fonds propres.

Pour des raisons liées à son statut et à ses modes particuliers de financement, la Régie nationale du logement et de l'aménagement urbain, qui a elle seule gère un parc de près de 700 000 logements locatifs, ne peut profiter de tels avantages qui lui permettraient une politique de réhabilitation de son patrimoine avec maintien des occupants dans les lieux et augmentation infime des loyers. Parce qu'elle emprunte de l'argent qui lui coûte cher, la Régie a décidé de rénover, pour densifier, là où une collectivité locale aurait choisi de réhabiliter et ne peut se permettre d'intervenir sur une partie de son patrimoine sans mettre les loyers des logements réhabilités au niveau de ceux de ses logements neufs. Les opérations de transformation de logements qu'elle réalise toutefois sont du même type que celles menées par les collectivités locales, avec interventions lourdes par le biais d'extensions et de recompositions d'appartements.

La réhabilitation lourde du parc de logements financés, totalement ou partiellement, sur fonds publics est à placer dans une thématique de ce que l'on pourrait nommer « l'évolutif institutionnel » en action. Ceci étant, ne nous méprenons pas. Lesdits organismes sont bien responsables globalement de la mise en place, après la Seconde guerre mondiale, d'une politique qui a fait du logement un produit de consommation et qui a quasiment nié les caractéristiques principales de l'habitat traditionnel japonais, son évolutivité y compris.




Le « Système de la maison du siècle », ou l'évolutif expérimental



Au début des années 1980, la simultanéité entre, d'une part, le démarrage de la réhabilitation d'une partie du parc des logements aidés japonais et, d'autre part, le lancement d'un programme quinquennal gouvernemental de développement de nouveaux logements à haut degré de fonctionnalité, n'est pas fortuite.



Les principes du Système



Les promoteurs publics de logements, constatant le vieillissement anormalement accéléré de leur patrimoine, étaient à la recherche de produits et de méthodes pour le remettre en état. Les fabricants de composants du bâtiment, de leur côté, poussaient à ce que le marché du second œuvre se structure de manière plus rationnelle. L’État, pour sa part, s'étonnait de voir que le patrimoine bâti construit, directement ou indirectement, avec des crédits publics dût, à mi-chemin du temps de remboursement des emprunts contractés, faire déjà l'objet de travaux de grosses réparations. Enfin, certains responsables de la première politique d'industrialisation du secteur du bâtiment en étaient venus à penser que l'avenir était plus à la définition de principes directeurs plus souples.

Ainsi naquit le projet de la « maison du siècle » (ou CHS pour Century Housing System). Ce projet, soutenu par le ministère de la Construction, fut présenté comme visant à l'amélioration globale de la qualité des logements sous l'aspect particulier de leur durabilité.



Dans un premier volet, le projet s'attachait à concevoir des logements qui eussent matériellement une espérance de vie supérieure à celle constatée dans le parc existant. Pour ce faire il convenait de construire à l'aide de structures, de composants, de matériaux et d'équipements dont, par partie, on connût la résistance à l'usage et dont on pût assurer, le cas échéant mais à intervalle de temps préalablement identifié, le remplacement aisé de tout ou partie sans que cela ne perturbât l'utilisation du bâtiment.

À ce principe de durabilité d'ordre physique était ajouté un deuxième volet qui concernait la durabilité fonctionnelle et sociale du bâtiment. Ainsi, dans le temps, un bâtiment construit selon cette méthode devait pouvoir être adaptable à la demande sociale, que celle-ci s'exprimât sous la forme de nouveaux désirs d'habitants déjà en place dans le bâtiment ou bien qu'elle émergeât de la part de nouveaux candidats à l'accès à un logement dans ledit bâtiment.

L'ensemble était présenté comme un système total de planification, conception, production, fourniture d'éléments et gestion des logements visant à « établir un habitat de bon standard comme base sociale ». Il devait concerner, en principe, toutes sortes de constructions, dont l'évolutivité serait assurée par l'échange de composants normalisés, compatibles, en vue de leur diffusion étendue, avec les méthodes de construction traditionnelle et conventionnelle.

De plus, ce système fut étudié du double point de vue de l'agrément quotidien dans l'habitat et de l'aspect architectural. Il devait autoriser au moins les huit points ci-dessous :



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Le Century Housing System, principes d'application et Synthèse des huit points

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, en matière de surface il était prévu d'attribuer au minimum 90 m² pour une famille nucléaire et 130 m² pour une famille de trois générations vivant sous un même toit.

Vaste programme qui serait resté lettre morte si la Régie nationale du logement et de l'aménagement urbain, alliée à un cabinet de concepteurs et une entreprise de construction n'avait décidé de relever le gant.




Une première réalisation



À projet exceptionnel, site exceptionnel, la première pierre de l'opération expérimentale de logement modèle du village de Sakura dans la ville nouvelle scientifique de Tsukuba a été posée en 1984 à la faveur de la dynamique enclenchée par la préparation de l'exposition universelle qui devait se tenir non loin de là sur le thème mobilisateur de : l'homme, son habitat et son environnement.

Afin de bien montrer la flexibilité du système, il fut décidé d'affecter les logements, durant la manifestation internationale, à un public particulier (les salariés des pavillons étrangers de l'exposition) et de proposer ces logements à la location, après la fermeture de l'exposition, à des familles de résidents de la ville nouvelle scientifique. Sur une parcelle d'un peu plus de 12 000 m² fut donc construite une opération de 159 logements décomptés comme suit :

  • 29 logements de type 1 DK (studio) de 36 m² ;
  • 31 logements de type 2 DK (ou 1 LDK) de 51 m² ;
  • 51 logements de type 3 DK (ou 2 LDK) de 66 m² ;
  • 48 logements de type 3 LDK de 79 m²


et auxquels s'ajoutait une loge de gardien, le tout réparti en 6 bâtiments. De plus étaient prévus une surface de parking pouvant accueillir 120 véhicules et un bâtiment indépendant de 130 m² au sol pour les activités collectives et réunions diverses.

Bien plus que cette fiche technique de l'opération ce qui retenait l'attention était la manière dont la flexibilité des logements avait été prévue.

Ainsi le bâtiment B-2 autorisait-il, par hypothèse, l'aménagement d'appartements du huit types différents (Cf. illustrations) : 1 K (27 m²), 1 DK (35 m²), 1 LDK ou 2 DK (47 m²), 2 LDK ou 3 DK (67 m²), 3 LDK (78 m²), 4 LDK (113 m²) ainsi que les transformations potentielles suivantes :

  • 3 LDK en 1 K et 1 LDK
  • 1 DK et 1 DK en 2 LDK
  • 2 LDK et 2 DK en 3 LDK et 1 DK
  • 3 LDK et 1 DK en 4 LDK.


La livraison des appartements a-t-elle été retardée pour des raisons techniques ? Les premiers locataires pressentis ont-ils été effrayés par l'éloignement de l'opération par rapport au site de l'exposition internationale ? Toujours est-il que les premiers occupants de ces logements expérimentaux furent finalement des familles de salariés de divers laboratoires scientifiques de la ville nouvelle et que, bientôt dix années après l'inauguration des bâtiments, ces familles sont toujours en place.

Peut-on pour autant conclure à l'échec de l'opération ? Les premiers bâtiments construits sur le principe du « Système de la maison du siècle » vont-ils rester à l'état de réalisation unique ou être cantonnés à une diffusion semi-confidentielle comme bon nombre de réalisations antérieures dues à des initiatives volontaristes de la part des mêmes acteurs institutionnels ?

Nul ne peut aujourd'hui répondre à ces deux questions. À la vue de la philosophie du projet et des logements construits, une impression forte demeure pourtant. Les principes du Système de la maison du siècle répondent assurément à une demande réelle sur le marché du logement au Japon. À titre d'exemple, les efforts considérables menés aujourd'hui par les opérateurs publics de logements afin d'adapter leur parc à une population vieillissante d'une part, et les effets induits sur la nécessaire amélioration de la qualité du second œuvre et de la flexibilité des espaces, d'autre part, devraient permettre à un nombre de plus en plus grand de ces acteurs de considérer ce Système comme une des réponses possibles à leurs préoccupations.

Plus largement, la dynamique qu'enclencherait une plus vaste application des principes de cette « maison du siècle », qui n'est encore qu'une initiative quasi clandestine à l'échelle de l'archipel nippon, pourrait avoir des effets mobilisateurs certains auprès d'acteurs qui, s'ils identifient souvent parfaitement les problèmes de logements auxquels ils ont à faire face, ne sont pas toujours en mesure d'imaginer les moyens formels adéquats pour les résoudre.



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Une première réalisation du CHS

à Tsukuba, 1984.

 

En fait, une banalisation des principes du « Système de la maison du siècle » ne pourrait avoir aujourd'hui que des effets bénéfiques dans le secteur de la construction des logements au Japon. Elle contribuerait ainsi à la redécouverte des avantages perdus de l'habitat évolutif de jadis en promouvant une durée dans l'organisation du système de composants, du même ordre que celle de la maison traditionnelle qui régna pendant si longtemps. Tels étaient d'ailleurs les attendus introductifs à la présentation du programme dans son ensemble, consignés dans un document à diffusion large dans le Japon et outre-mer :



« In traditional wooden construction method in Japan, components groups were very properly coordinated with the production organizations. This mechanism has been formed after many years of the existence of stable production society. One of the causes of the formation of such organizations was the relative concentrated population in this country. [...] However, as the buildings methods for houses change, the mechanism of the production organizations begins to resolve. The production organizations are changing partly because of the change in the way to live in houses but mainly because the new partial construction methods have been rapidly developed by the part and component manufacturers and components requiring the sophisticated maintenance technique have appeared. As a result, it is vitally important to arrange the mechanism of the repair and maintenance. » (39)


 

 

39 — Century Housing System
Coordination Guidebook,
Center for Better living, Tôkyô, 1982.

 

On remarquera pour conclure que les acteurs de la promotion de cette version contemporaine de l'habitat évolutif au Japon ont parfaitement identifié l'importance du rôle des composants à mettre en œuvre et la nécessité d'une organisation professionnelle adéquate pour fabriquer et assembler lesdits composants. Mais on peut toutefois penser qu'augmenter la durabilité d'une maison ne suffit peut-être pas à lui faire retrouver le caractère évolutif qui était le sien pendant tant de siècles.







Chapitre III : de l'idée aux applications



La Suède : débuts frileux...



Les termes, aujourd'hui galvaudés, de « socialisme scandinave » et de « miracle suédois » font parfois oublier que la Suède était encore un pays relativement pauvre dans les années 30. Si la sidérurgie suédoise a été le moteur de son décollage industriel, c'est son système politique de démocratie étendue allié à une planification rigoureuse qui est à la base de son niveau de vie élevé. C'est dans la logique d'une société en profonde mutation que nous voyons apparaître les premières expériences de logements adaptables, dans les années 50. À cette époque, la politique suédoise du logement social n'existait que depuis une vingtaine d'années, contrairement au cas de la France. Comment la Suède a-t-elle aussi rapidement brûlé les étapes, dans l'histoire du logement social ?

L'intervention du gouvernement dans la construction de logements en Suède date des années 30, époque à laquelle un chômage important nécessitait des mesures de résorption. L'activité donnée au secteur construction a attiré l'attention sur les conditions de logement de la population : un très grand nombre de maisons étaient trop petites : la moitié des appartements du secteur urbain n'avaient qu'une pièce et une cuisine et le taux de surpeuplement, particulièrement pour les familles avec enfants, était élevé. Les normes techniques et d'hygiène étaient très basses, notamment en secteur rural. Aussi certaines mesures furent-elles prises pour améliorer les conditions de logement, notamment pour les grandes familles, les groupes à bas revenus, les personnes âgées et les ruraux. En même temps, des études étaient entreprises pour préparer une amélioration générale des conditions de logement.
Le niveau de vie augmentant, l'industrialisation du bâtiment est progressivement devenue économiquement crédible.
Outre ses aspects humains, sociologiques et psychologiques, que nous étudions ici, le logement évolutif se révèle un bon argument économique dans un pays où la construction est très industrialisée et la main-d’œuvre rare et très chère : dans beaucoup de domaines, on laisse à chacun le soin d'en faire le plus possible tout en l'aidant au maximum grâce à une technologie très poussée.

Dès le début des années 40, s'établit une relation entre la normalisation et les prêts d'État à la construction, ce qui a eu une telle influence sur la planification qu'on a même parfois parlé d'« architecture d'emprunt ».
Le but de la normalisation était d'assurer un haut niveau de qualité à l'habitat subventionné par l'État. Ont été normalisés : la surface et les largeurs des pièces, les possibilités d'ameublement et l'agencement technique de base, les surfaces minimales et maximales des appartements et même certains aspects extérieurs.
Les qualités de l'habitat que les normes cherchaient ainsi à assurer sont mises en péril par une adaptation croissante de la planification à la production. Les méthodes de production qui ont été développées ont produit des bâtiments profonds, à refends porteurs, ce qui donne automatiquement des plans plus statiques et des solutions fonctionnelles moins satisfaisantes.
Le rôle des coopératives est capital : l'association nationale des sociétés d'épargne et de construction des locataires et l'organisation coopérative de construction des syndicats suédois (HSB), sont les plus importantes. HSB possède ses propres usines de fabrication d'éléments de menuiserie, d'équipements de cuisine et de matériaux de construction.
Ces coopératives ont contribué à installer le confort dans les logements modernes : salle de bains, frigidaire et cuisine entièrement et bien aménagée, constituent aujourd'hui l'équipement standard de tous les appartements neufs. De même, ces organisations ont contribué à aménager l'environnement des logements : espaces verts, terrains de jeux, jardins d'enfants, buanderies collectives équipées d'un matériel moderne, complètent toujours la construction des logements. En effet, 30% des femmes mariées occupent un emploi (à plein temps ou à temps partiel) hors foyer et il est très difficile pour les femmes ayant de jeunes enfants de se faire aider dans leur foyer, le personnel de service étant très rare. Des garderies municipales sont surtout utilisées par les mères « indépendantes » (veuves, divorcées, célibataires) mais aussi par les familles normales.

Cette orientation suédoise vers la prise en compte croissante des besoins de secteurs marginalisés de la population est sans doute à la base de son attention pour les solutions de problèmes spécifiques à l'aide de plans adaptables. Mais le rôle puissant des consommateurs ne peut être ici négligé, d'autant plus que ce rôle semble avoir été unique, parmi les premières expériences d’habitat évolutif, jusqu'à l'époque « participationniste » récente.



Göteborg : Järnbrott, 1954



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Tage et Olsson, 1954 :

 

immeuble du quartier Järnbrott, et trois plans réalisés par des locataires

 

L'immeuble de Mies van der Rohe à Stuttgart en 1927 semble bien avoir influencé les architectes suédois des années 50, d'après Birgit Krantz (40), de l'Université de Lund, qui a suivi la plupart des réalisations suédoises de ce type. Vers 1952 un concours fut lancé à Göteborg, pour des logements collectifs adaptables, de 50 m² maximum. Ce sont les architectes Tage et Olsson qui, lauréats de ce concours, construisirent en 1954, dans le quartier de Järnbrott, un premier immeuble expérimental.

Il apparaît en solitaire un milieu d'un ensemble d'habitations de trois étages. Il comprend 20 appartements sur cinq étages, de quatre surfaces différentes : 42, 55, 72 et 87 m². La profondeur n'est que de 8m. Comme il apparaît sur les plans, il y a deux éléments statiques : la salle d'eau et la cuisine. Tout le reste est amovible ; les placards comme les cloisons sont de la hauteur des pièces. Les joints sont recouverts de baguettes.

Les appartements étaient livrés dans la configuration du plan-type suédois courant pour les logements collectifs sociaux. Les premiers locataires furent informés des possibilités évolutives du système par l'architecte de la réalisation. Ce ne fut pas le cas, hélas, pour les locataires qui vinrent plus tard. La présence d'architectes dans une réalisation expérimentale apparaît, avec le recul, comme une constante et un indicateur de l'intérêt de l'expérience.

Lors de la construction il avait été prévu une réserve d'éléments de cloisonnement et de linteaux, dans laquelle les locataires pouvaient puiser à leur gré. Ce système ouvert a bien fonctionné sans besoin de surveillance spéciale de la part de la société de construction.

Après dix ans, une enquête a été effectuée auprès des habitants de cette première réalisation.

Comme c'est souvent le cas pour les réalisations expérimentales, les familles qui y étaient installées ne représentaient pas la moyenne suédoise. Il y avait une proportion dominante d'intellectuels, d'employés, de fonctionnaires, ainsi que quelques architectes. Sur les 38 familles, 9 seulement pouvaient être classées en « groupe social » (c'est-à-dire travailleurs). Notons quelques traits saillants des résultats de cette enquête :



 

40 — Krantz, B., 1976,

« L'expérience suédoise »,

Cahiers du CSTB n°167, mars 1976.

  • la pièce de séjour était, au départ, de 18 m². Les séjours créés par les locataires par la suite variaient de 18 à 37 m² (suivant les possibilités qu'offrait la surface totale, bien entendu) ;
  • d'après les normes suédoises, une chambre ne doit pas être inférieure à 7 m². Les plans réalisés par les locataires comportaient des chambres de 5 m². On acceptait donc, dans une large mesure, une restriction de la surface des chambres. Ceci a été confirmé par d'autres enquêtes. La pièce de séjour qui n'est souvent séparée de la cuisine que par un comptoir sert de pièce de jeu pour les enfants beaucoup plus souvent que dans les appartements conventionnels. En effet, dans les appartements de type traditionnel, les enquêtes menées à propos des modes d'habitat montrent en général que la pièce de séjour est en fait un salon dont l'accès est interdit aux enfants ;
  • 22 familles sur 38 ont répondu à la question sur l'emploi éventuel de la flexibilité : 9 des familles avaient effectué deux remembrements. Dans la moitié des cas, elles l'avaient fait elles-mêmes sans l'aide du gérant. Les raisons les plus couramment invoquées pour ces transformations se rapportaient aux enfants : le besoin de surface, le besoin de rangement, le besoin d'isolement. Une raison courante également était l'agrandissement de la pièce de séjour. Ceux qui n'avaient rien changé étaient ceux qui trouvaient le plan d'origine satisfaisant : une seule famille trouvait les transformations trop difficiles à exécuter. La fréquence des transformations était maximale dans les plus petits appartements, ce qui est surprenant puisque les possibilités de transformation sont naturellement plus grandes dans les plus grands appartements ;
  • l'isolation acoustique intérieure au logement est un problème dont les cloisons démontables renforcent encore l'acuité. Mais il en va de même pour les appartements non-évolutifs (les portes, par exemple, n'y sont guère plus efficaces qu'une feuille de carton).



Göteborg : Kallevach, 1960



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Erik Friberger, 1960,

immeuble du quartier Kallevach

 

Six ans après l'immeuble de Järnbrott, l'architecte Erik Friberger construisit en 1960 à Kallevach (toujours à Göteborg) un immeuble évolutif, à la fois adaptable et agrandissable qui pour l'époque, était unique en son genre. Il ne semble pas avoir été étudié.

Dans cet immeuble, chaque appartement occupe une partie plus ou moins grande d'une terrasse (principe retenu plus tard en France pour l'expérience des Marelles). « La construction est composée de plusieurs terrasses superposées, en somme des sortes de pavillons construits sur un terrain artificiel surélevé » nous dit Birgit Krantz, qui rejoint là l'un des axes que nous développions plus haut, au sujet des origines idéologiques de l'habitat évolutif.

Cet immeuble aurait-il eu le tort d'arriver trop tôt, pour rester ainsi méconnu ?

 

Uppsala, 1966

Il s'agit de 16 appartements (60, 90 et 120 m²) d'organisation semblable à ceux de Stuttgart (1927) et Järnbrott (1954). Mais ici un pas de plus a été fait, non vers l'agrandissable comme à Kallevach, mais vers la préfabrication de masse. Il s'agissait donc surtout, semble-t-il, d'une expérience technologique préparant l'aventure d'Orminge-Ouest.

Les cloisons, placards, portes, etc., étaient tous amovibles, fixés par des vérins cachés sous des plintes.

Leur montage nécessitait deux personnes, l'une pour tenir le composant, l'autre pour le fixer, ce qui a été critiqué. Les locataires trouvent que la construction des éléments les rend difficiles à manier. L’isolation acoustique entre les appartements est jugée bonne, mais celle des cloisons intérieures a reçu beaucoup de critiques. Cependant, plusieurs des locataires pensent, ici aussi, que la gêne est la même dans les habitations conventionnelles.

Une nouveauté à Uppsala a été que, dès que l'immeuble fut prêt, l'entreprise offrit d'aménager les appartements au choix des locataires. Trois familles qui avaient signé leur bail purent en profiter. Mais les autres locataires qui s'installèrent par la suite durent effectuer les transformations eux-mêmes.

L'information donnée à ces locataires était insuffisante ; elle consistait, en tout et pour tout, en une brève note où les cloisons intérieures étaient qualifiées d'amovibles, sans autre explication. Un employé de l'entreprise de construction habitait cependant l'immeuble et put aider les locataires.

Après deux ans d'utilisation, une enquête fut menée auprès des ménages occupant les appartements. Sur les seize familles, la plupart des ménages avaient une éducation supérieure, et environ 50% des femmes exerçaient une activité professionnelle. Beaucoup de ces familles avaient volontairement choisi l'appartement expérimental pour ses possibilités de transformation et apportaient donc au départ un intérêt actif à l'expérience.

Lors de la première enquête, il s'avéra que la moitié des ménages avait modifié le plan-type de départ. Cinq des huit autres annoncèrent leur intention de le modifier.

Les changements consistaient souvent à supprimer certaines cloisons et aboutissent à des « plans ouverts » présentant une divergence croissante avec le plan traditionnel suédois. Les changements les plus typiques consistaient à faire de nouvelles chambres, à incorporer le couloir dans la pièce de séjour, à agrandir le séjour.

Ces nouveaux plans n'étaient pas conformes à la réglementation : dans deux cas, la pièce de séjour ne recevait la lumière de jour qu'indirectement. Dans trois cas, les chambres étaient d'une surface inférieure à 7 m².

La seconde enquête, en 1971, confirma que les possibilités de transformation étaient très utilisées. En effet, pendant ces trois ans, neuf familles sur quatorze avaient apporté des changements au plan, dont trois d'entre elles à plusieurs reprises.




Kalmar : Norrliden, 1971



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Au sud de la Suède, à Kalmar, fut franchi un autre petit pas dans l'élaboration du nouveau processus d'interaction habitant-architecte que permet la formule évolutive : dans deux quartiers groupant une centaine de logements évolutifs, on décida de laisser les locataires choisir eux-mêmes leur plan avant l'emménagement, ainsi que de leur procurer une information détaillée sur les possibilités de l'évolutif. Des logements-témoin furent mis à leur disposition.

Sur 106 ménages, 25 conçurent des plans qui ne figuraient pas du tout parmi les exemples proposés dans la brochure qu'on leur remit. Dans 19 cas, les plans des exemples avaient été modifiés. Au total, il y eut 44 plans différents. Lors de la deuxième enquête, c'est-à-dire après la première année d'habitation, personne n'avait encore effectué de transformations de ces premiers plans adaptés.

Le projet de Norlidden s'est montré particulièrement intéressant par la façon dont l'information y a été pratiquée.




Stockholm : Orminge-Ouest, 1967-1971



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L'expérience de cette période la plus riche d'enseignements au plan sociologique est celle d'Orminge, de par l'échantillon de population qu'elle couvre. Cette expérience concerne un groupe résidentiel dans la banlieue de Stockholm comprenant 2 600 logements, dont 550 de caractère évolutif (en fait, une conséquence secondaire du système de construction employé). L'Université de Lund y a également conduit une étude.

L'emménagement des habitants de ce quartier a commencé en 1967 et s'est terminé en 1971. Les principes de construction des bâtiments sont semblables à ceux décrits plus haut (installations techniques dans des blocs de canalisations, etc.). Toutes les surfaces des cloisons étaient peintes avant le montage : les cloisons sont formées de cadres de bois, habillés de plaques de plâtre tapissées de plastique ; les éléments sont fixés à l'aide de vérins contre le plafond. Les câbles électriques sont installés dans l'espace vide entre la partie supérieure de l'élément et le plafond, ce qui amène certaines complications lors de transformations ultérieures. Les conduites verticales passent dans des éléments spéciaux.

Dans le système Skarne 66, employé à Orminge, les cloisons ont les largeurs suivantes : 120 cm, 90 cm, 70 cm, 60 cm, 50 cm, 45 cm, 40 cm et un élément creux de 20 cm contenant les circuits électriques. L'équipe de Skarne à Orminge comprenait 50 ouvriers spécialisés qui, en un an de travail, ont réalisé la distribution intérieure de 550 logements.

Ces appartements sont assez recherchés et peuvent être recédés librement, dans le système coopératif (actions, représentations de l'apport personnel). Le vendeur n'est pas obligé de remettre les cloisons en place, selon le plan-type suédois, bien que, théoriquement, son successeur puisse l'exiger.

Au départ, les ménages avaient le choix entre dix variantes d'appartement, les surfaces allant de 40 à 120 m². L'information des habitants a été pratiquement nulle et s'est résumée en une petite brochure mentionnant la possibilité de diviser certaines pièces, mais ne faisant aucune allusion aux possibilités de modification de plan.

 

Deux méthodes ont été employées :



  • dix familles ont pu choisir, lors de la construction, l'emplacement des cloisons au cours de discussions avec l'architecte. Dix plans (90 m² pour une famille d'un enfant) étaient proposés mais aucun n'a été retenu ; cependant, la disposition définitive est très proche des plans prévus, avec une tendance à des plans plus ouverts laissant la cuisine incorporée au séjour. Les enfants ont des chambres petites, mais individuelles. La chambre des parents est privilégiée ;
  • 1300 logements (120 m² pour une famille de trois enfants) ont été loués aménagés : 15% des occupants ont changé la disposition des cloisons (20% des logements en coopérative).
  •  


Il faut préciser que le plan-type proposé faisait partie des modèles d'habitat solidement implantés dans une longue tradition locale ; ce plan semble toujours correspondre aux modes de vie suédois courants, il est désigné du terme de « généralité » (ou « neutralité » de plan).

Environ un tiers des appartements remaniés l'a été à plusieurs reprises.

Dans les plans « normaux », 16 à 20% des appartements étaient surpeuplés alors que dans les « plans spéciaux » le surpeuplement n'était que de 10%. Si les logements n'avait pas été adaptables, le surpeuplement serait de 18% car, dans les solutions « spéciales », on a créé un plus grand nombre de pièces. (On compte en Suède qu'il y a surpeuplement dans l'habitat quand la moyenne d'habitant par pièce est supérieure à deux personnes, la cuisine et la pièce de séjour n'étant pas comptées dans le nombre de pièces.)

Dans quelques logements des pièces sans éclairage ont été créées par les habitants ; il s'agit de petites pièces pour le travail ou le sommeil. Dans environ 25% des plans « spéciaux », la cuisine et le séjour forment une pièce commune.

La diversité des situations d'habitation est considérable. Chaque variante de logement est habitée par une famille de type différent, mais on observe aussi le contraire ; des familles semblables ont adopté des solutions différentes.

Dans la hiérarchie des préférences déclarées lors de l'enquête, l'évolution des appartements vient en troisième place, le besoin placé en première position concernant l'acoustique intérieure. Mais l'on a pu constater que les familles les plus satisfaites sont celles qui ont utilisé le système.

Les motifs les plus courants sont :




  • un changement dans la composition familiale (adultes) ;
  • les enfants grandissent ou sont malades ;
  • la famille s'enrichit de nouveaux membres ;
  • un changement d'emploi ;
  • travaux à la maison.



Il semble que le besoin de changement soit plus faible lorsque les ménages ont eu la possibilité d'exercer des choix au départ.

Un autre avantage de la flexibilité est que l'on peut, avec des moyens simples, réaliser des adaptations spéciales pour les handicapés ou même créer des aménagements provisoires, comme une crèche pendant la période d'emménagement.

Les contacts sociaux avec les voisins semblent plus fréquents entre les habitants des logements flexibles : on parle souvent avec ses voisins des qualités du logement des uns et des autres.

B. Krantz hésite à établir des relations de cause à effet, mais ce groupe résidentiel avec ses logements flexibles, lui paraît surprenant sous d'autres aspects. Par exemple, les utilisateurs des appartements ne se sont pas contentés d'apporter des transformations à leurs logements, mais ils ont même commencé à transformer leur environnement. Un groupe d'opinion très résolu a réussi à obtenir des autorités communales de petits lots cultivables, des espaces verts communs, où il a changé certaines plantes et ajouté de la végétation, arrangé de petits squares et amélioré les terrains de jeux.

Peut-être pouvons-nous avancer l'hypothèse suivant laquelle l'activité des habitants, et leur créativité, est proportionnelle aux possibilités de participation à la création de l'environnement, ce qui semble un argument d'importance pour la flexibilité du logement.

L'architecte des logements estime que les plans créés par les familles étaient mieux conçus que ceux créés par lui-même. Un programme de télévision a été réalisé sur cet essai. Une maquette a également été utilisée.



Concernant l'enquête, environ 150 personnes ont été interrogées personnellement, la moitié des foyers étant constitués d'une ou deux personnes ; les parents seuls avec un enfant sont très fréquents ; il y a une prédominance d'enfants en bas âge parmi les familles ayant des enfants.

Sur cet échantillon, 85% des familles n'ont pas modifié leur plan d'origine, « général » ou « neutre », dont on sait qu'il correspond à une longue pratique sociale autant qu'à une civilisation de l'habiter mondialement connue et dont témoignent les succès du design et du mobilier scandinaves (représentés aux quatre coins du globe par la firme Ikea au niveau le plus démocratique).

On peut estimer que les 15% de changements observés par Birgit Krantz correspondent soit à des besoins objectifs pressants, soit à une élite de praticiens de l'art d'habiter, des gens particulièrement motivés par la qualité des espaces.

En fait, ces 15% de l'échantillon général montent à 20% dans l'échantillon plus motivé des personnes organisées en coopérative, ce qui semble aller dans le sens de notre supposition. Et le chiffre monte à 26% en prenant en compte les changements désirés, mais non réalisés.

Il existe donc deux types de changements, ceux, réalisés, correspondant grosso modo à des besoins (des changements dans la desserte des pièces, leur communication, des déplacements des rangements ; des réorganisations de la cuisine) ; et ceux, davantage liés à des désirs et à l'imaginaire, non réalisés le plus souvent car plus coûteux :




  • une voûte entre la cuisine et le séjour ;
  • l'installation d'un sauna ;
  • une alcôve séparée dans la pièce de séjour ;
  • deux chambres au lieu d'une et vice-versa.



Aussi minime que paraisse cet indice, il montre à nos yeux l'enjeu principal de la problématique de l'évolutif, là où elle se pose en termes de pouvoir. Manifestement, ces changements non réalisés vont à l'encontre du système Skarne 66 et sont sans doute, en cela même, enjeu du désir de changement : il ne faut pas qu'il ait été pensé, même dans une combinatoire aléatoire probabiliste, sinon il n'est plus une expression de soi, mais le simple cochage d'une case dans la grande grille des possibles pensée par les autres. Voilà donc, paradoxalement, un excellent argument en faveur des systèmes évolutifs : la liberté donnée, mais dans un cadre raisonnable, provoque le surgissement du désir de liberté vraie, donc forcément déraisonnable, et enrichit finalement le cadre d'un peu de cette spontanéité, complexité et chaleur humaine d'habitude si difficiles à susciter dans l'architecture et l'urbanisme.






Les théoriciens : le SAR (Hollande) et Alexander (USA)



Nikolaas J. Habraken



À la suite de l'intérêt soulevé par la publication de son livre Les porteurs et les hommes, en 1961, Nikolaas Habraken créa une fondation de recherches architecturales (dont le sigle néerlandais était SAR). Dans son livre, il avait défini les « porteurs » comme étant « une construction dans laquelle on peut composer un certain nombre de logements, qui, chacun séparément, peuvent être construits, modifiés ou démolis ». La filiation idéologique entre l'idée des « porteurs » et celle du Plan d'Alger a été reconnue en premier par Bakema (41), qui fit partie des dix grands ateliers d'architectes hollandais soutenant l'activité du SAR. Cette filiation, d'autant plus intéressante qu'elle était inconsciente chez Habraken, ne peut cependant surprendre un sociologue connaissant les Pays-Bas. Quelque chose de l'attitude protestante, en effet, se cristallise dans ce projet d'urbanisme, qui délimitait avec une vigueur exemplaire le domaine du collectif et celui de l'individuel, tout en permettant — y incitant, même — l'expression d'un individualisme qui se montre aux yeux de tous comme jouant un jeu collectif. De nombreux voyageurs latins ont été surpris, voire choqués, de l'habitude hollandaise de vivre rideaux ouverts sur la rue. Ce qui pour nous peut être mal vécu comme violence d'une exhibition, n'est rien de plus, chez les nombreux Hollandais que nous avons interrogés sur ce point, qu'une soumission volontaire au Surmoi (calviniste) national, face auquel il n'y a rien à cacher. Les blocs d'habitation des banlieues de la Randstad, éclairés le soir dès 18 heures, font l'effet de maisons de poupées.


 

 

 

 

 

41 — Bakema, J.B., 1964,

Van stoel tot stad,

W. de Haan, Rotterdam.

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Les façades du centre d'Amsterdam

 

Rappelons-nous Max Weber et son analyse classique des origines du capitalisme comme effet économique de l'idéologie protestante qui, en Hollande, est à dominante calviniste. À défaut du regard de Dieu, on se contente du regard social porté au sein de la pièce de séjour familiale. Voilà sans doute des conditions extrêmement favorables à la levée du scandale de « l'empilage des idiosyncrasies individuelles » dont parlera, plus tard, le groupe SITE, si cette juxtaposition est hissée, au contraire, au rang de devoir moral. Rappelons aussi les travaux prométhéens, admirés par Freud, d'assèchement du Zuiderzee ; les digues géantes longues de 30 km qu'on met un siècle à construire ; les brise-tempête de science-fiction prévus pour tenir tête à des ouragans dont le risque est d'un tous les 4000 ans (aux Deltawerken de Zélande), et on comprendra que le petit dessin de Le Corbusier pour Alger avait de quoi séduire les Hollandais. Ce qui ne signifie pas qu'ils le réaliseront jamais, mais qu'il a pu être reçu en Hollande comme idée fertile alors qu'il était oublié partout ailleurs, d'autant plus que la diversité des façades imaginées par Le Corbusier sur cette véritable étagère à pavillons qu'est le Plan Obus, correspond à peu près à celle des rues urbaines hollandaises traditionnelles, dont chaque façade est assez singulière, et dont l'évolutivité vernaculaire va totalement d'elle-même..

 

Ce qui semble avoir inspiré le groupe du SAR, c'était le principe de hisser sur porteurs collectifs la singularité individuelle, ainsi assumée devant la collectivité, et garantie par celle-ci. C'est donc, fondamentalement, une démarche « par le haut ».



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Le principe des « porteurs » (dragers) de Nicolaas J. Habraken

C'est la raison pour laquelle Habraken, à la différence d'Alexander, cherche à faire collaborer tous les acteurs du processus conception-réalisation-promotion, avant de mettre les systèmes ainsi élaborés entre les mains des usagers appelés à participer en bout de chaîne :

 

« Il fallait résoudre deux problèmes de méthodologie : Le premier fut le problème de coordination. D'une part, rendre possible le développement et la construction des systèmes “support” de telle manière que n'importe quelle unité détachable puisse s'y adapter, d'autre part rendre possible la production des unités détachables de manière à ce qu'elles s'adaptent à n'importe quel support. Il fut alors nécessaire de développer un système de coordination modulaire qui permette une telle coordination technique, un système de coordination modulaire qui ne soit pas utilisé en premier lieu pour la standardisation des éléments de composition mais pour la coordination des décisions prises au plan de la conception. De cette coordination, la standardisation pourrait suivre.

Le deuxième problème méthodologique était celui de l'évaluation. Le projet support doit être jugé d'après une série de solutions possibles de plans courants. Après la conception du support, comment connaître les plans exacts des logements qui y seront réalisés ? Dans un projet traditionnel d'habitat, les plans sont normalisés. Dans le projet support, il s'agit d'élaborer une structure à l'intérieur de laquelle toutes sortes de plans soient possibles. Le principe de zones et marges fut alors développé afin de transcrire les données générales concernant les aménagements à décider.

Changer le logement de masse en logement à “support” est un changement fondamental. Cela touche toute l'organisation de la construction et du logement. Notre travail demande à être réalisé. Je ne pense pas que les choses puissent changer en peu de temps. » (Habraken, 1975).

 

Les travaux du SAR (un laboratoire sabbatique, à but non lucratif, financé par les principales agences d'architectes) ont d'abord porté sur la synthèse des approches analytiques du logement : « coordonner les différentes instances qui participent à la construction ». À partir de 1970, le SAR s'est réorienté vers l'analyse du fait urbain, et fut consulté notamment pour des projets d'urbanisme ; la première expression de cette extension des objectifs fut le livre SAR'73 sur le tissu urbain décrivant douze tissus typiques des villes hollandaises. Le thème de la diversification apparaît ensuite au SAR, qui établit la notion de « marge » d'indétermination.

 

Ce sont, nous semble-t-il, Bonnemazou et Fortier (42) qui ont le mieux résumé la démarche d'Habraken, dans leur dossier très complet sur le SAR qui a paru en français en 1976. Nous leur laissons la parole :

 

« Comment, au fond, ne pas trouver étrange une “théorie d'architecture” qui refuse tout emprunt aux systèmes de pensée et aux théories antérieures ; surprenante une recherche qui prétend s'éloigner des architectures sans visage inspirées du Bauhaus, et qui pourtant se prive elle-même d'aboutissements formels ; paradoxale enfin une méthodologie minutieuse et austère, corrélative d'une théorie qui vise de son côté l'indétermination et l'ouverture ; problème, donc : par quel tour de passe-passe une trame peut-elle soudain ne pas ordonner et figer, mais libérer et disparaître ? Problème inverse aussi, quel crédit apporterait-on à ce projet d'espace approprié s'il laissait aux objets architecturaux l'intégralité de leur définition et s'il ne faisait aucune part à une théorie des pratiques ?

Mais le fond du problème est sans doute celui-ci : avec cette obsession renouvelée des territoires individuels, avec cette quête d'une vie sociale largement rabattue sur un horizon privatif, on est, avec le SAR, dans le droit fil des grandes théories progressistes de la première partie du siècle. À leur aboutissement final, puisque dans les “supports” et les “unités détachables” culmine le rêve corbuséen d'une cité architecturale dans toutes les villes du SAR, l'habitat est hégémonique mais certainement aussi à un point d'inflexion décisif puisque l'espace parfaitement pauvre que l'on connaissait jusqu'alors s'ouvre sur la durée et sur la vie : par conséquent, sur les lisières de la réappropriation urbaine.

Dès lors, on ne s'étonnera pas de ne pouvoir tirer une image homogène des expériences multiples qu'ont inspiré tous ces travaux : on y retrouvera aussi bien les projets manufacturés de Bruynzeel que des architectures “ouvertes” comme avait pu l'être Pessac, voire des tours de Babel autogérées et libertaires... Ironie du sort ou ultime réussite, on ne rencontrera nulle part l'image qu'avait involontairement suggérée Habraken d'une mégastructure où les hommes et leurs mobiliers circuleraient comme des jouets ou comme des automates. »



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

42 — In :

Techniques et Architecture,

n°311, 1976.

Christopher Alexander



Avec Christopher Alexander, on verra un mouvement inverse à celui du SAR, parti « d'en bas » (sous des influences mystiques taoïstes), finir par presque le rejoindre dans sa méthodologie d'incitation à la complexification. La confiance faite à la millénaire sagesse gestuelle de l'habitant, vernaculaire ou pas, rapproche beaucoup Alexander des sciences humaines : ici le point de départ c'est l'homme, comme l'a bien noté David Elalouf :




« Alexander, et c'est là un des points les plus remarquables de ses travaux, ne définit pas les espaces par leur morphologie ou leurs dimensions mais les présente comme les espaces d'une pratique : la rue doit pouvoir être le lieu d'un événement ou d'une pratique exceptionnelle (street football, street theater...) ; la fenêtre n'est pas un élément fonctionnel mais elle aussi est l'espace de pratiques multiples (fenêtre où l'on peut s'asseoir, fenêtre espace, bow-window, fenêtre alcôve, ”jalousies, etc.). Il apparaît indispensable d'aborder l'œuvre d'Alexander avec beaucoup de nuances, essentiellement, à cause du sentiment permanent d'une ambiguïté [...] entre le circonstanciel, l'intentionnel et l'immuable ; intuition raisonnée, intuition en quête d'une logique et d'une expression. Il est difficile de présumer de l'évolution même du langage et ses réalisations témoignent aujourd'hui de son potentiel »




C'est dans son ouvrage aux accents lyriques The timeless way of building que se fait sentir l'influence déterminante du Tao-Te-King sur la pensée d'Alexander. Écriture anti-technocratique par son essence même, elle est source d'inspiration et de prise de conscience. Dans sa première orientation, bien représentée par son doctorat avec Chermayeff (Community and Privacy), Alexander suivait un cap très proche de celui du SAR et d'autres chercheurs-architectes, celui d'une approche aussi scientifique que possible de l'architecture. À un moment où la production architecturale traversait un vide théorique manifeste, les recherches méthodologiques étaient une alternative séduisante.

Sur les bases de l'acquis de la période fonctionnaliste « dure », les bâtiments et les espaces qui les composent découlaient logiquement des fonctions qui leur étaient assignées : tout cela était quantifiable et fut donc quantifié. En 1964, avec son livre Notes on the synthesis of forms, Alexander abandonne la morphologie architecturale classique, la recherche de l'adéquation de la fonction et la demande, il découvre que le recours à des « diagrammes » permet de sauter plusieurs étapes du processus méthodologique menant à la « bonne » forme. Ces diagrammes deviendront plus tard des « patterns » (dont Alexander regrette la traduction française par le terme de « modèles »...) : une série de plusieurs centaines de situations socio-spatiales, proposées à la réflexion des concepteurs, isolément ou en tant que système articulé.

L'évolution d'Alexander est alors pleine de surprises ; renonçant aux recherches de méthodologie et d'aide logique à la conception, il découvre l'expression poétique des qualités essentielles d'un bâtiment et de son architecture, expression dont le support sera le Language of Patterns et le manifeste, un long poème d'architecture, apparemment ésotérique : The timeless way of building. De ce long poème d'architecture, un passage semble essentiel :




« And finally, when you have understood all this, and recognized that you are as potent as any great artist, since the pattern language which you build allows you to give birth to natural forms of infinite varieties according to the forces in you ; finally, then, when you have used the language, you will be ready to shed its use, since you will come to understand that even the language is only a crutch which has helped you to walk while you were lame, and your natural capacities to give birth to form and to act, as nature does, in making towns and buildings, come in the end from your own inner nature and are as much a part of you as eating and drinking, and like them, function best when they are free ».




C'est le Center for Environmental Studies, installé à Berkeley en 1967, qui va mettre en pratique le « langage des modèles » d'Alexander, à partir d'un catalogue de ces patterns (que tout individu peut enrichir de ses propositions, critiquer, modifier, etc.). Le CES répond à des projets par des schémas s'appuyant sur des ensembles de modèles du langage, comme un professionnel le fait pour un client individuel, mais récupère à chaque opération l'information sur l'expérimentation qu'elle constitue ipso facto. Le CES est ainsi intervenu, depuis 1968, du Bronx jusqu'à Lima, et de la Suède jusqu'en Oregon, et continue de nos jours.

Aussi proche qu'il paraisse de vouloir retrouver une modernité revigorée par le vernaculaire, ce qui intéresse essentiellement Alexander, c'est, en amont du bâti, de transformer les processus de conception de l'habitat.

En France, la doctrine d'Alexander a été analysée très soigneusement par Michel Conan, d'abord en ce qui concerne son rejet de la technocratie, puis en ce qui concerne sa méthode de travail, texte dont nous citerons ici le passage suivant (43) :




« Mais plus encore que les détails constructifs, ce sont les sept principes censés s'appliquer à toutes les situations possibles de construction d'habitation dans toutes les parties du monde qui doivent retenir notre attention. Nous suivrons donc l'exposé qui en est fait par Ch. Alexander. À l'origine de cette méthode, un diagnostic critique sur les conditions de production du logement dans les villes du monde entier : deux impératifs éthiques sont violés, la reconnaissance du caractère unique de chaque sujet et de sa capacité à exprimer cette singularité pour atteindre à la dignité, et la reconnaissance de la nécessité pour chacun d'établir des relations sociales. Ni le développement de lotissements de maisons individuelles promus par l'économie libérale américaine, ni la construction en série de logements telle qu'elle est promue par les gouvernements français, suédois ou soviétiques ne peuvent être rendus plus humains en améliorant les prestations matérielles tant que le système de production demeurera inchangé, car c'est sa structure profonde qui serait à l'origine du sentiment d'aliénation véhiculé par les bâtiments. Or, cette structure profonde est révélée par la distribution du pouvoir en son sein : ainsi dans le monde présent les décisions relatives à la production de l'habitat sont prises par des gens qui en ignorent les conséquences de telle sorte que nous vivons une période intermédiaire tout juste capable de produire un habitat intolérable pour les milliers de sans-abri (p.39).

Comment découvrir un autre système de production ?

La réponse de Christopher Alexander consiste à se tourner vers le monde biologique afin d'y trouver un modèle à imiter. La nature se manifeste dans tous les organismes vivants par la capacité qu'elle y distribue en tous points de l'organisme et à tout moment d'adapter la croissance à ses dispositions internes et aux conditions d'environnement, car les contrôles exercés sur la forme de toutes les parties sont distribués à un grand nombre de niveaux de l'organisme. À l'opposé de ce processus naturel, le processus de production de l'habitat parait trop centralisé et dispose de contrôles trop éloignés des situations particulières de développement de chaque habitation. II faut donc décentraliser ou mieux répartir les pouvoirs de contrôle dans l'ensemble du processus de production. D'où les sept questions suivantes :



43 — Conan, M., 1989,

« Urgence des recherches

sur la conception architecturale »,

in : Architecture et comportement,

Vol.5, n°3, pp.215-231.

 

 

 

Également :

 

Conan, M., 1987,

La prospective et la conception de l'habitat,

CSTB, pp.37-57.

1. — Quelle doit être la compétence du maître d'œuvre ?

2. — Quelle est l'intégration locale de l'entreprise de construction ?

3. — Qui dispose et contrôle l'espace commun entre les maisons ?

4. — Qui établit les plans des maisons individuelles ? 

5. — La construction repose-t-elle sur la mise en œuvre de composants standards ou sur des actes créatifs

        mettant en œuvre des processus standards ?

6. — Comment le coût est-il contrôlé ?

7. — Comment se déroule la vie pendant la construction ?




Les réponses à chacune de ces questions constituent autant de principes directeurs qui devraient être respectés par le nouveau système de production de l'habitat qu'ils instituent. »




La France : les premières expériences revisitées



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Montereau-Surville, 1969-1971



En France, dès les années 50, les chercheurs groupés autour de P.-H. Chombart de Lauwe avaient insisté sur la nécessité d'expériences de logement évolutif. Parmi les nombreux projets faits par des architectes, le premier à aboutir fut celui des frères Arsène-Henry et de leur associé Bernard Schoeller. L'office d'HLM de Montereau accepta l'idée de construire un immeuble expérimental dans la ZUP de Montereau-Surville, un immeuble dont les cellules seraient aménagées selon la volonté des locataires (44).

Cet immeuble constitua la première expression de la recherche continue d'architectes qui, déjà dix années auparavant, à l'occasion de la construction du secteur industrialisé de Reims s'étaient posé le problème de la mobilité des cloisons de distribution des logements afin de permettre une certaine souplesse de la géométrie des pièces.

Le plan d'étage de l'immeuble est un carré de 24m de côté, composé de quatre plateaux d'une même surface de 83 m². Ils sont disposés en angle autour d'un noyau central équipé d'un escalier, d'un ascenseur, d'un vide-ordures collectif, des gaines et colonnes de fluides.

Une coursive de palier ceinture ces éléments bruyants en les isolant des appartements.

Une loggia périphérique d'une profondeur de 1,60m, fermée par un garde-corps plein en béton blanc, sert d'espace de transition avec l'extérieur et donne à l'immeuble une apparence classique.

Chaque plateau de 83 m² est un rectangle de 6,30m sur 13,50m, tramé selon une trame de 90cm. Il comporte, dans la zone centrale, une gaine technique, unique, équipée de tous les fluides, évacuation et ventilation mécanique.

Deux plateaux pouvaient être couplés pour réaliser un seul grand appartement. Le rez-de-chaussée est occupé par le hall d'accueil, les voitures d'enfants, le logement de gardien. Au dixième étage, sur la terrasse accessible, a été installé un local résidentiel collectif de 40 m² avec cuisine et sanitaire.


 

 

 

44 — Periáñez, M., et Routon, M., 1972,
Les logements à plans adaptables
de Montereau-Surville
,
Assoc. Anthrop. Appliquée, Paris.

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Montereau-Surville, 1969 :

 

Un étage de 4 appartements aménageables


Malgré son caractère expérimental, ce bâtiment prototype a été réalisé dans le cadre des prix plafonds ILN. L'immeuble a été implanté dans un bosquet d'arbres en bout de la grande terrasse du plateau de Surville, dominant la vallée de la Seine et la ville basse de Montereau. Les architectes ont donné à cet immeuble une apparence extérieure classique, avec des loggias périphériques et des garde-corps pleins en béton blanc.

Les 36 logements (37 avec celui du gardien, adaptable également) se répartissent sur neuf niveaux. Les deux premiers niveaux étaient réservés à une expérience de logements adaptés aux besoins des handicapés-moteurs. Dans chaque appartement, seules l'entrée et la gaine technique ont été implantées d'office par l'architecte. Les équipements tels que salle d'eau, W.-C., cuisine se raccordent autour de trois faces de la gaine technique. Le quatrième côté de cette gaine, en face de la porte d'entrée, est réservé à une armoire sèche-linge ventilée automatiquement par la VMC.

Les façades sont composées en fonction du plan et des goûts de l'habitant, au moyen de cinq éléments-types, qui viennent s'encastrer entre les potelets. Ces éléments sont : l'élément plein fixe, l'élément vitré fixe, la porte-fenêtre, la fenêtre fixe, la fenêtre ouvrante.

 

L'information des usagers a été faite par la distribution d'une plaquette explicative, comportant onze plans proposés par les architectes. Aucun de ces schémas n'a été repris intégralement par les locataires, et d'ailleurs aucun des plans composés par ceux-ci n'est semblable à un autre. Ces plans ont été, pour la plupart, élaborés en séance de travail entre les futurs locataires et les architectes, notamment Bernard Schoeller, parfois à partir d'une première esquisse apportée par le ménage, et en présence d'un sociologue-observateur.

 

Avec le recul, on peut ici avancer sérieusement l'hypothèse qu'à la différence des expériences suédoises rapportées par B. Krantz, le type de relation humaine établi par l'architecte avec les locataires est pour beaucoup redevable du succès de l'expérience en ce qui concerne la différenciation des cellules au départ : un contact facile, aisé, très « médecin de famille », prenant parfois des décisions quand le couple tournait trop longtemps en rond, mais sachant trouver et exprimer sur une trame modulaire des compromis satisfaisants avec les désirs initiaux des locataires, souvent contradictoires.

La procédure de réalisation des plans consistait, après les formalités à l'OPHLM, en plusieurs de ces séances de travail, jusqu'à celle où l'accord se faisait sur l'une ou l'autre des diverses solutions trouvées ensemble pour remplir le « programme » de chaque famille lui-même élaboré au long des séances, la dernière étant conduite par l'architecte avec un clair désir de finaliser la conception.

Cette façon de procéder parut très directive au Bureau des recherches sociologiques du ministère du Logement, au moment même où étaient menées des expériences de « flexibilité totale » (Les Marelles, notamment) dans laquelle l'équipe d'observateurs reçut, semble-t-il, la consigne d'éviter toute ingérence dans la recherche du plan par les participants. Cependant, les expériences ultérieures de « participation » des habitants à la conception de leur logement, maintenant classiques en France, ont plutôt donné raison à l’attitude semi-directive et à la séance finale décisive enlevée légèrement : nous l'avons vu en 1985 à Cergy-Pontoise lors de séances de « rattrapage » de candidats tardivement arrivés dans une opération participationniste conduite par Pierre Lefèvre (45). Ces retardataires, dont l'architecte redoutait qu'ils ne puissent pas aboutir à des plans adaptés à leurs besoins et représentations du logement par comparaison au reste du groupe (qui avait derrière lui l'expérience de trois mois d'atelier de conception collective), ont très vite su établir avec eux un processus d'échanges sur la conception, dans une relation dont l'ambiance était proche de celle, efficace, de la consultation médicale...

 

Durant les deux premières années d'occupation de l'immeuble de Montereau, le local résidentiel ouvert à tous en terrasse a été souvent utilisé pour des fêtes de famille, des réunions de jeunes ou des soirées organisées spontanément.

De même qu'en Suède, des relations amicales se sont créées entre les différents locataires faisant admirer mutuellement leurs astuces d'aménagement personnel. Des meubles ont été disposés sur certains paliers d'étage avec des vases fleuris et des sous-verres aux murs. Cinq ans après cette euphorie était quelque peu retombée, probablement depuis que la salle du haut était fermée à clef et qu'on n'en disposait plus librement par suite de quelques dégradations. Mais tous les locataires s'accordaient dans ces premiers temps à dire que, malgré ces défauts, ils étaient prêts à revivre cette expérience positive de la flexibilité.

La conclusion la plus importante de cette période d'installation est que les familles ont réellement pu créer des plans adaptés à leurs besoins et aussi à leur mode de vie et à leur personnalité, comme en témoigne le degré variable d'originalité des plans.

Le but, ainsi atteint, n'était nullement de faire surgir des plans « révolutionnaires », comme certains architectes déçus par les plans de Montereau semblaient l'espérer, mais bien de permettre cette adaptation entre le plan du logement et la famille, indépendamment du résultat « architectural ».

Une deuxième conclusion a trait aux surfaces des cellules : l'adaptation optimale de ces plans aux structures familiales ne devient réellement possible que quand on dispose d'environ 27 m² par personne.



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Montereau 1969-71 :

Les cinq exemples de plans les plus originaux proposés par les architectes

 

 

 






 


Montereau 1969-71 :

Les cinq plans les plus originaux réalisés par les habitants

La troisième conclusion a trait à l'incidence sociale de ce type d'habitat. Il semble que le fait d'habiter un logement autodéterminé rende les familles plus sociables, du moins initialement, par la prise de conscience des limites et des interactions qui régissent en définitive la vie des individus.

Revisité en 1985, Montereau fait apparaître une image plus pondérée que celle de l'enthousiasme de 1969, mais plus utile sans doute pour l'évaluation de l'incidence de l'habitat évolutif. La première constatation est celle du poids de la gestion. Le coût des transformations nécessitant notamment de la plomberie et de l'électricité, pour remettre les cellules aux plans-types lors des départs des locataires, a décidé l'OPHLM, vers 1975-77, à fixer ces plans qui, d'évolutifs, devinrent définitifs. Ce faisant, cet organisme créait les conditions d'une observation sociologique jamais encore possible aussi aisément : celle des résistances (supposées) de la part des nouveaux arrivants à reprendre un logement personnalisé par une autre famille, dix ans auparavant.

Or, d'après les témoignages, il n'en est rien ! Les cellules n'ont quasiment pas été modifiées depuis le début, en 1970, mais très peu de participants de cette époque étaient encore sur place en 1985 et assez rapidement avant, le groupe initial se dispersa, ce qui a entraîné la quasi-fermeture du local résidentiel : l'"ambiance » des grandes heures a totalement disparu. Malgré ces conditions, de nouveaux locataires reprennent sans difficulté les logements tels quels ; leur rotation serait d'environ 3 à 5 ans.

Se pourrait-il, même, que cette personnalisation des logements les rende plus facilement réappropriables aux nouveaux arrivants ? (Nous verrons, au chapitre cinq, que tel est bien le cas, 45).



 

 

 

 

 

 

45 — Periáñez Manuel, 1986 :
L'expérience de Vauréal (la dynamique des acteurs dans une REX de participation des habitants à la conception de leur futur logement), CSTB.

Rouen, quartier la Grand Mare, 1969-1972



Les tenants de la « mécanique parfaite », de l'ajustage précis, ont eu avec l'expérience des immeubles du groupe Jean-Philippe Rameau, à Rouen-la Grand Mare, enfin l'occasion de démontrer les avantages de leur école de pensée : cinq cents logements sociaux métalliques préfabriqués en usine, montés proprement et très rapidement sur un chantier-champignon, pour un coût donné à l'époque légèrement inférieur au prix HLM courant 1969, et un poids cinq fois inférieur à celui de la construction en béton...

Le procédé GEAI, dont la démonstration était faite là, permet une grande liberté de plans, tant en partition qu'en réaffectation d'espaces, ainsi que des façades modifiables. Cette opération a été étudiée par Raymond Fichelet, qui a interviewé 15 familles ayant participé à cette expérience ; nous reprenons ici quelques passages de son rapport, en ce qui concerne les témoignages des habitants et le processus de conception (46).

L'OPHLM de Rouen ne semble pas avoir eu, quant à l'évolutivité, de politique d'information des habitants : certains d'entre eux ont appris les possibilités de flexibilité de leur logement par la presse ou par des amis, postérieurement à leur entrée dans les lieux ! Plusieurs indiquent que le règlement qui leur avait été remis par l'OPHLM interdisait jusqu'au fait de tapisser les murs (une habitante précise cependant que ceci n'est en rien spécifique à la Grand Mare, le règlement concernant tous les ensembles régis par l'Office d'HLM). Ainsi, bien que les consignes délivrées par l'OPHLM se soient par la suite assouplies (ou spécifiées pour la Grand Mare), il ne semble pas, en tout cas, qu'il y ait eu un encouragement à se saisir de la flexibilité.

Il semble également que l'OPHLM ait opéré une sélection à l'entrée de la Grand Mare. Le recrutement semble s'être fait parmi des demandeurs d'un certain niveau culturel général ou en matière de construction, dont le niveau de revenus semblait appelé à augmenter dans les années à venir et dont le statut social semblait appelé à s'élever (jeunes ménages de classe moyenne ; relativement peu d'ouvriers et de familles nombreuses ; enseignants, étudiants ; techniciens du bâtiment). Bref, l'OPHLM, bien que n'ayant pas averti les futurs habitants de ce que ces logements avaient d'original, semble avoir choisi la population qu'elle jugeait le plus susceptible de s'adapter à une nouvelle forme de logement, et qui ne constituait pas en tout cas une population HLM typique des années 70. De plus, il semble que les F5 aient été plus difficiles à louer, ce qui a amené à attribuer à certaines familles des logements d'une superficie parfois très supérieure à celle à laquelle la réglementation leur aurait donné droit.

 

Fichelet constate que, comme à Montereau, on se livre à des transformations du logement d'autant plus facilement qu'on dispose de plus de surface par personne : la quasi-totalité des déplacements de cloisons ont eu lieu dans des familles disposant de plus de 20 m² par personne. Cette condition est nécessaire mais non suffisante, les usages étant par ailleurs déterminés par les modes de vie, les représentations du logement, de la famille et de la société. Une étude quantitative permettrait sans doute de déterminer la surface minimale au-dessous de laquelle l'habitat évolutif (non agrandissable) ne résout pas de problème de mode de vie particulier dans le logement. De même qu'à Montereau, la localisation de l'expérience de la Grand Mare lui confère aux yeux des habitants un caractère de standing que ne possèdent évidemment pas les HLM des alentours (« cages à lapins »). Les immeubles de la Grand Mare deviennent ainsi des HLM de standing... Leur esthétique « moderne », est signe d'originalité, mais les surfaces vitrées importantes donnent aux habitants des idées d'insécurité (quand ils étaient habitués à la « solidité » du traditionnel). Cette attitude, cependant, peut changer rapidement et céder la place à une acceptation du jeu « dehors-dedans » :

 

« Certains des habitants de la Grand Mare semblent avoir ainsi été amenés à mettre en question leur système de valeurs en matière de logement : l'ancien, le traditionnel, qui représentaient pour eux un espace avant tout sécurisant et protecteur, constituent maintenant un espace fermé, voire confiné, où le dehors et le dedans sont si bien bornés qu'aucun échange avec les autres n'est possible : chacun se retranche le plus vite possible dans son ”chez soi sans adresser la parole à son voisin. L'habitat traditionnel est donc assimilé à un lieu clos, au sens physique et social. Inversement et corrélativement, la Grand Mare apparaît comme un lieu ouvert à la sociabilité, un lieu qui, selon les termes d'un enquêté permet d'avoir des contacts grands comme ça! ... (ce qui est corroboré même par la seule enquêtée qui désire partir de la Grand Mare parce qu'elle ne s'y plaît pas). Le dehors-dedans déborde du champ perceptif : l'accepter devient le signe de l'ouverture d'esprit. Ainsi, certains enquêtés auront-ils tendance à se distinguer nettement des autres, de ceux qui sont partis, qui n'ont pu s'adapter à ce nouveau cadre, qui n'étaient pas « préparés à habiter là-dedans ».

 

Fichelet rapporte encore que


« la différence imaginée entre celui qui conçoit l'intérieur et cet autre qui conçoit l'environnement (et le règlement) correspond bien à ce que nous avons pu noter plus haut : un Office d'HLM fait construire un ensemble de logements évolutifs, n'informe pas les futurs habitants des avantages que présente cette particularité, leur interdit certaines pratiques (laver les sols à grande eau, planter des clous dans les cloisons, fixer des appareils d'éclairage aux plafonds, etc.) sans pour autant leur expliquer ce qui dans la conception des bâtiments, implique au moins certaines de ces interdictions. L'Office prend de plus la précaution de « choisir » ceux qui lui paraissent le plus capables de conserver leur appartement en « bon état » (c'est-à-dire dans son état initial).

En fait, tout semble se passer comme si l'habitant n'était pas apte à savoir, comme si l'on savait mieux que lui ce qui est bon pour lui. En cela, on le réifie, même si c'est avec les meilleures intentions, et le fait que certains habitants de la Grand Mare se sentent flattés de certains aspects du traitement particulier qui est le leur (élitisme) n'y change rien.

Il faut cependant souligner que l'attitude originelle de l'Office d'HLM que nous venons d'évoquer semble avoir notablement évolué. Tous les habitants qui disent avoir demandé une autorisation de transformation (jusqu'à des modifications qui dépassent la seule flexibilité interne du logement : percement de portes de communication entre trois appartements mitoyens, par exemple) l'ont obtenue » (47).






  
46 — Fichelet, M. et R., 1973,
Le logement évolutif, SERES.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 












 

 

 


 

 

47 — Fichelet, M. et R., 1973, op. cit.

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Marcel Lods,

procédé GEAI,

Rouen La Grand' Mare, 1969-72

 

Cette situation paraît extraordinaire, rétrospectivement, après les diverses expériences de logements évolutifs parfaitement accompagnées que l'on a connues par la suite. Et même involontairement pleine d'intérêt : on aurait voulu tester la capacité d'appropriation spontanée des habitants face à l'innovation technologique, ou mesurer des seuils de transgression par rapport à des plans-types courants, que l'on ne s'y serait pas pris autrement ! Sous cet aspect, la Grand Mare constitue l'expérience la plus vaste de non-directivité absolue dans le domaine de l'habitat évolutif, et, si cette approche avait été un élément conscient d'une méthodologie d'observation ultérieure, sa pureté épistémologique rejoindrait celle dont le privilège est réservé aux éthologues étudiant les termitières. La suite de l'histoire devait montrer, malheureusement, qu'au plan de la gestion, l'intendance ne suivait pas, pis, l'abandonisme déjà constaté par Fichelet vers 1971-72 était bien l'expression d'une sourde hostilité administrative envers l'innovation sociale, surtout quand celle-ci opère sur la base d'une rationalisation technique : c'est-à-dire quand son évidence risquerait de s'imposer. La nouveauté du procédé aux yeux du public n'était cependant pas sans poser de problèmes :

 

« Un tel mode de construction suppose le montage et l'ajustement sur le chantier de tous les éléments du bâtiment. Or, ce qui se “monte” se démonte également. Tout ceci est nécessairement impliqué dans la notion de flexibilité (et inversement : certains laissent entendre que c'est après avoir mis au point le procédé industriel de construction que ses concepteurs se sont aperçus qu'il permettait la flexibilité interne des logements). Abstraitement, démontable et flexible sont équivalents. Affectivement, si le second est positif, le premier apparaît négatif. C'est ce qu'on voit chez une habitante qui à l'occasion d'une réparation, découvre, presque avec terreur, que “tout est démontable” (si elle n'en conclut d'ailleurs pas que tout est “flexible“, c'est sans doute que la Grand Mare, pour elle n'est pas, globalement, un “bon” habitat elle s'estime à l'étroit dans un F5 avec 4 enfants et rêve de déménager) :

 

“C'est un grand meccano ! (rire). ça aussi, ça m'a surpris. C'est amusant... [...] Pour une raison ou pour une autre, avant d'allumer le chauffage, ils ont dû faire des réparations. Et ils ont démonté pratiquement tous les séchoirs, dont le mien. Alors c'est comme ça que je me suis aperçue que, dans le fond... (rire)... si je voulais démonter l'appartement je pourrais le faire ! Et tout est comme ça ! Mais quand j'ai su ça, je vous assure que j'ai... j'ai tremblé la nuit. Et je... je dois... être... je dois être assez... assez couarde... Mais je me suis demandé si les vis étaient assez vissées ! Si ça allait bien tenir. Si ça allait résister. Je me demande si... Oui, il y a forcément des fondations puisqu'il y a des... des sous-sols. Mais enfin, je n'étais pas tranquille. Je n'étais pas rassurée du tout, mon mari s'est moqué de moi. Mais enfin... [...] Quand il pleut, je me demande si ces... si ces boulons ne vont pas souffrir de la rouille... Si c'est assez... assez... si la couche de minium est suffisante. Enfin des quantités de choses comme ça. Mais enfin ça passe aussi avec le temps, ça ne m'empêche plus de dormir“

 

C'est bien du mode de construction en tant que tel qu'il s'agit et non des défauts de la réalisation. » (48)


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 




48 — Fichelet, M. et R., 1973, op. cit.

Étant donné ces conditions, on est moins surpris de ne pas retrouver de plans adaptés dessinés par les habitants, dans la documentation disponible (il ne nous a pas été possible de retrouver en 1985, parmi les 60 familles revenues habiter à la Grand Mare, des interviewés de l'étude de Fichelet).

L'ignorance initiale du caractère démontable des logements de la Grand Mare chez les locataires a créé des phénomènes de leader d'opinion, de compétence dans un registre de transgression par rapport aux plans-type donnés et d'expression d'un pouvoir d'autoréalisation symbolisé par le « passage à l'acte » du réaménagement. Bref, les gens ont été placés « devant la Loi », dans la situation du personnage de La métamorphose de Kafka, qui, sa vie durant, n'ose franchir la porte dont il n'apprendra que juste avant sa mort qu'elle n'existait que pour qu'il ose la franchir un jour (49).


 



49 — Kafka, F., 1912,

« Devant la loi »,

in : La métamorphose, Gallimard, 1955.

 

« À une exception près, les modifications n'ont pas eu lieu dès l'entrée dans les lieux (pas plus qu'à l'occasion d'un changement dans la composition de la famille, d'ailleurs) : il faut, tout d'abord, le temps de s'habituer au nouveau logis, puis, lorsque le désir de transformer les pièces émerge, se faire à l'idée qu'il est réalisable, se servir de l'exemple d'autres, etc. On peut donc hésiter un certain temps avant de se risquer dans une entreprise qui paraît aventureuse. C'est ainsi que l'un des participants de la discussion de groupe parlera d'un de ses amis “qui a osé” retourner le placard de son entrée vers la cuisine :

 

”... Il a osé ! c'est un casse-cou ! je l'avais connu à l'armée”.

 

C'est en constatant que cela se pouvait qu'il se lance dans la même entreprise. Lorsque cet enquêté raconte son expérience au cours de la discussion de groupe, une participante, transportée, s'exclame qu'elle veut en faire autant... » (50)


 

 

 

 

 


 

 

 

 

50 — Fichelet, M. et R., 1973, op. cit.

 
L'évolutivité transgressive parce qu'expressément interdite au départ, et pourtant permise de toute évidence par la nature technique visiblement évolutive du procédé GEAI, et ensuite découverte et tant bien que mal mise en œuvre par les habitants eux-mêmes, donne lieu ici à un comique au second degré, un peu comparable à celui des complexités de la sexualité victorienne.

On assistait dans la période de découverte par les habitants de la Grand Mare des possibilités de transformation de leur cellule-logement, de façon assez unique semble-t-il, à un processus psychosociologique de différenciation entre ceux qui adaptent leur logement, ceux qui sont tentés mais hésitent, ceux qui n'en ressentent pas la nécessité, etc. :



« Les premiers disent reculer devant la difficulté de l'entreprise ce qui est en partie corroboré par ce que déclarent plusieurs de ceux qui ont effectivement déplacé des cloisons : quatre heures de travail, dit l'un d'eux, ce qui, pour lui exclut l'idée d'une transformation temporaire (agrandir la salle de séjour, par exemple, à l'occasion d'une fête, d'une réception) puisque la transformation et le retour à la “normale” exigeraient au total huit heures de travail. Au nombre de ceux qui désireraient bouger des cloisons et ne l'ont pas fait, on trouve une jeune femme, célibataire, vivant seule dans un F3 et qui, ayant emménagé depuis peu, n'a pas osé demander de l'aide à des voisins. D'autres femmes disent leur mari trop peu bricoleur, etc. »



Fichelet a observé, chez ses 19 interviewés, un désir d'avoir un grand séjour, que nous avons noté à Montereau également, de même que le processus de réduction de ce séjour d'apparat au fur et à mesure de la prise de conscience du poids de la quotidienneté, des exigences multiples des divers membres de la famille, initialement confinés dans le territoire résiduel.).

 

Revisité en 1985, le quartier de la Grand Mare semble en liberté surveillée. Jamais enthousiaste dès le départ, l'OPHLM, après un changement de direction, a suivi une politique de liquidation de l'évolutivité des logements. Comme à Montereau, mais suivant des modalités différentes, le même phénomène de rigidification technique s'est produit à la Grand Mare, à la suite de trois incendies en 10 ans (dont un grave). La réhabilitation anti-feu de ces immeubles a nécessité l'évacuation du quartier, fermé pendant deux ans. L'OPHLM de Rouen a procédé à cette occasion à la mise en conformité des logements de la Grand Mare sur un modèle de plan-type traditionnel.

Les raisons invoquées, en 1985, sont que l'atelier de l'OPHLM était en surcharge de travail pour la remise en état des logements modifiés (notamment les traces des cloisons déplacées aux planchers et plafonds, et l'électricité). Ces modifications ne concernaient pourtant que 5% des logements, et le plus souvent l'agrandissement du séjour, chiffre inférieur à celui d'Orminge-Ouest, deux ans plus tôt, mais vu la différence très marquée du cadre de ces deux expériences, les 5% de Rouen peuvent encore paraître un chiffre appréciable. Contrairement à la tendance suédoise, jamais la séparation cuisine-séjour n'a été supprimée, mais les différences socio-culinaires entre la Suède et la France expliquent aisément le fait (jamais non plus il n'a été touché aux façades de la Grand Mare).

Le coût des remises en état pour l'atelier est d'environ 2 500 F par cloison ; leur tapissage fréquent constitue d'ailleurs un frein économique aux changements des cloisons.

La position de l'OPHLM de Rouen au sujet de cette opération semble être un amalgame entre évolutivité et danger d'incendie. L'extension des incendies, de type Pailleron, était due à des appels d'air entre les cellules-logement. Des parois coupe-feu ont été installées lors de la réhabilitation, qui mettent fin au caractère agrandissable de ces étages courants. Sont invoqués, outre les cloisons légères, les critiques classiques (mais réelles) des ponts acoustiques et thermiques. L'évolutivité des logements dans le discours de l'OPHLM n'est envisageable, à la rigueur, que pour des copropriétaires ou accédants à la copropriété.

Cette position semble apparemment corroborée par celle d'une soixantaine d'habitants qui sont revenus habiter la Grand Mare et forment le noyau dur d'une association qui n'a jamais, semble-t-il, brisé une lance pour l'évolutivité de leurs logements, dont l'abandon leur a été présenté comme une garantie technique contre le danger du feu. Mais sans doute, leur réinstallation, après l'épreuve subie, dans des logements « solides » et symboliquement devenus « raisonnables » par leur rigidification même participe d'une tendance profondément ancrée à associer, sinon confondre, la sécurité et la stabilité de l'existence avec celle des constructions qui l'hébergent.




Yerres, Les Marelles, 1971-1975



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B. Kohn & G. Maurios,

Yerres, Les Marelles, 1971-1975

 

L'expérience de 1971-1975 sur cent logements expérimentaux au Val-d'Yerres, dite les Marelles, des architectes B. Kohn et G. Maurios, constituait un progrès évident et un développement logique de l'idée de l'habitat évolutif, et ce sur trois plans essentiels : le plan technique (« flexibilité totale ») ; le plan sociologique (logement en accession, motivation supposée plus grande des participants) ; et celui de l'encadrement de l'expérience (protocoles rigoureux, maquette au 1/10e ; magnétoscope ; simulations grandeur nature des espaces souhaités).

Le principe technique (proche de l'idée du « porteur » du SAR) est celle d'une « structure servante irriguée de fluides », grâce à une préfabrication de trois éléments en béton armé, de poids sensiblement égal (transport...). C'est une structure creuse qui forme un réseau tridirectionnel de gaines.

Les objectifs de cette expérimentation, ambitieuse au plan technico-commercial comme au plan sociologique, étaient à l'époque définis comme suit par leurs auteurs (51) :

« Objectifs technologiques

  •   Construire un modèle de structure de support pouvant recevoir des sous-systèmes d'équipements mobiles
      indépendants ;
  •    Disposer ces équipements sur cette structure au gré de l'habitant ;
  •   Décomposer le système de structure en un minimum d'éléments préfabriqués en béton, de même poids, industrialisables ;
  •   Assembler cette structure d'empilement comme un meccano, sans utiliser de contreventement vertical.


Objectifs sociologiques

  • Permettre aux acquéreurs de concevoir eux-mêmes le plan de leur logement ;
  • Diviser la surface totale des logements en fonction des besoins et des contraintes des occupants ;
  • Pouvoir agrandir ou diminuer la surface de son logement par accord de voisinage ;
  • Renouveler ces opérations dans le temps sans contraintes techniques ;
  • Et enfin, observer quelles sont les motivations des acquéreurs au cours du processus de conception de leur logement.
Hypothèses de recherche
Le processus d'autoconception du plan est-il fondé sur des facteurs essentiels d'ordre psychologique ? Le plan est-il la traduction des rapports de hiérarchie, de dominance, de conflit, d'entente, etc., des membres de la famille ? Les attentes des concepteurs étaient la prise en charge par les usagers de l'espace construit adaptable, en 1974 : Tous les détails de ce système ont été étudiés, ce qui permet d'apprécier très rapidement ses possibilités d'évolution, tant dans les phases de conception et de construction que dans la période d'usage. Il est à noter que ces différentes phases ne se succèdent pas exactement et que, de ce fait, la relation usager-professionnel est modifiée ; on voit clairement apparaître dans ce projet la notion d'assistance architecturale.
 
Cette assistance architecturale s'est traduite concrètement par :

a) des fonds de plan à grande échelle sur lesquels est imprimé le tramage des mailles (poteaux, chêneaux, éléments dimensionnels...) ;


b) une maquette au 1/10e leur permettant de simuler leur logement. Cette maquette comprend :

  • un socle formé de 12 mailles + un socle de 2 mailles, pouvant s'ajuster en tous points ;
  • tous les éléments de la structure technique (poteaux, chêneaux, plafond, escalier, V.O., terrasses...) ;
  • tous les équipements et aménagements intérieurs : panneaux de façade, cloisons séparatives et distributrices, sanitaires, cuisine...) ;
  • deux séries de mobilier (classique et moderne), afin de pouvoir regarder le logement meublé.


c) l'emploi d'un système de magnétoscope permettant de filmer les agencements successifs dans la maquette et de montrer, sur un écran de télévision, l'intérieur de la maquette, comme si la caméra se trouvait dans un appartement en vraie grandeur.

 

Ces moyens d'aide à la conception sont mis à la disposition des acquéreurs dans trois mailles aménagées spécialement aux Marelles et sont présentés par un psychosociologue dont le rôle est de faciliter l'élaboration du logement. Tous les acquéreurs qui se sont installés aux Marelles font partie d'une tranche sociale se trouvant, d'une part, dans une échelle de revenus située, à l'époque, entre 3000 F et 5000 F, d'autre part, dans des catégories socioprofessionnelles très différentes (aussi bien intellectuelles que manuelles). En général, tous les acquéreurs ont verbalisé différemment leurs relations à l'espace. Dans chaque plan, on retrouve le mode de vie de la famille et la structure des relations des membres entre eux. L'imaginaire a bien fonctionné grâce à l'échelle de la maquette et au réalisme du mobilier ».


 

 

 

 



  

 

 

51 — Lors des journées CSTB sur la flexibilité, en 1975, cf. Cahiers du CSTB 167, 1976.

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Dans d'aussi bonnes conditions, on pouvait espérer un succès franc de la formule évolutive, enfin à même de donner tout ce dont elle était porteuse. L'échec commercial qui s'ensuivit n'en est que plus instructif. Ce programme qui était apte à recevoir quelque 100 logements n'aura, en définitive, que 15 acquéreurs qui bénéficieront du processus de vente mis au point et, donc, de la possibilité de dessiner eux-mêmes le plan de leur appartement (par la suite 6 se sont désistés). Cette situation fait suite à une décision du promoteur d'arrêter la commercialisation en « évolutif » moins d'un an après l'ouverture du bureau d'accueil, cette décision étant justifiée au regard du promoteur par la lenteur des ventes. Face à cette lenteur, plusieurs types d'explication ont été données, certaines s'excluent entre elles, d'autres se complètent :

  • la situation conjoncturelle (blocage des crédits) ;
  • l'absence quasi-totale de publicité en dehors du Val d'Yerres ;
  • la carence manifestée par les services responsables vis-à-vis de la presse : seuls quelques journaux ont parlé de cette expérience, ce qui n'a pas contribué à la faire connaître ;
  • les couleurs des panneaux de façade jugées peu satisfaisantes par certains, agréables par d'autres ;
  • l'accueil : l'absence de décoration et de chaleur du bureau d'accueil, ainsi que le vide des mailles nues, n'étaient pas propres à désamorcer l'angoisse d'un néophyte face à cette expérience ;
  • l'absence d'espaces verts lors de la commercialisation donnait un aspect un peu chaotique à l'ensemble ;
  • le retard dans la livraison des appartements.


L'arrêt prématuré de cette expérimentation est d'autant plus regrettable que l'opération sera désormais commercialisée en « traditionnel » : les futurs acquéreurs n'auront plus la liberté de déterminer eux-mêmes leur plan (52).

À la différence des deux premières expériences françaises, celle des Marelles, qui pourtant en avait intégré les enseignements et au-delà, a essentiellement échoué sur la commercialisation ; c'est-à-dire que la faille s'est présentée précisément là où on attendait l'avantage décisif d'une meilleure appropriation offerte aux usagers... qui était bien réelle, mais ne s'accompagnait pas d'une appropriation symétrique de la part des gestionnaires, pour lesquels cette nouveauté n'a apporté que des désagréments. On peut supposer de façon générale que, dans l'esprit des gestionnaires, une certaine autogestion ne peut manquer de provoquer des mouvements d'une redoutable ambivalence : si celle-ci fonctionne, ils se retrouvent dans le rôle ingrat des parents dont les enfants grandis n'ont plus guère besoin... tout en commettant les nécessaires bêtises de toute initiation ; et si elle ne marche pas, les gestionnaires seront en surcharge par rapport au travail prévu. Cette remarque, qui peut paraître inutile aujourd'hui, est à replacer dans le contexte post-soixante-huitard des expériences d'évolutivité du logement pour reprendre sens.

Le problème « commercial » des Marelles semble être, en fait, un avatar du passage malaisé au réel d'un élan de générosité très genre « sous les pavés, la plage », notamment en ce qui concerne l'incidence économique de cette architecture des porteurs. Chez Habraken (dans son livre, en 1960), il est clair que la « collectivité » gère les porteurs, et les individus gèrent leur cellule-logement.

Donc, le caractère évolutif de l'habitat selon Habraken est garanti par la propriété collective de ces porteurs, terrain artificiel certes mais terrain géré comme tout autre terrain. Il faut ici mentionner le fait peu connu que les Pays-Bas ont procédé, à la Libération en 1945, à la municipalisation du foncier (y compris la terre de culture et d'élevage) en de nombreux endroits : pendant longtemps, ce pays tranquille et bourgeois a partagé cette caractéristique avec la seule République populaire de Chine. Un certain écart existe donc clairement entre les représentations d'Habraken écrivant Les porteurs et les hommes en 1960, et les commerciaux des Marelles irrités par les espaces de réserve que les architectes ont visiblement ménagé autour des logements dessinés par les 15 participants à l'expérience évolutive. Le conflit semble donc s'être cristallisé significativement sur ce no man's land entre individu et société qu'étaient les espaces potentiels des familles, et non pas les espaces collectifs. La SCIC semble à l'époque avoir manqué la découverte de la spéculation foncière sur les terrains artificiels.

 

Visitées en 1985, les Marelles constituent pour l'œil une surprise agréable ; les espaces plantés, la végétation y est impeccable, la volumétrie des bâtiments crée des espaces où une petite promenade est un plaisir. Quelques habitants, interrogés en train de soigner leurs rosiers, ou rentrant chez eux, ignorent totalement que leurs logements sont évolutifs. À cette date, un F3 coûte 1800 F de charges par trimestre ; leur prix est d'environ 3800 F/ m² (d'après une annonce de vente). Ce prix modeste est certes dû à l'éloignement de Paris, mais aussi aux malfaçons techniques d'étanchéité, en façade et en terrasse.

Le chauffage par le sol a entraîné les déboires classiques rencontrés partout à cette époque.

Plus spécifique de la problématique évolutive sont les plaintes concernant la superposition des logements différents : certains séjours se trouvent au-dessus des chambres du voisin, des salles d'eau sont au-dessus des séjours, etc.

Au plan acoustique, le mode de vie des voisins devient d'autant plus intrusif que son intimité se manifeste sur l'axe vertical... (mais dans les tours à plans-types identiques on recueille les plaintes inverses : tout le monde fait la même chose au même moment, etc., effet de sérialité tout aussi intrusif) (53).

 

Enfin, comme dans les autres immeubles expérimentaux, (mais cette orientation est parfaitement banale au plan national), les habitants désirent revendre pour vivre en pavillon classique.



















 

 

 

52 — Maurios, G. et Herrou, M., 1976,

« les Marelles, une structure servante irriguée de fluides », les Cahiers du CSTB n°167, mars 1976.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



















 

 

 

 

53 — Periáñez, M. et Desbons, Fl., 1975,

La signification de la gêne attribuée aux bruits dans l'habiter, CEP

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B. Kohn & G. Maurios,

Yerres, Les Marelles, 1971-1975

 



Plans réalisés par les habitants

 

L'évolution de l'évolutif, 1975-1993



La période ultérieure a vu plusieurs tendances de l'habitat évolutif, reflétant chacune certaines des contradictions internes de la problématique générale esquissée plus haut.

Les tenants d'une modernité issue des CIAM et prolongée dans divers mouvements militant pour l'architecture mobile et spatiale des mégastructures (modèle Alger 35 hypertrophié) avaient déjà définitivement quitté le plancher des vaches avec les trames tridimensionnelles de Friedman (satisfaisant par-là peut-être une vocation rentrée d'aviateurs : on sait que de Saint-Exupéry ne supportait de vivre à Paris que dans de vastes appartements avec terrasse au dernier étage, en plein ciel, et, jamais satisfait, il en changeait souvent). Ces continuateurs de l'idéologie de la « mécanique parfaite » des constructions tout-métallique et High-Tech se sont souvent privés de l'atout décisif qu'auraient pu constituer quelques références, même de pur principe, au logement traditionnel, qui, même perché dans un tel système spatial (avec une adresse personnelle en trois paramètres, sans doute), aurait apporté l'élément humain qui manquait dramatiquement à leurs projets pour rendre de telles solutions simplement agréables à imaginer (ce que Le Corbusier avait, lui, pris soin de montrer dans son projet pour Alger : les maisonnettes, la diversité, etc.). Dans ces mégastructures, le triomphe technologique sembla culminer un moment dans la réduction du logement à une capsule minimale, dont la mobilité supposée flirtait avec les images encore neuves de la conquête des galaxies. De telles structures ont reçu un début d'expérimentation, en tant qu'utiles aux maîtres d'ouvrage, qui pourront remplacer un jour les capsules par de nouveaux modèles plus avancés (notamment dans l'hôtel japonais de l'architecte Kurokawa).

Indicateurs sensibles de l'air du temps, les artistes n'ont pas failli à leur rôle, et pendant presque deux décennies, l'artiste hollandais Constant Niewenhuis du groupe Cobra (Karel Appel, etc.) a imaginé des situations dans une telle mégastructure mobile en permanence, qu'il appelait New Babylon.

À la même période, le groupe Archigram prévoyait pour 1990 un mode de vie semi-nomade, dans des capsules abritant les différentes fonctions d'un seul logement : du camping en appartement.



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Kisho Kurokawa,

Nagakin Capsule Tower, 1970-72

 

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Les Utopies ludiques d'Archigram, 1961-1974

 
Ces utopies étaient à leur époque à l'opposé exact de celles des premiers écologistes post-soixante-huitards partisans de la croissance zéro, telles que « l'An01 » du dessinateur français Gébé (« on arrête tout, et c'est pas triste ! »). D'autre part, même si la crise économique actuelle était inimaginable à l'époque, le choc pétrolier de 1973 et les suivants sonnèrent le glas du consumérisme d'abondance. Les économies d'énergie, mais aussi un repli plus profond sur des idéologies défensives qui annonçaient déjà l'actuelle « crise de la modernité », devaient mettre fin aux utopies conquérantes, sans doute pour longtemps. Le slogan small is beautiful eut des répercussions dans le logement social français sous la forme de « chalandonnettes » (certaines inférieures en surface à des logements ouvriers du XIXe siècle).

La destruction en 1987 à Wulfen de la plus importante expérience allemande de flexibilité, le système Metastad fut saluée comme un naufrage de l'évolutif par la revue Archi+ (un équivalent du dynamitage des blocs de Pruitt Igoe à Chicago, que Charles Jencks a décrit comme sonnant le glas du Mouvement Moderne et l'avènement du Postmoderne).

C'est bien une réaction écologisante qui, en Hollande avec les Provos, détournera l'attention des grands projets technicistes vers « la convivialité », symbolisée par la réhabilitation de quartiers traditionnels promis à la hache des héritiers des CIAM (comme celle du quartier Jordaan à Amsterdam et l'action des squatters, qui se propagea rapidement en Allemagne, à Berlin principalement). Différents courants libertaires, autogestionnaires, etc., devaient donner naissance à la participation (ou plutôt la retrouver : Michel de Klerck, au début du siècle, avait déjà réalisé des logements ouvriers à Amsterdam en concertation avec des délégués des habitants). La jonction de cette révolte de la base avec des ex-technocrates éclairés du SAR se fera naturellement, car, hollandais eux aussi, ils n'ont pas eu à attendre le mai 68 français pour situer la « demande sociale » ; et Habraken a pu dire de l'immeuble anarchisant de Lucien Kroll La Mémé, à Bruxelles, que c'était la meilleure expression de ce qu'il entrevoyait en 1960 en écrivant son livre... Ce mouvement participationniste, suivant en cela l'élargissement du cadre opéré par Alexander et le SAR post-habrakien, se sont emparés de l'urbanisme et ont délaissé les problèmes de la cellule familiale, sinon au plan de l'habitat pavillonnaire (adapté au départ, plus ou moins « évolutif » après coup : vernaculaire, en somme).

La dissolution progressive de la problématique de l'évolutif en ces différentes tendances, sa reprise partielle dans le mouvement de la « participation » des habitants tendent à rétrospectivement faire confondre habitat évolutif et industrialisation ouverte. Ainsi, le considérable bilan des REX du Plan Construction et Architecture qu'ont dressé Maitino et Sompeirac, de l'ARP (54), fait état de notre objet en ces seuls termes (qui le font quasiment passer au domaine de l'archéologie) :

« Quant aux systèmes d'industrialisation ouverte, ils ont été en mesure d'être confrontés aux différents types d'habitat (l'habitat dit flexible, mais aussi les immeubles de ville, les individuels, les semi-collectifs) et aux exigences d'expression architecturale » (p. 270).

 

Christian Moley (55), pour sa part, consacrait à l'évolutif un chapitre très complet de son ouvrage typologique de 1978. Il estimait essentiellement que les opérations évolutives se soldaient par un sous-emploi de la flexibilité ; par une reproduction « à quelques détails près » de plans-types courants dans le logement social ; à des surcoûts élevés. En outre, le principe même se heurtait à la difficulté d'une conception architecturale permissive, et débouchait sur l'écueil de la façade ouverte. Ces expériences avaient, cependant, permis de développer des techniques intéressantes de distribution des fluides (par Georges Maurios, notamment). Ce bilan plus que mitigé fermait une période pendant laquelle la France avait connu, après les trois opérations décrites plus haut, un certain nombre d'autres expérimentations de logements évolutifs.

Le principe de Montereau a été essayé à Bordeaux-le Lac par les frères Arsène-Henry ; à Stains par Solvet-Mougenot et à Villiers-St-Paul par Prouvé ; celui des Marelles devint le « modèle innovation Cuadra », dont Schneider proposa une variante nettement restreinte et sans aide à la conception, le modèle « StructureAccueil ». B. Schoeller a recentré la flexibilité plutôt pour les besoins du maître d'ouvrage à Cergy-Pontoise (Modèle EVO 75). Des formules d'adaptation partielle ont été proposées : adaptabilité restreinte au séjour (modèle « plateau libre », 1975), ou aux chambres (SCHEME, 1972 : une réalisation à Épinay... où les cloisons mobiles ont été abandonnées pour problèmes de coût supérieur à 1 000 F par logement). Le modèle Piazzeta de Ricordeau a fait l'objet d'une expérience à Reims (ZAC de Murigny, maître d'œuvre l'Effort Rémois), il s'agit du simple choix d'une solution de plan parmi plusieurs possibilités, certes astucieuses quant aux circulations. Dans une déclaration caractéristique pour l'époque, G. Maurios se rallia un temps à cette formule :

« [Les cellules actuelles] correspondant en effet à des modèles culturels qu'on s'efforce de reconnaître. La plus grande variété possible de plans, induite par l'organisation urbaine du projet doit finalement permettre à chaque habitant de trouver satisfaction, par le simple choix du logement le plus adapté. Au bout du compte, il y a suffisamment d'angles, de ruptures, de retournements, de continuités, de décalages, de déformations, d'alignements, pour qu'une grande variété de plans de cellules surgisse. »

 

Cette tendance, qui répond au problème de l'adéquation entre la demande des habitants et leur habitat non par le caractère évolutif des logements, mais par le polymorphisme accru de l'offre de cellules rigides, deviendra de plus en plus assurée jusqu'à s'imposer avec les Étoiles de Renaudie (l'immeuble Danièle-Casanova à Ivry) et l'immeuble « troglodytique » de Kalouguine à Angers. Il semble possible d'affirmer qu'elle ne domine plus aussi largement aujourd'hui.

Dans cette période, et semble-t-il en réaction aux expériences de logement évolutif, on verra une contre-attaque de ce logement rigide diversifié, dont on espérait que l'intelligence du plan et la sophistication réelle des espaces « ambigus » et « complexes » emporterait l'adhésion des usagers, du moment qu'il y en avait pour tous les goûts. L'idée étant, non sans raison, qu'il faut de tout pour faire un monde, la diversification architecturale du logement social a atteint effectivement un degré de différenciation très poussé par comparaison à la situation de l'époque des grands ensembles. Il n'est cependant pas du tout certain que cette offre, aussi vaste soit-elle, même si sa diversité est (entre autres) une retombée de la stimulation des expériences d'évolutif, parvienne à remplacer cette formule qui est fondamentalement différente dans son principe d'appropriation même, et partant, s'adresse à un autre registre des significations de l'habiter que celui d'un logement donné d'emblée comme terminé.

 

L'évolutif n'est pas, en effet, un habitat mais un processus d'habiter. Il remplace l'acte de choisir un logement offert tel quel, c'est à dire un travail de lecture des intentionnalités d'usage et d'existence que l'architecte y a projetées, par un travail sur soi, sa famille et son devenir. Ce travail installe tout autrement la durée, la temporalité et donc le projet de vie au centre des préoccupations dans l'acte d'aménager activement une cellule de logement. Même si cela peut à certains égards paraître une conquête dérisoire, il faut bien en admettre sa force de symbolisation d'une volonté de maîtrise sur son existence. L'analyse de l'EUROPAN France 89, par M. Eleb c.s. (56) montre la grande vivacité de la formule évolutive dans l'esprit des jeunes architectes. Eleb se pose la question d'une « démission supplémentaire » de ces jeunes architectes face à la réflexion sur le mode de vie des familles : leur donner la liberté au lieu d'innover eux-mêmes... Si cette remarque paraît très fondée en ce qui concerne la pédagogie de l'architecture (il est en effet trop facile de proposer du vide en lieu et place d'une réflexion !), elle l'est moins quand elle se donne comme un jugement de valeur généralisé : de grands pionniers de l'architecture moderne, on l'a vu dans notre recension, n'ont pas dédaigné de proposer des solutions évolutives au problème de la conception des cellules. Dans leur texte suivant (La distribution et le mode vie aujourd'hui, PCA 1990), les mêmes auteurs reprennent la question de la diversification des cellules.


  


















54 — Maitino, H. et Sompeirac, A., 1985,

Les architectures du logement social 1978-1984, ronéoté, ARP, juin





55 — Christian Moley, 1978,
L'innovation architecturale dans la production du logement social, Plan Construction, pp.46-74.

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 


 












 

 

 

56 — Habitation en projets, PCA.

 

 

Dans le programme Banlieue 89, et de façon générale dans l'ensemble du mouvement de réhabilitation des logements sociaux frappés de vétusté, on a assisté à une multiplicité d'extensions et agrandissements des logements, qui, pour être de l'adaptation après-coup, n'en renforcent pas moins l'évolutif comme courant d'idées, surtout là où les architectes ont su faire évoluer des bâtiments aux formes se voulant définitives dans leur simplicité géométrique.

Les vénérables cloisons coulissantes ont également été remises au goût du jour, de façon beaucoup plus modeste (ou réaliste) que dans la Maison Schröder de Rietveld (ou dans la minka japonaise).

 

Ch. Moley, dans son ouvrage déjà cité, ne mentionne pas la cloison coulissante entre les deux chambres d'enfant des cellules de l'Unité de Marseille parmi les « détournements » servant à donner l'illusion d'espace qu'il fustige dans l'expérience de Villepinte ; c'est pourtant chez Le Corbusier (1945) que l'on retrouve les cloisons coulissantes, familières dans un grand nombre de logements anglo-saxons et hollandais du début du siècle. Leur émergence la plus significative en France semble l'avoir été dans les modèles « Salamandre », et « Solfège ». Le premier est d'ailleurs dû à Amedeo et Wogenscky (dont on connaît la filiation corbuséenne directe). Dans la REX de La Baleine, à Chatenay-Malabry, la cloison coulissante a de nouveau montré que malgré sa modestie cet agencement permet de réguler déjà bon nombre de situations diverses des pratiques d'habiter.

 

À Reims, l'Effort Rémois a construit une REX issue de l'EUROPAN 3, dans laquelle la cellule la plus intéressante comporte deux cloisons coulissantes, et un séjour qui peut être divisé en trois espaces : un, central, pour la collectivité (familiale ou autre), et les deux à chaque extrémité pouvant être appropriés à des degrés variables, par les usagers des deux chambres attenantes.



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Cremonini, Gaubert, Lauvergeat, Moget :

La REX à Reims, issue de l'Europan 3, 1993

 





Duinker & van der Torre,

appartements à cloisons coulissantes, Tuinstraat, Amsterdam, 1987

 

 

En 1987 on voit à Amsterdam une interprétation hollandaise de la minka japonaise dans laquelle quatre cloisons coulissantes répartissent toute la maison : cloisons ouvertes, celle-ci devient un seul grand espace. Souvenons-nous de la petite remarque, lourde de conséquences, formulée par Édith Girard selon laquelle les volumes des cellules du logement social sont insuffisants pour vraiment faire de l'architecture, et on comprend mieux ce qui peut attirer des architectes dans les cloisons coulissantes.

Une très grande cloison pivotante a été également utilisée par les architectes de Canale 3, pour leur projet primé du concours « 1500 logements pour la Poste ». Celle-ci, espère-t-on, permettra de moduler l'espace en trois versions : il peut soit dégager tout l'espace libre en se rangeant contre l'unique cloison et créer alors un faux deux-pièces ; soit isoler une pièce en se fixant en diagonale ; soit pivoter à 90° pour former trois espaces différenciés.

Les espaces de réserve, comme aux Marelles, constituent une des tendances de la flexibilité. Les « plans à surface variable » de M. Autogué de 1973, dans lesquels un espace en réserve pouvait, selon des procédures à déterminer ultérieurement, être annexé par l'un ou l'autre des deux voisins mitoyens, n'ont pas à notre connaissance abouti à des réalisations.

Mais un an plus tôt, en 1972, l'équipe de l'Atelier BCDE avait été lauréate du PAN 2 avec une idée très proche, « l'espace de décompression ». Dans un bâtiment de quatre niveaux, l'Atelier BCDE avait imbriqué des volumes sous plafond à 235 cm avec des volumes sous 320 cm. Il en résultait des niveaux intermédiaires associés soit au niveau inférieur, soit au niveau supérieur. Il s'agissait de flexibilité verticale, à la disposition du maître d'ouvrage, l'OPHLM de Reims.




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Les cloisons pivotantes de Canale 3, 1993

 

 


 

« L'espace de décompression », agence BCDE, 1972

 



Dans la pratique, ces espaces de réserve se heurtent à la gestion : à qui sont-ils ? Qui faire payer ? Ces considérations les font presque d'emblée intégrer l'une ou l'autre des cellules mitoyennes, et c'est la fin de la flexibilité potentielle. Un exemple plus récent est celui de la REX de Morsang sur Orge, qui a servi d'objet d'étude à J.-J. Lyon-Caen pour les aspects juridiques et réglementaires (exposés à la fin du chapitre V).

Aux Pays-Bas, l'expérience de Tiendplein, à Rotterdam reprend l'idée des espaces de réserve : 97 logements répartis en huit unités alliant quelques appartements de typologie fixe satisfaisant des demandes particulières, et d'autres à l'intérieur desquels le nombre de chambres peut augmenter ou diminuer à la demande (groupe Mecanoo).

Les concepts de « bande active » (Yves Lion) et celui de « façade épaisse » sont propices aux solutions constructives évolutives : la façade, élément architectural indépendant, est déconnectée de la disposition intérieure des pièces (Robert et Brighi, PCA 1980).

En Allemagne les formules évolutives et flexibles ont été expérimentées avec succès en 1972 à Munich, dans la réalisation de Steidle et associés. Il s'agit d'un petit ensemble de logements autour de services collectifs de très grande flexibilité horizontale et verticale, analogue à l'expérience française des Marelles. Le système constructif en attente d'extensions lui conférait déjà un aspect High-Tech.



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Agence Mecanoo,

Rotterdam, Tiendplein, 1988-90

 



Otto Steidle,

réalisation évolutive à Munich, 1972

 
Cette période d'évolution du concept de la flexibilité et du logement évolutif culmine, à nos yeux, avec la proposition du groupe SITE en 1981 de regrouper verticalement « les idiosyncrasies » individuelles, en empilant les pavillons de la classe moyenne américaine dans des porteurs urbains (57). Connaissant le maniement de l'ironie par le groupe SITE, il semble bien que cette version du Plan d'Alger ne soit pas autre chose qu'un regard plein de dérision porté sur la culture américaine des suburbs pavillonnaires : comment persuader ces pseudo-ruraux que la ville est bien le centre de notre civilisation ? Réponse, en stockant les pavillons (comme auparavant les voitures dans les garages automatiques). Pour ludique qu'il soit, ce projet n'en pose pas moins une question qui nous semble psychologiquement importante, et que nous avons commencé à aborder dans notre approche de la verticalisation. Est-il supportable de jardiner sur du terrain artificiel ? De ne pas avoir le vrai ciel au-dessus de sa tête ? Cette dé-monumentalisation peut-elle séduire au-delà du clin d'œil ? Comme l'expliquent en 2013 les responsables actuels du Groupe SITE sur leur site web :


 



57 — » Des maisons en casiers », L'Architecture d'Aujourd'hui, n°217, octobre 1981, pp.62-65.

« This experimental high-rise housing proposal is composed of fifteen to twenty stories to be located in a densely populated urban center. It is intended for mixed income residents and includes shopping, parking and residential facilities. The configuration of the structure is a steel and concrete matrix that supports a vertical community of private houses, clustered into distinct village-like communities on each floor. Every level is a flexible platform that can be purchased as separate real estate parcels. A central elevator and mechanical core provide services to the individual houses, gardens, and interior streets. The philosophical motivation behind this concept is a critique of the Twentieth Century tradition of homogenized and faceless multi-story buildings, which eliminate the possibility for urban dwellers to demonstrate any evidence of their presence in the cityscape. As an alternative, the High-rise of Homes offers residents a unique opportunity to achieve an individual statement of identity. The purpose is to shift the premises for aesthetic evaluation in high-rise buildings away from orthodox design continuity, in favor of the artistic merits of collage architecture, based on indeterminacy, idiosyncrasy and cultural diversity ».



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Le dessin célèbre du groupe SITE en 1981 :

Highrise of Homes (auteur : James Wines)

 

http://www.siteenvirodesign.com/

ex.hoh.php

 

 

 


 




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Otto Frei, Berlin 1987

 


Chr. Hutin, Les Hauts Plateaux, Bègles, 2011

 


 

La dé-monumentalisation semble possible en tous cas à Berlin, où Otto Frei a construit vers 1987 un tel empilage de maisons individuelles (mais il n'a pas été jusqu'au casier hébergeant des pavillons avec leur propre toit). Et notre serpent de mer refait encore surface en 2011, avec plus d'audace, à Bègles : Avec un brin de fierté « écologique », Noël Mamère, député-maire de Bègles a présenté le premier projet de lotissement vertical innovant, baptisé « les Hauts Plateaux » : « Il s’agit d’un modèle d’habitat inédit en France, mais que les Allemands ont développé il y plus de 30 ans à Berlin avec Frei Otto, sur le principe de plateaux superposés dans lesquels chaque propriétaire invente son habitat », explique Noël Mamère. Plusieurs acteurs participent de ce projet : « d’abord Christophe Hutin, jeune architecte qui a travaillé sur l’habitat des shacks (baraques en bois et métal, ndlr) de Soweto, et qui m’avait reproché il y a quelques années de détruire les tours HLM de la cité Yves-Farge », poursuit le maire. « Mais l’Anru conditionnait ses aides à la destruction des tours », précise Jean-Etienne Surlève Bazeilles, adjoint à l’urbanisme et à la planification urbaine. Quelques années plus tard, l’architecte revient avec Domofrance, premier bailleur social d’Aquitaine et propose de réaliser ce premier projet d’habitat vertical participatif :



 

 

 


 

 

 

http://www.lemoniteur.fr/145-logement/

article/actualite/17549287-habitat-vertical

-un-premier-projet-a-begles

« la structure en dalle béton et poutres fines, aux grandes portées, développé par Lafarge peut s’adapter à toutes les formes urbaines, pas seulement le cube », explique l’architecte Christophe Hutin. « Sur un plateau ouvert, le futur accédant peut concevoir son espace à vivre en utilisant une surface de 120 à 200 m², comprenant 50% de surface habitable, 25% de surface affectée obligatoirement au jardin, 25% de surface intermédiaire qui assure une possibilité d’extension du bâti ou du jardin ».






Chapitre IV : effets de retour sur le logement individuel



Le logement individuel évolutif : un pléonasme ?



L'évolutivité du logement ne se conçoit pleinement que dans le domaine de l'habitat collectif. L'évolutivité, au sens large (évolutivité après-coup) paraît une caractéristique tellement présente dans l'univers de la maison individuelle que l'on est tenté d'approcher la notion à l'envers, en essayant de trouver des exemples d'habitat individuel qui ne soit pas susceptible d'extensions, réaménagements et modifications de toute sorte. Grosso modo, comme le fait apparaître de façon incontestable l'examen de l'habitat vernaculaire, la maison a toujours été construite soit avec des matériaux légers, soit au contraire avec des matériaux susceptibles de braver l'éternité. Dans cette dernière catégorie, on trouve essentiellement des fermes fortifiées, des châteaux-forts, des blockhaus, et toute l'architecture militaire, qui est évidemment rigide et difficilement évolutive, sinon par une évolutivité à cycle très long (des forteresses construites et reconstruites sur mille ans). Mais cela nous éloigne des pavillons.

Qu'en est-il de la maison individuelle évolutive au sens moderne ? En 1931, Martin Wagner propose une maison agrandissable dans le cadre d'un concours à Berlin (Das wachsende Haus), dont le programme exigeait des

« maisonnettes transformables, c'est-à-dire des maisonnettes d'un noyau de 25 m² de surface habitable, dont la disposition et la construction permettaient d'ajouter au cours des années, selon les besoins de la famille, de nouvelles unités jusqu'à obtenir une petite maison de 80 m² pour une famille. » (58)

Ces dispositions du programme obligèrent les concurrents à penser en termes d'évolutivité dans le temps, sans trop grands changements du noyau de 25 m², dont les éléments devaient pouvoir être réutilisés lors de l'agrandissement ultérieur (le projet de H. Scharoun prévoyait déjà la participation des habitants). Cette maison (entourée prophétiquement de serres pour les économies d'énergie...) fut critiquée au plan social : elle rendrait nécessaire la nationalisation du sol et sa redistribution, ainsi qu'un accroissement du pouvoir d'achat du consommateur et surtout 80% d'éléments préfabriqués à monter à sec, qui allaient éliminer beaucoup de corps de métier... (59) Citons aussi la « maison démontable en bois » d’E.D. Menkès, comprenant sept phases de construction. À cette époque, ces architectes mirent au point des plans extrêmement souples, permettant l'extension et la transformation des constructions individuelles proposées. Mais ce ne sont pas seulement des arguments techniques qui déterminent les solutions adoptées; une nouvelle philosophie de la construction souple et éphémère voit le jour :

« En dehors des arguments techniques, les considérations d'ordre idéologique militent pour les constructions rapidement amortissables, donc d'une durée sciemment limitée. » (1932) (60).

 
De fait, la Seconde Guerre mondiale n'en laissa guère debout. La fin des années 70 voit quelques tentatives privées pour promouvoir à nouveau la maison individuelle isolée et évolutive. Ainsi en Belgique, l'architecte J. Visse a-t-il élaboré une maison selon la méthodologie du SAR. En 1976, M. Schulitz, met au point une méthode de conception TEST. C'est un système ouvert qui met en œuvre un maximum de composants semi-finis regroupés dans un catalogue. Il se situe lui aussi en filiation par rapport au SAR, dont il reprend les principes de coordination modulaire. Aussi, la maison se doit de ne pas être complètement achevée, ou prévue totalement à l'avance, pour que les utilisateurs puissent utiliser pleinement le système. Une maison expérimentale a été construite selon ce principe à Beverly Hills (Californie, USA).


 

 

 

 


 




58 — Posener, J., 1932,
« L'exposition Air, Soleil,
Maison pour tous »,in : L'Architecture d'Aujourd'hui, no 6, p. 25.



59 — Clayssen, D. et Hourcade, Cl., 1979,
« Vers une approche de l'évolutivité en tant que terme architectural »,

Techniques et Architecture, n°321, novembre.

60 — Posener, J., 1932, op. cit.

 

 


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Martin Wagner, 1931, Das wachsende Haus

(la maison agrandissable)

 

 


 

 

M. Schulitz, 1976, maison expérimentale à Beverly Hills, application de sa méthode TEST

 

 

L'Hautil



C'est également en 1976 qu'apparaît la problématique de la maison individuelle évolutive commanditée par les pouvoirs publics. En effet, l'établissement chargé de réaliser la ville nouvelle de Cergy-Pontoise met en concours 2500 logements qui seront implantés sur le plateau situé au-dessus de Jouy-le-Moutier : l'Hautil. Pour éviter l'aspect anonyme des grands ensembles, l'Établissement Public demande aux concurrents de proposer des projets d'habitations individuelles, groupées le long de rues piétonnières, et dotées de petits jardins enclos. L'objectif est de créer une ambiance villageoise grâce à des « maisons de ville ». Dix-neuf équipes réunissant promoteurs et architectes sont sélectionnées afin de donner aux 2 500 logements une grande diversité d'aspect.

D'autre part, l'Établissement Public demande dans ses directives d'aménagement que les maisons puissent être ultérieurement agrandies d'une moitié de leur surface de départ, et ceci à l'initiative des habitants. Cette directive devrait permettre aux habitants d'ajouter une pièce ou deux à leur maison et d'en personnaliser l'aspect extérieur. Chaque groupement professionnel intéressé à l'aménagement de l'Hautil a interprété la notion d'extension en fonction d'un comportement supposé de l'habitant et, d'autre part, en fonction des impératifs économiques de la construction.

R. Biriotti, architecte chargé de la coordination des extensions sur ce quartier, dresse en 1980 un bilan dans lequel on trouve rassemblé l'essentiel sur la maison évolutive et dont nous donnons ici quelques extraits (61). L'enquête a été menée auprès d'une douzaine d'équipes d'architectes.

Deux équipes évoquent la diminution notable des possibilités d'extension entre le moment du concours de 1976 (où les projets présentés respectèrent les directives de l'EPA) et le moment de la réalisation. La majorité des architectes ne semble pas avoir su résister à la pression, certains disent à la toute-puissance, des promoteurs. Beaucoup d'espaces aménageables ont disparu lors des négociations entre promoteurs et entreprises. Est-il préférable d'entrer dans une maison spacieuse, solide mais inachevée, ou d'entrer dans une maison coquettement fignolée, joliment crépie, mais petite et non-transformable ? C'est à chaque habitant d'en décider. Le promoteur, c'est clair, n'a pas voulu prendre le risque d'expliquer les avantages à long terme de la première formule par rapport aux impressions agréables mais fugitives de la seconde. Il est probable que l'acheteur non averti, qui visite le pavillon-témoin, fera la grimace devant les espaces livrés bruts et ne comprendra pas toujours l'intérêt à terme d'un espace en attente. Les promoteurs continuent de penser que « la maison non finie est invendable ». On ne les croit volontiers que lorsqu'ils nous expliquent toutes les contraintes techniques, financières et juridiques qui s'opposent à une politique des extensions.

Deux autres équipes d'architectes montrent des voies possibles : l'une fait une étude très poussée des possibilités d'extension, l'autre refuse de les étudier dans la crainte d'influencer l'habitant dont on souhaite qu'il reste totalement libre... dans la limite d'un petit terrain. La première équipe, l'Atelier Saint-Germain, a réussi à réaliser des espaces aménageables particulièrement importants pour chaque maison : des caves semi-enterrées et des garages surhaussés dont le haut s'ouvre de plain-pied sur le jardin. La deuxième équipe, l'AREA, se refuse de contrôler en quoi que ce soit les interventions ultérieures des habitants et se contente de livrer des espaces « où tout est possible », déclare l'architecte Sarfati.

D'autres architectes de leur côté posent aussi le problème de l'esthétique et de son contrôle. Papas et Seris, architectes des Vaux-Labours, ont la franchise de reconnaître que « ça nous choquerait de passer dans le quartier dans deux ans pour voir un sabotage par des lucarnes en chien assis ou des fermes à la Mansart. » Coupel et Seria prévoient des extensions intérieures mais pas à l'extérieur de façon à préserver l'épannelage des façades. L'équipe GGK a pris soin de prédéterminer très précisément les extensions extérieures dans un catalogue où les matériaux et les techniques utilisées sont les mêmes que pour la maison. Une appréhension s'est plusieurs fois fait sentir concernant « les cabanons et les clôtures qui nous échappent ».

Ce souci d'exercer un contrôle montre que des architectes ont fait un effort de conception suffisant pour craindre qu'il ne soit « saboté » par les interventions sauvages des habitants. Il s'agit au fond de savoir comment l'esthétique des architectes et celle des habitants peuvent s'exprimer sans se détruire l'une l'autre mais, au contraire, en s'enrichissant dans une cohabitation heureuse. La pression économique se révèle être plus forte que les contraintes réglementaires, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles n'existent plus. Par contre, les propos des architectes, eux, paraissent stables. Différents, contradictoires, ils coexistent au sein d'une même profession, et quelles que soient les époques, la maison évolutive semble toujours faire resurgir les mêmes catégories de pensée.



 

 


 




 

61 — Biriotti, R., 1980, Habiter l'Hautil.

Le concours « maisons agrandissables pour jeunes ménages »



Le concours « maisons agrandissables pour jeunes ménages » marqua un tournant dans les politiques de l'administration concernant l'habitat évolutif (62). Contrairement à l'époque précédente, en 1976 l'administration privilégie la maison individuelle, elle propose à des équipes de concepteurs d'amorcer leurs réflexions sur l'agrandissement à partir de la famille et de son évolution. L'objectif est de proposer de nouvelles formes d'habitat ; le logement des jeunes restant l'objectif central au-delà de la recherche formelle. Ce concours devait permettre de répondre au problème de l'exclusion des jeunes du marché de la maison individuelle. Parmi les thèmes abordés par les 213 répondants, certains ont été significatifs, notamment :

  • le confort des habitants : à la fois minimiser la gêne due aux travaux pendant les extensions, tout en prévoyant un minimum d'investissement ;
  • la qualité d'usage : garantie d'évolution des fonctions du logement parallèlement à l'évolution des modes de vie et de la famille ;
  • la part importante de l'autoconstruction ;
  • l'évolutivité induite par le foncier, l'économie de la construction ou le choix de l'image urbanistique.


Les projets architecturaux, relativement homogènes, présentent trois types, selon la dynamique de l'agrandissement :

1 — l'agrandissement par l'intérieur d'un grand volume construit dès le départ (création de planchers intermédiaires,

        aménagement des combles, appropriation du rez-de-chaussée sur pilotis, etc.) ;

2 — l'agrandissement du noyau initial de 46 m² par utilisation d'une structure en attente (fermeture et couverture

        d'une ossature-bois, béton ou métal, mise en place dès l'origine) ;

3a — l'agrandissement du noyau initial de 46 m² par la juxtaposition d'une trame latérale comportant un ou deux

         niveaux,

3b — l'extension de la superficie initiale par greffe de petits volumes complémentaires, ajoutés soit tout autour du

         noyau de base, soit de part et d'autre, soit sur une seule façade de cellule d'origine,

3c — enfin, l'agrandissement consistant à accoupler une deuxième petite maison au volume initial par

              l'intermédiaire d'une galerie ou d'un sas d'entrée faisant office de liaison.

 

L'évolutivité de la maison individuelle est apparue, à travers les réponses au concours, comme placée sous le signe d'un retour à de petites ambitions, à du « raisonnable », par rapport aux ambitions précédentes. Est-ce de la résignation au profit des futurs acquéreurs (bénéficiaires de PAP) et donc la prégnance du coût ou bien le thème lui-même qui bloquèrent les imaginations ? Pour de nombreux maîtres d'ouvrage ou constructeurs, la maison est un produit destiné à une cible particulière, et pour lequel il faut trouver une image. Cette dernière tâche est alors confiée aux architectes. Toutefois, lorsque les maîtres d'ouvrage ont été à l'initiative des collaborations, ils ont largement contribué à définir le « produit », ses caractéristiques et son image. Leur participation a aussi beaucoup porté sur la résolution des problèmes juridiques et financiers, ainsi que sur les aspects programmatiques. À partir de ce qu'ils pensaient être la demande à satisfaire, ils ont fixé objectifs et contraintes. Pour certains, ce fut le maintien de l'aspect régional, pour d'autres la taille des parcelles, etc., évidemment à l'intérieur d'une enveloppe financière précise.

La typologie en trois familles des modalités d'évolutivité, qui se dégage de l'examen des projets architecturaux, est la suivante :

  • le grand volume ;
  • le noyau et l'agrandissement périphérique ;
  • la structure apparente.


Tel que l'ont exprimé certains lauréats, une maison ne prend sa forme, ou ne devient un habitat que lorsque des usages, des pratiques ont pu s'y dérouler par une sédimentation et une appropriation à l'intérieur de limites données. Cette problématique renvoie, d'ailleurs, à ce qu'ils conçoivent comme rôle de l'architecte : ordonner l'ordonnable, c'est-à-dire ce qui est du domaine public ; la rue, le quartier, la ville, mais laisser les habitants libres de se construire leur univers. Pour cela, les architectes créent des supports, au sens propre, matérialisés par des poteaux et des poutres prêts à recevoir des planchers. Mais supports aussi symboliques, en offrant a priori des espaces peu habituels (mezzanine, alcôves, vides), susceptibles d'être les germes de nouvelles pratiques, à travers une interrogation sur les usages qu'ils permettent, et donc d'une requalification de l'espace habitat.

Les concepteurs de tels projets s'adressent à une population de jeunes peu conventionnels, ou du moins qui tentent de s'affranchir des modèles classiques. Acheter une maison agrandissable, qui peut apparaître a priori comme une maison finie, mais dont on sait qu'elle peut évoluer, qu'elle est prévue pour cela, oblige, en quelque sorte, à réussir. Comme le suggérait un des lauréats, « lorsqu'on achète une maison agrandissable, on achète le droit à être ambitieux, et on est condamné à réussir. » La réussite sociale, qui permet d'acheter des pièces en plus dans la plupart des projets de cette typologie, va de pair avec la réussite conjugale, du moins la venue des enfants justifie-t-elle l'extension. Ainsi, ils se proposaient, en quelque sorte, comme le guide des ambitions de la famille. Ils marquent et fixent les étapes de passage obligatoires et ne laissent pratiquement pas d'alternatives. À partir d'une maison finale, ils l'ont désarticulée en étapes à parcourir, telle un puzzle en mettant les bonnes pièces aux bons endroits.

Ce type de problématique correspond aussi chez les architectes à une certaine conception de leur métier. En effet, pour certains, c'était la seule manière architecturalement et esthétiquement satisfaisante de répondre au problème de l'agrandissement d'une maison. Pour eux, partir du noyau pour s'étendre ressemble trop à ce qui se pratique de manière spontanée dans l'habitat individuel. D'autre part, ces solutions sont trop consommatrices de terrain, et ne sont pas appropriées au périurbain alors que c'est là que l'on trouve essentiellement les jeunes ménages.

La troisième catégorie, l'extension par la structure apparente, se situe en position médiane par rapport aux deux autres. C'est à la fois l'exhibition de ses ambitions, mais aussi de leurs limites. Si l'agrandissement à partir du noyau central est porteur d'ambition, par le fait qu'à chaque étape la maison apparaît comme achevée, le projet ambitieux est interne à la famille, car ce qu'elle manifeste, c'est sa réussite. Dans le cas des structures, c'est le projet lui-même qui est annoncé. Dépassant le cadre de l'intimité, le couple prend en quelque sorte le risque d'afficher qu'il s'engage à réussir. En suggérant le volume final et l'image future de la maison, leur objectif est spatialisé, lisible pour tous. En même temps, ils indiquent aussi leur position actuelle, et donc tout le chemin qu'il reste à parcourir pour parvenir au but final. Selon les projets, l'objectif paraît pratique et raisonnable, ou offrant des images architecturales tout à fait contemporaines.

Cette catégorie de projets s'adresse donc à des types différents d'installation, selon les modèles d'identification auxquels ils se réfèrent. Toutefois, ces projets semblent les plus directifs. Dans « le grand volume », les architectes proposent l'image extérieure et offrent des supports à l'intérieur en laissant les habitants s'organiser. Dans « le noyau central », les concepteurs offrent des combinaisons possibles ; l'acheteur peut donc choisir entre différentes compositions et organisations spatiales. De même, selon son budget, il peut acquérir plus ou moins de « tranches » ou de phases. Dans cette troisième catégorie, les concepteurs ont prévu l'image et la maison finales. Souvent étudiée comme intégrée à un site ou à une rue, ils en ont ordonné les façades, et prévu les limites dans l'espace public.

Une enquête commandée par la Direction de la Construction en 1985, auprès de couples mariés âgés de moins de 55 ans (à deux), a montré que le concept de maison agrandissable est ambivalent ; sur le versant positifs les ménages interrogés citent la modernité de la maison agrandissable, son caractère mieux adapté aux loisirs, l'épanouissement personnel et familial. À ces aspects s'opposent, sur le versant négatif, une image de maison-à-terminer liée au manque d'argent et à l'impuissance à réaliser ses désirs. Concernant les plans proposés, l'agrandissement par l'extérieur a la préférence des jeunes ciblés par l'enquête, tandis que l'agrandissement par l'intérieur rassure davantage les personnes plus traditionnelles qui constituent la clientèle potentielle de la maison individuelle.

Une deuxième étude, centrée sur la population HLM d'une tranche d'âge équivalente à celle de la première étude, confirme celle-ci et fait apparaître des informations complémentaires :

  • la personnalisation que permet l'agrandissement est décevante car trop programmée par les concepteurs ;
  • l'agrandissement potentiel est lu comme trop lié à celui de la famille, et vécu comme du planning familial angoissant (confiscation de l'avenir par les concepteurs) ;
  • crainte de vivre dans un chantier permanent, et de l'aspect bricolé de la maison.

 

62 — Berty, A. et Decourcelles, J.-P., 1984,

La maison qui grandit avec la famille, dossier MULT, novembre.

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Pays et maisons en voie de développement



Les avatars dans le tiers-monde des formules reprises telles quelles aux pays plus avancés peuvent parfois instruire ces derniers, au sujet de l'autoconstruction, par exemple. Ainsi, le Caracas des années 50 vit l'arrivée au pouvoir d'un général à vocation quelque peu pharaonique, le général Pérez Jiménez, qui déclara qu'il allait transformer cette ville, aussi médiocre que la plupart de celles de l'Amérique Latine, en « la plus belle ville du monde ». Pour cela, il fallait avant tout liquider les favelas (qui, au Venezuela, s'appellent des ranchitos). Il fit dresser un plan d'urbanisme par des architectes autochtones, et ériger, à la place des ranchitos, une armada de blocs HLM, les superbloques (dont la polychromie violente avait d'ailleurs une trentaine d'années d'avance sur celle des réhabilitations actuelles de nos HLM).

Les architectes locaux avaient étudié ce qui se faisait de mieux, c'est-à-dire l'Unité de Marseille de Le Corbusier, et ils parvinrent à en dériver une version tropicale nettement plus économique.

Ces blocs étaient cependant très honnêtes, et les loyers sociaux adaptés aux ressources des miséreux à y loger (de l'ordre de 30 F/mois). On constata cependant très vite que ces nouveaux citadins, non-conformes aux CIAM, et contrairement à la première génération française d'ex-habitants de taudis relogés dans les grands ensembles, étaient restés nostalgiques de leurs ranchitos, car même exposés aux rats, à la vermine, à toutes les maladies, et à tous les dangers physiques et moraux, ils y avaient au moins le ciel au-dessus de leur tête, et non pas le plancher du voisin d'en haut.

Cinq ans plus tard, la nuit qui suivit la chute du dictateur (chassé par un mai 68 auquel adhéra l'armée de l'Air), les gens firent la fête à Caracas. Mais pas dans les superbloques : là, on entendait des coups de marteau, des scies, etc. : c'était la reconstruction immédiate, au pied des barres de douze étages, des ranchitos d'autrefois ! Les superbloques vides accueillirent alors les nouveaux pauvres accourus à la ville, auxquels les anciens pauvres, désormais pavillonnaires, les sous-louèrent (fort cher, dit-on).

  



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Les superbloques du quartier « 23 de Enero » à Caracas, et les ranchitos (favelas) reconstruits au pied de ces immeubles.

Il est dommage que ces nouveaux ranchitos n'aient pas été étudiés, à l'époque : on aurait sans doute pu y mesurer le degré de violence de ce retour en arrière à l'absence plus ou moins totale de changement dans la conception des plans, car si le schéma de Drummond est valable à Caracas comme ailleurs, il ne vaut peut-être plus pour des bidonvilliens qui ont vécu cinq ans dans des logements issus, en définitive, du Bauhaus.

Autre solution ubuesque de cette époque au problème de l'habitat populaire, celle, à la flexibilité involontaire, d'une réalisation grandiose entreprise à Caracas dans les années 50 sous la même dictature, et appelée fort à propos « la roche tarpéienne ». C'est un hélicoïde en béton qui grimpe aux flancs d'une colline d'environ 100m, et qui devait abriter des galeries de magasins de luxe. Jamais achevée, cette tour de Babel décrépite symbolisait avec bonheur le passé politique récent du pays jusqu'au jour où elle fut squattérisée par les gens des nouveaux bidonvilles, vers 1977. Cette squattérisation fut légalisée après coup, et assistée par la distribution de matériaux de construction légère : quelque chose qui rappelait vaguement le plan d'Alger de 1935 commença alors à prendre forme, sous l'égide du Tiers-monde.



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La Roca Tarpeya,


hélicoïde en spirale, Caracas, vers 1955

Si l'habitat évolutif s'est éclipsé depuis quelques années dans l'hémisphère Nord, il est ainsi par contre réapparu, par la force du vernaculaire retrouvé, dans le Sud pauvre de la planète, où d'admirables « architectes aux pieds nus » tentent de rééditer dans les pays en voie de développement (expression que l'on espère encore de mise) l'exploit du changement social induit par le logement social, qui pour n'avoir souvent été qu'une illusion fouriériste n'en reste pas moins une espérance volontariste (René Dumont, les écolos héritiers des Provos et de la soft revolution, et même un Yona Friedman (63) seconde manière y croient ; or, si seulement beaucoup de monde se mettait à y croire, ça pourrait effectivement marcher...).

Ainsi, on trouve dans les publications des projets évolutifs (« très très sociaux », se proclament certains), parfois construits et évalués, au Maroc, Égypte, Nouvelle Calédonie, Pérou, Algérie, Mexique, Pakistan, Ile Maurice, La Réunion, La Martinique, Insulinde, Israël, Tunisie, Colombie, La Guadeloupe, Côte d'Ivoire, Togo, Venezuela, Chine, Arabie Saoudite... Le changement social, cependant, peut prendre quelques détours par le symbolique. Au Mexique, une stratégie pour persuader les classes défavorisées de reprendre les techniques de leur habitat traditionnel, très économique et écologique, mais marquées du sceau infamant de la « pauvreté » originelle indienne, a consisté, localement, à d'abord persuader la bourgeoisie de l'endroit de la beauté du vernaculaire mexicain. Une fois quelques « riches » revenus à des constructions en adobe et pisé, les pauvres ont commencé à pouvoir psychologiquement prendre la même attitude.



 


  

63 — Friedman, Y, 1978,
L'architecture de survie, où s'invente le monde de demain ?, Casterman.

 

Le kit, le prêt à finir...



La majorité de ces projets, de même qu'en France pour les « maisons agrandissables », ont en commun d'avoir accordé une grande part à l'autoconstruction, notamment par l'utilisation des kits et de l'ossature bois. Cette dernière apparaît souvent comme la solution miracle qui permettrait de faire évoluer, d'agrandir une maison facilement et économiquement. Parce que le bois est léger et familier, nombre de propositions n'hésitent pas à suggérer la réalisation de gros travaux par les habitants (notamment le déplacement d'un pignon). On peut rester quelque peu sceptique devant un tel enthousiasme qui ne prendrait pas en compte les conditions nécessaires, telles que l'outillage (gros et petit) et l'acquisition d'un minimum de savoir-faire.

Par contre, introduire l'autoconstruction comme une des conditions par lesquelles les acquéreurs seraient susceptibles non seulement de posséder une maison individuelle, mais aussi de projeter un futur potentiel, paraît être une problématique fortement marquée par le contexte de crise (en Europe) ou de sous-développement (dans l'hémisphère sud). Elle inscrit l'optimisme quant à la possibilité de sortir de ce contexte. Réintroduire le temps de travail personnel et manuel laisse supposer l'ancrage dans le lieu et la création de sociabilité ou du moins de liens de voisinage, notamment parce que le bricolage incite à des échanges à la fois de matériel, mais aussi « de combines » et de savoir-faire.

Ce développement, sur le marché de la maison individuelle, de maisons prêtes à finir, peut être considéré comme le développement d'une forme particulière de l'évolutif. Il ne s'agit dans ce cas ni d'agrandissement, ni de transformations internes proches de la flexibilité, mais de maisons livrées partiellement construites, dont l'acquéreur prend en charge l'achèvement. Il ne participe pas à sa conception, mais à sa production, transférant en force de travail et en temps ce qu'il ne peut monnayer. Certains (dans le contexte français) ont pu voir dans le succès de ce type de propositions, la manifestation du goût et du plaisir des habitants à se construire eux-mêmes leur habitat. Pourtant, il semblerait que ce soit plus la nécessité qui oblige une catégorie de population à participer physiquement à la production, pour parvenir à la propriété. Par ailleurs, celle-ci s'appuyait sur une analyse du processus de production de la maison individuelle ainsi que sur de nouveaux modes d'organisation du travail, en séquences.

Chaque séquence est confiée à des équipes spécifiques. Le découpage décompose la construction en phases qui, quelquefois, sont transversales à plusieurs corps d'état. Ceci s'applique principalement au second œuvre, où l'efficacité est recherchée à partir d'équipes polyvalentes, qui mettent en œuvre des produits de plus en plus industrialisés. Certaines tâches, « consommatrices de main-d’œuvre (pose de papiers peints, pose de moquettes, etc.), sont apparues peu rentables, faisant quelquefois la différence dans les tranches de crédit, et surtout aisément réalisables par les acquéreurs. De proche en proche, les constructeurs de maisons prêtes à finir proposent des prestations pratiquement à la demande et selon les possibilités des futurs acquéreurs. Le constructeur conserve pratiquement dans tous les cas la maîtrise du gros œuvre. Puis, il fournit l'ensemble des matériaux et fournitures nécessaires pour achever la maison. On pourrait dire qu'il devient à la fois fournisseur de matériaux, de semi-composants, mais aussi fournisseur en main-d’œuvre. Il fait des offres parmi lesquelles l'acquéreur choisit. Dans la plupart des cas, lorsque le constructeur fournit les matériaux, il les accompagne de guides de pose. Ce phénomène ne repose pas tant sur des produits nouveaux que sur une conception différente de la maison, mais aussi de sa fabrication.

La maison n'est pas ici un objet livré fini, mais un assemblage de différents composants que l'on peut hiérarchiser et rendre autonomes. On peut presque considérer que l'élaboration d'une maison prête à finir est le résultat d'un gros travail de préparation et d'anticipation, de manière à faire correspondre des temps, celui du constructeur et celui de l'acquéreur, à de l'argent (en décidant de participer à la construction de sa maison, l'habitant utilise directement sa force de travail, sans aire).

L'informatique est un outil qui se révèle précieux pour ce genre de pratique. On peut ainsi en effet, visualiser par avance ce que l'on va construire. En choisissant les composants, les matériaux dans une banque de données, on anticipe sur la réalisation, le projet est déjà image. Toutefois, le développement de ces pratiques révèle en France quelques problèmes, administratifs notamment, en ce qui concerne les responsabilités de l'autoconstructeur total ou partiel.

 

Écoutons encore Rapoport :



 

« Le thème du choix est applicable à d'autres aspects des pays en voie de développement et peut clarifier tout le problème des relations de la forme bâtie aux cultures données, ce qui éclaire à son tour la valeur de l'étude comparée des civilisations appliquée à la maison et à l'environnement bâti en général. Il est dangereux d'appliquer aux problèmes d'autres pays les concepts occidentaux, qui représentent seulement un choix parmi les nombreux choix possibles, au lieu de les considérer en fonction du mode de vie local, des besoins spécifiques et de la manière de faire les choses. Un exemple mineur, que l'on rencontre à Rangoun et à Bangkok, est le problème des petits logements pour les esprits tutélaires de chaque maison dans les grands immeubles où habitent plusieurs familles. D'aucuns diraient que ce besoin est déraisonnable mais nous avons déjà vu que l'oubli des modèles culturels traditionnels peut avoir des conséquences assez graves.

Charles Abrams fut un des premiers à se faire une idée nette de cet aspect et à l'utiliser pour l'environnement bâti et pour la maison. Dans son œuvre il a souvent souligné comment les experts et les officiels déploraient les solutions traditionnelles en dépit de leurs avantages sociaux et climatiques évidents. Il donne comme exemple l'adoption, au Ghana, du slogan anglais d'une famille-une maison, et souligne que la famille au Ghana est quelque chose de tout à fait différent et que ses relations avec la maison ne sont pas les mêmes (Au Ghana les femmes vivent traditionnellement à part des hommes et partagent une cuisine commune. Une femme à qui on demandait si elle aimerait vivre dans une maison avec son mari, répondit qu'il avait cinq autres femmes, qu'il ne lui donnait que 1 livre par semaine, et qu'elle était très contente de ne passer que la moitié de son temps avec lui. Abrams demande pourquoi il faudrait lui imposer des usages étrangers).

Ceci montre combien il est important de prendre en considération les particularités de la situation. Pour être parfait tout logement doit réaliser quatre objectifs :

1 — Il doit avoir une valeur sociale et culturelle (de ce point de vue le logement traditionnel est sans doute ce
       qu'il y a de mieux).
2 — Il doit être suffisamment bon marché pour que le plus grand nombre puisse se le procurer (dans les
       contextes primitif et vernaculaire la plupart des gens, sinon tous, ont une maison).
3 — Il devrait maintenir ses occupants en bonne santé (par rapport au climat le logement traditionnel est une
       réussite, par rapport à la salubrité et aux parasites c'est en général un échec).
4 — Il devrait y avoir un minimum d'entretien durant la vie du bâtiment (ici l'évidence est douteuse). 
Si nous reconnaissons que les fonctions utilitaires de la maison ne sont pas primordiales et si nous comprenons en même temps que même ces fonctions peuvent être mieux satisfaites par l'habitation traditionnelle que par la nouvelle habitation dans de nombreuses régions, notre attitude envers le logement traditionnel changera. Le logement traditionnel peut donc être bien plus acceptable — sinon désirable — qu'on ne l'a cru, et les attitudes envers le logement dans les pays en voie de développement pourraient être adaptées en conséquence. De toute façon voilà pour le moins un domaine de recherche très riche. » (64)

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 






 

64 — Rapoport, Amos, 1969,
Pour une anthropologie de la maison,
Dunod, 1972, pp. 178-179.

Certains exemples de valeurs non utilitaires, que nous avons rencontrées dans les économies de pénurie, existent encore dans les « barriadas » du Pérou et, certainement, dans d'autres régions semblables. On a relaté que lorsque les murs d'une maison dans la barriada sont achevés, on pose un toit de joncs sur les chambres, les fenêtres sont maçonnées et le sol est cimenté. Après que les murs ont été payés avec le premier argent gagné on achète une grande porte en cèdre travaillé (coûtant environ 45 dollars). Avec l'installation de cette porte et des fenêtres à cadre de bois, les gens se sentent devenus propriétaires. Dans l'exemple cité le toit en béton ne fut commencé que deux années plus tard, après un hiver humide au cours duquel les enfants tombèrent malades.







Chapitre V : comment gérer des logements personnalisés ?



Attitude des maîtres d'ouvrage envers la personnalisation du logement



Il existe de profondes divergences entre les maîtres d'ouvrage, qui freinent la personnalisation des logements locatifs pour des raisons de gestion, et les usagers eux-mêmes, pour lesquels la reprise des logements personnalisés par un premier occupant est souhaitée, comme une marque d'émancipation vis-à-vis des stéréotypes du logement social. À partir de 1975 environ, les maîtres d'ouvrage amorcent des politiques de diversification de leur patrimoine, tant en ce qui concerne l'architecture d'ensemble que dans la conception des cellules ; la réhabilitation des logements anciens pourrait produire de multiples variations sur les plans de distribution usuels par ses systèmes d'agrandissement de certains logements, par des extensions en façade. Les expériences de concertation et de participation permettent aux habitants d'introduire des éléments personnels dans la conception de leur logement.

Certes ces expériences ont été plus fréquentes dans le logement individuel en accession que dans le logement collectif en locatif, mais on connaît pour le secteur locatif en France une demi-douzaine de réalisations de ce type. Du coté des responsables, on ne sait pas davantage quelles représentations sont agies dans la justification, le maintien voire la défense des stéréotypes des plans du logement social par les gestionnaires, mais le fait est que peu d'entre eux participent à ce mouvement de diversification, quelles qu'en soient les modalités concrètes (flexibilité, concertation, modules extensibles, participation, adaptabilité, etc.).

Au cours des contacts que nous entretenons avec les maîtres d'ouvrage sociaux impliqués dans le champ de l'expérimentation, nous avons pu constater que ces acteurs manifestent bien ces attitudes ambiguës à l'égard d'une différenciation poussée des logements. Leur intérêt se mêle de réticences, soit qu'ils craignent de ne pouvoir vendre ou louer des logements trop singuliers, soit qu'ils estiment difficile ou impossible de relouer un logement trop personnalisé. Même un maître d'ouvrage ayant joué le jeu de la participation sur une partie des logements d'un immeuble locatif (agréant par là-même l'idée que la singularité d'un logement constitue une amélioration de l'offre) aura tendance à se rassurer en imposant une conception traditionnelle et fonctionnelle pour les autres logements, comme nous l'avons vu lors de la participation dans l'immeuble collectif locatif des Aunettes, à Évry (l'opération de Vauréal constitue à cet égard une heureuse exception). Quant aux maîtres d'ouvrage non-impliqués dans l'expérimentation, leur attitude semble franchement hostile dès que l'on tente de cerner les limites de cette « personnalisation » des logements, que tous ou presque croient permettre à leurs habitants.

Il semblait donc important d'approfondir l'analyse de ces réticences par une série d'enquêtes auprès des principaux intéressés : ces habitants ayant repris des logements « personnalisés », dont il est dit par les maîtres d'ouvrage qu'ils ne les relouent qu'avec difficulté. Il est difficile de vérifier sur le marché du logement la pertinence de ces réticences des maîtres d'ouvrage. En ce qui concerne le patrimoine existant, nous avons essayé de repérer des opérations particulièrement originales quant aux cellules, soit qu'un processus de participation ait permis à des habitants de personnaliser leur logement à l'étape même des plans des cellules, soit qu'un procédé technique ait donné lieu à des variations incongrues, soit qu'un architecte ait eu la latitude d'exprimer une architecture donnant naissance à des logements « excentriques ». Nous n'en avons trouvé qu'un très faible nombre qui soient à la fois des opérations locatives, personnalisées et suffisamment anciennes pour être déjà habitées par des repreneurs n'ayant pas connu la phase de conception de leur logement. D'autre part, il s'est rapidement révélé qu'il faudrait essayer de cerner la notion de « personnalisation » et tenter de savoir si cette notion trace bien la limite entre logement « bien » différencié et logement trop singulier. On peut se demander en effet si l'ambiguïté des maîtres d'ouvrage n'est pas un effet de compromis entre des demandes contradictoires qui porteraient tantôt sur le maintien tantôt sur la transgression de certains au moins des systèmes sociaux dont l'interaction résulte dans l'objet-logement. Ces systèmes sociaux sont ici pris dans le sens du codage du logement en signes d'appartenance sociale projetés sur l'architecture elle-même, des consensus selon les classes sociales sur le plan de distribution des pièces des logements comme représentant une des structures de leur mode de vie domestique quotidien, ou des usages davantage sociaux qu'individuels de l'espace-logement en termes de décoration, ameublement etc.

Une approche aurait consisté à sélectionner dans le patrimoine des maîtres d'ouvrage les logements qu'ils considèrent comme constituant une « limite » du point de vue des possibilités de relocation, et d'établir des diagnostics sur une échelle banalité-originalité ainsi que sur quelques autres critères relatifs à l'environnement. Une autre approche aurait été possible plus facilement à travers la relocation des logements anciens telle qu'elle est couramment pratiquée par les agences immobilières. Il suffit d'avoir cherché un logement pendant quelques jours à Paris pour s'apercevoir de la grande diversité des situations d'habitat proposées aux candidats (en dehors du fait massif que le marché privé du logement revêt des aspects économiquement délirants auxquels le public se résigne moins depuis les années 90). Cette diversité de l'habitat ancien, toujours et encore recherchée par la plupart des architectes du logement social, est si évidente que l'on peut dire, comme nous l'avons dit pour le logement « évolutif », qu'autrefois (avant l'introduction des techniques modernes de construction) tous les logements avaient quelque chose de « personnalisé ». Le cadre strict de notre étude ne permettait pas cependant d'aborder le problème par le biais des agences immobilières privées, et c'est dommage dans la mesure où ces agences, unanimement vilipendées, réussissent précisément à « personnaliser » la gestion de logements tous différents : la tâche même que les organismes publics de logements sociaux souvent nient qu'il soit possible d'accomplir...

Nous désirions étudier les difficultés de reprise des logements personnalisés, et il s'est révélé que toutes les personnes ayant repris de tels logements les ont repris sans la moindre difficulté. Du coup nous avons dû essayer d'expliquer, au contraire, l'extrême facilité de la reprise de ces logements, et même le fait qu'ils soient plutôt recherchés qu'évités par les usagers. Et vice-versa pour les gestionnaires.
Le problème du degré de personnalisation des logements reste complexe tant qu'on ne parvient pas à tirer au clair ce qu'il faut entendre par « habitat personnalisé ». Cela peut aller, chez certains maîtres d'ouvrage, du simple droit à choisir les papiers peints dans une cellule hyperclassique, jusqu'aux cellules issues des opérations les plus radicales de concertation et de participation des habitants, aboutissant à des logements d'apparence parfois très insolites, d'apparence tout le moins.

De plus, les architectes construisant pour des clients aisés créent depuis toujours des résidences et villas « personnalisées » à travers une interaction très spécifique dans laquelle ont leur part les désirs/besoins des habitants aussi bien que ce désir de « donner forme à » si présent chez les architectes, et qui peut parfois donner lieu à celui de donner forme y compris à l'existence même du client, comme nous l'avons supposé ailleurs (65). La production personnalisée de l'architecte est cependant socialement admise, que celle-ci reflète la personnalité du client ou la sienne propre ou l'interaction des deux, car elle reste toujours dans la recherche d'un équilibre entre le social et le personnel. On le voit a contrario dans les productions « délirantes » des habitants-paysagistes dont le chef de file serait le Facteur Cheval, dans lesquelles ce consensus n'est plus recherché : le rêve donné à voir à l'autre que bâtissent ces merveilleux naïfs de l'architecture ne sont pas destinés à être partagés socialement dans l'usage quotidien, et on ne peut penser y habiter qu'en renonçant à « être soi-même » pour accepter de jouer à être le facteur Cheval, avec le plaisir de la création en moins, ce plaisir immédiatement visible dans le recueil des œuvres des « paysagistes » établi par Bernard Lassus (66).

Exprimer un imaginaire personnel, montrer sa personnalité dans des registres situés au-delà du socialement admis sans effort particulier, mais en deçà du registre « délirant » de la féerie paysagiste, ce serait cela, pensons-nous, la bonne distance à laquelle se tiendrait le phénomène de la « personnalisation ». Plus simplement, un logement « personnalisé » est celui réalisé par quelqu'un d'assez original, ma non troppo : il reste socialement tolérable pour l'imaginaire habitant d'autrui. Il serait pensable alors de proposer des catégories dans la « personnalisation », par exemple celles, certes floues, d'une vraie et d'une fausse personnalisation, dont la frontière serait constituée par le passage de deux à trois dimensions. Serait ainsi à considérer comme faussement personnalisé un logement dans lequel le locataire aurait peint son plafond de couleur noire, ou mis les radiateurs aux couleurs nationales, car cette action ne concerne que des surfaces. Cependant, ce type de marquage simple, appelé « colorisme » quand il fut appliqué à la réhabilitation des HLM, pourrait être considéré comme plus personnel que la mise à la norme régionaliste que l'on trouve localement, là ou une forte conscience ethnique confère une plus-value aux logements standard quand ils sont pourvus, toujours par addition, et toujours de façon onéreuse, d'éléments traditionalistes tels que les fausses poutres et boiseries en plastic, etc. Il y aurait donc déjà dans la fausse personnalisation deux pôles, l'un davantage du côté de l'imaginaire social, et visant à exprimer une appartenance sociale minoritaire ou vécue dans la contre-dépendance, et l'autre plus en rapport avec. L’imaginaire individuel conscient, et parfois avec la fantasmatique inconsciente.

La « vraie » personnalisation serait en revanche celle qui ose toucher aux espaces eux-mêmes, et s'exprimerait par des restructurations institutionnellement importantes (état des lieux, conflits, etc.) de ces espaces anonymes au départ. On y trouverait donc, outre quelques « paysagistes », ayant par exemple transformé leur appartement HLM en réseau ferroviaire miniature à multiples niveaux traversant toutes les cloisons (exemple réel, ici également), des niveaux d'appropriation plus acceptables pour d'éventuels successeurs se bornant essentiellement à des redistributions de pièces et à des réaffectations d'espaces. Transgresser les normes HLM en abattant deux cloisons pour faire d'un F4 aux pièces exiguës un F2 plus généreux, ce n'est jamais qu'une variation personnelle qui ne vise à exprimer aucune autre réalité intérieure que celle d'un désir d'espace démentant le rationnement des mètres carrés dans le logement social.

Ce seront évidemment ces personnalisations-là qui nous intéressent ici au premier chef. Le problème reste cependant entier, car nous ne saurons pas à quel degré ces personnalisations tranchent avec la production courante. Il nous faudrait pour cela savoir comment est composé le parc de logements sociaux, en ce qui concerne les types de logements proposés, pour évaluer la distance ou marginalité des « personnalisations » de toute origine dont il est dit que la relocation pose tant de problèmes. Sans aller jusqu'à proposer une échelle générale d'originalité des plans, nous avons cependant essayé de trouver un critère simple pour déterminer le degré de déviance d'une cellule-logement par rapport aux pratiques architecturales les plus courantes. Il était hors de question d'entreprendre un travail spécifique sur ce point précis, mais nous avons trouvé des travaux de chercheurs qui ont abordé ce problème. Ainsi, la thèse de Michel Routon (67) qui a tenté de dégager de l'analyse d'un corpus de trois-pièces sur Paris et la banlieue, à partir des permis de construire déposés en 1970 (tout l'effectif de l'année), l'existence de types ou de modèles dominants. Ses conclusions, assez surprenantes, sont que contrairement à l'immense diversité superficielle des architectures offertes au public, si l'on s'en tient à la hiérarchie des différents espaces à l'intérieur du logement (c’est-à-dire de la façon dont certaines pièces en commandent d'autres, « les circulations »), alors il n'existerait plus que quatre types de logements ! Routon a évidemment pour cela fortement dû réduire les 47 variantes de plans que son analyse avait dégagées en première instance à un niveau descriptif, pour parfois les forcer un peu dans ces quatre modèles ; mais il n'en demeure pas moins que sa démonstration est assez impressionnante.

a — Dans le premier cas, il distingue deux groupes de pièces clairement organisées par l'opposition du privé et du public, selon quatre modalités différentes tenant souvent à la position des W.-C., côté privé ou côté public ; à l'existence de pièces supplémentaires (salle-à-manger ou salle de jeu ; à la présence de liaisons par portes supplémentaires (cuisine-séjour ou chambre-séjour) ; une entrée et un dégagement assurent à la fois l'indépendance des pièces et l'opposition privé/public dans ces plans organisés sur un seul niveau, qui représentent la moitié des graphes proposés par les architectes. Une autre modalité fait apparaître la même organisation mais en duplex (la différence de niveau correspond à l'opposition public/privé et l'accentue). La troisième modalité présente, outre les caractéristiques de la première, une liaison par cloisons partielles, soit entre cuisine et séjour, soit entre chambre et séjour, soit les deux à la fois ; ce qui souvent affaiblit la protection de l'espace privé. La dernière variante est semblable à la première si ce n'est que l'indépendance des pièces est perdue, le séjour commandant la totalité ou une partie des autres pièces...

 

b — Dans le deuxième cas, cette opposition existe mais ne possède plus exactement le même sens, l'espace public y étant dominant. Il s'agit dans ce cas de graphes où l'opposition public/privé est parfaitement repérable, mais où l'une des chambres est entièrement annexée par l'espace public au bénéfice de celui-ci et au détriment de l'usage habituel d'une chambre.

 

c — Dans le troisième cas, le caractère privé/public apparaît sans qu'il y ait création des deux groupes de pièces précédents, mais il est obtenu en adjoignant une salle-de-bains à chaque chambre (à Paris seulement).

 

d — Dans le dernier cas, « il n'est plus possible d'analyser les graphes en termes d'espace privé et d'espace public », qu'il s'agisse soit d'une indifférenciation, soit d'une différenciation en deux sous-ensembles qui n'ont plus de sens l'un par rapport à l'autre, soit d'un affaiblissement très important de l'espace privé.

 Routon soutient essentiellement que le « type architectural » lui paraît être un concept qui rend compte d'une partie de la pratique architecturale actuelle (les catégories sociales les plus riches se voient effectivement concevoir et réaliser des logements collectifs très « typés ») ; pour l'essentiel cependant, le travail architectural s'épuise dans la conception d'une variété, à destination de différentes strates sociales, qui n'aboutit à aucune configuration claire dans son dessein à cause de la société ; et il conclut que son travail confirme l'idée selon laquelle la représentation sociale des groupes sociaux réels ne coïncide pas avec ces groupes sociaux. On reconnaît dans ce travail l'influence sociologique de l'école de Bourdieu, et on mesurera le chemin parcouru dans la sociologie du logement en comparant ce travail de 1970 à celui de l'ABAC en 1986, ayant trait à l'analyse des plans personnalisés issus des opérations de participation (68). Cette étude, certes instructive par ailleurs en ce qui concerne la participation, nous confirme dans la difficulté à saisir la notion de personnalisation. Les auteurs voient bien la difficulté de proposer des typologies en dehors d'une approche quantitative ; ils renoncent même à comparer les plans de leurs différentes opérations de façon détaillée.

C'est le vécu, largement subjectif, de l'usage quotidien des espaces par leurs habitants qui semble le critère implicite de la « personnalisation » réussie décrite dans ce texte. Nous pourrions adhérer à cette définition et dire simplement qu'un logement personnalisé est simplement celui reconnu comme tel par son usager. Cependant ce subjectivisme fait disparaître de notre horizon l'espace des logements eux-mêmes. Il faut donc à la fois tenir compte du vécu subjectif des habitants dont certains, « minimalistes », seront déjà enclins à déclarer personnalisé un logement sur lequel ils auront simplement collé des papiers peints de leur choix, et d'autres, « maximalistes », ne seront jamais satisfaits même logés sur-mesure par Frank Lloyd Wright ou Le Corbusier en personne, et tenir compte aussi des différences réelles entre les caractéristiques des logements.

Les architectes avec lesquels nous avons discuté sont enclins à trancher la difficulté par l'examen des plans et par les agencements de distribution comme marqueurs de différence, à leurs yeux décisifs. Ils ne sont pas étonnés d'apprendre que dans le logement social il n'y aurait en définitive que quatre types de plans. Certains prétendent que la pratique se serait encore appauvrie de ce point de vue et qu'actuellement il n'y en aurait plus que deux, les plans Jour/Nuit et les plans Parents/Enfants. Nous avons essayé de retracer ces deux groupes sur une vingtaine de logements, à Montereau, Chambéry et Évry. Les plans ne se distribuent pas de la même façon selon les opérations. Les deux catégories sont à peu près équilibrées pour Montereau, mais à Chambéry le type Jour/Nuit domine, tandis qu'à Évry tous les plans sont du type Parents/Enfants. Nous ne savons pas à quoi correspondent ces différences, mais nous subodorons que comme l'a écrit Woolley au sujet du résultat architectural des opérations participatives, « la main de l'architecte y est clairement reconnaissable » (69). Cette rapide vérification montre en tous cas que la distinction faite par les architectes existe réellement, et qu'ils ont des préférences marquées parfois pour l'une ou l'autre formule, même malgré la concertation avec les habitants.

On n'échappe pas à l'impression que si des maîtres d'ouvrage (et les employés qui en reproduisent le discours) critiquent les habitants de logements personnalisés, ils visent d'abord à travers eux la créativité des architectes, qui s'exprimant dans le logement social, aboutit à des solutions dont l'originalité, pour être maintenue dans la durée, nécessiterait d'être accompagnée de modifications et rajustements des pratiques bureaucratiques des organismes gestionnaires. On conçoit qu'une certaine agressivité soit fondée, de la part des maîtres d'ouvrage, à l'encontre de personnages qui « créent », dont la création est un instant (l'inauguration) saluée socialement, et produit quelques retombées locales gratifiantes pour les réalisateurs, puis s'en vont créer ailleurs en laissant le gestionnaire se débrouiller, parfois jusqu'à sa retraite, avec les implications bureaucratiquement insolites de sa création. Le reproche entendu plusieurs fois dans la bouche de gestionnaires, dont ceux de la puissante Union des HLM, contre les architectes et la diversification du logement social que ceux-ci souhaitent pour la plupart, est bien celui d'avoir, eux, à assurer « la durée ». Cette durée, qui tend à annexer les notions de compétence, expérience, responsabilité, etc. s'oppose (en schématisant à peine) à la créativité des concepteurs.

Cependant, lors de notre travail sur l'opération participative à Vauréal (70), une table-ronde des architectes a abordé spontanément le problème qui nous occupe aujourd'hui, et où ils se montraient préoccupés des difficultés créées au maître d'ouvrage par certaines cellules de logements (trop fortement personnalisées à leurs propres yeux !) :

« Il y a quelque chose d'extrêmement important, il y a des gens qui ont fait des plans, que nous avons entérinés, et que le maître d'ouvrage a entériné aussi sans tenir compte de l'usage ultérieur dans le cas où les locataires partiraient. Or, si on prend ce locataire : il s'est fait une pièce en étage en mezzanine qui a exactement la surface d'une chambre totalement éclairée, accessible, une chambre à part entière et, du fait qu'il a voulu absolument sa mezzanine, il l'a transformée en espace inutilisable comme chambre, c'est-à-dire qu'il a une surface de cinq pièces dans laquelle il n'a fait que quatre pièces et qui ne pourront rester à terme que quatre pièces pour un loyer de cinq pièces, ce qui pose un énorme problème de location pour le maître d'ouvrage. Et ça, je crois qu'il faut quand même reconnaître le point de vue du maître d'ouvrage ; c'est que, dans le logement social, il ne veut absolument jamais être contraint au niveau des surfaces, au niveau des types de plans. Et il y a plusieurs cas comme ça de gens qui ont fait des choix d'aménagement qui sont contraignants à cause d'un aménagement ultérieur. Je ne pense pas qu'il y ait des difficultés pour des gens à habiter la maison ultérieurement, mais je pense que, à cause de la surface, donc par rapport au coût du loyer, il y a un problème de nombre de pièces qui risque de se poser. Certains ont un 4-pièces qui est l'équivalent d'un 6-pièces. Il est évident que, pour le maître d'ouvrage qui a du mal à louer ses 6-pièces, il aura d'autant plus de mal à louer un 6-pièces qui n'en a que quatre. »

 

On peut se poser la question d'une intériorisation éventuelle par les architectes des angoisses manifestées par les maîtres d'ouvrages, ici plus particulièrement quant aux problèmes de surfaces corrigées, et s'en étonner dans le cas précisément d'architectes pratiquant la participation et ayant été à même de constater la reprise extrêmement facile de cellules, assez déviantes par rapport aux stéréotypes, par des nouveaux arrivants à leur atelier participatif. Ce bref passage donne l'impression d'architectes ne sachant comment transmettre à un maître d'ouvrage, pourtant très favorable à la personnalisation des logements, leur expérience de la facilité de la reprise de ces logements, justement du fait de la déviance de leurs cellules. L'attitude admirative de ces architectes devant la largesse d'esprit dont fait preuve leur maître d'ouvrage semble tenir en grande partie au caractère exceptionnel de celui-ci, qu'en effet une rapide enquête auprès d'une douzaine de maîtres d'ouvrage à travers la France a largement confirmé.

Qu'en est-il cinq ans plus tard ? Tous les locataires « pionniers » sont partis, certains ailleurs en France pour des raisons professionnelles, mais d'autres pour un logement en accession à la propriété : dans l'état actuel des idées sur la propriété ou la location de son logement, il semblerait qu'un travail sur la conception architecturale débouche souvent sur le désir d'être propriétaire. Le point important pour nous ici, et pour le maître d'ouvrage, est cependant que tous les logements ainsi libérés ont trouvé repreneur sans le moindre problème. Ces résultats sont à comparer avec ceux, à Vienne, de l'immeuble flexible de l'architecte Ottokar Uhl (71), au sujet duquel on peut lire : « L'expérience est positive et les locataires globalement satisfaits. Ils étaient ravis de participer à l'adaptation des appartements à leurs besoins. Aucun locataire n'a trop personnalisé son logement, qui pourra par la suite être reloué ».


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 







 

65 — Periáñez, Manuel, 1986,
« Quelques perspectives d'interprétation psychanalytique sur la relation entre architecte et client »,
in : Conan, Michel, 1986,

Suivi de processus de conception expérimentale : analyse de la conception architecturale à l'œuvre dans des expériences entre des habitants et des architectes, CSTB.

66 — Lassus, Bernard, 1974,
« De plus à moins »,

Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°9, Gallimard.

 

 

 













 

 

67 — Routon, Michel, 1978 :
La métamorphose architecturale
- le cas de l'habitat collectif,

Thèse pour le Doctorat de 3e Cycle
dir.Henri Raymond,
Université de Paris X Nanterre.

































 

 

 

 

68 — ABAC, 1984,

Étude sur les spécificités des logements

élaborés avec les habitants, Plan Construction et Architecture.

 

 














 

 

69 — Woolley, Thomas,

exposé de son livre

par Michel Conan, op. cit.

 

 

 

 

 







 

 

 

70 — Periáñez Manuel, 1986,

L'expérience de Vauréal

(la dynamique des acteurs dans une REX de participation des habitants à la conception de leur futur logement), CSTB.

 






























 

 

71 — L'Architecture d'aujourd'hui,

n°220, avril 1982, p.66.

http://mpzga.free.fr/habevol/ENFER_PURGATOIRE_PARADIS.jpg



 

Outre la qualité des équipes et leur état d'esprit, ceci nous fait toucher du doigt une deuxième difficulté (et nous prenons sur nous ce qui peut sembler un procès d'intention, et qui n'est en fait qu'une interprétation du discours dans lequel cela ne risque pas d'être énoncé aussi clairement) : le fait que la personnalisation du logement est considérée comme un privilège de propriétaire, et même de rang élevé au plan des symboles de standing : elle ferait entrer dans le cercle de ceux qui peuvent se permettre de « faire construire », rêve toujours puissant dans les imaginaires de la petite bourgeoisie surtout provinciale et qui semble traverser les familles des idéologies politiques (le PCF a bien, lui aussi, fini par faire construire, par Oscar Niemeyer...).

Nous soupçonnons que ce rêve ou fantasme de « faire construire » va plus loin qu'il n'y paraît, mais on peut déjà poser qu'une imagerie largement partagée veut qu'on ne fasse construire quelque chose de « personnel » que pour signer sa « réussite », autre notion-piège qu'on nous pardonnera de contourner prudemment ici, mais dont peut se remarquer le chassé-croisé verbal entre le « personnel » et le « social » : la réussite se fait pardonner d'être trop personnelle en se disant « réussite sociale ». Cet imaginaire social semble, ainsi, secrètement se scandaliser que l'on personnalise les logements de gens dont la classe sociale ou la situation actuelle ne dénote en rien une réussite, mais plutôt un échec attesté par l'aide sociale dont ils bénéficient de la part de l'État, et ceci même si « l'échec » se trouve concerner une vaste majorité de la population, car l'imaginaire ne s'arrête pas à des détails concernant la réalité objective et mesurable.



Le rejet massif par les maîtres d'ouvrages de toute pratique de conception architecturale pouvant déboucher pour eux sur le fait d'avoir à gérer un parc de logements sociaux fortement diversifiés, qu'ils rationalisent en termes de calculs accrus de surface corrigée, de loyer, ainsi que de différences au plan technique et donc de coût, cacherait alors surtout le délicat problème humain de l'attribution de logements exceptionnels à tel ou tel candidat, qui ne le mérite pas à leurs yeux. Nous avons cependant vu, malgré des différences souvent importantes entre maîtres d'ouvrages, apparaître un point commun. Tous, signe des temps sans doute, déclarent posséder dans leur patrimoine sinon même favoriser la personnalisation des logements. Ce n'est qu'en leur faisant préciser le type de personnalisation auquel ils se réfèrent qu'il apparaît souvent que celle-ci est limitée et ressortant à celle que nous avons appelé « fausse personnalisation ».

Ainsi, fin 1986, dans un OPAC de Normandie, on nous a déclaré que presque tous les logements (un bon millier) étaient personnalisés, et ne posaient jamais le moindre problème de reprise. Une visite sur place s'imposait ; or il s'avéra que cette « personnalisation » concernait essentiellement la liberté offerte par l'OPAC aux locataires après le délai réglementaire de l'usure locative normale, de changer à ses frais les papiers peints et, à cette occasion, de les choisir à leur goût.

 

À la question, si quelques locataires très anciens, se considérant occupants définitifs après 15 ou 20 ans, n'avaient pas fini par transformer radicalement leur logement, l'OPAC nous répondit que jamais aucun logement n'avait été structurellement modifié, que nous étions chez eux dans une zone rurale où le type de logement possédait une grande cohérence avec le mode de vie, et qu'à part des portes démontées et remisées à la cave et des travaux de plomberie, il n'y avait rien à signaler, ce qui expliquait la facilité de la reprise des logements.



À L'OPHLM de Mâcon on qualifia d'épiphénomène ces problèmes de personnalisation, qui ne concerneraient que moins de 1% du parc dans le cas des transformations spontanées. Il y a eu des modifications de structure en termes de séparation de pièces, de décoration importante (boiserie, etc.) généralement de la part des couches sociales plus élevées qui osent plus facilement s'approprier les lieux. Généralement, la reprise se passe bien car ces décorations ou transformations ne sont pas « déviantes » et conviennent donc à l'un ou l'autre des candidats ultérieurs. Dans un ou deux cas seulement il y a eu des remises à neuf onéreuses, l'appropriation ayant consisté en des fresques murales, des décorations « excessives » et des peintures trop vives ou trop « originales » (plafond noir). Dans tous ces cas la remise en état s'est effectuée aux frais du locataire par la retenue au Dépôt de Garantie. Mais l'Office tient à préciser qu'il s'agit là de pratiques « de niveau anecdotique ».

 

En Berry-Sologne on minimise également l'importance du problème ; mais s'y est posé le cas de dix logements d'artistes où les décorations en tous genres n'ont jamais posé de problèmes de reprise « compte tenu de la particularité de la population concernée », nous a-t-on dit. Mais à y bien réfléchir, s'il y avait une sous-population dont on pouvait redouter une intolérance rigide envers des décorations apportées par un locataire précédant, ce seraient bien des artistes plasticiens dont on imagine volontiers que le style personnel ne souffre pas la concurrence visuelle des productions de la créativité d'autrui. Or c'est ici encore le contraire qui est vrai, ce qui fait penser que la tolérance envers l'originalité d'autrui, voire même une appétence envers l'autre-créatif, est plus forte et d'autant plus aisée que sa créativité propre est bien portée dans l'existence.



 

La SEMISO de Saint-Ouen nous a expliqué pourquoi elle ne favorisait pas la personnalisation : la réfection d'un logement coûte en moyenne de dix à quinze mille francs, or cet organisme ne pourrait pas faire face à la réfection d'une centaine de logements par an, qui selon elle serait à l'ordre du jour si elle favorisait cette pratique : cette opinion témoigne d'une connaissance de la demande d'adaptabilité des logements nettement plus lucide qu'ailleurs. Ce ne sera pas un hasard que peu de temps après ce soit cet organisme qui réalisera la REX sans doute la plus significative de ces dernières décennies, avec l'équipe Nouvel, Soria et Lézenès (REX de logements de très grande surface, dont les plans des 50 logements seront tous différents). Ponctuellement la SEMISO fait face à la personnalisation, le problème ne se pose que si « on généralisait cette pratique », car la gestion se fait au jour le jour, contrairement à la conception qui ne se fait qu'une seule fois. Et il y aurait, de ce fait, « une incompatibilité méconnue entre l'architecture et la gestion ».

 

Dans un OPAC de la région Rhône-Alpes qui est confronté beaucoup plus souvent à des logements réellement personnalisés, on se déclare hostile à la formule locative pour les logements participatifs. En effet, les accédants changent beaucoup moins souvent, et la rotation élevée des locataires pose à chaque fois des problèmes, non pas de réfection, mais d'attribution, devant lesquels cet OPAC reste perplexe. « Pour l'attribution, le mieux, c'est le logement classique », nous déclara un responsable de l'attribution des logements à l'OPAC, après avoir passé en revue les cas personnels des différentes familles auprès desquelles il a dû jouer un rôle se rapprochant plus de celui d'une assistante sociale que de celui d'un cadre administratif. Il semblerait donc que c'est la remontée de la personnalisation au niveau administratif qui est ici vécue comme une perte de l'identité professionnelle, ou d'un certain pouvoir. En outre, à ce même OPAC on nous a déclaré que le logement classique « permettait de tirer des loyers plus raisonnables à cause des moindres différences entre les logements », sans pouvoir nous expliquer plus avant le lien entre ces deux phénomènes.




Enquête auprès de locataires repreneurs de logements personnalisés



Après les responsables, les usagers. Les entretiens auxquels nous avons pu procéder avec des habitants ayant repris un logement personnalisé par ou pour un occupant précédant ont posé un problème inattendu. Ces habitants ne comprenaient pas la question principale : s'ils avaient éprouvé des difficultés, de quelque nature que ce soit, pour se décider à louer leur logement actuel. En substance, ils répondaient que s'ils étaient là, c'était bien parce que le logement leur avait globalement convenu... Ce que chaque famille mettait derrière ce « globalement » était à chaque fois différent, et il faudrait, pour bien faire, procéder à des entretiens systématiques non seulement avec tous les autres membres d'une famille, séparément, mais ensuite en sous-groupe par génération, et enfin en tant que famille entière. Un travail aussi fondamental n'a jamais été entrepris, mais il est clair désormais, depuis les travaux des systémiciens et des thérapeutes du couple et de la famille, que la relation famille-habitat n'est décrite que d'une façon tronquée par un entretien auprès d'un seul de ses membres.

Pour ceux qui ont eu le choix entre différents logements personnalisés, le problème ressemble beaucoup à celui de la location de tout logement par la filière des agences immobilières. Souvent ce sont des facteurs externes aux logements eux-mêmes qui s'avèrent décisifs, mais quand le choix se posait entre logements personnalisés et standard, le logement personnalisé exerce un attrait supplémentaire par « son caractère ». Le « caractère » semble l'appellation populaire de la différence entre logements personnalisés et banaux, et qu'il a pour lui de marquer une différence qui reste lisible, de proposer une façon de vivre l'espace-logement qui, tout en allant souvent à l'encontre de ce que les gens cherchent, a pour effet remarquable de les séduire, au moins au plan imaginaire : et si on essayait de vivre « comme ça », pour une fois, semblent-il se dire.

Évidemment, pour en savoir plus il aurait fallu trouver un certain nombre de gens ayant refusé des logements personnalisés ou « de caractère », et choisi des logements standard, neutres et anonymes. Ces cas doivent bien exister, mais je n'en ai pas trouvé. Il me fallait donc trouver un informateur privilégié sur ce problème, quelqu'un posté à un endroit stratégique lui permettant de voir un grand nombre de personnes réagir en situation à des propositions de relocation de logements personnalisés, et lui demander ce qui provoquait les refus comme les acceptations de ces logements. La gardienne de l'immeuble expérimental de Montereau-Surville devenait d'un seul coup un personnage précieux puisqu'elle est sur place depuis le début de cette expérience et qu'elle a fait visiter ces logements, aux plans souvent « tarabiscotés », à des centaines de candidats à la relocation. L'essentiel de son témoignage, qui s'oppose presque point par point à celui des OPAC, est que ces logements (beaucoup plus personnalisés que ceux dont il était question dans les OPAC), ne posent aucun problème lié à leur caractère assez insolite, mais seulement à cause de l'état des lieux, plus banalement.

Nous avions déjà signalé l'intérêt de revisiter l'opération de Montereau. En effet, les cellules de Montereau datant du début de la doctrine de la flexibilité des logements, avaient été conçues très librement et nous paraissaient posséder un haut degré de personnalisation (même si leur examen dans les catégories de Routon les fait apparaître comme assez homogènes). Le fait intéressant intervenu depuis nous avait été signalé par l'OPHLM de Montereau, à savoir le fort niveau de rotation de ces locations, les occupants changeant en moyenne tous les deux ans. Cette rotation rapide n'est pas due aux logements eux-mêmes, mais aux conditions sociologiques particulières de la ZUP de Montereau. Or, la reprise de ces logements s'effectue très facilement selon ce qui nous a été confirmé aussi bien par le directeur de l'Office que par la gardienne de l'immeuble (les deux sont présents depuis le début de l'expérience en 1969).

À l'époque le caractère expérimental de l'immeuble de Montereau l'avait rapidement singularisé dans la ZUP comme étant « l'immeuble des riches ». Ceci était dû à sa situation isolée et favorisée sur le plateau de Surville dominant Montereau avec sa vue panoramique sur le confluent de la Marne et de l'Yonne. La ZUP de Surville avait été conçue pour y loger la main-d’œuvre employée dans la zone industrielle projetée, mais dont la réalisation a longtemps été repoussée. De ce fait la ZUP a longtemps été habitée par une population largement composée de chômeurs, de cas sociaux, d'immigrés et de travailleurs épuisés par des déplacements de longue distance. Dans ce contexte, on comprend mieux que l'immeuble, malgré sa banalité apparente, ait pu paraître y symboliser le sort enviable des classes moyennes-supérieures. Celles-ci cependant ne l'entendaient sans doute pas de la même oreille, puisqu'elles n'ont eu de cesse de déserter cet immeuble pour l'achat de pavillons classiques. L'OPHLM a fini par déclasser l'immeuble qui est repassé en HLM alors qu'au départ c'était un ILN. L'image de l'immeuble a donc changé, et elle est maintenant dominée par l'implantation aux deux premiers niveaux d'un centre de postcure pour handicapés en fauteuil roulant. La flexibilité de cette réalisation a donc permis la réalisation de logements adaptés aux besoins des handicapés, et crée une symbiose de fait entre des habitants handicapés physiques et des personnes valides. Les relations entre ces deux catégories semblent excellentes, autant que nous ayons pu voir ; locataires valides et handicapés se fréquentent couramment, les premiers ayant souvent recours aux seconds pour les menus services domestiques autrefois traditionnellement dévolus aux personnes âgées de la maisonnée (garde d'enfants, etc.). Un des architectes du projet, M. Marchal, a réalisé son atelier sur place mais la flexibilité de l'immeuble a été abandonnée. Si autrefois les locataires modifiaient les cellules à leurs frais, maintenant l'OPHLM n'est plus d'accord pour modifier quoi que ce soit. C'est ceci qui est précisément intéressant, puisque la relocation se fait par l'acceptation totale de la déviance des plans préexistants, devenus intouchables alors que leur « caractère » : est manifestement celui d'une adaptabilité très aisée pour un bricoleur moyen. D'après l'OPHLM le système de flexibilité des cloisons est trop cher, et serait à peine couvert par le loyer dans le cas de modifications fréquentes. D'autre part, l'adaptation du logement s'y fait désormais par le choix accru entre cinq ou six appartements en moyenne toujours vacants, conséquence des rotations rapides déjà mentionnées. Il est remarquable que le bricolage de ces cloisons, techniquement très facile, ne soit pas observé à Montereau : ceci est expliqué par l'OPHLM par le niveau social plus élevé de l'immeuble dont les locataires seraient des non-bricoleurs. Et même, ajouterons-nous, une catégorie encore moins portée aux travaux manuels, celle en provenance des HLM environnants.

Ailleurs, dans Surville, peuplé à 60% d'OS, le bricolage des logements est tout aussi peu fréquent. Il y a bien des gens qui demandent des changements, mais jamais de changements structurels. Ici aussi les rares cas d'incidents lors de la reprise des logements concernent des décorations inacceptables aux yeux des repreneurs, tels des radiateurs bleu-blanc-rouges, des plafonds repeints avec des couleurs trop foncées, etc. L'aspect décoration de la « personnalisation » est ici aussi mis en avant, On estime que du moment que des papiers peints et de la moquette posés par l'occupant précédent sont excellent état, le logement trouve très facilement un repreneur. Ceci pourrait bien être le facteur décisif de l'arrêt de l'expérience de Montereau, puisque les cloisons mobiles de l'immeuble expérimental, ayant toutes ou presque été tapissées par les locataires, la restructuration des espaces des logements oblige à refaire la tapisserie. En outre, le problème de prises électriques est un aspect important dans le coût final de ces restructurations. L'immeuble est conventionné et maintenant soumis à la législation du logement social, ce qui alourdit la gestion de tout nouveau changement éventuel. L’OPHLM estime que le problème à Montereau est d'y mettre des gens qui « ont appris à habiter », car une famille suffit pour altérer la bonne tenue d'un immeuble. Nous avons entendu exactement la même chose à l'OPAC de Chambéry. Le loyer moyen actuel à Montereau est de F. 2000,00 plus F. 660,00 de charges, chauffage compris. Toutes les cellules étant de 83 m², on voit à Montereau de façon exemplaire l'incidence de la surface corrigée sur les loyers, puisque selon le plan de cellule, le calcul de la surface corrigée fait varier les loyers entre 1964,00 F et 2080,00 F.

Contrairement au reste de Surville où un certain taux de criminalité a parfois conduit à des incendies, l'immeuble lui-même n'a jamais connu le moindre incident de vandalisme. Malgré son caractère HLM il semble que son image du début perdure pourtant puisque malgré sa localisation exceptionnellement panoramique (pour la moitié des logements), la population ne demande pas spécialement à y être logée, comme s'il était toujours réservé à une certaine catégorie sociale.

Nous avons donc longuement fait parler la gardienne sur l'histoire de « son » immeuble depuis quinze ans, et revisité avec elle les logements paraissant les plus originaux à l'époque. Ceux-ci n'ont été que très peu modifiés pendant les premières années ou cela était encore institutionnellement licite, et pas du tout par la suite. La visite n'a montré que des changements de détail, notamment des cloisons libres, faisant office de paravent entre des séjours et des coins-bureau, ont souvent été supprimés (cf. illustration). Les plans d'origine restent donc valables à peu de chose près. Cet entretien se révèle une mine de renseignements peu souvent entendus ailleurs. Elle parle d'abord des réactions des nouveaux locataires lors des visites des appartements personnels, qui ne posent pas d'autre problème que l'état des lieux ; rapidement, elle évoque les premiers locataires, dont elle regrette le départ : ils avaient de « grosses situations » ; les appartements n'étant pas à vendre, ils ont fait construire (même ceux qui avaient loué des appartements doubles de 166 m²). Les plans évolutifs avaient permis, selon elle, de fixer cette population en lui permettant de transformer, après achat, les appartements simples en grands appartements bourgeois, et son discours donne l'impression qu'elle pense que ces grands appartements pouvaient l'emporter sur des maisons individuelles, par le maintien de la qualité de la vie collective du début de l'expérience que la fixation de cette classe sociale avait permis. Souvent, on lui a demandé si les logements étaient à louer ou à vendre, et elle va franchement dans le sens de l'accession : la décadence de l'immeuble serait imputable à son statut locatif, peut-on lui faire dire en forçant à peine son propos.

Très remarquable est sa défense et illustration de la convivialité entre les familles plus aisées des débuts, en affirmant que, contrairement aux « ouvriers » maintenant logés dans l'immeuble, les « docteurs » des débuts, eux, ne craignent pas de mettre la main à l'ouvrage et de bricoler eux-mêmes leurs cloisons à vérins pour modifier leur appartement. Comme souvent, rappelons-nous Th. Veblen, ce sont donc les classes aisées qui prennent plaisir aux innovations, mais on ne le savait pas encore pour cette forme de loisir que serait, pour certains tout au moins, la recherche maintenue dans le temps des différentes configurations spatiales d'une même cellule (sans changer d'immeuble). La concierge évoque ensuite, nostalgiquement, les fêtes dans le local du toit de l'immeuble, et la simplicité des gens de qualité, dans cette convivialité sur laquelle elle se méprend peut-être : n'aurait-ce pas été une façon, pour des « bourgeois », de se montrer « populaires », de « jouer aux HLM » ? force est de constater que l'appartenance sociale ici encore est déterminante avant l'architecture, puisque ladite convivialité disparaît dès qu'on loge dans le même immeuble des classes sociales ayant, semble-t-il, perdu ce sens populaire de la fête qu'on leur prête volontiers. C'est maintenant « chacun pour soi », surtout parce que les femmes travaillent, et les efforts de la concierge pour redonner vie à la convivialité échouent régulièrement. Quant aux architectes, qu'elle voit passer parfois, elle se pose la question si des femmes ne devraient pas être associées à la conception des logements...

L'investissement personnel de cette gardienne dans la vie de l'immeuble, et ses efforts pour qu'il reste vivant nous ont fait repenser à une proposition qu'avait faite l'architecte Amedeo pour les immeubles adaptables. Il pensait que de tels immeubles devaient être cogérés à la base par un nouveau type de gardien, qui aurait participé à la phase de conception (par exemple en tant qu'ouvrier du chantier) et qui, logé sur place et disposant d'un petit stock de cloisons et éléments du système constructif, serait à même d'assurer au coup par coup les modifications souhaitées par les habitants : un gardien-architecte d'exécution implanté à demeure. Cela paraissait un peu farfelu ; la gardienne de Montereau semble prouver qu'elle a, par son tempérament, spontanément rempli ce rôle. Il ne lui a manqué que des cloisons.



MP. C'est vous qui faites visiter, pour les relocations. Vous avez vu leurs réactions ? Comment ils réagissent les gens quand ils voient ces plans-là, parce qu'il y en a de très bizarres...

C. Eh oui, ça m'est arrivé d'avoir des logements disons qui n'étaient pas très nets si vous voulez, et euh, et les gens ne les prenaient pas à cause de ça. Ah bien oui, mais vous comprenez s'il faut encore qu'on engage des frais., On fait des réponses comme ça.

MP. D'accord. Parce que ce n’était pas net.

C. Parce que c'était pas net, ils trouvaient que le papier était défraîchi, alors bon, moi je dis, vous mettez ce que vous voulez. Parce que refaire... Vous savez j'essaie d'aider, de dire ben oui mais si on vous le refait, heu il y a des gens que ça ne leur plaît pas. Ils préfèrent le prendre tel et puis faire comme ils veulent.

MP. Ce n’est pas tellement par rapport aux plans ?

C. Ah non, le plan non, ils discutent pas trop là-dessus, C'est, ou les papiers plaisent pas, ou ils les trouvent un peu défraîchis, sans qu'ils soient déchirés, mais qu'ils ne les trouvent pas à leur goût ben je dis oui, ben oui mais les HLM devraient le refaire. Ben je dis oui, mais si on vous le refait, il est quand même habitable comme ça, si on vous le refait ça va peut-être pas vous plaire non plus.

MP. Est-ce qu'il y a eu des gens qui sont partis après avoir bien redécoré tout, après avoir bien tout refait, à ce moment-là...

C. Ah oui, c'est arrivé parce que quelquefois il y a des gens qui sont mutés d'un seul coup et puis qu'ils ont refait leur appartement. Alors les gens mutés d'un seul coup et qui avaient bien refait leur appartement, les suivants ils les reprennent facilement, là il n'y a pas à discuter. Là c'est tout de suite. Là c'est automatique.

MP. Est-ce qu'il y a des gens qui sont là depuis longtemps ?

C. Oui, depuis plusieurs années par exemple. Mais on a quand même que du passage maintenant. Alors que si, au départ, il y avait eu promesse de vente, par exemple pour dans dix ans, moi j'ai mes premiers locataires qui achetaient officiellement deux appartements d'un coup, parce que c'étaient les gens à grosse situation, ils auraient acheté deux appartements tout de suite. Alors comme ici c'était pas à vendre, ben ces gens-là ils sont partis, ils ont construit, ou ils ont été mutés ailleurs. Et moi j'ai au moins cinq locataires en premier qui auraient acheté deux appartements tout de suite, dont les personnes dont on a visité tout-à-l ‘heure. Ils seraient restés. Alors qu'ils ont tous construit, il y en a même un qui est parti à Nantes. Parce que c'était pas à vendre. Parce que même pour dans dix ans, ils seraient restés, ils seraient restés.


Remarques sur la gestion et la relocation



Comme on a pu le voir ci-dessus, l'opinion dominante des maîtres d'ouvrage est que ce problème n'est qu'extrêmement marginal dans l'ensemble de leurs préoccupations. Le nombre de logements personnalisés locatifs à l'heure actuelle dans l'ensemble du parc serait inférieur à 1% ; de tels logements sont beaucoup plus nombreux en accession et dans ce cas de figure ne leur posent aucun problème particulier, de gestion notamment. Enfin, les quelques rares originaux qui modifient profondément un logement locatif ne le quittent, et pour cause, qu'exceptionnellement. Cette opinion, assez unanime chez les maîtres d'ouvrage et dont l'entretien avec un responsable d'OPAC de la Région Rhône-Alpes nous a paru symptomatique, est tout à fait contradictoire avec l'ensemble des témoignages des habitants que nous avons visités, et cette opposition est si flagrante que nous en avons reproduit un certain nombre pour vous laisser juger sur pièces.

 

Si les opinions des habitants peuvent ne représenter qu'une photographie de leur état d'esprit actuel, on ne peut en dire autant du témoignage de la concierge de Montereau qui fait visiter des plans personnalisés depuis quinze ans. En effet, les plans très déviants de ces appartements n'ont jamais posé de problèmes pour leur relocation et semblent même avoir été recherchés parfois contre la logique des besoins des familles candidates. La fidèle concierge de cet immeuble n'en démord pas : du moment qu'un tel logement est « propre », il se reloue quel qu’en soit le plan de cellule, à des détails mineurs près.

Contrairement à la perception qu'en ont les maîtres d'ouvrage, la personnalisation du logement semble donc être perçue par le public comme une plus grande attention envers l'usager en général, avant d'être évaluée selon ses besoins propres, et sa reprise en est facilitée déjà par ce simple fait.

Cette constatation surprenante d'une facile reprise de logements, pourtant en principe non-adaptés aux désirs d'une famille puisque conçus sur mesure pour une autre, ouvre alors sur la question de savoir ce qu'est un logement « personnalisé », question dont nous avons essayé de poser les termes les plus évidents dans notre chapitre 2, pour aboutir à la définition subjectiviste qu'un logement personnalisé est un logement perçu comme tel. Mais cette définition n'est utilisable qu'en tenant soigneusement compte des caractéristiques spatiales des logements.

Par ailleurs, on peut soupçonner que le degré d'originalité attribuée aux espaces, qu'ils soient conçus en concertation avec une famille ou par la volonté d'un architecte « fort », se laisserait analyser davantage chez les repreneurs, en termes de vie quotidienne modulée par le schéma des articulations des pièces entre elles (les circulations, les pièces commandées), que par les aspects proprement architecturaux auxquels sont surtout sensibles les acteurs du processus de conception, ou par les décorations apportées par l'occupant précédant.

 

Des résultats très proches s'observent à Orsay, dans l'opération décrite par Chaplain, Malet et Vachera (72). Sur les 80 familles de cette opération (Quartier des Planches) 15 seulement proviennent de l'atelier participatif.

Or les auteurs concluent à un « jugement global très positif de la part des habitants sur leur logement et sur le quartier dans son ensemble. Le jugement vaut pour ceux qui ont participé à l'atelier de travail comme pour les autres. Mais il y a une déception des premiers en raison de la disparition de la dynamique collective. »

Ces résultats sont identiques à ceux que nous avons vu à Vauréal (73). Ces habitants satisfaits, poursuit le rapport, le sont par des logements qu'ils jugent comme possédant :

  • une grande surface ;
  • une orientation si possible double avec ouverture au Sud et si possible au moins une vue dégagée ;
  • une distribution du logement assez ouverte et plus complexe ;
  • l'apparition d'une pièce subsidiaire.


Comme l'explique Lucien Kroll à propos de la participation (74) :


 

 

 

 

 

 

 

 

 












 

 

 

 

 

 

 

 

72 — Chaplain, J.M., Malet, H., Vacher, 1985,

Adéquation entre conception et usage de l'habitat, BETURE/SESAME.

 

73 — Periáñez Manuel, 1986, op. cit.

 



 

 

74 — Kroll, Lucien, 1984,

« L’organique est plus fertile que le calculé »

in Revue H, n°93, février :

Histoires de participer.

« Qu'y gagner comme architecte ? Se coller à une réalité sensible, taire nos envies de tout déterminer seuls. Coproduire l'image du réseau plus vivant, échapper à l'architecture machiniste sans recourir aux travestis du XVIIIe siècle ou aux ennuyeuses ingénieries narcissiques ou un peu mussoliniennes. Dans ce sens, lorsqu’apparaît le nain en plâtre ou le pneu découpé, c'est un signe de meilleure santé que le vide de grands ensembles inertes. Ceci nous a été reproché par des puristes qui exigent (des autres, car eux-mêmes n'essayent aucune participation) que ce soient les vrais participants du début qui se retrouvent en fin d'opération : nous l'avions cru également autrefois. Mais lorsque les maisons les plus personnalisées se revendaient les premières (‘des chameaux’, disait le promoteur, qui exigeait que nous les remplacions par des “modèles’), nous avons vu que la ville se transformait déjà par ses habitants successifs, souvent avant même d'avoir été bâtie, et que cette dimension en faisait une texture plus collective qu'un assemblage de préférences personnelles. Les vieilles villes ont toujours été conçues par des défunts. »




Les aspects juridiques : obstacles réglementaires et propositions



par Élisabeth Coudurier et Jean-Jacques Lyon-Caen



 

La présente note a pour objet de dégager des directives pour rendre possible des opérations de logements agrandissables en programme locatif et collectif. Elle s'appuie sur l'analyse des REX de Belfort (82 logements PLA) et de Morsang (28 logements PLA) et reprend les propositions qui les accompagne (75).

 

Rappel de la question posée


75 — Cf. J.-J. Lyon-Caen et E. Courdurier,

Les obstacles réglementaires au développement évolutif-locatif, Analyse des REX de Belfort et Morsang. Propositions.

Plan Construction et Architecture, rapport juin 1991

Les deux REX

Les deux Rex avaient pour thème l'agrandissement du logement et portaient sur la conception de logements collectifs et locatifs réalisés grâce à des financements PLA. Elles faisaient suite au concours « maisons agrandissables » lancé en 1984 qui portait, lui, sur la conception de logements individuels et en accession. En fait, ces deux opérations, aujourd'hui achevées, successivement en 1985 et 1991, ont été réalisées comme des opérations ordinaires, le programme d'agrandissement des logements ayant été abandonné. Si l'attitude des différents partenaires est une des explications à l'échec de cette expérimentation (76), elle n'en est cependant pas la seule. En effet, la compatibilité ou la conformité des modalités de financement des logements avec les dispositions techniques et administratives en vigueur relatives au financement aidé, en l'occurrence le PLA a constitué un point de blocage essentiel. Pour situer la question, développée dans notre rapport, la réalisation des agrandissements était envisagée dans un délai très court après l'achèvement de la construction. Ils constituaient de fait un prolongement à la construction initiale, regroupant les logements de base. On peut dire que l'agrandissement relevait plus d'une phase d'achèvement de la construction que d'une phase de « rajeunissement » de l'opération. L'initiative des locataires était, du reste, limitée dans le temps puisque après deux années d'installation, ils ne pouvaient plus prétendre à l'agrandissement de leur logement. L'agrandissement était en quelque sorte une option, un « plus », présentée aux locataires dès leur entrée dans les lieux, et parfois même avant (77). L'agrandissement des logements était programmé dès la conception de l'opération, tant sur le plan technique et architectural que social ; en revanche, il ne l'était pas sur le plan financier. Le financement de l'agrandissement reposait sur des demandes d'adaptation ou de dérogation à la réglementation du PLA qui n'ont pu être suivies d'effet. Il y avait donc incompatibilité entre la réalisation du projet et les modalités de financement proposées.

Dans un cas, la Rex de Morsang, le projet d'agrandissement reposait sur l'affectation et l'achèvement (finition, travaux de second œuvre) d'un local contigu au logement et « prêt à l'emploi » (existant préalablement au choix des locataires). Le financement de ce local était inclus dans le montant du PLA, mais calculé sur la base des annexes au logement et non sur celle de m² habitables, son financement était moindre. Face à l'impossibilité pour le maître d'ouvrage d'obtenir, une fois la construction réalisée et les locaux d'agrandissement affectés, le financement « correspondant » à la surface réellement destinée à l'habitation et louée comme telle, le maître d'ouvrage a choisi d'incorporer d'emblée les « agrandissements » aux logements de base et de les louer en locaux d'habitation. Dès leur entrée dans les lieux, les locataires bénéficiaient de la superficie maximale. Le projet d'agrandissement a donc disparu de lui-même.

Dans l'autre cas, la Rex de Belfort, le projet d'agrandissement reposait sur la fermeture partielle ou totale de grandes terrasses (trois mètres de profondeur et disposées sur tout le linéaire des façades) dont la réalisation était programmée en plusieurs phases successives de travaux après l'entrée des locataires. Leur financement était prévu, par le maître d'ouvrage, sous la forme de réajustements successifs au PLA initial ou d'attribution de PLA dits complémentaires au PLA initial. Ce schéma supposait l'obtention de dérogations importantes aux règles d'emploi du PLA (articles R.331-7 et R.33 1-15 du CCH relatifs aux délais de mise en œuvre du PLA et à l'établissement de son montant) qui n'ont pu être obtenues, alors que l'opération bénéficiait d'une procédure expérimentale. Le projet d'agrandissement n'a donc pas pu être mis en œuvre.

 

Propositions pour un financement des agrandissements

Le financement des agrandissements dans le cadre du financement aidé de la construction est dépendant du type de projet. L'agrandissement peut intervenir :

  • soit, immédiatement après l'achèvement du projet de base ; c'est la solution qui était retenue pour Belfort et dans une certaine mesure pour Morsang ;
  • soit, plusieurs années après la livraison du bâtiment et l'occupation des logements par les habitants.


Dans le premier cas, les agrandissements prolongent une opération de construction ; ils sont indissociables d'un projet global dont la réalisation s'effectue en plusieurs phases de travaux ; la réalisation des agrandissements correspond à la dernière ou aux dernières de ces phases. Dans le second cas, les agrandissements sont greffés sur un bâtiment existant et relèvent d'un programme de travaux dont la conception et l'élaboration sont postérieures à l'achèvement et à la livraison du projet initial. Aussi, comme il a été montré précédemment, l'agrandissement est une opération qui consiste :

  • soit, à aménager des mètres carrés déjà bâtis en pièces habitables pour étendre des logements existants (fermeture de terrasses ou balcons..) ;
  • soit, à construire de nouveaux mètres carrés pour agrandir des logements existants. 


Dans les deux cas, il s'agit bien d'une opération dont l'objet est l'amélioration de logements existants ou la valorisation d'un ensemble immobilier, et non la construction de nouveaux logements. En conséquence, deux partis d'agrandissement peuvent être dégagés :

  • soit l'agrandissement est une phase immédiate de l'opération de construction ; elle sera donc financée dans le cadre du projet global, sur la base de dispositions en vigueur, que ce soit pour un agrandissement par construction ou aménagement ;
  • soit l'agrandissement est une opération ultérieure (d'aménagement ou de construction), conçue et réalisée plusieurs années après la réalisation et la livraison du bâtiment ; les agrandissements sont greffés sur un bâtiment existant et leur programmation s'appuie une utilisation effective des logements. Dans ce cas, plusieurs types de financements aidés sont proposés, dans le cadre de la réglementation actuelle ou après modification de certaines de ses dispositions.


Sur la base de cette alternative, trois possibilités de financer l'agrandissement des logements, dans le cadre du financement aidé, peuvent être proposées.

 

Dans le cadre de la réglementation en vigueur :

C'est le recours à une réalisation en tranches successives de travaux qui font l'objet d'une seule demande d'autorisation de financement. Celle-ci est accordée pour le projet global et chacune des phases fait l'objet d'une demande de financement préalablement à leur mise en œuvre. Les agrandissements correspondent à une ou plusieurs phases de travaux. C'est l'application des dispositions de la Loi de Finances relatives aux autorisations de programme (article 12 de l'Ordonnance du 2 janvier 1959). Cette façon de procéder suppose l'élaboration d'un projet global : logements de base et agrandissements. Le programme d'agrandissement suit immédiatement la réalisation des logements. Il nous semble que les opérations de Belfort et de Morsang auraient pu entrer dans ce cadre-là. Les deux autres propositions s'appliqueraient aux programmes d'agrandissement conçus (et réalisés) postérieurement à l'achèvement des logements à agrandir.

 

Recours aux dérogations prévues par la réglementation en vigueur

Il s'agit ici de financer les agrandissements au moyen des « aides à l'amélioration des logements locatifs sociaux » dont le champ d'application couvre bien l'agrandissement des logements (cf. article R.323-3 du CCH et arrêté du 30.1 2.1987 qui précise que « l'addition de constructions » fait partie des travaux relevant de ces financements). Mais pour ne pas être contraint par les délais imposés et compris entre l'achèvement de la construction et la demande de ces nouvelles aides, les dérogations prévues par la réglementation qui fixe ces délais (articles R.323-3 et R.323-4 du CCH) pourraient être utilisées. L'opération de Belfort a montré que les travaux d'agrandissement pouvaient être compatible avec les montants des subventions accordés au titre de ces aides.

 

Modification du champ d'application des financements aidés

Il s'agit de proposer la modification du champ d'application du PLA et des aides à l'amélioration du logement de façon à, d'une part rendre possible la construction partielle de logements grâce au PLA et, d'autre part, permettre d'établir clairement l'agrandissement comme une action relevant de la politique d'amélioration du logement.

 

Le PLA : l'agrandissement, l'adjonction ou la construction de m² de logements ne constituant pas à eux seuls un logement doivent devenir une des catégories de travaux subventionnables au titre du PLA. Cette extension du champ d'application du PLA sera assortie de limites qui porteront sur le nombre de m² maximum par logement finançable au titre de l'agrandissement et sur le nombre minimal d'années séparant l'achèvement de la construction du lancement d'un programme d'agrandissement. Ces limites s'apparenteraient du reste à celles qui ont été introduites dans le domaine de l'accession à l'occasion du concours Maisons Agrandissables. Dans l'état actuel des textes, la modification concerne l'article R.331-1 du CCH relatif à la définition du champ d'application du PLA et sera accompagnée d'un arrêté qui précisera les caractéristiques d'une part du prêt (calcul, mode d'établissement), d'autre part de la construction autorisée (normes de surface..).

 

Les aides à l'amélioration des logements : suivant le même raisonnement que celui qui vient d'être tenu pour le PLA, il s'agit de définir une nouvelle catégorie de travaux subventionnables au titre des « aides à l'amélioration des logements locatifs sociaux » dont le seul critère sera celui de l'agrandissement des logements par adjonction de nouveaux m² de plancher ou aménagement de m² existants. Les mêmes limites seront suggérées : nombre de m² maximum par logement, intervalle de temps minimal à respecter entre achèvement de la construction initiale et programme d'agrandissement. Il conviendra de fixer ce délai à 5 ou 6 années afin de garantir son efficacité (un délai trop long restreindra son utilisation) et de respecter la règle du non cumul des aides de l'État pour le financement de mêmes travaux (un délai trop court pourrait permettre la réalisation d'opérations grâce à l'obtention successive de financements différents). Dans l'état actuel des textes (janvier 1992), la modification concerne l'article R.323-3 du Code de la Construction et de l'Habitation relatif au champ d'application des subventions à l'amélioration de l'habitat et sera suivie d'un arrêté pour préciser la nature et l'étendue des travaux relevant de ces subventions.



 





 

 

76 — Cf. Rapport juin 1991, IIIe partie p.29.

 

 



 

 

 

77 — Cf. Morsang sur-Orge, avec cooptation préalable des locataires et participation à la définition des plans des logements, rapport juin 1991, p.7.




Ch. VI - Conclusions : du mythe aux réalités...



La dialectique de l'éphémère et du monumental



Nous avons évoqué, au début de ce travail, la prégnance d'une dialectique du mobile et de l'immobile. Quand on dit « logement évolutif » surgissent les images d'Archigram, de ces projets de cellules dans lesquelles tout serait transformable en permanence, selon l'heure et l'humeur du jour ou de la nuit... Mais ne s'agit-il pas d'un mythe, venu, comme l'essentiel de l'architecture moderne, du Japon médiéval et de sa minka idéalement flexible, qui logeait en fait une famille aux traditions et usages de l'espace, eux, rigidement inflexibles ? Salvador Dalí, voyant un des premiers mobiles de Calder, s'exclama, en feignant la fureur : « La moindre des choses que l'on puisse demander à une statue, c'est de ne pas bouger ».




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Nous avons également évoqué comment le monument, à travers le sentiment religieux, a réussi à monopoliser durablement l'architecture au service d'une défense contre l'angoisse devant la mort. La victoire sur le temps est encore plus manifeste dans la statuaire, qui dénie l'éphémerité du corps. La statue qui bouge constitue un objet de scandale très intéressant, car le déni par la monumentalisation y est submergé par le désir. Ce fantasme paraît présent surtout en Espagne, comme sa littérature le prouve, et la réaction de Dalí semble moins dalinienne qu'ibérique. Rapprochons de cela l'idée de Winnicott, qui voit dans l'expérience d'un environnement précoce défaillant l'équivalent d'un mauvais holding du bébé par sa mère. On voit alors tout le paradoxe des significations inconscientes du mobile et de l'immobile. Car si, d'une part, l'architecture immobile renvoie au monument, et se trouve par-là symboliquement liée à l'idée de la mort (tandis que le mouvement n'est pas pensable en dehors du vivant), d'autre part, une architecture « qui bouge » renvoie, elle, davantage à l'univers du vivant qu'à celui du monument, et ainsi l'architecture vernaculaire s'oppose depuis toujours et fondamentalement à la catégorie du monumental, par ses racines fantasmatiques.

Mais, d'un autre côté encore, le monument se veut victoire contre la mort, son idéal clairement proclamé est une éternité payée par la mort, et il fait vivre le passé. Tandis que le mouvement et le changement, conditions de la vie, sont comme elle éphémères, évoquant une finitude qui renvoie à la mort à son tour... Il dépend alors de la symbolicité que l'on voudra lire dans les monuments et dans le vernaculaire, que ceux-ci renvoient à la mort ou à la vie, et que les constructions fixes ou évolutives soient les plus rassurantes ou les plus inquiétantes. Et c'est là que passe pour chacun la ligne de partage, selon sa personnalité, sa période de vie, son projet manifeste dans l'existence (et, surtout, son « projet inconscient »). Nous avons également posé au début de ce travail la constatation anthropologique que l'habitat évolutif est la règle, et non l'exception, dans la plupart des peuples improprement dits « primitifs ». L'évolutif, avons-nous dit, c'est le socle anthropologique pour l'espace de l'habiter. Il serait donc important d'essayer de comprendre les exceptions du vernaculaire qui font basculer l'habitat vers le monument : où et pourquoi certains peuples choisissent un habitat rigide, indépendamment de la taille et de l'évolution de la famille (dans certaines ethnies d'Indonésie la maison est un temple inaltérable, etc.). Mais cela excède les limites de ce modeste travail. La tendance « naturelle » à l'évolutivité du logement, qui exprime le versant libidinal de la symbolique du logement (acceptation de la temporalité), est sans doute freinée par cette autre tendance à la monumentalisation, qui tente, elle, de dénier l'écoulement du temps. Deux tendances symboliques qui s'affrontent, s'allient ou s'excluent à des degrés divers dans toute l'architecture. Ces deux tendances nous pourrions les inscrire dans la grille des trois grandes fonctions urbaines proposée naguère par Henri Lefebvre (1970) :

  • la fonction informatrice de la ville (la rue, le renouvellement incessant des informations) ;
  • la fonction symbolique de la ville (la totalité socioculturelle architecturale, les monuments, le tissu urbain) ;
  • la fonction ludique de la ville (le jeu des rencontres, le hasard, le spectacle).


On aperçoit clairement comment les trois fonctions de Lefebvre interviennent dans la problématique que nous évoquons. La fonction informatrice travaille sur l'événementiel, éphémère par essence. La fonction symbolique, liée au monument, permet de créer du sens dans l'urbain et d'atténuer la surstimulation urbaine par un ressourcement dans la permanence immobile, l'inaltérabilité des symboles. La fonction ludique, enfin, est la plus importante ici pour nous car elle gère le mouvement, coloré d'affects divers allant de l'agressif jusqu'au libidinal, de la réponse du voisinage et des passants-spectateurs à l'expression individuelle dans le paysage urbain. L'évolutif pourrait participer à la fonction ludique et à la fonction informatrice du paysage urbain, mais plus difficilement à sa fonction symbolique en termes de monument. Sauf, sans doute, dans les « redans » du Plan Obus pour Alger. Aloïs Riegl a écrit, au début du siècle, des pages décisives sur la fonction du monument (78). Cet auteur y fait la distinction entre les monuments intentionnels, à valeur de remémoration, qui ne sont pas forcément dotés de valeur artistique ; les monuments historiques, non-intentionnels, etc. Les valeurs du monument, que distingue Riegl, sont la valeur d'ancienneté, la valeur historique, la valeur de remémoration intentionnelle, ainsi que des valeurs de contemporanéité, la valeur d'usage et la valeur artistique, cette dernière subdivisée en valeur de nouveauté et en valeur d'art relative :


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 












  

78 — Riegl, Aloïs, 1903,
Le culte moderne des monuments, son essence et sa genèse, Seuil, Paris, 1984.

« Le traitement d'un monument sur la base de la valeur d'ancienneté qui — toujours, en théorie, et presque toujours dans la réalité — voudrait voir abandonner les choses à leur destin naturel aboutit dans tous les cas, et inévitablement, à un conflit avec la valeur de contemporanéité. Ce conflit ne peut se résoudre que par le sacrifice (total ou partiel) de l'une ou de l'autre valeur. La valeur de contemporanéité résulte donc de la satisfaction des sens ou de l'esprit. Dans le premier cas, nous parlons d'une valeur d'usage pratique, ou simplement de valeur d'usage ; dans le second, de valeur d'art. Pour cette dernière, il y a lieu, par ailleurs, de distinguer la valeur d'art élémentaire, ou valeur de nouveauté (tenant au caractère achevé d'une œuvre qui vient de voir le jour), de la valeur d'art relative, fondée sur un accord avec le vouloir artistique moderne. En outre, la fonction artistique du monument pourra être profane ou religieuse » (p.88).



 

Il y a donc bien, outre la symbolisation de valeurs communes et le rappel du passé, une monumentalisation possible de valeurs actuelles, non-historiques. Autrement dit, une magnification d'objets affectivement investis, qui nous oblige à prendre en compte également la dimension du narcissisme. On voit comment on s'approche par-là de la sphère inconsciente, et comment il devient pensable que certaines personnes puissent investir leur habitat comme s'il s'agissait d'un « monument privé » à leur propre gloire, ou à celle de toute instance d'appartenance ou d'allégeance pour elles.

Or, un monument, ça s'érige. Dimension phallique, bien sûr — encore le corps — dont hérite toute verticalité, qui, même parfaitement fonctionnelle dans son intention première se retrouvera, de ce fait, dotée d'une valeur monumentale au plan symbolique.

Sur cette dimension, les mégastructures porteuses de Le Corbusier, de Friedman ou d'Habraken sont bien, à leur façon, en accord avec la symbolique (et, partant, tout aussi en accord avec « le tréfonds de l'Homme » que les nostalgies historicistes) : il est symboliquement « normal » que le nouveau soit vers le haut et l'ancien vers le bas, que l'expérience antérieure soit disposée en strates successives, et que l'ordre de la nature soit préservé d'une urbanisation totale — ce qui exige le début de la verticalisation des villes et l'arrêt de leur extension horizontale. Tradition, donc, derrière les utopies.

 

À la suite des travaux de Winnicott, il semble permis de voir l'appétence pour les solutions évolutives en relation avec des fixations importantes, lors de la première psychogenèse, à des figurations du corps mouvant de la mère : la fonction sécurisante, enveloppante de la mère n'est conçue que si elle bouge, et si donc elle vit.

La visée du monument, de l'immobilité (et du fétichisme en partie) se conçoit alors comme aspirant à symboliser l'éternité, mais également la neutralisation d'une mère plutôt mauvaise.

Sur le plan le plus inconscient, selon que l'image archaïque introjectée sera bonne ou mauvaise, le logis le plus adéquat à ce tréfonds pourra lui-même être mobile ou immobile. Diverses figurations symboliques du mobile et de l'immobile sont sans doute possibles (qu'il faudrait recenser), mais le logement évolutif et son contraire, le logement rigide, semblent bien correspondre aux pôles d'une telle dialectique.

Dans ce schéma, certes simplificateur comme tous les schémas, selon que l'image archaïque est bonne ou mauvaise il n'y aura d'adéquats, à l'ultime limite, que le monument funéraire ou l'errance totale.

En ce qui concerne le premier, on connaît ces sociétés où l'habitat des vivants est modeste, fonctionnel, et relativement peu investi, mais où tout l'investissement se reporte sur le mausolée familial d'un Cimitero Monumentale, spectaculaire en Sicile...

Pour le second, les ethnologues nous ont laissé la description des anciens Patagons, capables, à l'occasion, de se passer de tout habitat malgré des latitudes comparables à celle d'Helsinki ou Mourmansk, comme nous le rappelle Alfred Métraux :




« Les Yaghan affrontaient les rafales glacées de l'Antarctique ayant pour tout vêtement un cache-sexe et une cape en peau de phoque qui couvrait à peine leurs épaules et le haut du corps. Les Ona étaient apparemment mieux équipés car ils s'enveloppaient dans un manteau en peau de guanaco, mais ils le retiraient s'il neigeait ou pleuvait. La nuit, les Yaghan s'entassaient dans des huttes en branchages couvertes de morceaux d'écorce ou de peaux. Quant aux Ona, ils se contentaient de dresser une sorte d'écran fait de quelques peaux qui les abritait du vent [...] L'auvent qui leur servait de maison avait pour fonction essentielle de protéger le feu contre les intempéries. Après avoir passé une nuit glaciale avec un groupe Ona, Gusinde leur demanda pourquoi ils ne cherchaient pas à se mieux défendre contre le froid ; ils lui répondirent : “À quoi bon, nous avons le feu. L'introduction du vêtement européen fut fatale aux Fuégiens. Jadis, ils cherchaient à se sécher lorsqu'ils avaient été exposés à la pluie ou à la neige ; une fois vêtus, ils conservèrent sur leur corps les habits humides et contractèrent des pneumonies qui les décimèrent. [...] De cette brève description de l'outillage et de la manière dont les Fuégiens exploitaient les ressources ambiantes, il ne faut pas conclure qu'ils étaient mal adaptés à leur milieu. Si primitifs que fussent leurs armes et leurs outils, ils leur suffisaient pour satisfaire leurs besoins. Un appareil technique plus complexe les eût entravés dans les déplacements constants auxquels ils étaient contraints par le type de leur économie. Chez les Ona, par exemple, tout le mobilier familial pouvait être roulé dans l'auvent en peaux et porté sur le dos par une seule femme. » (79)


 

 








 

79 — Métraux, A., op. cit., pp.104-106.

Mais il y a sans doute aussi nécessité de maintenir un équilibre dans le couple dialectique entre le mobile et l'immobile, l'éphémère et le monumental, par une médiation en tiers de l'environnement. Nous reprendrons ici, mais dans un sens différent, l'approche de 1970 de Couchard, Lugassy et Palmade (80).

Si le choix symbolique se porte sur le logement « vivant », la nécessité de maintenir le couple symbolique mobile-immobile requerra que ce second habitat que constituent le paysage, la ville et l'environnement, soit, lui, davantage immobile et donc « monumental » d'une façon ou une autre. Si au contraire, c'est l'environnement qui, dès le départ, ne se conçoit que comme « vivant », ce sera au logement de ne pas bouger...

Cette complémentarité entre l'habitat et l'environnement n'est pas sans rappeler l'idée de Bourdieu, à propos de la maison Kabyle, sur l'inversion de l'ordre externe par la maison, qui rend possible par sa structure même tous les remaniements de la réalité sociale par les pratiques habitantes (81).

 

La formule évolutive pour le logement, de nos jours en disgrâce en France et que nous avons comparé à un serpent de mer, trouve cependant, comme on a pu le voir aux pages précédentes, au Japon et aux Pays-Bas un intérêt plus soutenu que dans le reste du monde. Au Japon cela s'explique par la tradition, perdue mais qui revient en force, de la minka. En Hollande, la forte séduction qu'exerce le logement évolutif sur les architectes ne s'explique pas aussi aisément ; à l'évidence elle repose sur le soutien, concernant cette solution, que ces idées trouvent auprès du public. Que peuvent bien avoir en commun des gens apparemment aussi différents que les Japonais et les Hollandais ?

Évoquer la force du Surmoi chez ces deux cultures et la rigueur qui en découle, leur composante obsessionnelle évidente et son souci ombrageux de propreté, d'ordre et d'organisation, ou encore leur combat contre les défis d'une nature hostile et la ténacité de caractère qui en a résulté, paraît insuffisant car trop élémentaire, trop général, et d'ailleurs ce sont là également les caractéristiques d'autres peuples chez qui ne se fait pas jour ce même penchant dans le domaine de l'habiter.

Il nous semble, par contre, que chez les Hollandais comme chez les Japonais c'est moins la demeure qui est investie, que le paysage ou l'environnement qui est habité. La proverbiale absence d'urbanisme des Japonais rejoint la rigoureuse planification urbaine des Hollandais, en ceci que dans les deux cas, c'est le sol qui est sacré, et les constructions humaines relativement futiles face à cette dimension transcendantale. Sol immémorial des ancêtres dans un cas, et tout aussi immémorialement conquis sur la mer dans l'autre, ce sol et le paysage qu'il porte constitue la demeure vraie. Mondrian n'a peint que les polders, comme on le voit par le hublot de l'avion qui atterrit en Hollande, et l'urbanisme hollandais est davantage de l'aménagement du territoire que de l'organisation du seul habitat : c'est du paysage.

Les constructions, dans cet ordre d'idées, se doivent de ne pas profaner le caractère sacré du sol par des prétentions à la monumentalité ; au Japon elles doivent être modestes, et périssables (biodégradables, en somme, comme la nature). En Hollande elles se font oublier, naturalisées en quelque sorte dans un urbanisme aussi organisé que la néo-nature hollandaise des polders.

Dans un troisième cas, peut-être, peut-on voir quelque chose d'assez proche : le cas d'Israël. Nul besoin d'insister sur le caractère sacré, pour les Juifs, du sol de la Terre Promise... Surprise, pourtant, du voyageur dans ce pays, de constater la grande médiocrité des constructions, qui semblent du provisoire : il est tenté de penser que les architectes locaux sont inhibés par la dimension grandiose de l'aventure de cette nation. Et comme par hasard, Israël s'intéresse, en dehors du Temple, également à la formule du logement évolutif.

 

De ces spéculations nous semblent apparaître deux limites dans cette dialectique de l'éphémère et du monumental :

  • quand la culture investit de façon dominante le paysage ambiant, celui-ci est sacralisé et doit rester immuable : paysage-monument ! C'est alors aux habitations humaines de savoir changer pour garantir la non-altération du sol de ce paysage, et la tendance latente aux constructions éphémères pourra se porter vers l'idée de l'évolutif, qui, dans l'idéal, permet de limiter les changements à l'intérieur des constructions ;
  • quand la culture investit de façon dominante le changement social, le paysage environnant est asservi et transformé sans trop d'états d'âme au profit du développement sociotechnique ; le logement est alors sacralisé, et tend à être monumentalisé, comme repère presque unique de continuité de l'identité individuelle et familiale contre le changement social rapide et celui, qu'il entraîne, de l'environnement.


Si le logement traditionnel, ou vernaculaire, est évolutif par essence, c'est d'abord par sa ruralité : la « mobilité résidentielle » est inconnue en milieu rural à partir de la révolution agricole du Néolithique (les nomades étant la survivance de la période précédente : qui dira les nostalgies, en miroir de celles d'un Bachelard, des errants aux époques sédentaires ?). Un environnement fixe, dicté par la culture du sol, nécessite une adaptation des demeures sur place, et non l'adéquation du logement à la famille par déménagement.
La flexibilité, l'évolutif correspondent donc pour nous à un secteur fantasmatique qui travaille sur la présence d'une mère vivante, à bonne distance, et aux potentialités d'interagir avec cette instance tutélaire, donc de l'altérer. Et un autre secteur fantasmatique réclame, lui, un habitat monumentalisé, une mère-monument (et sans doute une mère morte). La demande inconsciente dominante sera-t-elle de vie ou de mort ? Eros ou Thanatos ?
Rapoport nous semble bien voir l'inadéquation croissante du logement fixe, quand il écrit :


 

80 — Couchard, F., Lugassy, F., Palmade, J., 1970,
La dialectique du logement et de son environnement,
MEL, page 36.



81 — Bourdieu, P.L, 1972,
« La maison ou l’ordre renversé »,
in : Esquisse d’une théorie de la pratique, Droz, pp.45-69.

« [...] certaines des caractéristiques dominantes de la construction primitive et vernaculaire perdent de leur force avec l'institutionnalisation et la spécialisation de plus en plus grande de la vie moderne. Notre conception différente du temps comprenant un sens aigu de son caractère linéaire, de sa marche en avant et de sa nature historique, remplace la conception plus cyclique du temps qui était celle de l'homme primitif. Il en résulte que l'homme moderne, particulièrement aux États-Unis, insiste sur le changement et la nouveauté parce qu'ils sont l'essence véritable des choses — situation donc très différente de celle qui primait dans les conditions que nous avons étudiées.

[...] La désacralisation de la nature a abouti à la déshumanisation de nos relations avec la terre et le site. L'homme moderne a perdu l'orientation mythologique et cosmologique qui était si importante pour l'homme primitif, ou bien il a substitué aux anciennes de nouvelles mythologies. Il a aussi perdu l'image collective de la bonne vie et de ses valeurs, à moins de dire qu'il possède l'image collective de l'absence d'image. Les forces et les contraintes sont aussi bien plus complexes, et les liens entre la forme, la culture et le comportement sont plus ténus ou peut-être simplement plus difficiles à suivre et à établir » (82).


 

 


 


 

82 — Rapoport, Amos, 1969,
op. cit.,
p. 174.

 

Contre cette inadéquation, le logement évolutif moderne nous semble avoir gardé quelque chose du vernaculaire et de la minka. Mais si l'idée en reste fort tentante, le logement évolutif est-il vraiment à même d'améliorer la qualité de l'habitat ? la « qualité architecturale » ?

Les réponses nous semblent différentes selon qu'il s'agit d'architecture et de logement en général ou du logement social en particulier. Et, dans tous les cas, il apparaît nécessaire de s'interroger au préalable sur certains mécanismes de la satisfaction (et l'insatisfaction) liée au logement, car c'est bien cela qui est visé derrière la question de la qualité. Or, la satisfaction est un effet psychologique qui résulte de l'interaction de facteurs physiques, sociaux et psychiques, interaction que l'OMS avait bien repérée dans son ambitieuse définition de la santé, formulée lors de la période d'élation humaniste qui accompagna la mise en route effective des Nations Unies vers 1948, comme « un état de parfait bien-être physique, social et mental ». La santé, c'est sinon le bonheur, du moins la réalisation des conditions de son apparition, et plus modestement déjà « la satisfaction », qui pourrait en constituer une modalité de plaisir préliminaire. La satisfaction, en somme, c'est quand les gens sentent venir que « là, ça va être bon ». La satisfaction liée au logement et à l'architecture nous semble fondamentalement de cet ordre, mais ses conditions de survenue se compliquent singulièrement par le caractère de « phénomène social total », au sens de Marcel Mauss, aussi bien du logement que de l'architecture : des faits sociaux qui traversent toutes les significations humaines, individuelles et sociales. Cette complexité est bien sûr à l'origine de toutes les discussions partisanes sur ce qu'est ou non la bonne architecture, le bon logement, toujours définies par tel ou tel acteur social à partir de sa situation propre. Il faudrait alors, en bonne épistémologie, qu'un observateur radicalement extérieur à notre culture occidentale industrielle nous fasse l'ethnoanalyse, comme dit Marcel Augé, de ce champ, ce que Mauss fit pour les variations saisonnières de l'habitat Eskimo. Mais il n'y a pas chez nous de demande pour une analyse qui risque de mettre trop clairement au jour la nature infantile des illusions narcissiques que nous déplaçons sur le logement et l'architecture, l'illusion étant comme on le sait une précieuse béquille pour supporter la vie, les autres et soi-même.

Comme le corps en bonne santé, le bon logement se fait oublier. Notre vésicule ou notre troisième lombaire ne manifestent leur existence, au point de nous obnubiler, que quand elles vont mal. Pareillement, je constate après maintes années d'entretiens semi-directifs à propos de logement, social ou pas, la pauvreté relative du discours chez les gens correctement logés, qui ont d'autres chats à fouetter. Bien sûr, les chanceux habitants d'une REX extraordinaire comme celle de Saint-Ouen sont, eux, intarissables sur leur appartement ; mais même ceux-là, après cinq ans, se calment et finissent par trouver que leur logement va tout à fait de soi, comme leur visage en somme.

De toutes les définitions de l'architecture vaillamment formulées malgré nos mauvaises conditions d'objectivation — auxquelles nous n'échappons que difficilement — c'est celle d'un ennemi déclaré, donc honnête, du logement évolutif qui nous semble la meilleure pour notre réflexion, car la plus simplement freudienne : celle de Bernard Huet, quand il pose que « l'on reconnaît l'architecture à ce qu'elle fait plaisir à voir ». Levons ici d'emblée tout malentendu corporatiste : il n'est pas nécessaire d'être architecte pour « voir » l'architecture, car les gens la reconnaissent sans avoir exercé leur vue à toutes les subtilités auxquelles on n'accède que par les savantes études des architectes. Une recherche que le CSTB nous permit de longuement mener, de 1982 à 1985, au moyen de 173 images dans lesquelles étaient cachés celles d'une trentaine de chefs d'œuvre de l'architecture contemporaine (83), montra ce fait surprenant que l'inconscient voit la qualité architecturale (les chefs d'œuvre étaient largement identifiés), mais que les propos conscients tenus à leur sujet étaient le plus souvent négatifs, et reproduisaient un discours socialement convenu sur le thème du « béton qui tue ». La crainte, issue de l'époque des grands ensembles, de se voir mis en béton serait-ce dans de l'excellente architecture suscitait un discours désirant et nostalgique au vu des images vernaculaires, même d'habitat non-individuel. Retenons-en qu'il est prudent de dissocier ce que les gens disent de ce que les gens éprouvent plus profondément, et donc également les opinions émises concernant la satisfaction ou l'insatisfaction et le statut réel de l'objet sur lequel porte cette opinion. Qu'on ne nous fasse pas dire, comme on l'a fait, que je crois à la souveraineté de l'interprétation de la demande (« sociale ») par des acteurs sociaux compétents, position jacobine antidémocratique négligeant l'opinion populaire : « les gens ne savent pas ce qu'ils disent ». Les gens, en fait, savent très bien ce qu'ils disent, à un moment donné, mais les gens vivent beaucoup de moments différents. Et, d'autre part, les gens ne sont pas vraiment « des gens » : il existe une assez grande variabilité des états du Moi, du jeu des instances psychiques ainsi que des modalités de perception du monde extérieur, et on pourrait simplifier le tout en disant que chacun est multiple et changeant. Ces qualités des habitants conditionnent en grande partie la rencontre, réussie ou ratée, avec la qualité architecturale, et notamment leur équation personnelle en termes de satisfaction existentielle.

À l'issue de la politique des grands ensembles, l'opinion dominante, dans la culture populaire, est de nos jours encore que l'architecture moderne, « c'est les HLM », et que les HLM sont synonymes de relégation, d'anomie, de violence, de criminalité et de suicide. Il n'est donc pas étonnant que leur simple instinct de conservation fasse encore frémir les gens à la vue de barres et de tours, et même plus perversement que la perception d'une meilleure qualité de l'architecture nouvelle du logement social par rapport au secteur privé finisse par être emblématique du social, et par provoquer une méfiance accrue : architecture, danger ! Le même avatar s'est produit en paysagisme acoustique, avec la Muzak, cette pseudo-musique mondiale d'origine sophrologique inventée par des dentistes pour relaxer le patient avant l'extraction d'une molaire, et qu'on entend lors des atterrissages et dans les parkings à risque : elle ne relaxe plus personne mais au contraire, intégrée à un niveau éthologique, elle est devenue un signal de danger imminent.

Pourtant l'ensemble de tours sur le Front de Seine ne suscite aucune plainte similaire, comme le remarquait récemment Paul Chemetov (84)... Certes, ces logements sont « de haut standing », mais comparés aux hôtels particuliers de la grande bourgeoisie, ils font figure de HLM améliorés : cette forme architecturale n'est donc pas « criminogène » à elle seule, comme le dit Michel Rocard. Allons plus loin, prenons quelques tours d'un vrai quartier à problèmes, comme le Val Fourré, transplantons-les sur les hauts de Belleville : ce sont bien de telles tours qui y furent construites vers 1975, et l'on y hurla à l'assassinat d'un quartier populaire... Les grands ensembles, comme les loups, entraient dans Paris ! Les tours, maudites, restèrent vides pendant trois ans. Pourtant, vingt ans plus tard, non seulement la population de ces tours n'élève aucun lamento anti-béton, mais elle a donné le jour à une nouvelle culture populaire et multiethnique, néo-bellevilloise, et même super-bellevilloise en quelque sorte. La différence avec le Val Fourré est très simple : cette population n'a pas de problèmes sociaux importants, ses tours sont dans Paris, le quartier est parfaitement équipé, et l'ambiance, par rapport à celle du Front de Seine, y est nettement plus gaie. Il en va donc de même que pour la gêne due au bruit, que nous avons étudié par ailleurs : pour une grande part l'insatisfaction exprimée est la projection de l'insatisfaction sociale. Selon que l'un ou l'autre des grands champs de la vie des gens va bien ou mal, ou moyennement, ceux-ci s'en prennent à des boucs émissaires. Mais c'est rude de charger quelqu'un de ses malheurs, d'autant plus que le bouc émissaire peut fort bien ne pas se laisser faire, ce qui aggrave le degré de conflictualité. Quoi de plus confortable, alors, que de s'en prendre à des entités plus abstraites telles que l'environnement sonore, ou l'environnement construit ! De même que pour le bruit, cela ne signifie pas, évidemment, qu'il n'y ait pas souvent matière à se plaindre légitimement du logement social. Mais il faudrait se donner plus souvent les moyens de trier le vrai du faux.

Et fondamentalement, rien qui concerne l'architecture là-dedans ! À moins de penser que le rôle de l'architecture est d'assurer non seulement l'habitat mais aussi le bonheur du peuple.

S'il est indéniable que le logement social actuel est enfin passé de la construction à l'architecture dans la plupart des cas, on continue d'entendre même dans les plus brillantes REX du plan Construction et Architecture les vieilles complaintes des grands ensembles, devenues un item culturel ritualisé ; assorties toutefois d'un « il faut bien reconnaître qu'il y a eu un effort, mais... », qui montrent bien la capacité populaire de perception de la qualité architecturale que nous évoquions.

Mais. Mais quoi ? Mais, malgré tous les changements, le progrès social certain, malgré l'accès à de l'architecture pour le peuple, une grande promesse n'a pas été tenue par l'architecture moderne. Et — normal — on lui en veut.

Il appartiendrait à une histoire sociale, non tant du logement social lui-même, comme il y en a déjà depuis longtemps, mais des représentations et sentiments des acteurs de cette histoire (l'approche, en somme d'un Alain Corbin), de démêler ce qui a fait ici tomber depuis au moins Fourier, en passant par Le Corbusier, les architectes du logement social dans le fantasme, qui sous-tend clairement leur pratique, et selon lequel l'architecture (la bonne) assurerait à elle seule le bien-être des habitants, et atteindrait ainsi les objectifs de l'OMS. Aucun architecte, certainement, ne souscrit plus de nos jours, en paroles, à cette naïveté pseudo-socialiste dont l'origine est sans doute à rechercher dans l'hygiénisme du XIXe siècle ; pourtant tous ou presque agissent à des degrés divers ce fantasme, qui fonde en partie la motivation de leur vocation et situe les effets derniers de l'architecture authentique dans la réalisation de l'eunomie sociale — loin d'un Huet qui demande modestement qu'on en fasse surtout pour elle-même, de l'architecture. C'est que, de façon analogue à son contemporain Jules Verne, l'architecture moderne avait promis la Lune. Beaucoup ont dû faire l'expérience douloureuse qu'un simple changement d'habitacle, un remaniement superficiel dans le « mode de vie » étaient très loin d'une désaliénation fondamentale de l'existence humaine.

Quelque chose de comparable est arrivé à la psychanalyse. Le Freud des débuts, dans la jubilation de la découverte de l'Inconscient, en attendait un changement de civilisation. Las, il dut bientôt convenir que sa science provoquait les résistances les plus vives, et se consola en partie en s'autodésignant comme faisant partie des grands dégonfleurs de narcissisme de l'humanité : après Copernic, qui avait éjecté la Terre du centre de l'Univers, après Darwin, qui avait évincé l'Homme du centre de la Création, il avait lui, déchu la Raison de son pouvoir au profit de l'Inconscient.

Une quatrième « blessure narcissique de l'humanité » pourrait être, au vu de la similarité avec Freud de la diabolisation qu'elle lui a fait encourir, celle que Le Corbusier nous a infligé en révélant que notre demeure est une machine à habiter. La plus-value narcissique du logement, illusion nécessaire à la grande majorité d'entre nous, qui n'ont d'autre réalisation de soi que l'érection d'un monument à soi-même — aussi dérisoire soit-il — est tout aussi intouchable que les autres illusions consolatrices grâce auxquelles « on fait aller ». La lucide analyse de la « machine à habiter » blasphémait contre la divinisation occulte de nous-mêmes dans notre logis, en proclamant la nécessaire modestie d'une recension des fonctions et de leur organisation correcte : la beauté (celle de la machine parfaite) était donnée de surcroît. Il ne faut jamais avoir un siècle d'avance. La salutaire désacralisation que Le Corbusier formulait en 1920 pour le logement aura mis une bonne cinquantaine d'années à démythifier l'automobile, pourtant plus explicitement machinique que « le logis des hommes ». De nos jours, en effet, il est ringard aux yeux de tous de se prendre pour quelqu'un du simple fait de rouler en Lamborghini : le fait-on que l'on est tenu de montrer patte blanche en déclinant ses titres de mordu sincère de la marque (l'amour faisant tout pardonner). De même un frémissement est perceptible en faveur d'une attitude « fonctionnelle » vis-à-vis du logement : la « machine à habiter » a ainsi de l'avenir devant elle, auprès de ceux pour qui la crise actuelle est l'occasion d'une remise en cause radicale de leurs investissements passés.


 

 

 


 


 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 








 

83 — Manuel Periáñez, 1985,
Le jeu-test APM : Architecture, Psychanalyse, Morphologie,
CSTB  (avec I. Marghieri, P. Sechet).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

84 — Paul Chemetov, 1992,
La fabrique des villes, éditions de l'aube, p. 154

 

 

 

 

 

La prospective de la famille et l'évolutif



Le logement évolutif vient, dans ce contexte, offrir un recours précieux, mal visible encore derrière les échecs passés des expérimentations ambiguës des débuts.

Pierre Merlin, à l'issue d'une réflexion sur les transformations des structures familiales, regrette la réputation faite aux expériences évolutives du passé, d'avoir été peu convaincantes : trop rares, menées sans conviction ni continuité par les maîtres d'ouvrage, « il serait sans doute rapide de parler d'échec » (85). Comme Lucien Kroll nous l'a en effet rappelé, l'expérience de Montereau peut être considérée comme un grand succès si on se borne à noter que presque tous les plans faits par les locataires étaient différents des plans des architectes.

Les modes d'organisation intra et extra familiaux, en effet, évoluent de nos jours beaucoup plus rapidement, prenant de vitesse l'innovation architecturale, et il est donc à nouveau séduisant d'envisager l'évolutivité des cellules comme solution à cette évolutivité des familles. Nous suivant dans l'idée que la notion de flexibilité est aussi ancienne que le logement lui-même et que ce n'est que depuis les deux derniers siècles que le logement a cessé d'être évolutif, du fait de l'urgence de la construction sociale, Merlin laisse ensuite l'histoire de côté et avance les idées suivantes :

G. Blachère avait noté, en 1976, que la flexibilité ne fonctionne bien que « si l'espace du logement est vaste » ; cela signifie-t-il que le besoin fondamental est celui d'une surface supérieure ?

La maison agrandissable apporte des solutions flexibles à l'habitat individuel, mais en fait l'élasticité des maisons individuelles paraît moins importante que celle possible pour les appartements dans des immeubles collectifs : « puisque tel est le mode d'habitat dominant des ménages dont la structure est la moins stable ».

Concernant l'évolutivité après-coup que constitue la restructuration des logements, Merlin estime également qu'elle est sous-estimée par les pouvoirs publics et les organismes de construction sociale, « elle comporte pourtant des perspectives (...) qui méritent d'être exploitées de façon rigoureuse et plus volontaire. » (86)

 

Hypothèse sous-jacente ici chez Merlin, nous semble-t-il, selon laquelle les ménages « stables », ayant trouvé leur structure, seraient davantage demandeurs d'une célébration fondatrice de cette stabilité par le recours à l'intemporalité que symbolise une maison « définitive », et donc surtout pas évolutive : la maison comme « monument familial » serait donc l'idéal semi-avoué des ménages qui se vivent comme stabilisés ou re-stabilisés. Les ménages débutants sont « expérimentaux » (50% de divorcés à Paris), les monoparentaux, les déstabilisés, etc. constitueraient une clientèle potentielle pour le symbolisme du logement évolutif qui préserve l'avenir et proclame la facilité de changements futurs. D'où la conclusion concernant l'opportunité de remettre à niveau l'évolutif : « L'habitat flexible ne semble plus guère de mode au moment précis où l'évolution des structures familiales le rend plus utile » (p.357).

Il est cependant nécessaire de compléter la prospective de Merlin, qui porte sur les « modes de vie » familiaux, par des recherches pointues sur le type de famille inconscient, comme en démographie historique celles de Emmanuel Todd, et en psychanalyse systémique du couple et de la famille les études d'Alberto Eiguer.

Emmanuel Todd a mis en évidence la quadruple nature de la famille européenne originelle :

« Quatre systèmes familiaux principaux se partagent l'espace européen. On doit, pour les définir, partir de l'analyse des valeurs fondamentales organisant les rapports entre parents et enfants d'une part, les relations entre frères d'autre part.
Les valeurs organisant les rapports entre parents et enfants peuvent être de type libéral ou de type autoritaire.
Les valeurs organisant les relations entre frères peuvent être de type égalitaire ou non égalitaire.

La combinaison des deux variables dichotomiques que sont les couples libéralisme/autoritarisme et égalitarisme/non-égalitarisme engendre quatre possibilités typologiques.

  • Famille nucléaire absolue : un système familial dans lequel les relations entre parents et enfants sont de type libéral, les relations entre frères de type non égalitaire.
  • Famille nucléaire égalitaire : un système familial dans lequel les relations entre parents et enfants sont de type libéral et les relations entre frères de type égalitaire.
  • Famille souche : un système familial dans lequel les relations entre parents et enfants sont de type autoritaire, les relations entre frères de type non égalitaire.
  • Famille communautaire : un système familial dans lequel les relations entre parents et enfants sont de type autoritaire, les relations entre frères de type égalitaire.


La définition a priori de valeurs familiales n'est qu'un exercice théorique. Le repérage concret de ces valeurs dans la vie des sociétés locales européennes pose, comme toute confrontation de la théorie à la réalité, des problèmes pratiques. L'identification des valeurs familiales d'une région donnée implique l'utilisation d'indicateurs stables et objectifs, capables de saisir le caractère libéral ou autoritaire du rapport parents-enfants et le caractère égalitaire ou non égalitaire de la relation de fraternité. C'est en milieu rural que ces traits sont le plus facilement identifiables, le rapport à la terre objectivant spontanément les rapports familiaux. » (87)

 

On peut se demander si la diversification des plans-types auxquelles procèdent certains architectes ne correspondait pas à un pressentiment obscur de l'existence de cette structure quadripartite ! Quels logements conviennent le mieux à chacune de nos quatre familles ? L'avenir le dira peut-être, mais ce que nous voulons pointer ici, renforçant en cela les propos de Merlin, c'est l'utilité adaptative de l'évolutif devant cette nouvelle dimension de complexité ancestrale.

Dans le domaine de la complexité, nous ne sommes cependant pas au bout du chemin. Les systémiciens dégagent, eux, des structures familiales sui generis, qui se développent dans l'interaction de leurs membres, et non plus seulement en réponse adaptative à l'environnement socio-économique.

 

Pour Alberto Eiguer, il y a trois types de couples (88) :

  • le couple normalo-névrotique ;
  • l'anaclitique ou dépressif ;
  • le couple narcissique.

Ces types sont caractérisés ainsi à partir du concept d'Eiguer de « structure permanente du couple », chaque structure étant représentée par « une modalité de conflit inconscient entre instances groupales et une modalité spécifique de fantasmes collectifs. » D'autres auteurs systémiciens proposent des typologies plus détaillées.

En ce qui concerne notre sujet, il est certain, comme nous avons pu le constater nous-mêmes dans des REX de participation des habitants à la conception de leurs logements (89), que pour un couple la tâche de dessiner le plan de sa future maison déclenche un processus de prise de conscience du conflit fondateur du couple, et du désir éventuel de son réaménagement qui a présidé à la décision de la nouvelle installation.

Les architectes découvrent alors que les gens ne viennent pas les voir, en fait, pour l'amour de l'architecture ni même pour une nouvelle maison : ils « ne savent pas ce qu'ils veulent » (le projet de maison, souvent, traîne en effet).

Les typologies de la famille, la théorie systémique permettent de mieux cerner le fait que si les gens ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent, c'est parce qu'il y a un projet manifeste, mais aussi un projet latent. Selon que l'architecte agit plus ou moins en clinicien, il arrête son « parti » de plan avec telle ou telle famille au niveau du projet manifeste, où il interprète la demande et se rapproche du projet latent.

Il serait donc, pensons-nous, dommage de limiter, comme le fait Henri Raymond (90), ce qu'il appelle joliment « la compétence des habitants » à leur apprentissage de la gestion d'immeuble à travers la pratique de la copropriété, ou à leur capacité à ornementer : mettre des fleurs ou des biches en faïence !

Cette compétence des habitants, pour être souterraine à eux-mêmes, n'en est pas moins certaine et susceptible de s'exercer au plus vif de leurs investissements les plus cruciaux, dans la conception même de leur habitat et de son environnement, et dans la structuration psychoaffective de la vie familiale à travers ce processus de conception. Toute la difficulté des expériences dites de participation résidant précisément dans l'interprétation de symptômes tels que l'ornementation, qui peut mettre au jour ce que gens veulent : parfois ils ne veulent pas savoir ce qu'ils veulent...


 

 

 

85 — Pierre Merlin reprend le problème dans son dernier livre La famille éclate, le logement s'adapte, Syros/Alternative, 1990.

 

 

 













 

 

86 — dans le chapitre sur le logement évolutif,

in : Transformation de la famille et habitat,

INED Cahier N°120, PUF, 1988.

 

 

 


 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 






 


 

 

87 — Todd, E., 1990,
L’invention de l'Europe, Seuil, pp.29-30.









 

88 — Eiguer, Alberto (éd.), 1978,
La thérapie psychanalytique du couple,
Dunod, coll. Inconscient et Culture.

 



 

89 — Vauréal, op. cit.

 







 90 — Henri Raymond,

« L’architecture ou l’habiter »,

in Techniques et Architecture,

n°357, décembre/janvier 1985

 

Le débat architectural et le système d'acteurs



Dans la problématique du logement évolutif, toutes les solutions techniques existent, ainsi que nombre d'architectes disposés à les utiliser. Mais dans la relation architecte-habitant, qui constitue une des clefs de la problématique, la demande côté habitant est à situer à chaque fois... (il serait bon que l'architecte élucide la sienne également). L'architecte est en position de faciliter le développement d'un champ microculturel personnel, donc inscrit dans le champ des significations dans la continuité de création personnelle. Pour les architectes, la formule est paradoxale : l'évolutif peut leur permettre de croire qu'ils satisfont toute demande de l'usager, qui se prendra en charge lui-même (la « démission » des jeunes architectes que dénonce Monique Eleb-Vidal) : liberté totale de la famille dans un réduit social inviolable. Mais dans la pratique, les familles ainsi libérées reproduisent souvent de vieux modèles, que l'architecte le plus souvent entendait dépasser.

D'où le constat : l'évolutif permet aux familles à l'identité bien affirmée d'aller éventuellement contre les idées de l'architecte, et de refaire une salle de ferme ancestrale au dixième étage d'un immeuble ! (réalisation pure, ici, nous semble-t-il, du pôle monumental de la dialectique que nous avons évoqué, et paradoxe de l'évolutif). Fait problème alors, dans la symbolique de l'habitat qui nous occupe ici, le fait qu'une architecture individuée (vernaculaire, historique ou savante) équivaut à un holding fort ; et la préfabrication, la série, la construction anonyme et les éléments ou composants équivalent, eux, à l'abandon, l'an-objectalité, le pseudo-holding, et les fantasmes de morcellement... C'est le cœur du débat architectural posé par la formule évolutive.

Problème surtout du fait, inhérent à son destin physique (semblable à celui, pour Freud, de l'anatomie), que l'architecture s'adresse à tous en permanence, indifféremment de leur moment fantasmatique et de leur structure de personnalité, sans pouvoir y être adaptée souplement, comme le fait, par exemple, la musique. Il faudrait ici examiner si, en corollaire de cette idée, l'habitat des migrants ne tendrait pas, lui, à parfois s'organiser de façon immuable, ritualisée même, pour symboliser la continuité. Ceci pourrait être extrapolé au changement social et aux styles architecturaux : il y aurait recours à des styles « classiques » (quels qu'ils soient) dans des périodes révolutionnaires ou à changement social rapide. Recours dont la valeur réside dans un caractère ostentatoirement régressif par rapport aux « modernes » (quels qu'ils puissent être, ici aussi), car il s'agit de se rassurer contre diverses figurations de la perte d'identité en manifestant sa maîtrise sur la temporalité.

Un exemple clair, bien que caricatural, est ici celui de la science-fiction : dans 2001, Odyssée de l'espace un astronaute intrépide, et forcément High-Tech, finit par atteindre la planète d'une puissance énigmatique, qui l'assigne à résidence dans un salon Louis XV pour l'éternité...

Il nous semble donc vraisemblable que l'adhésion à de nouvelles architectures du logement ne sera le fait, encore longtemps, que d'une partie minoritaire de la population pour laquelle celui-ci ne constitue plus une base arrière trop importante du théâtre psychoaffectif familial (et qui doive, comme pour Dalí, au moins, elle, ne pas bouger...). Pour cette minorité moins frileuse, ou suffisamment bien installée dans le reste de son existence, l'habitat pourra fort bien « bouger », et loin de mettre en péril l'étayage de l'identité sur l'habiter (91), au contraire soutenir son dynamisme par l'accompagnement évolutif de son habitat.

Le logement évolutif, s'il n'en a pas été le centre, a été pris comme objet de controverse dans le grand débat des années 1975-1985 autour du « postmoderne ». N'étant pas architecte, ni même critique d’architecture, nous croyons bien faire de laisser la parole à Bruno Zevi qui résume le débat avec vigueur, et de surcroît brise en passant une lance pour les formules flexibles et autogérées, qu'il réclame pour le mouvement moderne (92) :

« [...] Mais je ne crois pas qu'il soit ici utile de procéder à de telles distinctions aussi sophistiquées. Ce qui importe, c'est de démontrer la futilité, les imbrogli des bases théoriques du mouvement postmoderne pour clore définitivement cette expérience pseudo-culturelle honteuse. J'essaierai donc de réfuter succinctement les cinq principales thèses du postmodernisme, ses cinq imbrogli.

 

1. Les postmodernes assimilent le mouvement moderne à son contraire, sa version commercialisée, statique, uniformisatrice, à ce qu'on appelle le Style international. Ils le font soit par ignorance, soit délibérément. À propos de style international, ils ne font que répéter ce qui s'est dit et s'est écrit depuis cinquante ans, sur la monotonie, l'anonymat, la monodimensionnalité, l'inexpressivité de la plupart des constructions contemporaines qui ont de contemporaines quelques aspects technologiques et visuels, mais qui n'ont rien de vraiment moderne en matière de création spatiale et volumétrique. Le Style international est une trahison du style moderne, une solution académique, Beaux-Arts, qui insiste à nouveau sur tous les dogmes de la renaissance et du néoclassicisme ; la symétrie, l'assonance, la vision perspective, les volumes fermés, les espaces non temporels, donc conçus davantage pour des statues ou des cadavres que pour des hommes vivants. Le mouvement moderne est né pour annihiler ces préceptes. Ce mouvement n'a jamais constitué un “style” univoque. Il s'est toujours nourri du contraste entre l'expressionnisme et le rationalisme, entre l'exubérance de l'Art Nouveau et le puritanisme d'Adolf Loos, entre la fougue émotive d'Antonio Gaudí ou d'Erich Mendelsohn et l'esprit cartésien de Le Corbusier, entre l'organicité de Wright et la logique rigide de Mies Van der Rohe. Le patrimoine du mouvement moderne est complexe, problématique, toujours en crise parce que toujours ouvert au changement. Il offre une quantité énorme d'options et de choix, et tend continuellement à élargir les zones de liberté humaine. Vouloir l'identifier à son opposé, au Style international, que nous avons combattu pendant des dizaines d'années et qui est notre ennemi, est tout simplement un imbroglio absurde et grotesque.

 

2. Les postmodernes affirment que le mouvement moderne a interrompu le dialogue avec l'histoire. C'est faux. Il a interrompu le dialogue avec l'historicisme, avec les styles codifiés par l'École des beaux-arts, afin de découvrir la véritable histoire, les vrais messages du passé, qui n'ont rien de commun avec le classicisme académique, ancien ou pseudo-moderne. Il suffit de penser à Le Corbusier, à son pèlerinage fervent en Orient et en Grèce, et plus tard à sa reconquête de la violence médiévale sur la matière et la lumière, à la façon baroque. Il suffit de penser à Wright, à son attitude passionnée de la maison japonaise et des mondes maya et aztèque. De Guimard à Aalto, tous les architectes modernes ont dialogué quotidiennement avec le passé, non pas pour le copier, ni même pour assembler des “citations” futiles. Ils l'ont aimé et défendu pour trouver un nouvel élan créatif et davantage de courage. Pour eux, la présence du passé est d'autant plus vigoureuse qu'elle est moins évidente. C'est le contraire de ce qui se passe dans l'imbroglio postmoderne, qui propose une parodie passive du passé académique.

 

3. Le mouvement moderne, disent encore les postmodernes, est lié à l'idéalisation de la machine et du produit industriel, alors qu'aujourd'hui, nous vivons dans un monde postindustriel. Cette affirmation est, elle aussi, un imbroglio, dépourvu de fondements. Tout d'abord parce qu'à l'origine du mouvement moderne, il y a la grande personnalité de William Morris, qui était en conflit avec la société industrielle. Lorsque les architectes modernes ont accepté la machine et l'industrie, ils ont cherché à les dominer et non à les subir. Il faut à nouveau répéter que le mouvement moderne est toujours en formation, en état de mutation et donc qu'il se transforme constamment dans le temps. [...] Des noms ? Voici les premiers qui viennent à l'esprit : Ralph Erskine, Jean Renaudie, Herman Hertzberger, John Johansen, Günter Domenig, Lucien Kroll et beaucoup d'autres, en France aussi, ainsi que les tendances du self-help, ou du do-it-yourself). Ces architectes sont plus loin de Gropius, Le Corbusier et Mies que ne le sont les postmodernes, mais ils représentent une nouvelle phase d'un itinéraire dynamique, jamais statique, qui est le propre du mouvement moderne.

 

4. Les postmodernes soutiennent que le public n'aime pas l'architecture moderne, ils persistent à se référer à des “archétypes historiques“, à des “mémoires collectives“. C'est de la démagogie. L'architecture qui ne plaît pas au public est celle qui est produite en série, sans fantaisie spatiale et volumétrique, par le Style international. Les gens ne souhaitent pas revenir en arrière, vivre seulement de nostalgie dans des villes et des quartiers néo-historicistes, néo-néo-classiques. Ils veulent des maisons personnalisées, des quartiers organiques, des villes vivantes qui peuvent offrir la plus grande liberté de choix. Ils veulent pour l'homme et la communauté des espaces pleins de vie, dynamiques. Les postmodernes renoncent avec cynisme à relever le défi. Leur thérapie se limite à une cosmétologie superficielle, à des décorations irresponsables. Ou, ce qui est pire, ils se mettent à faire des palais impériaux pour les ouvriers, d'horribles palais Beaux-Arts, comme il s'en est fait pendant la dictature de Staline.

 

5. Enfin, voici le dernier imbroglio. Dans cette exposition, on trouve des œuvres qui n'ont aucun rapport avec le mouvement postmoderne. Pour remplir le vide, leur nullité, les postmodernes ont essayé de s'approprier des personnes du mouvement postindustriel comme Erskine, Venturi, Kroll. Ils voudraient accaparer des architectes comme Ignazzio Gardella ou Carlo Scarpa qui sont des protagonistes du mouvement moderne et méprisent de tout leur cœur le postmodernisme. On pourrait encore trouver bien d'autres imbrogli mais il n'est pas nécessaire de les passer en revue. [...] Si nous voulons interpréter cette triste expérience sous un angle optimiste, nous pouvons dire qu'elle a servi à nous rappeler que l'autoritarisme, le contre-réformisme, le fascisme et le classicisme sont des dangers chroniques, toujours menaçants, contre lesquels on doit lutter quotidiennement. Classicisme de droite ou de gauche, classicisme capitaliste et classicisme jacobin, classicisme avec les croix gammées, et classicisme avec les drapeaux rouges. L'ennemi de la liberté est toujours présent parmi nous et souvent même en nous. Mais la fin peu glorieuse du postmodernisme est la preuve que les intellectuels, les artistes et les peuples ne sont pas favorables à la Restauration. »

 
Le débat avec les architectes, chez qui les critiques de l'évolutif ne manquent pas, devient ici tout à fait concret. La critique la plus « définitive » de l'idée même de logement évolutif a été, de l'avis assez général des architectes, celle de Bernard Huet :

« [...] Quant à la coordination modulaire universelle, c'est un leurre. En matière de construction, chaque société a créé ses propres conventions. Dans la construction traditionnelle, le dimensionnement des éléments est l'aboutissement d'un long processus de transaction entre fabricants, artisans, architectes et usagers. La solution idéale, fixée par l'usage, répond à un grand nombre de paramètres, mon seulement techniques, mais aussi sociologiques et symboliques. On ne peut pas créer des éléments compatibles sur une base aussi arbitraire que la grille ACC. La construction, comme l'architecture, sont liées à la subjectivité concrète des hommes et ne peuvent se satisfaire de l'objectivité abstraite d'une norme. J'ajouterai immédiatement que la qualité architecturale passe par la perfection du métier (Ledoux dixit), et que si la recherche de la juste proportion est le moyen d'approcher cette perfection, comme aucune proportion ne peut être enfermée dans un système de dimensionnement artificiel, il y a incompatibilité probable entre grille ACC et architecture. » (93)

 

Huet poursuit en critiquant l'idéologie du plan Construction et son utilisation de la sociologie. Mais dans les rangs mêmes de cette réflexion sociologique, l'évolutif a pu être récusé. Pour Isabelle Marghieri l'histoire aurait donné définitivement raison à la forte diversification de cellules fixes, contre l'évolutif :

« La diversité dans la conception des types de logement, de même que la recherche d'adaptation d'une opération tant au site qu'aux populations, implique la mise en œuvre de la diversité dans le traitement des espaces extérieurs aux logements, la poursuite de cet objectif conduit à introduire de la diversité dans la conception des logements. Parce que les habitants sont particuliers et que leurs modes de vie diffèrent, il est important que l'organisation interne des logements présente une variété de plans allant de logements dits traditionnels à des logements dits innovants. Toutefois, la diversité peut se trouver à l'intérieur de la catégorie de logements traditionnels, notamment à travers les relations entre les pièces, ou encore à la priorité donnée à telle fonction. Les opérations analysées ont montré qu'il était possible au sein d'une même opération d'offrir de la diversité en mêlant logements traditionnels et logements innovants dans des proportions telles que seuls les individus qui le choisissaient se voyaient attribuer un logement innovant. Ce facteur a permis d'éviter le choc brutal et déstabilisant pour les locataires d'avoir à habiter un logement qui bouleverse leurs pratiques et déstructure leurs repères spatiaux alors qu'ils n'ont ni la volonté ni la capacité, du fait de leur situation immédiate, à s'y trouver confrontés. » (94)

 
Les futurologues semblent pourtant bien prévoir, au XXIe ou XXIIe siècle, la victoire finale de l'évolutif. L'ouvrage collectif de l'équipe du ministère de la Recherche, (2100, récit du prochain siècle) prévoit l'avenir du logement en ces termes :

« Le rôle du parpaing de ciment et de la dalle en béton évolue au cours du vingt-et-unième siècle. Une révolution dans les nouveaux matériaux change, sinon la face du monde, du moins la physionomie des villes, y compris dans les pays pauvres. Des briques légères, auto-adhérentes, s'encastrent comme des jeux de construction pour enfants et peuvent être colorées dans la masse. Des matériaux réunissent des propriétés physico-chimiques tenues précédemment pour incompatibles : rigidité et souplesse, minceur et résistance, légèreté et solidité. Des alliages produisent des qualités particulières à la demande, selon le type d'usage, le climat de la région : isolation acoustique ou thermique, degré de réflexion ou d'absorption de la lumière, d'opacité ou de transparence. Nous voyons alors naître une nouvelle ère du bricolage, des maisons individuelles en kit... ou pas de maison du tout. Une société de nomades apparaît, vivant dans les hôtels, dans les camping-cars, dans des bateaux de plaisance, ou transportant avec soi un équipement ultraléger suffisant pour se reposer ou dormir en tous lieux. Le logement se voit investi de nouvelles missions : l'accueil du télétravail, l'enseignement pour les enfants, la multiplication des activités de communication et d'information. La société hyperindustrialisée et de loisirs s'installe au cœur de la sphère privée. Il s'ensuit des modifications de l'organisation des logements jusque dans leur profondeur. Le gros œuvre très efficace, peu coûteux, incluant une préfabrication poussée des éléments porteurs, est dissocié du second œuvre. Des grues-dirigeables le transportent sur place à sa sortie d'usine. Les éléments techniques, cuisines, salles de bains, plan de travail informatisé, sont des lieux d'expression privilégiés du design, modulables en fonction des besoins, de l'extension de la famille, de sa décomposition ou de sa recomposition. Si leur adaptation en est facilitée, leur entretien ou leur remplacement en est aussi extrêmement simplifié. La ville livre la structure des bâtiments. Liberté est offerte aux habitants de s'approprier cette surface en fonction de leurs besoins. La permanence du caractère de la construction peut, malgré les réaménagements perpétuels, se manifester dans la forme générale des immeuble-villas avec de vastes terrasses plantées. Ainsi, de la même façon que la réflexion sur la façon d'habiter avait permis à Le Corbusier de bouleverser le paysage urbain moderne dans le monde entier, une telle démarche transforme celui que nous connaissions, notamment la rue-corridor pour nous livrer une ville plus généreuse en espace, en soleil et en verdure. » (95)

 

Le lecteur aura reconnu (encore lui !) le principe du Plan Obus pour Alger, de Le Corbusier 1935, tel qu'Habraken l'a repris en 1962 (les porteurs et les hommes), encore actualisé par la prospective technologique. Même le très prudent et conservateur CSTB ne peut éviter d'évoquer des solutions « de flexibilité » dans un avenir proche (96). L'importance du recours qu'offre l'évolutif à nos yeux tient cependant davantage à son aspect anthropologique, et aussi futuristes que paraissent les propos des futurologues, il ne s'agit que de retrouver, à travers toutes ces techniques nouvelles des dimensions essentielles du vernaculaire en tant que pratique habitante pour les usagers. Que ce néo-vernaculaire soit organisé en mégastructures ou en individuel pavillonnaire, que son esthétique soit High-Tech, postmoderne, ou même « vernaculaire », est un aspect certes important pour la critique architecturale mais semble tout à fait secondaire quant à l'essentiel : la qualité architecturale de l'évolutif dépendra, comme toujours, de la qualité des architectes qui le comprendront le mieux. Ce problème se pose évidemment surtout pour l'évolutif collectif : pour ou contre un « n'importe quoi » néo-vernaculaire dans les façades de ces porteurs — rappelons la dérision du thème chez le groupe SITE, avec son Highrise of Homes, où il proposait d'empiler des pavillons tels quels. Habraken avait écrit vers 1968, que si l'esthétique du porteur resterait évidemment libre « il ne devrait pas être neutre mais provocant, suggestif, créateur »... et s'attira la vive remarque d'Édith Girard c.s. (dans un excellent article polémique sur la flexibilité) : « …Bien que le support qu'il produit soit bien peu différent de celui qu'il critique... » (97)

 

La problématique de la flexibilité se présente pour le maître d'ouvrage davantage comme celle du stock de logements, de sa reconversion éventuelle, voire de la réutilisation de composants. La complexité des règlements est d'autre part telle qu'un même logement, selon le calcul de sa surface corrigée, peut voir son prix varier de 30 à 40% : une marge de manœuvre de dernière minute, grâce à la mise en œuvre de composants au niveau du maître d'ouvrage, peut peut-être diminuer ce chiffre. La première théorie d'Habraken (1960), celle des porteurs propriété d'État, correspond assez bien à de telles situations, totalement indépendantes des mises en œuvre individuelles. La flexibilité du patrimoine immobilier (ici, le terme reprend ses droits), indépendants des besoins/désirs individuels, a fait partie des stratégies des pays planificateurs, tels la Hongrie. Pour le maître d'ouvrage, la vision des habitants se réduit le plus souvent à une stricte instrumentalité perçue quasi-uniquement sous l'angle de la gestion la plus « rationnelle ». Pour les maîtres d'ouvrage, l'évolutif a paru, selon les périodes, alternativement une solution économique séduisante ou un caprice relativement ruineux (gaines, prises multiples, dispositifs sous-employés, etc.). Dans l'industrie, quand un produit est doté d'une plus-value évolutive (ordinateurs, hélicoptères évolutifs, etc.) le « retour » financier a été soigneusement évalué ; rien de tel à escompter dans le domaine du logement, où il n'y a pas de bénéfice rapide de la formule, et où d'ailleurs les bénéfices ne peuvent s'évaluer (difficilement...) qu'au long terme dans l'existence des usagers. Par ailleurs, il existe encore des blocages réglementaires importants dans le financement évolutif social, qui, selon Lyon Caen, équivalent à demander du PLA pour un programme non-défini, et créent un problème de conformité des délais d'emploi du PLA.

 

Concernant la qualité de l'habitat, sujet moins architecturologique, l'avènement d'un néo-vernaculaire évolutif semble clairement susceptible d'augmenter sensiblement les chances d'aboutir à du logement social non-insatisfaisant. Car si la satisfaction, comme la Lune, ne peut se promettre, il paraît possible en revanche d'éviter progressivement le mécanisme de projection sur le logement des insatisfactions diverses d'origine sociale, lorsque ce logement est conçu par les habitants, et à condition qu'une flexibilité réelle et des technologies très innovantes permettent à ceux-ci de corriger leurs erreurs (dimension absente, à ma connaissance, des expériences de participation à la conception du logement). Le logement social rigide aura en effet toujours le tort d'être le logement social, c'est à dire non seulement celui d'être une marque de pauvreté, ou de néo-pauvreté, mais surtout d'être attribué par l'État, et non librement choisi par les habitants, même aussi peu que dans le secteur privé. Subir ou choisir, cela délimite deux planètes sociales différentes !

Il faut alors prendre en considération un éventuel terrorisme du choix imposé, sur le mode de l'injonction paradoxale de Bateson (« je t'ordonne d'être libre ! »), bien vu par Édith Girard dans le texte déjà cité. C'est toute la discussion philosophique sur la liberté, la société de consommation, la société-spectacle, la fausse conscience et l'aliénation. Est-on libre de choisir son métier ? son conjoint ? la couleur de sa bagnole ? Regardant vers le divan de l'analyste on trouve, sinon des certitudes, du moins quelques repères cliniques. On s'y plaint, souvent, de la violence des choix imposés, parfois même à commencer par sa propre naissance et le corps dans lequel on s'est retrouvé : « Je ne suis pour rien dans cette architecture-là », ai-je lu un jour dans un compte rendu de cas, et on ne saurait mieux dire sa rébellion contre le fait d'avoir à habiter une entité incontournable dont on peut désapprouver la forme contingente. Reconquérir un peu de pouvoir sur son environnement est assurément thérapeutique, et des façades dans la ville sur lesquelles les passants peuvent lire que certains, au moins, ont pu ainsi se désaliéner partiellement (« ont pu faire leur truc ») non seulement donneraient du courage aux autres, mais enrichiraient le spectacle urbain.

 

Cette tendance anthropologique « naturelle » à l'évolutivité, qui exprime, à travers l'éphémère des agencements, un versant libidinal de la symbolique du logement (autoengendrement, jeu objectal, acceptation de la temporalité), est cependant freinée par la tendance inverse à la « monumentalisation », qui domine depuis bien mille ans. L'architecture savante, qui était celle des monuments, a dévoré l'habitat, qui était vernaculaire, et vivant.

Il nous semble entrevoir chez les habitants, dans ce domaine, une opposition entre des attitudes « identificatoires » à l'architecture proposée ou au contraire une attitude « réactionnelle », sans exclure évidemment des passages de l'une à l'autre : certains habitants seront en accord avec l'ensemble des intentionnalités perçues chez l'architecte à travers sa pratique (son architecture) ; d'autres réaliseront cette appropriation en s'opposant, détruisant certaines de ces intentionnalités. Des types différents d'évolutivité (ou de non-évolutivité) peuvent satisfaire les deux attitudes. Des habitants peuvent porter ou non des projets de vie symbolisables dans l'espace. Selon les cas, des problématiques proches engendrent pourtant des différences. Les processus de sélection trient ce genre d'habitants, et on observe, selon les situations, des différences radicales : est-ce que ce ne sont pas les non-porteurs de projets de vie qui sont tirés vers le logement social ? Et quelle dynamique installe-t-on en les confrontant, à travers le logement évolutif, à leur absence de projet ? Celle-ci est-elle, comme le pensent trop souvent les architectes, les sociologues (sous l'effet de fantasmes fouriéristes de base), une prise de conscience provoquant l'émergence du dit projet ? On voit que cette architecture-là est bien plus que l'art des espaces, elle conditionne le changement social.

Les premières expériences de la Suède, Montereau, etc. ont montré que les pièces atypiques sont produites dans l'interaction avec les architectes non-directifs et relativement impulsifs (plans rapides) ; dans les expériences qui tendent à d'abord acculturer le public à l'architecture (comme l'atelier d'architecture populaire de Vauréal), les plans sont finalement plus policés, conventionnels, et en tous cas dépourvus du grain de folie qui les rend paradoxalement attrayants, par la suite, aux nouveaux locataires-repreneurs (qui, sans doute, manifestent ainsi combien il leur urge d'échapper aux plans-types et à l'anonymat qu'ils désignent).

 

Pour les usagers, il est manifeste dans les rares opérations réellement construites et évaluées, qu'ils sont pris dans le conflit entre leur désir d'installation et de mobilité, et qu'il leur est souvent difficile de combiner les deux quand ils n'ont pas des champs d'investissement personnel importants ailleurs que dans l'habitat. Chez les habitants qui déménagent souvent, on voit que la facilité apparente de la mobilité n'est rendue possible que par l'illusion, maintenue à chaque fois, d'une nouvelle installation. Or, le vrai évolutif, c'est s'installer dans le changement, et il y a encore peu de familles pour lesquelles cette idée soit une évidence. C'est la raison pour laquelle il sera indispensable, lors de nouvelles expériences d'habitat évolutif, de trouver et mettre en œuvre des matériaux et des composants dont la technique renvoie à des significations en termes de solide, définitif, immobile : cloisons lourdes et très isolantes, etc.

Si nous quittons maintenant le tréfonds de l'Homme pour des considérations plus psychosociologiques, nous pouvons passer en revue les principales attitudes qui se font jour chez les usagers au contact de cette problématique de l'éphémère et du monumental, du mobile et de l'immobile, de l'évolutif et du logement fixe, aussi bien concernant le moment de la conception que celui de la participation, ou de la relocation.

La facilité constatée de la relocation des logements personnalisés tiendrait au fait que lors de leur conception sont intervenus de façon consciente ou non, des consensus anciens et puissants quant aux usages des espaces. Ces consensus trouvent à se matérialiser dans les types de distribution des plans (les articulations entre les pièces) davantage que dans « l'architecture » (la succession des volumes, le système des signes, ou plus souvent « le décor »). Il s'ensuit que malgré des apparences souvent inusitées, les logements « personnalisés » ne rompent pas, sur l'essentiel, avec la pratique courante par leur distribution qui en rend les intentionnalités lisibles par d'autres usagers que leurs concepteurs (sauf exceptions, très rares dans le logement social).

La participation, malgré la liberté offerte aux habitants de créer un plan personnel, ne produirait donc pas ses marqueurs de différence sur une rupture consensuelle qui risquerait de faire passer ses auteurs comme aliénés sociaux. Ses effets peuvent donc être considérés comme secondaires par rapport à une dimension réellement novatrice qui toucherait à la structure même des plans pour y abriter des modes de vie en rupture. On peut dire en substance que même conçus avec une grande liberté, les logements « personnalisés » ne le sont que très faiblement sur cette dimension que l'on peut qualifier de « structurelle ». L'aspect « personnel » des appropriations non-structurelles réalisées par l'occupant précédant, qu'il ait été le concepteur ou non, semble induire la facilité de la reprise du logement, parce qu'il dénote qu'a été exercé avec succès (indépendamment du résultat) un processus de maîtrise de la vie propre par le prédécesseur, que ces appropriations symbolisent. C'est l'accès à l'intégration d'une dynamique réappropriatrice de soi et de son devenir que symboliserait cette personnalisation qui peut être « reprise » comme attitude active, ou même simplement dans la rêverie et le fantasme, et non les agencements matériels eux-mêmes. Dans certains cas ce type de « reprise fantasmatique » s'accompagne d'identifications à des pionniers participatifs sur un registre d'attente active d'une meilleure sociabilité si l'intégration dans le groupe d'origine semble jouable. Dans d'autres cas ce serait surtout l'opération mentale d'un rapprochement plus incognito avec un lieu convivial, au climat psychologique reconnu comme plus vivable, qui rendrait compte de la facilité manifeste de la relocation des espaces perçus comme personnalisés. La perception que ce contrepouvoir « d'en bas » a été manifestement encouragé « en haut », offre aux candidats un bénéfice de plaisir qui constituera la motivation de l'adhésion à des plans qui peuvent parfois même être non-adéquats pour les « besoins » matériels de la famille des repreneurs, mais très adéquats pour leur confort psychique individuel et groupal. La diversité des plans, même s'ils restent dans les limites des différentes quotidiennetés socialement admises, est suffisante au niveau des signes pour représenter aux yeux de certains candidats une « séduction par l'altérité » qui est relevée comme défi : démonstration de pouvoir sur soi-même. La « métamorphose » offerte ainsi en spectacle à l'entourage semble susceptible de marquer une étape importante de leur existence (et le logement-support d'être pris comme monument... de l'aventure évolutive !).

Ces altérités séductrices peuvent renvoyer à un grand nombre d'attitudes dont les plus évidentes nous semblent des modèles contre-identificatoires par rapport aux imagos parentales, ou bien une réalisation fantasmatique grandiose de soi-même par sa propre décision (« autoengendrement ») ; ou encore une attitude distanciée d'adhésion critique dans une dynamique de perlaboration « fraternelle œdipienne », plus courante peut-être dans la participation, pourront déclencher quelle réaction préconsciente/inconsciente chez les candidats, et surtout quelle décision concrète ; mais il est par contre assez prévisible que plus la diversité existe et se sait socialement, et plus il y aura de familles trouvant à loger davantage que leurs fonctions matérielles, surtout leurs fonctions symboliques. Autrement dit, pourront réaliser un fort investissement dans un logement riche de sens pour elles.


Les plans « personnalisés » que permet aisément la formule évolutive seraient pris dans une opposition aux plans anonymes de la construction courante pour y symboliser l'opposition entre le droit à l'existence propre affirmé dans sa simplicité pour les premiers et une réduction de cette singularité aux seules normes et valeurs socialement communicables, pour les seconds. Choisir entre l'un des deux termes de cette opposition peut parfois être plus important qu'affirmer sa personnalité propre à un moment donné, et cela facilite la reprise de ces logements en quelque sorte « politique » ou « par principe », et en dehors de préoccupations ayant davantage trait aux logements eux-mêmes. Le marché immobilier privé semble parfois jouer sur cette position quand il propose dans ses petites annonces des logements dits « de caractère », qui se révèlent à la visite être surtout invivables. Il y a là un jeu de flatterie plus ou moins subtile du client, qui se verrait reconnaître « du caractère » s'il ose se loger là. Il y a peut-être davantage que des jeux de mots dans cette coïncidence entre le caractère attribué à certains logements et à certaines personnes ; ces dernières peuvent à certaines étapes de leur existence ou à certains moments du parcours du candidat au logement effectivement mettre en avant leur caractère.

L'originalité semble faire bon ménage avec le tempérament artistique d'autrui comme nous l'avons vu dans le cas de dix logements d'artistes où les décorations en tous genres n'ont jamais posé de problèmes de reprise. Or, à y bien réfléchir, s'il y avait une sous-population dont on pouvait redouter une intolérance rigide envers des décorations apportées par un locataire précédant, ce seraient bien des artistes plasticiens dont on imagine que le style personnel envahisse aisément leur cadre quotidien et ne souffre pas de concurrence visuelle des productions de la créativité d'autrui. Mais c'est ici aussi le contraire qui est vrai et il faut croire que la tolérance envers l'originalité d'autrui, voire même une appétence envers l'autre-créatif, est plus forte et d'autant plus aisée que sa créativité propre est bien portée dans l'existence.

Les différentes techniques de personnalisation des logements, sociaux ou pas, et leur reprise par des habitants ultérieurs rejouent à leur manière la classique partie de bras de fer entre « l'objectal » et le « narcissique » ou si on préfère entre les autres et soi-même. Sans compliquer davantage le tableau en faisant intervenir toutes les gradations intra et extra familiales, on peut expliquer l'attrait conjoncturel de reprendre tel quel un logement « autre » par le bénéfice que constitue le fait de ne pas avoir à exprimer ce que serait un logement « soi » : une stratégie de Bernard-l'ermite préservant son identité cachée dans un coquillage quelconque. Car, aussi quel ennui cela peut être de ne vivre qu'entouré de signes ne renvoyant qu'à soi (comme certains grands architectes, designers, etc.), dans un univers de reflets omniprésents de soi-même et quel plaisir, au contraire, quel jeu permanent d'échanger, négocier, se bagarrer et se réconcilier avec du différent, du non-soi du jamais vécu et de l'inimaginable, et ce par ses seuls moyens de bord...

On ne peut cependant pas écarter l'idée qu'il puisse exister des familles pour lesquelles certains logements « personnalisés » sont très facilement repris pour la simple raison qu'ils leur conviennent dans l'ensemble, et que ces plans leur révèlent une nouvelle façon d'habiter pas trop différente de celle qu'ils pratiquaient auparavant (donc sans séduction par l'altérité). L'on pourrait qualifier cette attitude de séduction par l'évolution assumée de soi dans une naturalisation du devenir, dont le logement visité et perçu comme discrètement non-soi mais à distance opérationnelle de son devenir imminent sera pris comme un déclencheur de la prise de conscience d'une adaptation tranquille à des réalités psychosociales nouvelles.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 








 

 

 


 

91 — Concept cher à Jacqueline Palmade, mais auquel Castoriadis opposait récemment l’exemple des Tziganes vivant fort bien sans un tel mécanisme : on a vu plus haut que Métraux avait déjà signalé la cas étonnant des Ona. L’étayage de l’identité par l’habiter semble certain, mais limité à certaines cultures et époques, dont peut-être la nôtre — qui pourrait changer sans crier gare...

92 — Zevi, Bruno, 1981, « Les cinq imbrogli du post-modernisme », Techniques et architecture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 









 

 

 

93 — Huet, B.
in : Construire pour Habiter, pp.72-75.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

94 — Isabelle Marghieri, « Innovation et qualité d’usage », in Habitat 88, Idées bâties, pp.94-103.

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 

 




 

95 — Gaudin, Th. (dir), 1990,
2100, récit du prochain siècle, Payot, pp.330-333.
 

96 — Chemillier, P.,
« Comment construira-t-on les bâtiments en France en 2025 ? », in : Techniques et métiers de la construction, perspectives, PCA 1992, pp.13-42.

 




 

97 — Édith Girard, 1974, « Enfin libres et soumis ! », L’Architecture d’aujourd'hui, n°174, juillet, pp. 10-17.

Conclusions générales



Que peut-on dire, en conclusion, de cette visite du domaine de l'habitat évolutif ?

Dans beaucoup de cas, la lecture du matériel sur le déroulement des premières expériences fait songer à ce despote allemand du XVIIIe siècle qui, désirant connaître la langue naturelle de l'homme, fit enfermer dans des chambres noires des nouveau-nés auxquels il était interdit d'adresser la parole : en quelle langue allaient-ils s'exprimer ? Quelle architecture feraient des gens livrés à eux-mêmes ? Faux problème, et un peu pervers, s'agissant de gens privés au préalable de tout savoir-faire architectural par notre société spécialisée qui, justement, a produit les architectes. Dans le cas du vernaculaire, il en va évidemment autrement : la culture de l'habiter préexiste et préside à la conception.

L'enjeu sociologique, économique et psychique de cette formule d'habitat n'a pu être qu'effleuré par les suivis des expériences passées, qui n'ont pu saisir dans le temps la dimension nouvelle de logement-processus ouverte par l'évolutif.

Les conditions défavorables des expérimentations du passé, dans leur déroulement ou leur suivi, pourraient avoir pour cause première le caractère de palliatif qui s'est attaché dès le début aux logements évolutifs : le statut expérimental a souvent, malgré des enthousiasmes trop manifestes, été pris par les habitants comme aveu d'impuissance, d'incompétence (si les décideurs en sont à chercher, c'est qu'ils ne savent pas...). Une des choses demandées à un habitat, c'est de manifester clairement l'identité des habitants ; si celle-ci même est dans une phase expérimentale, évolutive, tout ira bien pour s'intégrer à un logement lui-même évolutif (mais rares sont ceux qui assument longtemps des périodes de changement) ; si cette identité est stable, forte et revendicatrice de certaines particularités qui en font la distinction, l'évolutif peut être la solution idéale à condition de s'affirmer sans fausse honte et non comme essai timide (l'abandon futur est souvent implicite dans le message paradoxal contenu dans la formulation des expérimentations).

 

Les grandes expérimentations du début (Orminge, 2600 logements ; le SAR en Hollande, des milliers de logements ; Le Vaudreuil, 1000 logements) ont été suivies pendant la phase de réalisation et, dans le cas de la Suède, quelques années après. Mais c'est maintenant, vingt ans après, que l'on pourrait observer l'impact écologique sur une génération de cette formule d'habitat. Des études quantitatives par questionnaires, suivies d'entretiens auprès des cas représentatifs d'une typologie de situations, sont enfin possibles au moment où on semble avoir oublié ces opérations. À-t-on jamais vu un arboriculteur oublier les arbres plantés vingt ans plus tôt ?

On peut se demander si le succès ou l'échec d'une formule d'habitat ne dépend pas, encore et toujours, malgré l'avènement des classes moyennes et du consumérisme, du modèle classique de l'opposition dominant-dominé. Ne seraient, classiquement, estimés désirables que les attitudes, comportements et modes de vie préalablement adoptés par les classes dominantes (la reprise de leurs avatars bon-marché par les masses nécessitant un demi-siècle en moyenne). Les formules originales inventées pour le logement social viendraient buter sur cet effet de non-légitimation préalable « par en haut », et ne progressent que laborieusement dans l'univers des représentations sans cet appui décisif. Faut-il paradoxalement, en apparence, proposer une politique de logement, à visée ultime sociale, transitant par de l'expérimentation initiale auprès des classes les plus aisées ? Pourquoi pas. Thorstein Veblen a bien montré le rôle révolutionnaire de ces « classes de loisir » dont le mérite est de longuement expérimenter tout ce qui est bon dans l'existence, et ce phénomène peut parfaitement agir ponctuellement sur la dynamique du changement social (98).


Directement lié à la remarque précédente, se pose le problème de la centralité urbaine dans l'expérimentation. Il paraît évident, après ce que nous avons vu, qu'un piège fantasmatique puissant a été involontairement tendu aux participants des expérimentations de logement évolutif. On leur a offert la liberté de dessiner leur plan ; donc, pour beaucoup d'entre eux, d'une certaine réalisation fantasmatique de soi, de leur conception de l'existence. Mais en même temps, on ne leur a donné cette liberté de « devenir eux-mêmes » et de le montrer que très loin des centres urbains, et cette mise à distance peut parfaitement venir réactiver des interdictions surmoïques (quant à la sexualité infantile, etc. : Freud a tout dit là-dessus). Donc, il y a eu double injonction, schizophrénisante selon Bateson : « deviens toi-même », et, en même temps : « va te cacher pour faire ça ».

Une partie de « l'échec » de la formule évolutive pourrait bien tenir à cette réactivation infantilisante. La solution est claire : des expérimentations doivent être conduites au centre même de la vie sociale, au foyer du regard sociétal posé sur l'individu, donc dans les centre-ville. Au plan économique, au demeurant, rendre évolutif un certain parc de logements parmi les plus chers du foncier ne peut être que saine prudence (même si ce n'est que de l'évolutif pour la maîtrise d'ouvrage).

 

À notre connaissance, il n'y a pas eu de réalisation offrant un porteur évolutif (du domaine des décideurs, maître d'ouvrage et architecte), laissant la liberté du choix du type d'évolutivité ou non-évolutivité du second œuvre, et notamment le choix des systèmes d'éléments ou des matériaux traditionnels. Ce divorce radical, au plan organisationnel, entre les porteurs et les hommes n'a été maintenu par aucun émule du SAR. Il y a pourtant, selon le type de second œuvre, des réalités psychologiques très diverses (et ne recherche-t-on pas la diversité ?).

La diversité actuelle des logements français est très grande, et en cela l'enrichissement de l'offre urbaine, architecturale, esthétique, est certainement une réussite. Mais une certaine dose de constructions évolutives augmenterait cette diversité par la dimension d'un processus de conception architecturale différent : la diversité des objets est une chose ; celle du processus rendu visible redouble la mise. Il est difficile d'évaluer la bonne dose d'évolutivité. Dans les études menées par Jacqueline Palmade, sur 400 personnes interviewées, environ 3% avaient procédé à des transformations des espaces habités (dans des logements traditionnels). À Orminge, les pourcentages étaient de 10% : et de 26% si on prend en compte les rêves non réalisés. Faut-il d'ailleurs qu'il y ait des transformations appropriatrices pour que le logement évolutif remplisse son rôle ? On peut le penser, au vu du phénomène des leaders d'opinion (La Grand Mare), que l'adaptabilité potentielle et cet habitat en est une dimension essentielle, garantie par l'exemple de ceux qui ont « osé » s'en servir ; l'extension du champ des possibles augmente le potentiel d'étayage sur le logement dans ces cas.

 

Plus généralement se fait ici jour l'idée que la valeur principale du logement évolutif n'est pas celle, qui coule de source, de l'expression libre d'agencements originaux ou déviants dans l'espace-logement, mais sans doute surtout celle de la potentialité de tels aménagements (comme dans les cas vus en Suède), ainsi que la valeur du processus même d'appropriation-transformation, y compris passif (en tant que spectacle audacieux donné par ces bricoleurs, nouveaux Prométhée des HLM). Par ces valeurs le logement évolutif offre une nouvelle capacité de dynamiser le rapport au quotidien, et au temporel plus largement, en ouvrant la perspective d'une adéquation devenue pensable entre le logement et l'existence qui s'y déroule. Déjà de pouvoir en rêver, dans le registre de la faisabilité réelle autorisée par le système constructif évolutif, ouvre un nouveau champ. La demande spontanée d'évolutivité se manifeste quand la satisfaction dans le logement est atteinte, après une première installation : tel le cas de la REX de Saint-Ouen (>35 m²/habitant).

On peut également penser que le « coût » de ces changements doive s'entendre autrement : ce coût serait celui de la perte de la rêverie du changement par son passage à l'acte. L'espace nouveau que créerait l'habitat évolutif serait alors fait d'un subtil dosage, dans la dialectique du soi et de l'autre, entre des intentionnalités d'aménagement raisonnable (fonctionnel ?) de l'espace, et ses possibles détournements. Mais possibles seulement en étayage sur la perception de ces intentionnalités qui, dans leur bienveillance potentielle, ravivent vaguement des vécus de maternage ou paternage, de fonction parentale dont la présence sur les lieux mêmes du soi adulte constitue une sorte de rappel existentiel permanent.

 

Le jeu mis en place est alors riche de dynamique symbolique : on est ; mais c'est parce que d'abord on a été fait ; mais cela permet justement de se faire autrement, et ainsi de suite. Les idées de D.W. Winnicott sur l'espace et l'objet transitionnel semblent ici s'appliquer, dans la mesure où la flexibilité renverrait à celle du holding de la mère « suffisamment bonne », c'est à dire la mère pas trop mauvaise, généralement bonne, mais surtout pas totalitairement surprotectrice par une attention de tous les instants. On a vu, à Montereau, quelque chose de cette dynamique, entre les locataires-candidats et un architecte latin davantage dramatisant, en termes d'identification et de mouvements transférentiels.

 

Autant sinon davantage que l'accompagnement des réalisations de logement évolutif, leur gestion dans le temps paraît une dimension-clé. Ce type d'habitat nécessite la création d'un nouvel acteur social qui serait idéalement un habitant, ayant participé au processus de conception, ouvrier qualifié ou artisan, reconverti en gardien gérant un stock d'éléments et aidant les locataires ou copropriétaires à réaliser des aménagements ou des modifications dans l'immeuble. Ce nouveau personnage pourrait être une plaque tournante du succès de nouvelles expériences : un gardien-architecte d'exécution, faisant la liaison avec les OPHLM ou gérants et l'architecte.

 

Le niveau auquel doit se placer une pédagogie des habitants n'est pas seulement celui d'une base minimale aux plans techniques et architecturaux, mais celui de la gestion ultérieure des espaces personnalisés.

La formule évolutive semble en effet commander la nécessité pour les gens d'apprendre, sinon l'architecture, du moins les rudiments de son langage : les volumes, la lumière, la déambulation... pour dépasser l'archi spectacle des façades, que le public seul connaît. Il faudra réapprendre à faire sa maison.

 

L'évolutif, c'est donc la vernacularisation High-Tech du logement social !

À quoi tient la force de l'évolutif ? Nous pensons qu'elle émane du lieu sociologique important où cet imaginaire sociotechnique se tient. L'évolutif c'est le socle anthropologique de l'espace de l'habiter. Le retrouver apporte, en résumé :

  • la symbolisation de l'identité à travers l'acte de montrer sa différence ;
  • l'entre-deux des immeubles-villas, entre la pratique pavillonnaire et celle de l'habitat collectif d'origine bourgeoise ;
  • l'adaptation aux changements possibles et imprévus ;
  • l'adaptation aux besoins de populations marginalisées ;
  • le maintien des liens sociaux dans le quartier et l'immeuble par l'évitement de déménagements successifs ;
  • un rapport aux périodes de la vie assumé dans un cadre qui, par ses modifications, en restera témoin ;
  • la potentialité du changement comme espace de rêverie sur l'habitat.


Le néo-vernaculaire devrait ainsi permettre de réconcilier la tradition et la modernité, sans errements superficiels « postmodernes ».

Les conditions essentielles de son succès auprès des habitants paraissent encore longtemps réservées à une minorité.

Il y faudra un progrès de l'innovation technologique, rendant disponibles des systèmes de cloisons flexibles et planchers creux maniables par les habitants, mais dont la solidité et les qualités d'isolation se rapprochent de celles des murs traditionnels. Mais également une approche beaucoup plus fine de la complexité familiale et humaine, et des changements d'attitude envers la créativité personnelle, montrée dans le champ social. Tout cela ne paraît pouvoir dépasser le stade des expérimentations que si l'évolution sociale se dirige vers une société de loisirs : loisirs forcés ou non, c'est une autre histoire.



 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 




 



 

 

98 — Veblen, Thorstein, 1899,
Théorie de la classe de loisir, Gallimard, 1978.

 




Bibliographie générale de l'habitat évolutif (à la date de 1993)



Abréviations des titres des principales revues d'architecture



AA : L'Architecture d'Aujourd'hui

 

AD : Architectural Design

 

AF : Architectural Forum

 

AMC : AMC Revue d'Architecture

 

BW : Bauen und Wohnen

DB : Deutsche Bauzeitung

 

Dn : Design

 

Ds : Domus (Italie)

 

Ek : Ekistics

 

Hhs : H, Revue de l'habitat social

JA : Japan Architect

 

MTP : Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment

 

PL : Plan (Hollande)

 

RA : Recherche et Architecture

 

TA : Technique et Architecture

 



Articles par titre



 « Analysis of design alternatives for evolutionary settlements », Bie bulletin, (Nld), n° 11, juin 1982, 109 p, fig, pl, bibliogr.

 « Banlieues (des) à la maison agrandissable », Urbanisme, n° 218, mars 1987, pp.80-96, phot, plans, bibliogr.

 « Culture au quotidien, 1985, Le Bricolage... une manière de faire », Construire en participation, n° spécial, février.

 « Des intentions comme pré-texte », SIA Ingénieurs et architectes suisses, n° 14/91, 26 juin 1991, pp.189-197.

 « Desarrollo de proyecto progresivo de vivienda de interés social con sistemas tradicionales e industrializados »

 « Deux expériences d'habitat minimum évolutif au Maroc », A + U, n° 2, 1964, pp.13-16, phot.

 « Development within development : user extensions of 4-storey walk up housing in Cairo, the case of Helwan », Open House International, (Gbr) ; vol. 16, n° 1, 1991.

 « Deux expériences d'habitat ; minimum évolutif au Maroc », A+U, (mar), n° 2, 1964, pp.13-16.

 « Développement (le) de l'habitat évolutif », Cahiers du CSTB, n° 278, avril 1987, 35 p, fig, plans, phot.

 « Domus demain. Function follows equipment », Arch +, (Deu), n° 100-101, oct. 1989, pp.74-87.

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 « Etude de maisons évolutives sur petites parcelles », Tunis, Groupe huit, 1978.

 « Evolutionary (an) housing supply mode towards design of the quality environments for low-income groups in Turkey », Open House International, (Gbr), vol. 14, n° 3, 1989, pp.44-48, fig, ref.

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 « Habitation avec zone à construire soi-même », BW, 1977, n° 12, décembre, pp.463-465.

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« Maison évolutive, Ecaussinnes Belgique », TA n° 347, mai, pp.150-151.

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