Freud et la religion | |||
12 juin 2007, publié par Naravas, sur : http://anglesdevue.canalblog.com/archives/2007/06/12/5270642.html
Citations de Freud sur la religion : désaide, détresse, névrose et besoin religieuxFreud et la religion Plusieurs réflexes d’indignation face à la critique
des religions m’ont poussé à mettre ce texte en ligne. Pour rappeler par
exemple qu’une affaire comme celle des caricatures danoises est du pipi de chat
devant les puissantes analyses que les sciences sociales ont produites sur (et
parfois contre) la religion. Pour dire que cette critique est non seulement
nécessaire mais elle cible le plus souvent ce qu'il y a de plus humain dans la
formation et la pratique religieuses. Les sociologues et les psychologues
critiquent moins Dieu que les orthodoxies, les dogmes et les impensés humains
auxquels ce Dieu se trouve associé. Nous avons en Sigmund
Freud (1856-1939) – trop cité, et peu lu – l’un des
penseurs les plus perspicaces et les plus terribles à l’endroit des religions.
Nous avons essayé à travers les quelques citations qui vont suivre d'esquisser
sa vision singulière de la religion, tout en espérant vous donner le goût
d'aller découvrir cette pensée riche et percutante... La religion explique le monde « Nous arrivons ainsi à cette singulière conclusion
: de tout notre patrimoine culturel, c'est justement ce qui pourrait avoir pour
nous le plus d'importance, ce qui a pour tâche de nous expliquer les énigmes de
l'univers et de nous réconcilier avec les souffrances de la vie, c'est
justement cela qui est fondé sur les preuves les moins solides. » (AI, p. 28) Je
crois mais je doute… « Cette impossibilité [de prouver les doctrines
religieuses] a été reconnue de tout temps, et certainement aussi par les
ancêtres qui nous ont légué cet héritage. Sans doute beaucoup d'entre eux
ont-ils nourri les mêmes doutes que nous, mais une pression trop forte
s'exerçait sur eux pour qu'ils osassent les exprimer. Et depuis lors,
d'innombrables hommes ont été tourmentés des mêmes doutes, doutes qu'ils
auraient voulu étouffer, parce qu'ils pensaient de leur devoir de croire » (AI,
p. 28) J’y
crois parce que c’est absurde « Il faut à présent mentionner deux tentatives, qui
font toutes deux l'impression d'un effort spasmodique pour éluder le problème.
L'une, de l'ordre de la violence, est ancienne ; l'autre est subtile et
moderne. La première est le Credo quia absurdum des Pères de l’Église. Ce qui revient à dire
que les doctrines religieuses sont soustraites aux exigences de la raison ;
elles sont au-dessus de la raison. Il faut sentir intérieurement leur vérité ;
point n'est nécessaire de la comprendre. Seulement ce Credo
n'est intéressant qu'à titre de confession individuelle ; en tant
que décret, il ne lie personne. Puis-je être contraint de croire à toutes les
absurdités ? Et si tel n'est pas le cas, pourquoi justement à celle-ci ? Il
n'est pas d'instance au-dessus de la raison. Si la vérité des doctrines
religieuses dépend d'un événement intérieur qui témoigne de cette vérité, que
faire de tous les hommes à qui ce rare événement n'arrive pas ? On peut
réclamer de tous les hommes qu'ils se servent du don qu'ils possèdent, de la
raison, mais on ne peut établir pour tous une obligation fondée sur un facteur
qui n'existe que chez un très petit nombre d'entre eux. En quoi cela peut-il
importer aux autres que vous ayez, au cours d'une extase qui s'est emparée de
tout votre être, acquis l'inébranlable conviction de la vérité réelle des
doctrines religieuses ? » (AI, p. 29) « C'est de nouveau une illusion que d'attendre quoi
que ce soit de l'intuition ou de l'introspection ; l'intuition ne peut nous
donner que des indications - difficiles à interpréter - sur notre propre vie
psychique, jamais le moindre renseignement relatif aux questions auxquelles la
doctrine religieuse trouve si aisément des réponses. » (AI, p. 33) Les
dogmes religieux sont des désirs humains… « Ces idées, qui professent d'être des dogmes, ne
sont pas le résidu de l'expérience ou le résultat final de la réflexion : elles
sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens, les plus forts,
les plus pressants de l'humanité ; le secret de leur force est la force de ces
désirs. Nous le savons déjà : l'impression terrifiante de la détresse infantile
avait éveillé le besoin d'être protégé - protégé en étant aimé - besoin auquel
le père a satisfait ; la reconnaissance du fait que cette détresse dure toute
la vie a fait que l'homme s'est cramponné à un père, à un père cette fois plus
puissant. L'angoisse humaine en face des dangers de la vie s'apaise à la
pensée du règne bienveillant de la Providence divine, l'institution d'un ordre
moral de l'univers assure la réalisation des exigences de la justice, si
souvent demeurées irréalisées dans les civilisations humaines, et la
prolongation de l'existence terrestre par une vie future fournit les cadres de
temps et de lieu où ces désirs se réaliseront. Des réponses aux questions que
se pose la curiosité humaine touchant ces énigmes : la genèse de l'univers, le
rapport entre le corporel et le spirituel, s'élaborent suivant les prémisses du
système religieux. Et c'est un formidable allégement pour l'âme individuelle
que de voir les conflits de l'enfance émanés du complexe paternel - conflits jamais
entièrement résolus -, lui être pour ainsi dire enlevés et recevoir une
solution acceptée de tous. […] Quand je dis : tout cela, ce sont des illusions, il
me faut délimiter le sens de ce terme. Une illusion n'est pas la même chose
qu'une erreur, une illusion n'est pas non plus nécessairement une erreur. […]
Ce qui caractérise l'illusion, c'est d'être dérivée des désirs humains; elle se
rapproche par là de l'idée délirante en psychiatrie […] » (AI, pp. 31-32) Religion
et besoin infantile d’aide et de protection « Quant aux besoins religieux, leur rattachement à l'état infantile de dépendance absolue, ainsi
qu'à la nostalgie du père que suscite cet état, me semble
irréfutable, d'autant plus que ledit sentiment n'est pas simplement dû à une
survivance de ces besoins infantiles, mais qu'il est entretenu de façon durable
par l'angoisse ressentie par l'homme devant la prépondérance puissante du sort.
je ne saurais trouver un autre besoin d'origine infantile aussi fort que celui
de protection par le père. » (MC, p. 11) « Car cette situation n'est pas nouvelle, elle a un
prototype infantile, dont elle n'est en réalité que la continuation. Car nous
nous sommes déjà trouvés autrefois dans un pareil état de détresse, quand nous
étions petit enfant en face de nos parents. Nous avions des raisons de craindre
ceux-ci, surtout notre père, bien que nous fussions en même temps
certains de sa protection contre les dangers que nous craignions alors. Ainsi
l'homme fut amené à rapprocher l'une de l'autre ces deux situations, et, comme
dans la vie du rêve, le désir y trouve aussi son compte. […] De même l'homme ne
fait pas des forces naturelles de simples hommes avec lesquels il puisse entrer
en relation comme avec ses pareils - cela ne serait pas conforme à l'impression
écrasante qu'elles lui font - mais il leur donne les caractères du père, il en
fait des dieux, suivant en ceci non pas seulement un prototype infantile mais
encore phylogénique […] » (MC, p. 18-19) « Mais la détresse humaine demeure et avec elle la
nostalgie du père et des dieux. Les dieux gardent leur triple tâche à accomplir
: exorciser les forces de la nature, nous réconcilier avec la cruauté du
destin, telle qu'elle se manifeste en particulier dans la mort, et nous
dédommager des souffrances et des privations que la vie en commun des civilisés
impose à l'homme. » (AI, p. 19) « Ainsi se constitue un trésor d'idées, né du
besoin de rendre supportable la détresse humaine, édifié avec le matériel
fourni par les souvenirs de la détresse où se trouvait l'homme lors de sa
propre enfance comme aux temps de l'enfance du genre humain. Il est aisé de
voir que, grâce à ces acquisitions, l'homme se sent protégé de deux côtés :
d'une part contre les dangers de la nature et du destin, d'autre part contre
les dommages causés par la société humaine. » (AI, p. 19) La
foi et le délire « les doctrines religieuses sont toutes des
illusions, on ne peut les prouver, et personne ne peut être contraint à les
tenir pour vraies, à y croire. Quelques-unes d'entre elles sont si
invraisemblables, tellement en contradiction avec ce que nous avons appris,
avec tant de peine, sur la réalité de l'univers, que l'on peut les comparer -en
tenant compte comme il convient des différences psychologiques - aux idées
délirantes. » (AI, p.33) La
religion est ce que nous nous souhaitons « Nous savons à peu près à quelle époque et par
quelle sorte d'hommes les doctrines religieuses ont été créées. Si nous
apprenons encore en vertu de quels motifs elles le furent, le point de vue d'où
envisager le problème religieux subira un déplacement notable. Nous nous dirons
: il serait certes très beau qu'il y eût un Dieu créateur du monde et une
Providence pleine de bonté, un ordre moral de l'univers et une vie future, mais
il est cependant très curieux que tout cela soit exactement ce que nous
pourrions nous souhaiter à nous-mêmes. » (AI, p. 34) Sans
la religion qui nous limite, ce sera l’anarchie ! Question : « Si l'on vient à apprendre aux hommes
qu'il n'y a pas de Dieu très juste et tout-puissant, par d'ordre divin de
l'univers et pas de vie future, alors ils se sentiront exempts de toute
obligation de suivre les lois de la civilisation. Sans inhibitions, libéré de
toute crainte, chacun s'abandonnera à ses instincts asociaux, égoïstes, et
cherchera à établir son pouvoir. Le chaos, que nous avons banni par un travail
civilisateur millénaire, recommencera. » (AI, p. 36) Réponse : « il
y aurait un indubitable avantage à laisser Dieu tout à fait en dehors de la
question et à avouer honnêtement l'origine purement humaine de toutes les
institutions et prescriptions de la culture. » En même temps que tomberait leur prétention à une
origine sacrée, cesserait aussi la rigidité et l'immutabilité de ces lois et
ordonnances. Les hommes seraient mis à même de comprendre que celles-ci ont été
créées bien moins pour les maîtriser que dans leur propre intérêt, ils auraient
envers elles une attitude plus amicale, et au lieu de viser à les abolir, ils
viseraient seulement à les améliorer. Ce serait là un progrès important dans la
voie qui conduit les hommes à se réconcilier avec la pression qu'exerce sur eux
la civilisation. » (AI, p. 42) D’innombrables humains trouveraient leur bonheur dans la
religion… Question : « D'innombrables humains trouvent dans
les doctrines de la religion leur consolation unique, ne peuvent supporter la
vie que grâce à ce secours. Et on voudrait leur retirer cet appui sans avoir
rien de meilleur à leur offrir en échange. » (AI, p. 36) Réponse : « Il est douteux que les hommes, au temps
où la religion régnait en maîtresse absolue, aient été dans l'ensemble plus
heureux qu'aujourd'hui ; en tout cas ils n'étaient certes pas plus moraux. Ils
se sont toujours entendus à transformer les prescriptions religieuses en
pratiques extérieures, déjouant par là les intentions de ces préceptes. Et les
prêtres, dont la fonction était de veiller à l'observance de la religion, se
faisaient à demi leurs complices. La bonté de Dieu devait paralyser sa justice.
On péchait, puis on apportait des offrandes ou bien l'on faisait pénitence, et
alors on était libre de pécher à nouveau. […] Il est de notoriété publique que
les prêtres ne purent maintenir la soumission des foules à la religion qu'au
prix de ces grandes concessions aux instincts des hommes. Et on en demeura là :
Dieu seul est fort et bon, l'homme est faible et pécheur. De tout temps,
l'immoralité a trouvé dans la religion autant de soutien que la moralité.» (AI,
p. 38-39) La
religion est la névrose obsessionnelle de l’humanité « Aux époques d'ignorance et de faiblesse
intellectuelle qu'elle a d'abord traversées, l'humanité ne pouvait réaliser les
renoncements aux instincts indispensables à la vie en commun des hommes qu'en
vertu de forces purement affectives. Et le résidu de ces démarches, analogues
au refoulement, qui eurent lieu aux temps préhistoriques, subsistent longtemps
en tant que partie intégrante de la civilisation. La religion serait la névrose obsessionnelle universelle de
l'humanité; comme celle de
l'enfant, elle dérive du complexe d'Oedipe, des rapports de l'enfant au père.
D'après ces Conceptions, on peut prévoir que l'abandon de la religion aura lieu
avec la fatale inexorabilité d'un processus de croissance, et que nous nous
trouvons à l'heure présente justement dans cette phase de l'évolution. » (AI,
p.44) « On pourrait presque dire qu'une hystérie est une
oeuvre d'art déformée, qu'une névrose obsessionnelle est une religion déformée
et une manie paranoïaque un système philosophique déformé. » (TT, p.65) La
religion est un système d’illusions avec négation de la réalité « Si d'une part la religion comporte des entraves
d'ordre compulsionnel, telles que seule la névrose obsessionnelle de l'individu
en présente, d'autre part elle implique un système d'illusions créées par le
désir, avec négation de la réalité, système tel qu'on le retrouve, à l'état
isolé, seulement dans la psychose hallucinatoire, qui est un état de confusion
mentale bienheureux. Ce ne sont certes là que des comparaisons, comparaisons
grâce auxquelles nous nous efforçons de comprendre le phénomène social » (p.44) La
religion devrait être remplacée par des prescriptions rationalisées [Les] résidus historiques [des religions] nous ont
permis de concevoir, pour ainsi dire, les dogmes religieux comme des
survivances névrotiques et nous sommes maintenant autorisés à dire que sans
doute a sonné l'heure de remplacer - ainsi que dans le traitement analytique
des névrosés - les conséquences du refoulement par les résultats du travail
mental rationnel. […]. On ne peut guère le regretter. » (p.45) « Nous sommes arrivés à la conviction qu'il vaut
mieux s'abstenir de semblables déguisements symboliques de la vérité » (p. 45) La
religion freine l’intelligence des enfants « Pensez au contraste attristant qui existe entre
l'intelligence rayonnante d'un enfant bien portant et la faiblesse mentale d'un
adulte moyen. Est-il tout à fait impossible que ce soit justement l'éducation
religieuse qui soit en grande partie cause de cette sorte d'étiolement ? Je
crois qu'il faudrait longtemps avant qu'un enfant à qui l'on n'en aurait rien
dit commençât à s'inquiéter de Dieu et des choses de l'au-delà. Peut-être les
idées qu'il s'en ferait suivraient-elles les mêmes voies que chez ses ancêtres,
mais on n'attend pas que s'accomplisse cette évolution, on lui impose les
doctrines religieuses à un âge où il ne peut leur porter d'intérêt et où il
n'est pas capable d'en saisir la portée. Les deux points principaux des
programmes pédagogiques actuels ne sont-ils pas de retarder le développement
sexuel de l'enfant et de le soumettre de bonne heure à l'influence de la
religion ? Quand alors l'enfant s'éveille à la pensée, les doctrines
religieuses sont déjà devenues pour lui inattaquables. Croyez-vous cependant
qu'il soit favorable au renforcement de la fonction intellectuelle qu'un
domaine d'une telle importance soit interdit à la pensée de par la menace des
peines de l'enfer ? Nous n'avons pas à nous étonner outre mesure de la
faiblesse intellectuelle de quiconque une fois parvenu à accepter sans critique
toutes les absurdités que toutes les doctrines religieuses comportent et à
fermer les yeux devant les contradictions qu'elles impliquent. Cependant nous
n'avons pas d'autre moyen de maîtriser nos instincts que notre intelligence. Et
comment peut-on s'attendre à ce que des personnes, qui sont sous l'influence de
certaines prohibitions de penser, atteignent cet idéal qui devrait être réalisé
en psychologie, la primauté de l'intelligence ? » (AI, p. 48). La
religion a le même effet que les narcotiques « L'effet des consolations que la religion apporte
à l'homme peut être mis en parallèle avec celui des narcotiques » (AI, p. 49) Ce
que deviendrait l’homme sans religion Sans aucun doute l'homme alors se trouvera dans une
situation difficile ; il sera contraint de s'avouer toute sa détresse, sa
petitesse dans l'ensemble de l'univers ; il ne sera plus le centre de la
création, l'objet des tendres soins d'une Providence bénévole. Il se trouvera
dans la même situation qu'un enfant qui a quitté la maison paternelle, où il se
sentait si bien et où il avait chaud. Mais le stade de l'infantilisme n'est-il
pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut pas éternellement demeurer un
enfant, il lui faut enfin s'aventurer dans l'univers hostile. On peut appeler
cela « l'éducation en vue de la réalité » ; ai-je besoin de vous dire que mon
unique dessein, en écrivant cette étude, est d'attirer l'attention sur la
nécessité qui s'impose de réaliser ce progrès ? » (p. 49) Dieu
est un père grandiosement magnifié « Cette providence, l'homme simple ne peut se la
représenter autrement que sous la figure d'un père grandiosement magnifié.
Seul, un tel père peut connaître les besoins de l'enfant humain, se laisser
fléchir par ses prières ou adoucir par ses repentirs. Tout cela est évidemment
si infantile, si éloigné de la réalité, que, pour tout ami sincère de
l'humanité, il devient douloureux de penser que jamais la grande majorité des
mortels ne pourra s'élever au-dessus de cette conception de l'existence. » (MC,
p. 13) « A présent que Dieu était l'unique, les relations
de l'homme à lui pouvaient recouvrer l'intimité et l'intensité des rapports de
l'enfant au père. Qui avait tant fait pour le père voulait aussi en être
récompensé ; au moins être le seul enfant aimé du père, le peuple élu. » (AI,
p. 20) « Cependant la relation au père est affectée d'une
ambivalence particulière. Le père constituait lui-même un danger, peut-être en
vertu de la relation primitive à la mère. Aussi inspire-t-il autant de crainte
que de nostalgie et d'admiration. Les signes de cette ambivalence marquent
profondément toutes les religions, comme je l'ai montré dans Totem
et Tabou. Et quand l'enfant, en grandissant, voit qu'il est destiné
à rester a jamais un enfant, qu'il ne pourra jamais se passer de protection
contre des puissances souveraines et inconnues., alors il prête à celles-ci les
traits de la figure paternelle, il se crée des dieux, dont il a peur, qu'il
cherche à se rendre propices et auxquels il attribue cependant la tâche de le
protéger. Ainsi la nostalgie qu'a de son père l'enfant coïncide avec le besoin
de protection qu'il éprouve en vertu de la faiblesse humaine ; la réaction
défensive de l'enfant contre son sentiment de détresse prête à la réaction au
sentiment de détresse que l'adulte éprouve à son tour, et qui engendre la
religion, ses traits caractéristiques » (AI, p. 25) La
religion est fondée sur l’intimidation de l’intelligence « La religion porte préjudice à ce jeu d'adaptation
et de sélection en imposant uniformément à tous ses propres voies pour
parvenir au bonheur et à l'immunité contre la souffrance. Sa technique consiste à rabaisser la valeur de la vie et à
déformer de façon délirante l'image du monde réel, démarches qui ont pour
postulat l'intimidation de l'intelligence. A ce prix, en fixant de force ses adeptes à un
infantilisme psychique et en
leur faisant partager un délire collectif, la religion réussit à épargner à
quantité d'êtres humains une névrose individuelle, mais c'est à peu près tout.
Il y a, nous l'avons dit, quantité de chemins pour conduire au bonheur, tel du
moins qu'il est accessible aux hommes ; mais il n'en est point qui y mène à
coup sûr. La religion elle-même peut ne pas
tenir sa promesse. Quand le
croyant se voit en définitive contraint d'invoquer les « voies insondables de
Dieu », il avoue implicitement que, dans sa souffrance, il ne lui reste, en
guise de dernières et uniques consolation et joie, qu'à se soumettre sans
conditions. Et s'il est prêt à le faire, il aurait pu sans doute s'épargner ce
détour. » (MC, pp. 21-22) Religion
de l’amour « C'est pourquoi une religion, alors même qu'elle
se qualifie de religion de l'amour, doit être sévère et traiter sans amour tous
ceux qui ne lui appartiennent pas. « Au fond, chaque religion est
une religion d'amour pour ceux qu'elle englobe, et chacune est prête à se
montrer cruelle et intolérante pour ceux qui ne la reconnaissent pas ». (PCAM, p. 34) La religion du Père « C'est ainsi que dans la doctrine chrétienne
l'humanité avoue franchement sa culpabilité dans l'acte criminel originel,
puisque c'est seulement dans le sacrifice de l'un des fils qu'elle a trouvé
l'expiation la plus efficace. La réconciliation avec le père est d'autant plus
solide qu'en même temps que s'accomplit ce sacrifice, on proclame la
renonciation à la femme qui a été la cause de la rébellion contre le père. Mais
ici se manifeste une fois de plus la fatalité psychologique de l'ambivalence.
Dans le même temps et par le même acte, le fils, qui offre au père l'expiation
la plus grande qu'on puisse imaginer, réalise ses désirs à l'égard du père. Il
devient lui-même dieu à côté du père ou, plus exactement, à la place du père.
La religion du fils se substitue à la religion du père. Et pour marquer cette
substitution, on ressuscite l'ancien repas totémique, autrement dit on
institue la communion, dans laquelle les frères réunis goûtent de la chair et
du sang du fils, et non du père, afin de se sanctifier et de s'identifier avec
lui. C'est ainsi qu'en suivant, à travers les époques successives, l'identité
du repas totémique avec le sacrifice animal, avec le sacrifice humain
théoanthropique et avec l'eucharistie chrétienne, on retrouve dans toutes ces
solennités l'écho et le retentissement du crime qui pesait si lourdement sur
les hommes et dont ils devaient pourtant être si fiers. Mais la communion
chrétienne n'est, au fond, qu'une nouvelle suppression du père, une répétition
de l'acte ayant besoin d'expiation. » (TT, p. 134) Les
malheurs renforcent la religion « Le sort est considéré comme un substitut de
l'instance parentale ; si le malheur nous frappe, cela signifie qu'on a cessé
d'être aimé par cette autorité toute-puissante. Ainsi menacé de ce retrait
d'amour, on se soumet derechef aux parents représentés par le Surmoi, alors que
dans le bonheur on les négligeait. Ceci devient particulièrement clair quand on
ne voit dans le sort, au sens religieux strict, que l'expression de la volonté
divine. Le peuple d'Israël s'était considéré comme l'enfant préféré de Dieu, et
lorsque le Père tout-puissant fit fondre malheurs sur malheurs sur son peuple
élu, ce dernier ne mit pourtant nullement en doute cette préférence, comme il
ne douta pas un instant de la puissance et de la justice divines. Mais il
engendra d'autre part les prophètes, lesquels lui reprochaient sans cesse ses
péchés ; et il tira de son sentiment de culpabilité les règles excessivement
rigoureuses de sa religion de prêtres. » (MC, p. 55) ______________ | Références: AI : L’avenir d’une illusion, 1927,
TT : Totem et tabou, 1912
MC : Malaise dans la culture, 1929
PCAM : Psychologie collective et analyse du moi, 1921
Tous ces livres sont gratuitement téléchargeables sur le site des Classiques des sciences sociales
(Les traductions sont évidemment anciennes ; une traduction récente des
Œuvres de Freud existe chez les PUF.) |