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Densités et destinées des densités

 

   
   

LA DENSITÉ, LA NATURE ET L'IDENTITÉ
 DANS DEUX QUARTIERS ATTENANTS DU 19e ARRDT. DE PARIS
 À CARACTÈRES URBAINS FORTEMENT OPPOSÉS

 

 

 

   

Novembre 1996

Rapport de fin de contrat no 014 du 06/ 07/94
(issu de l'appel d'offres de recherches du Plan urbain :
« La ville, la densité, la nature », février 1994).

 

 

   
Manuel Periáñez
Association FAR,
« La faute à Rousseau »
 

 

   

 

   
   

Sommaire

 

   
   

1 - But de cette recherche et notion de densité urbaine                                           
             1.1 introduction                                                                                                                        
             1.2 diabolisation de la Ville, angélisation de la Nature                                                          
             1.3 critique de l'hypothèse éthologique de l'érotisation de la densité                                   
             1.4 l'hypothèse de l'équipression psychique dedans-dehors 

 

 

   

2 - L'identité urbaine des deux sites d'enquêtes                                                          
             2.1 spécificités socio-historiques de Belleville                                                                     
             2.2 la vie mouvementée du quartier des tours                                                                     
             2.3 la vie sans histoires du quartier des pavillons

 


    3 - La densité                                                                                                                                
             3.1 la densité à la Place des Fêtes                                                                                         
             3.2 la densité dans le quartier des pavillons
 

 

    4 - La nature                                                                                                       
             4.1 la nature à la Place des Fêtes                                                                                          
             4.2 la nature dans le quartier des pavillons
 

 

   

5 - Conclusions                                                                                                   
             5.1 érotise t-on la densité?                                                                                                    
             5.2 densités et destinées des densités                                                                                   
             5.3 Le Corbusier avait-il raison? 

 

 

   

Annexes  

A1 – Méthodologie                     
A2 – Guide d'entretien et jeu d'images            
A3 – Bibliographie                                                                
A4 – Caractéristiques des interviewés                                                  

 

 

 

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1

But de cette recherche et notion de densité

 

 

   

 

1.1 introduction

Notre but était initialement d'examiner une hypothèse que l'éthologue Wolfgang Wickler a formulé vers 1965, selon laquelle l’érotisation de la ville serait un mécanisme de défense contre l'angoisse qu'elle provoque de par sa trop grande densité d'habitants, et d'y confronter notre idée, moins béhavioriste, selon laquelle la personnalité des habitants, les rappels symboliques de la nature et les supports d'identité qu'ils décèlent dans leur quartier remplissent, le cas échéant, une fonction anxiolytique comparable. Cette idée prend en compte la personnalité des habitants dans leur vécu de la densité urbaine, et fait intervenir un référent psychanalytique issu de l'école de pensée « environnementaliste » en psychanalyse, école de pensée qui va de Ferenczi à Winnicott en passant par Balint et Searles (école de pensée réputée « impure », là où la psychanalyse pure ne s'occupe pas des facteurs extérieurs mais uniquement de la vie intrapsychique). C'est un tel cadre que nous proposons pour tenter d'éclairer les effets de la densité urbaine : tenter de les décrire à travers une dynamique dedans-dehors, dynamique qui cherche à établir l'équipression dans la vie psychique des citadins entre les stimuli extérieurs et intérieurs.

 

 

   

Nous avons étudié ces effets de la densité dans deux situations urbaines opposées, dans le même quartier de Paris, Belleville, dans le 19e arrondissement (donc, à offre urbaine quasiment identique par rapport au centre) : la forte compacité et densité urbaine du quartier des tours locatives de la Place des Fêtes (surstimulation sensorielle), et à 300m de là, la faible densité urbaine du quartier pavillonnaire y attenant (au calme presque campagnard d'anciens pavillons ouvriers devenus résidentiels). Ces deux sites d'enquête présentent une grande diversité sociale, culturelle et ethnique (les divers quartiers de Belleville sont peuplés par une bonne douzaine de nationalités différentes aux comportements culturels parfois opposés). L'objectif était d'interviewer en profondeur 32 personnes « bien ciblées » (16 interviews dans le quartier « surstimulé » et 16 dans le quartier « campagnard »), au sujet de leur mode vie, leurs usages concrets des différents espaces (familiaux, de proximité, du quartier au sens large, de Paris et des loisirs dans la nature plus éloignée). Il s'agit donc ici d'une recherche psychosociologique, sans représentativité quantitative ; la préoccupation qui a dicté le recrutement des interviewés a été celle de trouver des personnes ayant quelque chose à dire sur leur quartier. Cependant (comme le montre le tableau des caractéristiques des personnes interviewées en Annexe A4) les 14 interviewés des tours et les 12 des pavillons présentent grosso modo un assez bon équilibre sociologique, à l'exception d'un nombre trop élevé de résidences secondaires.
Les méthodes mises en œuvre pour cette recherche sont un peu compliquées ; elles sont présentées en Annexe A1, et se composent essentiellement :

 

 

   
    • d'entretiens semi-directifs à référent psychanalytique qui tentent d'explorer sept autres dimensions possibles à côté des effets de la densité, de la nature et de l'identité ;
    • d'un outil en images constituant une « maquette » des ambiances urbaines ;
    • d'un indicateur de bien-être compilé à partir de douze variables, dénommé BEP (bien-être potentiel).
 

 

   

Ce travail était en cours quand parut le n° 67 des Annales de la recherche urbaine, consacré à la densité urbaine. La lecture de certaines contributions à ce numéro nous a conforté dans le bien-fondé de notre démarche ; ainsi quand Hervé Le Bras, après avoir successivement examiné le peu d'effets de la densité aux niveaux national, régional et par type d'agglomération, conclut :

« On a tendance en France à ne prêter attention qu'à deux niveaux de la société, la famille, sur le rôle de laquelle des fantaisies sont souvent émises, et l'organisation administrative et économique qui se situe à une échelle élevée. On oublie le cadre de la vie courante, des rencontres et des collaborations quotidiennes hors de la famille et hors de la vie publique, là où l'on quitte le parfaitement connu sans pour autant pénétrer dans le complet inconnu, dans cette pénombre des liens sociaux qui constitue pour la plupart des individus l'image concrète de la société » (1)

 

 


1 - Hervé Le Bras, « La densité a-t-elle une influence sur les comportements sociaux », Les annales de la recherche urbaine n° 67, juin 1995, pp.15-23.

   

L'auteur propose de « descendre à un niveau encore plus fin », celui des comportements concrets de l'habitant dans son espace quotidien, de « suivre chacun mètre par mètre et seconde par seconde comme les cartes à l'échelle 1 que voulait dresser Borges ».

C'est bien d'une telle manière que nous entendions délimiter notre champ de recherche, mais pour notre part nous rajoutons à la surface de ce champ la plongée dans la vie intrapsychique qui, elle aussi, connaît des densités différentes selon les moments. La dynamique qui s'établit entre les situations et attitudes des deux séries d'événements, extérieurs et intérieurs à l'individu, jusqu'à atteindre la situation d'équilibre que nous appelons « équipression », offre une multitude de tableaux dont nous avons tenté de décrire ceux qui paraissent typiques, et qui semblent suffisants pour permettre de penser les autres.

 

 

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La nature se situe, au plan de ses significations inconscientes, clairement du côté des éléments maternels. Les diverses configurations sous lesquelles apparaît la nature (réelle ou imaginée) répondent facilement aux différentes figures de la mère : Mère archaïque mauvaise (la mer démontée, par exemple, ou le tremblement de terre), ou Mère nourricière bonne et protectrice des origines, ou Mère initiatrice facilitant l'acquisition graduelle de l'autonomie (Winnicott). Nous avons analysé, dans un travail déjà ancien sur les résidences secondaires (2), le recours à la nature comme répondant à la demande des citadins de pouvoir accomplir un mouvement regrédient-progrédient pour restaurer leur psychisme stressé par la vie urbaine. Dans ce travail nous distinguions entre les attitudes des habitants possédant une bonne capacité de frustration, pour lesquels l'agir au dehors s'impose avec moins d'acuité, et ceux qu'un manque-à-fantasmer pousse à l'aventure des week-ends dans la nature ; celle-ci pouvant être la nature calme et domestiquée de la campagne ou la « vraie » nature sauvage de la mer ou la montagne. Depuis, la vogue de l'aventure extrême (les « conquérants de l'inutile », Ushuaïa, etc.) semble indiquer une augmentation de la seconde attitude.

 

 


2 - Manuel Periáñez, « L'autre habitat : la part du rêve », Architecture et Comportement, n°1, 1981.

   

En ville, sans fuite réparatrice praticable dans le quotidien, nous disposons (inégalement selon les personnalités de chacun) d'une certaine capacité d'effectuer ce mouvement regrédient-progrédient en nous soutenant de la seule symbolique de la nature : parcs, squares et jardinets privés ; des simples plantes d'appartement parfois, ainsi que les animaux domestiques (record mondial des chiens à Paris...). Voire pour les plus autonomes (ayant sans doute bénéficié d'un maximum de maternance jadis), le simple spectacle naturel du ciel et de la lumière changeant selon les saisons.

   
   

La rêverie urbaine, comme tout travail de rêve, doit négocier entre les principes de plaisir et de réalité. La perception de l'offre urbaine réelle du quartier fonctionne dans le registre du principe de réalité, qui rappelle le désir à la patience et à la mesure : quelque chose en sera accompli, mais peu, et tard... et à condition de composer avec cette offre réelle. Il y a donc du conflit. Cette conflictualité induite par la perception des réalités du quartier serait, c'est notre hypothèse, constamment réduite, travaillée, gérée en somme par la prise en compte de l'autre offre urbaine, l'offre urbaine symbolique du quartier. Le sentiment d'identité lié au quartier parvient à s'imposer  — ou échoue  — selon que l'interaction de ces deux offres trouve à se projeter et ainsi à créer du sens. La recherche, l'évitement ou l'indifférence « naturalisée » envers les différentes situations de densité et des rappels de la nature dans le quartier (et dans Paris, voire dans le monde) sont également pris dans une telle pratique identitaire et culturelle.

 

 

   

Mais ces significations accordées aux items urbains restent labiles tant qu'elles sont privées, rêvées par l'individu seul. Le sens de l'urbain se fonderait sur la communication interindividuelle de ces significations, sur leur étalonnage mutuel dans l'échange : passage du fantasme au « mythe de quartier », conçu comme fantasme collectif et socialisé. Les items architectoniques de l'offre urbaine réelle se doublent donc d'un caractère symbolique des lieux, qui culmine dans la représentation d'une totalité vivante et différenciée, le quartier : la somme ou la résultante collective des mythes personnels autour de l'urbain accessible et pratiqué dans le quotidien et autour de la conscience de la dimension de l'échange. Et, au delà, ce fonctionnement permet le sentiment d'appartenir à un quartier-village, mais aussi d'avoir une représentation de la totalité de la ville, ainsi que de l'inscription planétaire de celle-ci... Il semble raisonnable de penser que l'interaction entre données culturelles et psychosociales d'une part, et celles des différentes densités urbaines, de l'autre, produisent un fécond enchevêtrement qui est celui même de la vie citadine. Les deux types d'offre urbaine, réelle et symbolique, nouent entre eux différents rapports dans « l'imaginaire social » (3).

 

 


3 - Notion de C. Castoriadis par laquelle il étend celle, classique, de représentations sociales au champ fantasmatique et mythique, par exemple celui de la ville.

   

Sans préjuger de la nature de ces rapports, le rapport de complémentarité et celui que nous dirons dialectique (car fait de passages brusques du quantitatif au qualitatif) retiendront davantage notre attention : il suffit parfois d'un « presque rien » (Jankélévitch) matériel, imaginaire ou fait de l'oscillation dialectique de ces deux pôles, pour passer brusquement d'un vécu de l'urbain en termes de non-ville anomique à celui de ville eunomique, dans laquelle l'habitant ou l'usager occasionnel peuvent lire que la vie a un sens et qu'elle vaut la peine d'être vécue (Winnicott). En émerge t-il le désir d'en faire partie, mieux, de se reconnaître une partie de soi comme originée de cette ville ? Conflictualité, donc, des origines culturelles réelles souvent bigarrées des habitants des deux quartiers ici étudiés, des identifications que leur permet, ou non, la ville, et de l'incidence de la densité et de la nature sur l'ensemble de ce vivier de l'imaginaire social urbain. La dimension ethnopsychanalytique est dès lors clairement nécessaire dans ces quartiers où vivre et faire ensemble ne réussit qu'à travers une multiple transculturation, qu'il s'agisse de la douzaine de cultures « nationales » actées à Belleville, ou de sub-cultures populaires françaises, ou de façons d'agir « fonctionnellement » urbaines.

 

 

   

La « lecture identifiante » de l'urbain, à la fois source et conséquence du sentiment d'identité de quartier, nous semble cependant exister à des degrés assez divers selon les individus : il est tout autant possible (même si cela est rare, et donc intéressant) de vivre de l’anomie dans un quartier à dominante eunomique que l'inverse, et il est possible également d’être relativement indifférent à toute problématique urbaine.

 

 

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Nous nous sommes attaché particulièrement à la façon dont les identités, les densités et la nature organisent la déambulation apparemment « errante » des flâneurs dans ces quartiers, la promenade-rêverie, et même la flânerie imaginaire (celle pour laquelle on n'a jamais le temps : potentialités perçues dans l'offre urbaine). Également, leur corollaire, les lieux-repoussoir, ceux où pour rien au monde on ne voudrait aller. Encore moins habiter : les endroits dans le quartier auxquels on s'attache au point de penser pouvoir y habiter sont de toute évidence très importants.

 

 

       

   

1.2 diabolisation de la Ville, angélisation de la Nature

 

 

   

Dans le numéro des Annales de la recherche urbaine consacré à la densité, presque chaque article passe en revue différentes acceptions de la notion, ainsi que de l'utilisation qui a pu en être faite dans l'histoire de l'urbanisme. Mais, sauf erreur de notre part, aucune de ces contributions (toutes très intéressantes par ailleurs) ne signale que la préconisation d'une forte densité urbaine par certains penseurs de la chose urbaine correspond à un malentendu culturel qui l'identifie à l’idée de vitalité, comme le rappellait naguère Françoise Choay (4). Ces urbanistes (Le Corbusier en premier lieu, qui préconise 400 hab/ha, contre 50 hab/ha en pavillon) semblent bien faire un amalgame entre la notion de densité d'habitants par hectare, et une qualité enviable de la vie urbaine qui est celle de la vitalité des quartiers des centre-ville (vivacité, animation, rencontres, échanges : la vie tout court). Chez ses détracteurs, par contre, la notion de densité urbaine est la forme intellectualisée du vieux mythe de la ville comme lieu de toutes les perditions, morales, politiques et sanitaires, la Babylone qu'il faut autant que possible fuir en se réfugiant à la campagne pour y mener une vie saine et au grand air. Ces deux partis s'affrontent sans doute depuis la révolution du Néolithique et la création des premières villes...

 

 


4 - Urbanisme, utopies et réalités, Editions du seuil, Paris,1965, p.137.

   

Très ancienne, la dénonciation du stress urbain remonte à la Rome de Juvénal et Martial, qui avait atteint le million d'habitants ; et Boileau dans ses Embarras de Paris décrit la mauvaise humeur des piétons victimes de l'encombrement des rues, du bruit des charrettes et de leur manque de temps. Si l'aspect moralisant de la dénonciation de la ville avait déjà perdu beaucoup de sa force à Rome, comme le rappelle Bernard Oudin (5), le mythe de la ville maléfique reprendra à Paris un nouvel essor au XIXe siècle lors de l'afflux de 250 000 ruraux déracinés par la révolution industrielle entre 1830 et 1845, et avec « l'entassement dans les taudis et les banlieues d'une humanité misérable et déracinée ». C'est le Paris des Misérables de Victor Hugo, celui des « classes dangereuses prêtes à fondre sur les beaux quartiers » habitant Belleville et autres faubourgs (6).

 


5 - Bernard Oudin, Plaidoyer pour la ville, Laffont, 1975.

6 -Simon, P., 1993, « BeIleville, une mémoire pour l'avenir », Hommes et migrations, n°1168, « Belleville ».

   

C'est plus tard aussi, avec Londres, une « Babylone moderne », ville-pêcheresse où la prostitution est un phénomène massif, et où le crime urbain, avec l'avènement du roman policier, devient un élément important du mythe de cette ville néfaste. « Paris  — La grande prostituée. Paradis des femmes, enfer des chevaux », écrivait encore Flaubert (un peu misogyne, mais ami des bêtes) dans son Dictionnaire des idées reçues (7), et c'est bien là un écho tardif des imprécations bibliques au sujet de Babylone  — mais Jérusalem, paraît-il, était dans le même cas. Le nouvel essor du mythe se fera sur tous les plans à la fois : celui de la Babylone moderne, celui de la grande peur des nantis et de celui de la criminalité réelle, mais aussi celui, nouveau, d’un rapport d'horreur-fascination devant l'efficacité (économique, culturelle, communicationnelle) de la grande ville. Le mythe semble culminer en 1926 (quatre années après le choc du « Plan Voisin » de Paris de Le Corbusier) avec le film Metropolis de Fritz Lang, qui associera le machinisme au mythe de la ville infernale. La version actuelle de la diabolisation de la ville continue à s'appuyer sur l'équivalence densité = ville, dont les effets néfastes sont maintenant désignés comme étant ceux du stress, des nuisances (bruit) et de la pollution (air), avec comme emblème l'architecture des tours (surtout en béton : « le béton qui tue ». Donc, densité = enfer.

 

 


7 - Gustave Flaubert, Dictionnaire des idées reçues, éditons Mille et une nuits, 1994, p.73.

   

En miroir, la Nature fait l'objet, elle, d'une mythification positive dont Rousseau est loin d'avoir été le seul responsable. « Dans l'esprit du citadin rousseauiste, le mythe de la nature se confond avec celui, tout aussi paradoxal, du mode de vie rural, sain reposant, adapté au cycle naturel et aux saisons, garantie de longévité et de résistance au détraquement mental et à l'infarctus » (8). De fait les Français sont parmi les plus grands utilisateurs de résidences secondaires. Ils sont aussi recordmen pour la consommation de tranquillisants, de sondages d'opinion, et la possession d'animaux de compagnie, toutes choses qui vont dans le même sens, et qui indiquent bien que les Français éprouvent un malaise devant la modernité ; sans que l’on sache s'ils vivent un plus grand malaise que d'autres peuples socioculturellement proches, s'ils vivent plus intensément le même malaise, ou s'ils réagissent plus vivement à un malaise moindre que celui de leurs voisins... La comparaison sociologique entre la ville et la campagne, on le sait, montre un bilan assez défavorable à cette dernière : plus courte espérance de vie (cirrhose, etc.), ruine endémique des agriculteurs, accidents et criminalité plus fréquents par tête d'habitants ; mais tout cela ne concerne bien sûr que la campagne réelle, la campagne agricole si on ose le pléonasme, et non pas celle des parisiens. Le phénomène de la résidence secondaire est si bien passé dans les habitudes des citadins que le mot « campagne » désigne le plus souvent dans leur bouche la pseudo-campagne de leurs fins de semaine au vert. Le stress agricole reste ainsi inconnu des stressologues. Toujours à contre-courant, Oscar Wilde l'avait sans doute compris, qui écrivait :

 

 


8 - B. Oudin, op.cit, p.47.

 

 

 

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« La nature est inconfortable. L'herbe est dure, humide, pleine d'horribles insectes noirs. Si la nature avait été confortable, jamais l'humanité n'aurait inventé l'architecture. Seule une maison nous donne l'idée de ce que sont d'exactes proportions. Tout nous y est subordonné, tout y est conçu pour notre usage et notre plaisir. Les portes franchies, on devient abstrait et impersonnel, notre individualité nous quitte. La nature est si indifférente. Quand je me promène dans le parc, j'ai toujours l'impression que je ne compte pas plus pour elle que le bétail qui broute sur le pré. Il est évident que la nature déteste l'esprit. » (9)

 

 


9 - Oscar Wilde, 1889, The Decay of Lying.

   

Ceci nous conduit à nous interroger sur une éventuelle dénégation des dangers attribués à la ville comme à la nature, qui seraient en réalité exactement à l'inverse du discours dominant : la nature est diabolique, la ville est angélique. Et c'est pour ressourcer notre vie pulsionnelle archaïque, datant au moins de la Guerre du feu, que nous passons nos week-ends à la campagne. Dans son excellent ouvrage déjà cité Mémoire de singe, parole d'homme, Boris Cyrulnik insiste en effet sur le besoin fondamental de danger et d'insécurité (et de leurs signaux) pour que la vie vaille la peine d'être vécue :

 

 

   

« Les neurophysiologistes nous ont appris que l'habituation est anesthésiante, privative de la conscience de vivre. Seule la différence de deux sensations est stimulante, vivante. Après avoir été repu, le retour à la faim est nécessaire. Rien n'est plus stimulant que le besoin. C'est le manque qui nous met le plus en appétit de vivre. L'agression la plus importante pour un enfant est de ne pas en subir. J'ai toujours été frappé par l'immense malheur, la réelle souffrance de ces enfants trop protégés [...]. Ce qu'ils veulent, comme l'aigle, c'est chasser, manquer d'aliments, risquer la mort pour se donner l'envie de vivre. » (10)

 

 


10 - Boris CyruInik, op. cit., p.170.

   

Il est donc difficile, entre la ville et la nature, de condamner l'une et d'encenser l'autre ; tout ce que nous pouvons faire est d'essayer d'étudier les significations que les individus leur attribuent, et si possible d'esquisser une dynamique de ces significations. Sans méconnaître l'importance des facteurs physiques des nuisances pouvant conduire à différentes sortes de stress, nous privilégions le domaine des significations comme étant le plus souvent déterminant. Dans sa synthèse très complète sur les « stress urbains », G. Moser (11), pourtant psychologue behavioriste classique, en vient finalement à reconnaître que « la classification des différents stress environnementaux fait apparaître l'importance de la prise en compte de la perception et de l'évaluation par l'individu [...] qui est ainsi au centre de l'analyse des effets de stress, les caractéristiques physiques s'avérant beaucoup moins importantes que les variables individuelles qui conditionnent son appréhension par l'individu » (p.28). On ne saurait mieux résumer l'état des lieux d'une discussion qui s'ouvrit, dans le domaine du bruit, en 1975 avec notre recherche sur les significations de la gêne (12). L'explication classique du stress urbain consiste à penser que celui-ci résulte de l'incapacité pour le citadin à traiter de façon adéquate toutes les informations qui lui parviennent simultanément. La fonction symbolique permet, au contraire, de créer du sens dans l'urbain et d'atténuer la surstimulation par un ressourcement dans la permanence immobile, l'inaltérabilité des symboles. La fonction ludique, enfin, est la plus importante dans cette perspective car (quand l'individu y parvient) elle gère le mouvement, coloré d'affects divers allant de l'agressif jusqu'au libidinal, des réponses du Moi à ces percepts anxiogènes.

 

 


11 - Gabriel Moser, Les stress urbains, Armand Colin, 1992.

 

12 - Manuel Periáñez, 1975   Les significations de la gêne attribuée aux bruits dans l'habiter, (avec Fl. Desbons), CEP.

   

 

1.3 critique de l'hypothèse de l’érotisation de la densité

 

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L'hypothèse déjà citée de Wickler (l'érotisation de la ville serait un mécanisme de défense contre l'angoisse qu'elle provoque) nous avait vivement intéressé, par sa proximité avec l'idée de Freud concernant la gestion pulsionnelle. Ici, face aux stimulations abondantes que fournit incessamment la ville (y compris la nuit, au plan sonore), cette « gestion » serait celle, en termes freudiens, du choix devant chaque percept entre pulsion agressive ou pulsion libidinale. Le terme « érotisation » prête à confusion, selon qu'il est entendu dans son sens courant (un euphémisme pour sexualisation) ou au sens freudien (excitation libidinale n'aboutissant pas forcément à du sexuel : tous les plaisirs de l'existence correspondent donc à des objets « érotisés » dans un rapport certes libidinal, mais non nécessairement libidineux). Mais il est assez évident que pour Wickler il s'agissait bien d'une sexualisation croissante de la vie urbaine où il y a de plus en plus de stimuli directement sexuels. Rappelons aussi que pour les comportementalistes, le stress se définit précisément par le débordement de la capacité de gestion des stimuli (13).

 

 


13 - Cf. Annie Moch et al., ARU

   

Nous avions lu cette hypothèse dans le livre déjà cité de Boris Cyrulnik (14), et correspondu avec l'auteur en lui demandant la source de sa citation. Cyrulnik répondit très aimablement que Wickler écrit cela dans son livre Les lois naturelles du mariage (15). Or, elle n'y figure pas ! Par contre, à la page 72, Wickler y signale un autre effet de la densité lors d'une expérience due à Hutt et Vaizey : des enfants jouent dans une salle, dans des groupes de 5 enfants, de 6 à 10, ou de plus de 10 enfants. Les contacts entre enfants diminuent avec la densité ; si celle-ci augmente encore, des conflits éclatent ; au delà de 11 enfants (pour 45m², soit 4m²/enfant), « les querelles se firent nettement plus vives ; les enfants maltraitaient et détruisaient les jouets : ceci montre que les tendances agressives étaient détournées sur les jouets au lieu de s'exercer contre les autres enfants. Ce comportement laisse penser que l'homme dispose de mécanismes régulateurs, indépendants de la densité de population, qui modifient son comportement. Il faut noter que les enfants atteints de lésions cérébrales, placés dans les mêmes conditions, se montrent beaucoup plus agressifs ; s'ils sont mêlés à des enfants normaux, dans une pièce surpeuplée, ils ont nettement l'avantage sur leurs voisins. »

 

14 - Boris Cyrulnik, Mémoire de singe et paroles d’homme, 1983, Hachette Pluriel, p.33.


15 - Wolfgang Wickler, Les lois naturelles du mariage, Flammarion, 1971.

   

Il nous faudra lire Searles pour reconstruire la citation de Wickler. Selon Searles, l'environnement non-humain est érotisé au sens freudien, comme nous le verrons un peu plus loin. Quoi qu'il en soit de la citation, de nombreux auteurs, l'expérience clinique, ainsi que l'expérience humaine courante témoignent en faveur de l'idée que la sexualité apaise bien l'angoisse. Le problème est que si la sexualité aboutie apaise l'angoisse, il n'en va pas forcément de même avec des excitations dans la rue ! Le passage du livre de Cyrulnik où il croit citer Wickler contient donc une idée de Cyrulnik lisant du Wickler, et qu'il a trop modestement attribuée à ce dernier. Wickler écrit ailleurs :

 

 

   

« Il est évident que le comportement sexuel, au sens strict ou large, se manifeste beaucoup plus souvent chez les êtres humains que ne l'exigerait la simple nécessité d'assurer la descendance. L'effet dit d'hyper-sexualisation se révèle généralement là où plusieurs "troupes" humaines sont forcées à vivre en contact étroit. Il s'avère cependant que des traits du comportement sexuel humain (tout comme chez les vertébrés non humains) ne jouent pas seulement un rôle dans la formation de la personnalité (Spitz, 1962) mais remplissent aussi des fonctions sociales extra-sexuelles. Ceci indiquerait dès lors, que bon nombre d'activités, gestes et signaux de parade, habituellement considérés comme "sexuels", pourraient s'être libérés pour s'attacher à une motivation non sexuelle, de façon à assurer la fonction d'établissement et de maintien des bonnes relations entre les membres de la communauté, probablement par compensation de leurs tendances agressives (ou agonistiques). On peut s'attendre à ce que ces gestes et activités soient très semblables à leurs homologues sexualisés (pour des raisons discutées précédemment) » (16).

 

 


16 - W. Wickier, 1967, « Les signaux sociosexuels et leur mutation intra-spécifique chez les primates », in : D. Morris et al., L'éthologie des primates, éditions Complexe, 1978, p.151.

   

Nous pensons, à la suite de Cyrulnik/Wickler, que les réponses humaines « érotisées » aux percepts urbains l'emportent depuis toujours sur les réponses agressives, sinon il n'y aurait pas de villes. L'érotisation de l'urbain, pour la définir par la négative, ce serait tout ce que la ville permet dans ce domaine et qu'un village ne permet surtout pas : « Libertinage  — ne se voit que dans les grandes villes » nous dit encore Flaubert (17). Nous ne confondons pas cependant cette érotisation de la ville avec l'existence, séculaire, de quartiers chauds bien délimités, ni avec les pratiques sexuelles réelles : il s'agit beaucoup plus d'imaginaire (de « fantasmes » au sens populaire du terme) que d'actes, fantasmes sous-tendus par l'offre urbaine croissante d'images à connotation érotique (publicités, annonces directement érotiques, mais aussi des modalités culturelles de communication subtilement érotisée). Par exemple, l'entassement dans le métro aux heures de pointe est angoissant pour une majorité de personnes (40 000 hab/ha !). Mais L’érotisation de cette situation désagréable de promiscuité permet, sans aucun acte, d'en annuler l'aspect angoissant et d'en transformer le vécu en termes amusants, plaisants... sauf pour les individus dont l'organisation psychique et/ou la culture d'origine tendent à culpabiliser l'activité imaginaire même (les idées étant déjà des actes).

 

 


17 - Gustave Flaubert, op. cit, p.62..

 

   

Nous sommes ici dans le droit fil freudien de l'opposition entre Éros et Thanatos, mais aussi à un lieu de passage entre éthologie et psychanalyse. Dans cette optique, les récentes montées en puissance à la fois de l'insécurité et de l’érotisation urbaines constitueraient des signes du degré d'angoisse atteint dans les villes aussi bien que de la libération ou déculpabilisation dans l'imaginaire social d'un recours ludique à l’érotisation pour tenter de la combattre. Au plan psychanalytique on est proche ici du mécanisme inconscient de l'humour, conçu comme une « autorisation » ou alliance temporaire du Surmoi avec le Moi pour faire face à une réalité extérieure perçue comme « exagérée » (donc, stressante).
Cette dialectique Éros/Thanatos ne nous semble cependant pas la seule réponse de l'individu face à la surstimulation provoquée par la densité. Plus simplement, la fuite (dont H. Laborit a fait l'éloge dans un livre du même nom) constitue une réponse classique aux situations déplaisantes, et on peut observer dans ce registre la fréquentation des espaces moins bondés, le plus souvent des espaces verts. Ce d'autant plus que les trajets en automobile des fins de semaine à la campagne donnent l'occasion de combiner les deux, en affrontant à l'aller comme au retour le Destin sous la forme de la mort sur la route (autre record français). Les Bidochons—résidents secondaires sont, hélas, des héros : « risquer la mort pour se donner envie de vivre », comme l'écrit Cyrulnik.
On peut d'ailleurs à ce propos aussi de demander s'il y a bien une érotisation croissante de la vie urbaine, ou si cela n'est qu'un effet d'optique qui correspond à une désublimation, ou si on veut une régression vers les pulsions qui, comme dans la fête, lui ferait retrouver la vie sexualisée traditionnelle de la campagne (la truculence paysanne, Rabelais, etc.). Par ce biais, l’érotisation correspondrait à un supplément de naturel, sinon de nature, dans la ville : après tout, dans les campagnes on dit bien d'une belle fille qu'elle est « une belle plante ». La vraie nature, la nature naturelle des pulsions, des plantes et des animaux serait donc appelée à la rescousse pour rééquilibrer la vie devenue trop artificielle de ceux des citadins pour qui l'environnement technique n'est plus accepté comme néo-nature de l'homme.

 

 

   

 

1.4 l'hypothèse de l'équipression psychique dedans-dehors

 

 

   

Wickler semble considérer la ville comme un milieu écologique dysfonctionnel pour l'humain... terrain où nous ne le suivrons guère, car malgré toutes les nuisances, la ville, comme pour Freud la névrose, est synonyme de civilisation. En revanche, la problématique de la densité urbaine participe pleinement à cette hypothèse principale si on prend en compte les travaux d'autres éthologues selon lesquels la surpopulation entraîne une surstimulation sensorielle permanente.
Longtemps, en effet, le seul moyen de parvenir à un état de choses agréable dans la ville a été de rapprocher spatialement les humains davantage qu'ils n'en avaient l'habitude à l'époque urbanistique précédente. Mais de nos jours, si on réexamine la notion classique à la lumière du concept de vitalité, elle devrait être complétée par celle d'une « densité communicationnelle » incluant le nombre de contacts téléphoniques, la TV, le câble, le Minitel, Internet, le télétravail, etc. Il paraît pensable que la quête de cette densité conçue comme vitalité soit une constante selon l'âge, la CSP, et indépendante de la seule densité urbaine.
L'expérience actuelle de la foule serait alors une expérience nostalgique de la vie urbaine du passé autrefois, la forte densité urbaine était la seule chance d'obtenir la densité communicationnelle. De même la visite de la Nature devient la visite d'un musée, autant que celle des villages bien préservés ; on y va voir quelque chose de l'ordre des origines, de la vie d'avant les révolutions industrielle et informatique, tout autant que l'on y fuit la densité des grandes villes. La démarche nostalgique dans son ensemble est bien sûr à situer du côté de la dépression, du deuil et de la mélancolie.
Ceux qui ont à combattre ce genre de sentiments peuvent fort bien rechercher la foule dense, voire l'encombrement (terme négatif qu'utilisent ceux qu'incommode la trop forte densité en lieu et place de la belle « vitalité »). Nous avons ainsi, parcourant des plages surpeuplées pour interroger quelques familles au comportement visiblement grégaire, bavardé informellement avec des paysans en vacances : vivant toute l'année « loin de tout le monde », ils avaient les moyens de passer des vacances dans des locations confortables et d'éviter la foule en partant en juin, mais ils avaient choisi un camping de bord de mer jugé « concentrationnaire » par des familles obligées, elles, d'y passer leur mois d'août... Appétence pour la « vitalité » liée à la densité ? Voilà des gens en tous cas davantage stressés par le calme que par l'encombrement, le bruit et la perte de sens, et le « dépaysement » dont ils parlaient ne nous paraît pas essentiellement culturel (ils l'auraient été davantage au Sahara ou au Groenland) : leur dépaysement pouvait s'entendre comme « dépaysannement » si on nous passe ce barbarisme, ou comme une plongée résolument contraphobique dans ce que l'urbanisation recèle de pire : la promiscuité, l'autre comme envahissant et insensé... Une bonne façon, en somme, de se réconcilier avec la solitude terrienne (à noter, cependant, la dimension essentielle de la liberté du choix).

La morale de cette histoire serait que la forte densité assure potentiellement les occasions plaisantes, quand on sait s'isoler de la plupart des événements déplaisants qu'elle véhicule tout autant. Par contre la faible densité n'assure pas le minimum « brownien » des occasions stimulantes recherchées par ceux qui vivent des situations comparables à nos paysans-vacanciers. De même, on peut se protéger contre le bruit des autres, mais dans la solitude, impossible de recréer leur présence (sauf sur le mode hallucinatoire, cf. Robinson Crusoë). Donc, la forte densité semble a priori préférable, qui permet de choisir au plan symbolique la vie contre la mort. Tout cela, pensons nous, était implicite dans l'éloge corbuséen de la densification, et ne s'explicite que par un détour par la vitalité.

 

 

   

Harold Searles a écrit il y a quarante ans un livre passé largement inaperçu, dans lequel il récupérait l'environnement non humain dans la théorie psychanalytique, comme une quatrième instance en somme, venant compléter les trois premières dues à Freud (le Ça, le Moi, le Surmoi) :

« La thèse de ce livre est que l’élément non humain de l'environnement de l'homme forme l'un des constituants les plus fondamentaux de la vie psychique. » (18)

 


18 - Harold SearIes, L'environnement non-humain, 1960, Gallimard, Paris, 1986, P.27

   

Par environnement non humain, il entend essentiellement les animaux et les plantes perçus par de jeunes enfants, plus rarement l'environnement construit. Citant de très nombreux exemples cliniques issus de sa pratique de thérapeute de la psychose, Searles étaye cette thèse où il traite successivement de l'environnement non humain dans la vie de l'individu sain, puis de l'individu malade, avant de terminer par le rôle du contexte socioculturel. Cette lecture s'est avérée stimulante pour notre réflexion sur les attitudes des citadins dans des densités différentes. Ainsi, Searles écrit (p.89) au sujet des sentiments portés par l'enfant sain à l'environnement :

« qu'il s'agisse, d'ailleurs, de défauts ou de qualités, l'élément non humain constitue un milieu relativement transparent qui à la fois invite et aide l'enfant à se voir tel qu'il est réellement ; alors que dans le monde plus complexe des relations interpersonnelles, il lui est bien facile de se convaincre que ce qui se passe se déroule hors de sa participation et de sa responsabilité. [...] Joue également le fait que dans ses relations avec l'élément non humain, l'enfant est affranchi des mots  — ces mots, qui, dans ses rapports avec d'autres humains, jettent si souvent la confusion dans son esprit. »

Searles décrit plus loin, parmi les attitudes moins saines, la misanthropie qui résulte d'une adolescence mal vécue débouchant sur un investissement durable avec la nature (ou des objets inertes) plutôt qu'avec ses semblables ; il parle également de l'ambivalence devant le monde non humain, « le conflit entre l'aspiration à se fondre totalement dans le monde non humain et l'angoisse d'y parvenir et de perdre ainsi sa singularité d'être humain » (p.110).

Nous pouvons dès lors entrevoir quatre attitudes possibles chez le citadin :

 

 

 

 

 

 

 

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    • il recherche l'environnement non humain comme étant peu objectal et lui offrant un maximum d'espace pour les jeux de ses objets internes (ainsi, Lawrence d'Arabie disait aimer le désert « parce que le désert est propre ») ; mauvaise tolérance à la densité ;
    • il fuit l'environnement non humain, et recherche la convivialité et les situations de densité, parce que les autres, différents de lui, y empêchent le mouvement fusionnel vers le non humain, trop angoissant pour lui ;
    • il traite résolument l'environnement humain comme étant non humain (anonymat confortable des grandes villes, aspect positif de « la foule solitaire » de Riesmann), bonne tolérance à la densité, mais obtenue par un isolationnisme affectif coûteux au plan pulsionnel ;
    • il traite l'environnement humain comme seulement potentiellement humain, et le non humain comme couramment plus gratifiant, sauf bonne surprise objectale qui le conduit instantanément à se re-humaniser : ce serait la description d'un promeneur winnicottien.
 

 

   

Winnicott, en théorisant le recours à des objets transitionnels et à « l'espace transitionnel » lors de la psychogenèse de l'enfant comme étant un espace mental virtuel qui n'est ni un dehors ni un dedans, identifie une aire de l'expérience culturelle, un espace ludique qui est moins un espace de transition qu'un espace de liberté où est donnée la possibilité d'élaborer des compromis entre le dedans (la nature « brute » des pulsions endogènes) et le dehors (la nature socialisée devenant progressivement de la culture). La délimitation d'un dehors et d'un dedans maîtrisée par ces mécanismes, permet à l'enfant de construire une interaction entre ce qui touche à la réalité intérieure de ses propres pulsions et fantasmes, et ce qui relève de la réalité extérieure. La création culturelle naîtra ainsi du choc de ces deux champs psychiques, favorisant la construction graduelle d'un être capable de se singulariser par ses propres productions.

 

 

   

Dans les premiers mois de l'enfance la mère gère un processus de détachement ; le foetus puis le nouveau-né font corps avec la mère (dyade fusionnelle) ; celle-ci, en manipulant l'enfant et en se déplaçant elle-même dans l'espace permet la prise de conscience de la réalité extérieure. On passe alors de ce que Winnicott appelle le « holding » au « handling ». Ce passage est facilité par le recours à des « objets transitionnels » tels que le « doudou » dont l'appartenance corporelle reste floue ; l'objet transitionnel fait en même temps partie de soi et de la mère. C'est un objet à moitié externe et à moitié interne. L'architecture de l'habitat qui enveloppe l'enfant peut avoir, elle aussi, un rôle d'auxiliaire qui prolonge le rôle de la mère tout en organisant le rapport à la réalité extérieure. Le jeu sur la profondeur de l'espace et son ouverture sur l'extérieur par des fenêtres et des portes peut s'apparenter à la fonction de l'espace transitionnel : « Home is where we start from » (19).

 


19 - D. W. Winnicott, 1986, Home is where we start from, traduction français, parue sous le titre Conversations ordinaires, Gallimard 1988.

   

Concernant la relation à la nature, la psychogenèse winnicottienne montre ainsi que si Ia première « nature » est la mère, celle-ci initie aussitôt l'enfant à une deuxième « nature » qui est l'apprentissage de la vie, c'est à dire la culture. Il serait intéressant de mettre en parallèle cette psychogenèse de la relation à la nature caractérisée par la toute-puissance de la mère avec les théories des origines qui reviennent dans un certain nombre d'écrits d'urbanistes, et qui font elles aussi référence à la mère nature, mais cette fois du point de vue des représentations conscientes. L'importance particulière de ce maternage chez l'humain, que Winnicott appelle significativement l’« indwelling », permet de dire que le premier habitat de l'enfant est le corps de sa mère, ce qui constitue un prototype de sa relation ultérieure à la nature ; et qui, dans le même ordre d'idées, inscrira la femme dans l'ordre de la nature, au plan fantasmatique et mythique.
L'architecture et l'urbanisme peuvent dès lors se concevoir comme visant à constituer une néo-nature de l'homme. Un mécanisme de naturalisation des objets culturels tels que la ville et la technique, même, prend ici sa source, dans une démarche de destitution et remplacement de la mère des origines, figure qui a été souvent repérée comme désir démiurgique chez l'architecte...
Mais d'autre part l'architecture peut représenter la rébellion contre la nature et sa toute-puissance, afin d'affirmer le fait humain : attitude prométhéenne, apparemment « athée », mais de fait non moins liée que la précédente à une fantasmatique qui opère du côté du démiurge...

La création nécessite un double affranchissement des réalités intérieures et des contingences extérieures, de la nature des pulsions internes et de la culture imposée par le monde extérieur. Processus certes fort complexe puisque aux pulsions « naturelles » se mêlent les fantasmes, liés aux représentations conscientes que l'on peut en avoir, tandis que la culture est, elle, toujours le produit d'un processus d'élaboration de ce monde psychique « naturel » des origines...

Si la densité urbaine se présente d'abord pour nous comme une densité humaine dans la ville, on conçoit aisément au vu des réflexions qui précédent qu'il faille en repenser la notion dans la dialectique qu'entretient sa promesse de vitalité avec celle, plus ou moins grande, de la vie psychique humaine. Les individus, eux aussi, traversent des états psychiques que, pour éviter de jargonner davantage on pourrait simplement décrire comme plus ou moins denses (ne dit-on pas « une écriture dense », « une pensée dense »), et ces densités intrapsychiques viennent jouer ou s'affronter, avec ou contre, les événements suscités par la vitalité de la densité urbaine. L'exigence d'homéostase, d'équilibre du Moi, ou si on préfère, d'équipression psychique entre le dedans et le dehors, ne perdant jamais ses droits, nous pouvons alors reformuler nos quatre attitudes issues de la lecture de Searles en quatre situations typiques :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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densité urbaine forte

densité urbaine faible

densité intrapsychique forte

stress, encombrement, _______fuite au calme

équilibre, homéostase du Moi

densité intrapsychique faible

équilibre, homéostase du Moi

stress, solitude, _______________fuite vers la foule

 

 

   

On voit donc que, comme pour le cholestérol, la forte densité urbaine pourra, selon les cas, être bonne ou mauvaise, et la faible de même. Il n'y a pas de densité bonne ou mauvaise en elle-même. On voit également qu'une régulation immédiate des conflits ne peut s'obtenir que dans l'imaginaire, en agissant sur la vie intrapsychique, de diverses façons dont nous essaierons de rendre compte par les exemples trouvés chez les personnes interviewées dans chacun des deux quartiers.

 

 

   
 

 

   
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L'identité urbaine des deux sites d'enquêtes
 

 

   

 

2.1 spécificités sociohistoriques de Belleville

 

 

   

 

Les deux situations opposées de densité urbaine sont visibles sur les documents reproduits ci après (photo aérienne de l’IGN et plan de situation). La densité résidentielle du quartier pavillonnaire appelé souvent « la campagne à Paris » peut être estimée à 130 hab/ha ; celle du quartier de la Place des Fêtes à 1000 hab/ha. Ces deux densités sont donc très contrastées, dans un rayon de 200 m autour de la « ville haute » des quelque quinze tours (dont quatre IGH de 27 étages) de la Place des Fêtes vivent environ 20 000 personnes sur 20 ha, et dans un périmètre de 15 ha, le quartier de « la campagne à Paris » est habité, lui, par 2 000 personnes tout au plus. La compacité de la ville haute dégage ainsi des prospects vastes, notamment des vues d'ensemble sur Paris, très appréciés dans ce quartier, et dont sont privés les pavillonnaires, qui, eux, se disent pour leur part ravis d'être « à la campagne ».

 

 

   

Il faut cependant situer l'ensemble des représentations urbaines des habitants de ces deux quartiers par rapport au référent « Belleville », celui d'un quartier populaire qui reste mythique malgré le changement social de sa population ; un fait urbain rare.
Mais le quartier joue-t-il de nos jours encore un rôle dans le mode de vie actuel ? Le quartier est défini par ses habitants, qui adhèrent à l'histoire, vraie ou mythifiée, du quartier. Dès lors l'identité du quartier est reconnue comme une valeur. Pierre Sansot définira ainsi l'habitant comme celui qui adhère au mythe de sa ville (20).

 


20 - Sansot, P., Poétique de la ville, Klincksieck, 1971.

   

Si l'image de Belleville reste, aujourd'hui encore, largement celle du « bastion de la classe dangereuse »  qu'il fut réellement pendant la Révolution de 1848 et au moment de la Commune en 1871, c'est par un effet de la mythologisation des lieux de mémoire bien davantage que par sa composition sociologique actuelle. Force donc, de la dimension mythique. Dimension qui s'attache également aux autres anciens faubourgs de Paris, presque tous situés sur les collines : la Butte-aux-Cailles et Montparnasse, Montmartre, Belleville et Ménilmontant, collines abandonnées aux classes pauvres par Haussmann, qui restèrent jusqu'à leur rattachement à Paris en 1860 à l'état de villages où le mode de vie rural tint tête longtemps au centre-ville. Leurs habitants vivaient « à la campagne à Paris », le nom que continuent à porter d'ailleurs deux ou trois quartiers pavillonnaires dont celui que nous étudions ici. Les laissés-pour-compte de la rénovation haussmannienne peuplèrent massivement Belleville ainsi que les autres faubourgs, non seulement pour des raisons foncières (le prix des loyers), mais aussi politiques. La densité de rebelles et révolutionnaires à Belleville fera dire à un auteur bourgeois : « perchée sur ses hauteurs, la classe dangereuse rumine ses mauvais coups, prête à fondre sur les beaux quartiers » (21). Raison pour laquelle Belleville fut prudemment découpée entre les XIXe et XXe arrondissements en 1860.

 

 

 

 

 


21 - Simon, P., op. cit.

   

Les hauteurs possèdent des qualités certaines telles que le grand air, la luminosité, et de vastes panoramas. Leurs habitants ont souvent une mentalité spécifique, cultivant la différence de ces hauts lieux facilement chauvins. À Belleville, l'agrément paysager du belvédère semble avoir été déterminant pour le caractère du lieu et serait même aux origines du nom, dérivé de Beauregard (le nom jadis de la butte de la Place des Fêtes), en passant par Bellevue (encore de nos jours le nom d'une des rues près de cette Place, qui constitue la frontière entre nos deux quartiers).
Leur histoire urbaine mouvementée pose quelques problèmes quant aux représentations des habitants de Belleville par rapport au centre de Paris. L'identité bellevilloise se veut un peu sécessionniste, mais comparée à la banlieue, Belleville appartient clairement dans les esprits au Paris intra muros. L'ex-village et ancien faubourg regarde d'assez haut la nouvelle banlieue.

Belleville passa de 8 000 habitants en 1835, à 30 000 dix ans plus tard. Une nouvelle population d'artisans, prolétaires et de petites gens allaient jeter la base sociologique de l'identité de cette commune. Cette première « rénovation urbaine » n'est jamais dénoncée, ni mise sur le même plan que celle des années 1970, par les nostalgiques actuels du passé bellevillois et du mode de vie villageois. Que la destruction du mode de vie précédent, presque uniquement rural-horticole, ne soit pas un support de nostalgie comparable à la perte de la convivialité ouvrière montre bien, pensons nous, que c'est le monde ouvrier qui a été le fondateur du mythe du quartier.
Le sort des armes lors des combats de la Commune fit de Belleville le dernier réduit des Fédérés contre les Versaillais, et le théâtre du massacre de la Semaine Sanglante, holocauste de dizaines de milliers de morts qui consacra Belleville en tant que commune martyre de la Révolution. Comme l'écrit encore Patrick Simon dans son excellent article, « quartier à part, démoli, vidé de sa population la plus active qui a connu la déportation, Belleville se forge l'identité d'un isolat maudit replié sur lui-même et fier de son originalité. Dès 1860, Belleville se constitue en assurant une fonction qui sera pour toujours la sienne : accueillir les exclus de la Ville » (22).

 

 

 

 

 

 

 

 

 


22 - Simon, P., op. cit.

   

C'est sans doute sur la toile de fond de cette tragédie qu'il faut apprécier le choc, un siècle plus tard, d'une opération de rénovation urbaine sur les hauteurs de Belleville qui se solda vers 1971 par le départ de presque 6 500 habitants, dont beaucoup vers la banlieue, et dont 200 seulement trouvèrent le moyen de revenir. Les massacres de la Commune et les souffrances infiniment plus légères de la rénovation urbaine sont deux événements qui, de nombreux entretiens avec les habitants en témoignent, marquent le plus décisivement l'imaginaire du quartier. Il s'agit de la légende du quartier, structurée par deux traumatismes qui, aussi inégaux qu'ils soient historiquement, semblent bien frapper pareillement les esprits.
La rénovation urbaine des années 70 à Belleville, qui vit la construction d'un grand ensemble composé de nombreuses tours, fut une opération dite de « rénovation privée » et la seule dans Paris avec celle du quartier Italie dans le XIIIe, étudiée par Henri Coing dans une recherche qui fit du bruit (Rénovation urbaine et changement social).
Les conséquences de cette rénovation sont paradoxales : d'une part, l'ambiance bellevilloise, populaire, animée, chaleureuse fut mythifiée comme un passé irrémédiablement perdu ; mais d'autre part, la construction des tours, qui a augmente la densité dans des proportions inédites et provoqué un changement social comparable à celui observé dans le XIIIe, n'a pas ici donné naissance à un quartier nouveau par rapport à l'ancien Belleville, mais a été en quelque sorte récupéré par le mythe bellevillois. Les tours sont habitées, certes par la classe moyenne en lieu et place de l'ancien prolétariat, mais par une classe moyenne qui se souvient : des néo-bellevillois, avons nous écrit dans notre recherche précédente au sujet de ce quartier. (23)

 

 

 

 

 


23 -Manuel Periáñez, 1994, Un architecte, deux places de Paris, cent effets sociaux, mille représentations, LEPSHA, ronéoté.

   

Ces néo-bellevillois ont tendance, tout en habitant les tours, à déplorer la rénovation urbaine dont elles sont issues et à encenser la vie dans les petits pavillons adjacents, vie qu'ils ne connaissent que très rarement, et qu'ils ne cherchent pas à connaître (peut-être pressentent-ils que cela vaut mieux pour préserver l'idéal pavillonnaire). Ils mettent facilement sur le compte de « l'urbanisme destructeur » le passage historique de la vie villageoise à la vie urbaine parisienne contemporaine, celle-ci étant dévalorisée au regard de l'encensement nostalgique et quelque peu fétichiste des vieilles pierres. Nous retrouvons nos néo-bellevillois dans le portrait ironique que fait Alain Schifres de ceux qu'il appelle « les faubourgeois » :

« Une variété intéressante du Nouveau Parisien est le jeune faubourgeois à poil raide. Le faubourgeois est un de ces pionniers qui, au Nord et à l'Est, disputent l'espace aux faubouriens. C'est qu'il ne veut pas vivre chez les bourges (le voudrait-il, il n'en a pas les moyens). Les bourges sont chiants, leurs femmes ont de petits sacs avec une chaîne dorée. Leurs rues le soir sont des cimetières. Le rêve du faubourgeois est d'habiter un vrai quartier populaire. [...] À mesure qu'avance le faubourgeois, hélas, le faubourien recule. C'est que l'animal fait monter les prix comme il respire. Il est à la recherche du fameux tissu urbain, mais la ville se démaille à son approche. [...] Il y a des signes qui ne trompent pas ; ils marquent la progression du faubourgeois. Ainsi nos alpages sont-ils devenus des hauts. On n’habite plus à Belleville mais les "hauts de Belleville" ». (24)

 

 

 

 

 


24 - Alain Schifres, Les parisiens, J.-C. Lattès, pp.58-59.

   

Ces faubourgeois et néo-bellevillois semblent, en partie tout au moins, commettre une erreur mythologique. Erreur que ne commettait pas un vrai ouvrier de la Place de Fêtes, qui y a vécu cinquante ans et qui dans ses souvenirs dûment publiés par le journal de quartier attribue « à la guerre », donc à des causes historiques profondes, le changement de Belleville. Et non à la seule rénovation urbaine, qui dans son esprit aura été une conséquence du déclin de la convivialité populaire et de la lutte des classes, davantage que son origine. Cet ouvrier, qui s'appelait Paul Adnot, « déraciné » de sa campagne à Belleville à ses douze ans, a connu les taudis et la condition ouvrière misérable d'alors, contre laquelle luttait victorieusement la belle convivialité que l'on regrette maintenant, et dont on oublie de voir, derrière son aspect plaisant, qu'elle constituait une technique collective de survie, difficile à retrouver de nos jours malgré notre « crise » actuelle (qui ne peut, de loin, s'y comparer, sinon au plan psychologique). Puis vinrent les Trente Glorieuses des années soixante, et Adnot connut les HBM (« vous vous rendez compte, les W-C chez soi ! »), la télévision, l'électroménager : ce témoin précieux décrit spontanément le même processus de changement que Coing trouvera dans le quartier Italie, et le passage durkheimien de la « solidarité mécanique » obligatoire de la vie de quartier traditionnelle à une nouvelle solidarité, se rapprochant peut-être de cette « solidarité organique » entre segments sociaux d'affiliation libre qu'espérait Durkheim comme antidote contre l'anomie sociale. Adnot n'accède cependant pas à la conscience du degré d'aliénation qu'imposait cette convivialité villageoise traditionnelle, aussi chaleureux qu'en ait été l'aspect affectif : la vie de village est un enfer par son contrôle social (cf. Balzac, Maupassant, Zola, etc.).

 

 

   

Ce quartier de Paris constitue donc un site sociologique assez unique, où malgré la profondeur du traumatisme subi par Belleville lors de la rénovation urbaine des années 70, on peut observer aujourd'hui, comme l'écrivait Luc Nadal déjà en 1989, que « trente ans après la condamnation du quartier à la démolition, dix ans après l'achèvement des nouveaux édifices, le mythe de la Place des Fêtes est toujours bien présent. Il garde une fonction organisatrice du discours non seulement chez ceux qui ont connu le quartier avant la rénovation mais aussi (sauf pour les plus jeunes) chez ceux qui sont arrivés depuis ». (25)

 


25 - Nadal, Luc, « La Place des Fêtes, une rénovation urbaine à Paris », Mémoire de l’École d'architecture de Paris- La Villette, 1989.

   

Le numéro, déjà cité, d'Hommes et Migrations consacré à Belleville, donne l'analyse lucide du mythe actuel de ce quartier de Paris en tant que « village planétaire » (26). Mais en tant que « modèle français d'intégration pluriethnique » Belleville semble beaucoup moins un mythe car ce quartier réussit bel et bien là où les ghettos échouent. Les auteurs notent que ce succès est dû au respect général de la maxime selon laquelle « la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres », au fait que « Belleville appartient à tous car tous lui appartiennent ».

 

26 - Qui succède au mythe bellevillois précédant du « quartier le plus parisien de Paris » il y a cent ans... Cf. Periáñez, 1994, op. cit.

   

Pour notre part, nous voyons à l'ouvre un mécanisme plus secret qui rend possible à cet endroit ce qui s'avère impossible ailleurs : la re-identification, à travers des bribes d'histoire mythifiée, à une légende fondatrice qui fait de Belleville un « quartier d'opposition ». Souvent simplement d'opposition à la tendance politique dominante du moment, mais plus subtilement de méfiance et d'opposition instinctive aux idées et façons d'être dominantes de l'époque, quelle qu'elle soit. C'est cela qui attire « les exclus ». Ces exclus, d'ailleurs, s'excluent souvent eux-mêmes de par cette sensibilité particulière  — qui n'a que peu à voir avec la « structure caractérielle » des psychiatres, mais, en tant que création de soi, beaucoup avec la poésie.
Jules Vallès, les Saint-simoniens, Gustave Flourens, la liste est longue des bellevillois qui le devinrent par une plaisante résonance entre leur identité psychique et l'identité géopolitique du lieu, et qui contribuèrent à son histoire, plus tard mythifiée.
L'identité bellevilloise s'est donc compliquée au fil du temps, mais cette complexité permet le fonctionnement paradoxal d'un mécanisme d'intégration culturelle assez particulier, qui nous semble constituer le secret de Belleville. Un mécanisme paradoxal qui permet à des gens en mal d'identifications aux « bonnes » identités dominantes non pas de verser dans la pathologie sociale mais au contraire de trouver le compromis d'une « identification opposante » qui débouche sur une identité sociale forte, mais critique.

Le « modèle bellevillois » d'intégration sociale des immigrés successifs  — dont l'histoire est déjà longue —  reposerait sur la facilité de transition (au sens winnicottien) offerte par l'identité rebelle bellevilloise aux immigrants. Ceux-ci, pour s'intégrer, se trouvent classiquement mis en demeure de réaliser la prouesse psychique d'accepter la renonciation à leur identité d'origine tout en la conservant pour se sentir exister, le temps de parvenir à éprouver leur nouvelle identité comme « authentique » (double lien schizophrénisant de Bateson). Notre hypothèse serait ici que l'identité « d'opposition », mais valorisée, d'un quartier permet aux immigrés la transition plus douce de leur altérité radicale vers l'altérité relative de ces nationaux en désaccord que sont des faubouriens bien identifiés, se soutenant de leur mémoire collective anti-dominante, et pour lesquels « la vie est bien plus belle quand on se rebelle » (altérité critique qui, elle, accepte chez les impétrants la survie psychique de l'identité d'origine, avec une dose plus faible de double lien pathogène que celle que coûte le choc culturel frontal).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ces différences d'attitude entre néo-faubouriens et faubourgeois renvoient assez bien au modèle winnicottien du vrai et du faux self (en résumant abusivement, le faux self, à usage externe, encaisse les chocs avec la réalité sociale pour en protéger le vrai self, enfoui dans la « réalité interne »). Dans ce modèle de la psychanalyse anglaise « environnementaliste », moins son vrai self paraît socialement acceptable à quelqu'un, et plus massif sera son recours à la parade du faux self. Quand la re-identification aux rebelles mythiques réussit, le vrai self devient partiellement bellevillois, au niveau, tout au moins, du « segment ethnique de l'inconscient » tel que le définit Georges Devereux (27) : 

« Le segment inconscient de la personnalité ethnique désigne l'inconscient culturel et non racial. […] Il est composé de tout ce que, conformément aux exigences fondamentales de sa culture, chaque génération apprend elle-même à refouler puis, à son tour, force la génération suivante à refouler ».

Quand la re-identification échoue ou n'est pas vitale, il y aura la béquille d'un faux self du genre faubourgeois.

 

 

 


27 - G. Devereux, 1970, Essais d'ethnopsychiatrie générale, Paris, Gallimard, 1977..

   

 

Photo aérienne du site de la recherche (IGN)

On reconnaît facilement à leur ombre portée la quinzaine de tours de la Place des Fêtes (où vivent 20 000 personnes, ainsi que le quartier pavillonnaire d'aire sensiblement égale qui le jouxte au Nord (3 000 habitants). La rue passante au bas de l'image est la rue de Belleville. La rue très arborée qui coupe le quartier pavillonnaire, en haut de l'image, est la rue de Mouzaïa. La Place des Fêtes se présente ici dans son ancienne configuration, d'avant sa rénovation selon le projet (modifié) de l'architecte Bernard Huet, rénovation dont le chantier dura de 1989 à 1995.

 

 

 

   

 

 

 

   

ambiances reconnues comme étant les plus courantes dans les deux quartiers

 

 

   

 

quartier des tours, extrait du plan Michelin n°10 (Paris)

 

 

   

 

quartier des tours, extrait du plan Michelin n°10 (Paris)

 

 

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2.2 la vie mouvementée du quartier des tours

 

 

   

Les origines de la Place des Fêtes, sur l'ancienne butte de Beauregard, site qui, avec la butte attenante de Télégraphe domine Paris à 129 mètres NGF, sont liées à l'acheminement vers Paris d'une eau demandée en quantités sans cesse croissantes. Une source abondante y jaillit au Moyen Âge, dont Charles V fait conduire les eaux en 1364 à son palais des Tournelles (au sud de la Place de la Bastille) au moyen de rigoles et canalisations. En 1530, l'hôtel royal des Tournelles ne recevant pas assez d'eau de cette source de la Tillaye, François 1er fait procéder à des fouilles pour en augmenter le débit, le terrain est acheté par le Roi. Les sources alimenteront longtemps l'hôpital Saint-Louis, qui racheta à son tour le terrain vers 1611. Louis XIII fait construire à cet effet un aqueduc visitable en pierre avec des regards, dont le Regard de la Lanterne, qui survit de nos jours et jouxte la Place des Fêtes actuelle, vers la rue de Belleville.
La commune de Belleville racheta cette Tillaye en 1835 à l'Assistance Publique pour 38 000 francs, afin d'y installer une place publique accueillant les réjouissances populaires du parvis de l'église de Belleville, que le curé ne supportait plus, et d'y tenir les rassemblements de la Garde Nationale et les fêtes patronales (marchands forains, manèges, stands de tir, etc.). Ce fut la « Place de la Fête », qui à l'époque ne s'étendait que sur le périmètre pentagonal de l'actuel square Mgr Maillet. Les alentours de cette place, constitués de terrains horticoles et de vignobles, ainsi que de nombreux moulins à vent (le site était exceptionnellement venteux, et il l'est resté), furent progressivement construits. En 1861, après l'annexion à Paris, la Place des Fêtes fut un jardin public, le « square de Belleville », espace gazonné coupé de quelques allées, où jouaient les enfants. Les fêtes foraines, qui furent supprimées en 1863, revinrent en 1884, et les riverains se plaignirent, en 1887, du « rugissement des bêtes fauves qui troublaient leur repos nocturne et de l'insalubrité causée par la présence lors de ces fêtes de nombreux animaux domestiques ou sauvages » (28)...

 

 

 

 

 

 

 


28 - Jacomin, op.cit., p.302.

   

Il n'y avait pas de monument Place des Fêtes avant la Pyramide de B. Huet, et à part le « Regard de la Lanterne » aucun bâtiment classé « monument historique ». Toutefois, certaines rues existaient déjà à la fin du XVllle siècle, alors que Belleville n'était encore qu'un calme village peuplé de jardiniers et vignerons. Le quartier s'appelle alors la Courtille, quartier que le Mur des Fermiers Généraux avait séparé en deux parties, la Haute Courtille et la Basse Courtille, peuplée de Guinguettes célèbres, qui inspireront à Ledoux quelques projets utopiques. Avant la rénovation, les rues ont de 12 à 18 mètres de large, la Place fait 140 mètres dans sa plus grande dimension, 100 mètres dans la plus petite. Des rues plus étroites desservent des passages et des cours comme la cité Henry, l'Impasse Compans (où existait un jeu de boules qui était aussi un belvédère), la cité Lumière, la cité-jardin de la rue des Bois. Les immeubles les plus anciens sont bas, 3 étages, étroits et presque tous ont des jardins ou petites cours. Ce sont pour la plupart des maisons individuelles ou des petits ateliers. Les immeubles sont moins nombreux et comptent 5-6 étages. Des ateliers et petits entrepôts en assez grand nombre prouvent l'existence d'une population artisanale nombreuse (verrerie, petite mécanique, métallurgie de précision, métaux rares, manufacture de la chaussure). C'est une population assez homogène, installée de longue date dans le quartier, et habitant un tissu urbain comparable à celui du quartier pavillonnaire actuel (qui cependant a des origines plus volontaristes, comme on le verra plus loin).
La plupart des petits propriétaires n'occupent pas leur logement, mais le louent. Il s'agit surtout de maisons individuelles situées dans les rues commerçantes à plus forte densité. Les copropriétaires occupent en général leur appartement. Ce sont surtout des ouvriers professionnels  — 21 % des ménages. Les salariés liés à la présence des petites industries et ateliers représentent 35 % de la population.

 

 

   

Comme nous l'avons déjà vu, la rénovation urbaine allait véritablement traumatiser le quartier. Son ampleur, son déroulement et ses rouages intimes ont été très bien exposés en 1976 par I. Herpin, dans un article dont nous reproduisons ici l'essentiel (29).

 

 

   

« Cette opération est décidée et exécutée à une époque où Paris n'avait pas encore de Maire. Les décisions revenaient au Préfet. C'est un arrêt préfectoral qui approuve la convention établie par l'organisme rénovateur, convention qui fixait ce qu'il fallait démolir, combien de logements allaient être construits, et le bilan, en principe équilibré, de l'opération. L'organisme peut alors réaliser l'opération de rénovation. Celle-ci étant de nécessité publique l'organisme peut exproprier lui-même s'il est concessionnaire de la Ville de Paris ; il doit demander l'accord du Conseil de Paris s'il est mandataire. L'organisme rénovateur peut être public ou privé. Dans ce cas, les participants à l'opération se constituent en Association foncière urbaine. Ils sont d'une part les anciens propriétaires voulant être membres de l'association, d'autre part les Sociétés Immobilières ayant acquis les terrains expropriés de gré ou de force. L’AFU est l'organisme responsable de l'opération, l'instance d'arbitrage. Mais le vice de cette procédure réside dans le fait que les sociétés immobilières se rendent vite majoritaires dans l'opération, ce qui fait que les propriétaires n'ont plus rien à dire. C'est ainsi que les promotions privées arrivent à des densités aberrantes, des équipements inexistants ou irréalisables, situés souvent sur les parcelles plus difficiles à acquérir et un programme de logements sociaux nul.
Quand l'organisme rénovateur est public, c'est une Société d'Économie Mixte (60 % à capital public, 40 % à capital privé, ou inversement). Le Conseil de Paris fait, de droit, partie du Conseil d'Administration de la SEM. Mais par le jeu des imbrications des intérêts publics et privés, le PDG de la Société est parfois en même temps conseiller municipal (cas de la SEMEA). L'organisme rénovateur est responsable de l'équilibre du budget foncier : acquisition, remembrement, et revente des terrains prêts à la construction à des sociétés de promotion.
Les Sociétés constructrices sont souvent des Filiales de la SEM. Si celle-ci ne réalise pas de bénéfice, on est en droit de penser que les sociétés filiales en font. Théoriquement la SEM devrait faire un genre d'appel d'offre pour vendre ses terrains libres (avec Permis de Construire) au plus offrant, par ailleurs elle doit céder aux prix coûtant à l'OPHLM les sois destinés aux logements sociaux. La plus-value obtenue sur la charge foncière des mètres carrés en libre doit équilibrer la moins-value réalisée sur les mètres carrés des logements sociaux. En pratique la SEM s'arrange avec des sociétés filiales, car étant responsable de la réalisation finale de l'opération, elle ne veut pas prendre le risque de choisir une société qui pourrait acheter plus cher mais serait moins « crédible ». S'il y a un déficit sur l'opération foncière, le trou est comblé par la Ville de Paris ou l'État, sous forme de prêts à bas intérêts. Cependant tout le risque de l'opération repose sur la SEM. Ce qui fait dire à certains que la juridiction de la Rénovation a séparé l'opération en deux phases :

  • Une phase déficitaire (ou du moins sans bénéfice) garantie par la puissance publique : la libération et mise en état des sols.
  • Une phase très rentable confiée au privé : construction et revente.

[...] L'un des responsables de la SAGI qui fait la rénovation Place des Fêtes, a dit, à juste titre : « Sans la Rénovation Publique, qui permet par des péréquations financières de faire financer des terrains sociaux par le secteur libre, la Collectivité ne pourrait construire du social que sur son patrimoine propre insuffisant qui s'épuiserait vite. La rénovation a précisément pour fondement financier cette péréquation qui permet de faire financer le secteur locatif par le secteur privé en accession, le bilan de l'opération devant, autant que possible, être neutre ».

Cela est vrai. Mais la charge foncière par m² construit en HLM s'élève à 170 francs minimum, alors qu'elle atteint 1 000 francs et plus pour le secteur privé. Dans ce cas, si l'opération doit être équilibrée, et si les règles du jeu restent les mêmes (propriété du sol non municipal, économie de marché, spéculation, etc.) la part de HLM dans la rénovation même va progressivement disparaître.

[...] Le but initial de l'opération était, « par le remembrement d'un parcellaire petit et “inconstructible”, le remplacement de vieux immeubles bas par des hautes constructions de prestige marquant cette hauteur qui est le “toit de Paris“ et la restructuration du secteur, notamment en voirie ».

Au total, 3 100 logements devaient être construits, dont 1 600 HLM et 309 ILN, les autres étant du standing privé et accession à la propriété. En fin d'opération, suite à des modifications de programme que l'on décrira plus loin, au bout de 15 années de rénovation, 3 850 logements seront construits dont 1 423 HLM et 303 ILN. La population du secteur passera de 10 000 à 15 000 habitants  — 6 140 habitants auront été délogés par la démolition.
Le quartier s'enrichira de 10 000 m² de commerces et réserves, 2 500 m² artisanat, grande surface commerciale et 8 000 m² de bureaux.

Avant la rénovation
La population du périmètre à rénover compte 9 600 habitants et est groupée en 3 940 logements malgré la faible densité, les logements sont donc surpeuplés, 45 % d'entre eux manquent de confort, 9 % manquent d'eau.

Les projets
Le premier plan masse établi par un urbaniste à la suite des enquêtes et investigations menées par l'organisme rénovateur réunissent la majeure partie des constructions sur une dalle piétonnière, située au niveau des deux placettes, séparant ainsi les piétons de la circulation automobile. Le marché public, et les surfaces commerciales se situaient sur cette dalle. Mais la construction de celle-ci s'est avérée trop coûteuse, par ailleurs de nombreuses personnes avaient déclaré qu'elles n'auraient pas franchi les quelques mètres de dénivellation pour aller chercher les commerces au premier étage de la Place.
Le nouveau plan dispose des surfaces commerciales au sol.
La solution aux conflits de circulation est trouvée par la suppression du carrefour des rues Compans et du Pré Saint-Gervais, et la création d'une “rocade“ de 24 mètres de large en périphérie Sud de l'opération.
L'emprise de la Place s’étend largement, 180 x 240 mètres dans les plus grandes dimensions. Trois tours viennent en occuper le Sud et l'Est. La rue des Fêtes est supprimée dans sa partie Nord-Ouest, ainsi que les parties médianes des rues Compans et du Pré Saint-Gervais.
Le nombre de tours sera en définitive de sept, dont deux IGH de 35 niveaux, 5 autres de 18, et 11 édifices de plus de 12 étages- Le marché public aura une surface de 7 000 m² à l'emplacement et autour de l'ancien square. Autour du Regard de la Lanterne on aménagera un espace vert de 1 000 mètres carrés. Enfin, un groupe scolaire, un CES, un CET, un terrain de sport, foyer de vieillards, dispensaire, une bibliothèque sont prévus.

L'opération
Le démarrage de l'opération de rénovation est marqué par l'acquisition des parcelles industrielles : 90 % de la surface acquise pendant les quatre premières années. De 1954 à 1961, il y a une démolition massive.
Chronologiquement, quatre périodes :

  • 1958-61 : acquisition des grandes parcelles industrielles, acquises à l'amiable avec des indemnités très élevées. Elles serviront à la construction des logements non sociaux, à charges élevées.
  • 1962-66 : acquisition de parcelles artisanales moyennes à l'amiable ou par expropriation à faible prix. Il s'agit surtout des terrains destinés aux logements sociaux.
  • 1966-67 : acquisition de propriétés (surtout villas) assez chères après expropriation. C'est le démarrage des expropriations en série sur les parcelles moyennes artisanales et industrielles.

Enfin, une modification importante du plan masse intervient après l'augmentation de 100 % des prix des terrains en 1966-67 :

  • densification ;
  • augmentation du nombre des logements de standing aidés ;
  • transformation de logements locatifs en standing, accession à la propriété ;
  • suppression de 19 000 mètres carrés de commerces artisanaux, et industries et “résidentialisation“ de la zone par l'implantation de 15 000 mètres carrés de bureaux ;
  • élargissement de l'emprise publique ;
  • suppression de la dalle piétonnière.

Au total 750 logements auront été rajoutés au plan initial. Ainsi, par rapport au plan initial le standing s'est introduit dans l’opération, l'accession à la propriété a remplacé la location. Il s’agit essentiellement de terrains situés dans le noyau de l'opération. De 1968 à 1971, celui-ci est construit par la promotion liée à la banque majoritaire dans la société rénovatrice. Il n'y a pas eu ici d'appel d'offres aux promoteurs pour 2 tours IGH, surface commerciale 3 000 m², bureaux 3 000m².

Qu'est devenue la population du secteur aménagé ?
20 % seulement des locataires relogés directement peuvent faire face aux loyers nouveaux de l'îlot rénové. 80 % sont donc relogés hors îlot ou dans les arrondissements limitrophes : 30 % sont relogés dans le XXe, dont beaucoup par échange, 47 % dans le XIXe, 2 % en banlieue (sur demande). Le relogement est certes facilité par le patrimoine foncier de la SAGI en périphérie de Paris et surtout dans l'opération-tiroir rue Mortier St Fargeau, dans l'arrondissement. Grâce à ce patrimoine, 32 % des habitants ont été relogés par le mode triangulaire, c'est-à-dire par échange d'un logement ancien au loyer accessible, mais situé hors arrondissement et souvent plus petit que le logement précédemment occupé.
Enfin, les copropriétaires se relogent par leurs propres moyens, la plupart ne pouvant payer la différence pour acquérir un logement neuf construit dans le secteur. Fait significatif, certains redeviennent locataires, lorsque le produit de la vente de leur logement ne leur permet pas de se rendre acquéreur d'un autre.
Enfin, les propriétaires ont été les seuls à réagir face à la rénovation et ceci est significatif également. Ce sont les seuls dont la législation s'était occupée : ils pouvaient demander à participer à l'opération de rénovation. Or, ils trouvèrent le moyen de bloquer  — ou tout au moins de retarder —  l'opération en demandant à participer sans donner leur accord définitif. Coïncidence, à ce moment apparaît un arrêté préfectoral sur lequel les propriétaires ayant donné leur accord de participation peuvent quand même être expropriés. »

 

29 - Herpin, I., Perot, L., 1976, "À la recherche de la Place des Fêtes", l'Architecture d'aujourd'hui, n°176, pp.53-61.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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En ce qui concerne plus particulièrement le destin de la place elle-même, l'abandon du plan de Marc Leboucher de 1962 entraîne la suppression de la dalle-pont commerciale en bordure de l'ancien square. Les commerces seront au niveau du sol, et la circulation réorganisée par une rocade qui remplace le carrefour Compans/St. Gervais, qui dévora l'espace primitivement dévolu à une couronne de verdure. L'emprise de la dalle-pont devient la place actuelle, essentiellement un parking trois fois par semaine, pour les véhicules du marché, flanqué d'une intéressante fontaine de cascades en cercles concentriques due à la plasticienne Marta Pan (épouse d'André Wogenscky, décédée depuis lors). En 1974, peu après son élection, Giscard d'Estaing attaque la politique des grands ensembles :

« On a construit ou laissé construire des ensembles d'inspiration collectiviste, monotones et démesurés, qui ont sécrété la violence et la solitude. Rétablir la communication sociale interrompue par le gigantisme et l'anonymat sera une tâche majeure de notre société ».

 

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Trop avancée pour être remise en cause, l'opération Place des Fêtes connaîtra alors une « queue d'opération » bâclée, l'organisme rénovateur désirant en finir au plus vite avec une entreprise devenue honteuse. Les programmes de logements sociaux et d'équipements publics, venant en dernier, en pâtiront.
Tous les éléments étaient ainsi réunis pour une catastrophe urbaine dans Paris, et c'est bien dans ce sens que le nouveau quartier fut affublé d'une image très négative, dont on trouve encore l'écho vingt ans plus tard chez le romancier Daniel Pennac (30) (on remarquera la cohérence fantasmatique du texte avec la légende « communarde » de la rénovation) :

 

 


30 - Daniel Pennac, 1995, Monsieur Malaussène, Gallimard.

   

« Cissou la Neige était un fantôme de la place des Fêtes. Pas même un rescapé, un fantôme. Pendant plus de trente ans, il avait été le bougnat (bistrot-charbonnier-quincallier-serrurier) d'un petit village rond, perché sur les toits de Paris. Puis les criminels de paix s'étaient abattus sur la place des Fêtes. Ce qu'ils avaient fait à ce village, des uniformes le faisaient un peu partout dans le monde. Bombardements ou préemptions, mitrailleuses ou marteaux piqueurs, le résultat était le même : exode, suicides. "Criminels de paix". Cissou ne les nommait jamais autrement. Criminels de paix : réducteurs de nids, fauteurs d'exil, pourvoyeurs du crime. Cissou, qui ne s'associait jamais aux grands débats publics, professait intérieurement que la seule prévention efficace contre la criminalité des banlieues passait par l'exécution capitale d'un architecte sur deux, de deux promoteurs sur trois, et d'autant de maires et de conseillers généraux qu'il faudrait pour les amener à comprendre le bien-fondé de cette politique.
Cissou avait défendu longtemps son bistrot de la place des Fêtes. Il avait opposé le papier au papier, la loi à la loi. Son Auvergne natale lui avait appris à survivre dans cette jungle. Longtemps il avait gagné. La place tombait en poudre, son café restait debout. Il photographiait chaque maison, chaque immeuble, avant sa destruction. Les menaces ne l'atteignant pas, les offres se firent pressantes. Quand la place ne fut plus qu'une collection de photos, Cissou se résolut au pire : vendre. Il fit monter les prix. Il les fit grimper à hauteur des falaises de béton qui obstruaient les fenêtres de son bistrot. On lui paierait cher l'assassinat du dernier café de la place. La loi lui avait appris que les dénis de justice peuvent se négocier à des sommets vertigineux. On le crut cupide, on l'admira : "Sacré bougnat !" Ce malentendu fut à l'origine de sa rencontre avec l'huissier La Herse. Mandaté pour négocier le départ du cafetier, l'huissier fit bien davantage. Il le demanda en mariage. Et si vous deveniez mon serrurier à moi ? Attitré ! Un monopole. Pourcentage occulte sur chaque porte ouverte hein ? ristourne proportionnelle sur chaque saisie... non ? Si. Affaire faite, une tour de trente étages écrasa le bistrot de Cissou ».

   
   

 

Photo aérienne de la Place des Fêtes, vers 1980. On aperçoit, en haut, le quartier des pavillons.

 

 

   

Les vingt années qui suivirent donneront largement raison à Giscard d'Estaing et Pennac, du moins concernant les « grands ensembles » en général.
Mais à la Place des Fêtes, au pied de tours de 26 étages, ils semblent bien avoir eu finalement tort. Quand ces tours y furent construites vers 1975, l'on hurla à l'assassinat d'un quartier et d'une culture populaires et les tours, maudites, restèrent vides pendant trois ans. Mais aujourd'hui, non seulement la population de ces tours n'élève aucun lamento anti-béton comme leurs riverains le firent, mais elle a suscité sur le quartier l'avènement d'une nouvelle culture multiethnique, néo-bellevilloise et populaire d'une nouvelle manière. La différence avec des quartiers à problèmes tels que le Val Fourré ou la Cité des 4000 est très simple : la population de la Place des Fêtes n'a pas de problèmes sociaux importants, ses tours ont une superbe vue sur Paris et elles sont bien reliées au centre ; le quartier est parfaitement équipé, et l'ambiance y est forcément beaucoup plus gaie. La Place des Fêtes apparaît aussi bien à travers nos entretiens que dans ceux que rapporte Anne Steiner comme un lieu qui se prête à la vie de village :

« Les habitants du Haut ont, semble-t-il, peu d'occasions de descendre à pied la rue de Belleville, et, s'ils sortent de leur quartier, ils prennent le métro ou la voiture. En revanche, la Place des Fêtes apparaît comme un lieu fortement valorisé, et l'image qu'en renvoient ses habitants est bien différente de celle à laquelle pourrait s'attendre le promeneur égaré au milieu des tours et des barres de béton » (31)

Chez ces derniers, en effet, il existe des personnes vivant à 500 m. qui font un détour pour éviter la laideur de la Place des Fêtes, alors que sa traversée écourterait leur chemin.

 

 

 

 

 

 

 


31 - Steiner, A., op. cit. p.21..

 

   

Si le Bas Belleville inquiète, son image récente étant de nouveau celle d'un quartier dangereux qui a été souvent pris comme cadre de films, ainsi que des romans policiers de Pennac (La fée carabine, etc.), la Place des Fêtes est plus sécurisante, mais avec de fortes variations individuelles. Certains s'y sentent plus en sécurité que dans la plupart des quartiers de Paris où ils se rendent habituellement (d'ailleurs en disant « je vais à Paris ») ; d'autres, plus inquiets ou vigilants, remarquent des trafics de drogue épisodiques autour des entrées du Métro, ainsi que l'apparition préoccupante depuis 1993 de SDF et mendiants devant le Monoprix.

La suppression de la dalle du projet Leboucher de 1962 ayant laissé, en guise de place, un sous-sol de dalle hâtivement rafistolé, il n'est pas étonnant que pendant plus de vingt ans le mouvement associatif, très puissant dans le quartier au lendemain de la rénovation, n'ait cessé de réclamer un espace public de qualité (ainsi qu'une maison de quartier, refusée aux associations jusqu'en 1996).
Jacques Chirac, alors Maire de Paris, visita les lieux, convint du fait que la Place des Fêtes n'existait pas comme espace public à caractère architectural, et lança un concours d'architecture, qui fut gagné par Bernard Huet. À l'époque, cet architecte venait de refaire la Place de la bataille de Stalingrad, avec une sorte d'hémicycle de talus gazonnés devant la Rotonde de Ledoux. Le choix de Huet pour la Place des Fêtes fut mal pris par les associations, qui s'étaient réunies en jury d'architecture parallèle et avaient fait le leur, différent. Le projet choisi est sans doute le plus satisfaisant pour la critique architecturale professionnelle. Bernard Huet explique bien comment il répond à la « demande sociale » mais force est de constater que si son projet est « le plus beau » il ne résout aucun des problèmes évoqués par les habitants, et leurs associations, tenues hors du jury. Ces problèmes, déjà formulés lors de la consultation des habitants par le Groupement des associations, concernaient prosaïquement l'accès et l'état du parking souterrain au centre de la Place, la circulation dangereuse rue Thuliez, les camions du Monoprix rue Compans (sur le chemin de l'école maternelle), l'absence de cinéma ou d'un équipement susceptible d'animer le quartier autrement que par les commerces et les cafés, qui ferment dès 20h.
Le projet retenu, sur la base semble-t-il de sa modestie urbanistique (donc, de son coût : seulement 51 MF), autant que de la qualité de l'architecture, n'intègre pas un réel projet d'urbanisme à l'architecture, comme Bernard Huet l'avait fait à la Place Stalingrad : le programme urbain restera à faire dans l'avenir, il passe sans doute par un caractère piétonnier pour la rue Thuliez, qui reste coupée de la place alors même qu'elle est le pôle de plus grande animation, en dehors du marché.

 

 

   

 

 

Le projet original de Bernard Huet pour la Place des Fêtes, 1989. En bas à gauche, les deux terrasses se terminant en gradins côté Place, refusées par les commerçants, lors de la concertation.

 

 

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Quelqu'un sur la Place résuma un jour toute l'affaire à peu près ainsi :

« Imaginez que la Place des Fêtes soit une femme du peuple, assez sympathique, et qui assure, mais affligée d'un pied-bot. Comme l'opération chirurgicale l'impressionne trop, et qu'elle est trop chère de toute manières, on lui paye une très belle robe d'un grand couturier : Huet ! ».

 

 

   

De surcroît, au moment de confectionner la robe, la concertation échoua pour diverses raisons (corporatistes côté commerçants, électorales côté municipal, et de notabilité de quartier côté associations). Le projet fut sévèrement amputé, perdant les gradins au Nord remplacés par des talus gazonnés assez semblables à ceux de la Place Stalingrad. L'amphithéâtre fut ainsi privé d'emblée de son élément le plus important, décisif pour modifier le caractère du lieu. En revanche la rénovation du square fut déclarée réussie : il fut entièrement réaménagé et agrandi, des nouveaux jeux et un terrain de pétanque installés, et son éclairage renforcé ; mais surtout sa redistribution rendait impossible les jeux violents des adolescents, qui se replièrent sur la place ; le square appartient désormais aux bébés et aux vieux, qui y font excellent ménage.
Puis, alarmé à juste titre par l'accaparement nocturne de la Place Stalingrad par les dealers, le maire du XIXe Michel Bulté (de droite) stoppa les travaux fin mai 1994, arrêt des travaux qui fut signifié à l'architecte comme motivé par « l'effet Stalingrad » : ses talus gazonnés attiraient les drogués ! Derrière ce prétexte opportun, démenti à maints endroits de la capitale (et notamment aux abords du Parc omnisports de Bercy, aux talus gazonnés gigantesques), la mairie s'alignait ainsi sur les intérêts des commerçants riverains, dont les enseignes auraient été partiellement cachées par la hauteur des talus. L'esthétique architecturale des commerçants prévalait donc sur celle de l'homme de l'art : rien n'est plus beau, pour les commerçants, que leurs propres enseignes, et l'espace public se doit avant tout d'être un espace marchand. Finalement, après la destruction spectaculaire de cette structure et son remplacement par un médiocre cache-misère destiné à masquer des entrées de parking, le chantier se traîna de 1989 à 1996, et le nouveau maire Roger Madec (de gauche) refusa l'inauguration de la nouvelle place dont il désapprouvait personnellement l'architecture.
Depuis l'achèvement de ces travaux interminables, l'ambiance actuelle (fin 1996) de ce quartier est maintenant influencée par de nouveaux événements : la mise en vente massive de centaines d'appartements dans les tours, locatives jusqu'à présent, dont les compagnies d'assurances qui en sont les propriétaires avaient besoin d'argent frais. Les logements étant mis sur le marché à très bon prix, un assez grand nombre de locataires envisagent l'accès à la copropriété, provoquant un changement d'attitude sans doute considérable mais pour l'instant difficile à évaluer.

 

 

   

 

2.3 la vie sans histoires du quartier des pavillons

 

 

   

« Arrivée sur les lieux, je fus enthousiasmée au-delà de mes espérances : la somme d'intimités de ces petits pavillons qui se donnent au public tout en se masquant dans une végétation mousseuse le long d'allées piétonnes me conquit. Depuis, une passion me lie à ce climat assez exceptionnel et inattendu dans une capitale. »

Cette phrase tirée du mémoire de Catherine Lauvergeat sur le « quartier-villas Amérique » du XIXe arrondissement (32) résume bien la sensation éprouvée par le promeneur découvrant ce coin de banlieue pourtant à dix minutes du Paris haussmannien, et si différent du quartier des Buttes Chaumont. Ce quartier pittoresque possédant sa propre originalité par rapport au reste de l'arrondissement, est situé au Sud du métro et de la Place Danube, il est connu sous le nom de « quartier Amérique ». Il se situe à la terminaison du plateau de Romainville s'abaissant par une pente rapide vers la Villette. Il est entouré au Nord par le cimetière de la Villette, à l'Ouest par les Buttes Chaumont, au Sud par la Place des Fêtes et à l'Est par les HLM du Bd Sérurier et porte sur le plan du POS la désignation de zone UL qui lui confère un statut de site protégé.

 

 


32 -Catherine Lauvergeat, 1980, Le quartier-villas Amérique, mêmoire n°9271, UP6, Paris.

   

 

Illustration de Catherine Lauvergeat 1980, op. cit.

 

 

   

C'est un quartier relativement récent (bâti entre 1900 et 1933) à fonction presque exclusivement résidentielle, très fortement influencé par son sous-sol. Avant d'offrir le charme et le calme de ses voies privées et de ses jardins, ce n'était qu'un immense terrain vague creusé de carrières entre Belleville et la Villette, carrières qui imprégnèrent fortement son histoire urbaine, et dont il convient de remarquer, au plan de l'imaginaire social, l'absence (contrairement au reste de Belleville) de réminiscences liées à la Commune de Paris. Or, les carrières désaffectées d'une partie de ce quartier servirent de fosse commune après la Semaine sanglante, détail totalement refoulé par les habitants, que seul vient rappeler une modeste plaque apposée sur un mur... d'un HBM au Nord de la Place Danube. Cela signifie t-il que les représentations historiques des habitants sont prédéfinies par leur appartenance sociale, elle même liée au type d'habitat, nous n'en avons pas confirmation dans cette étude mais cela paraît plus que probable, du moins actuellement. Rien n'indique, en effet, que cette mémoire n'existait pas, comme dans le reste de Belleville, avant l'embourgeoisement des pavillons, qui à l'origine étaient des maisons ouvrières. Les allées piétonnières qui desservent ces pavillons s’appellent ici des « villas », et ont un statut de voirie particulier.
La typologie de Catherine Lauvergeat constate l'existence de villas traversantes, en impasse, et en boucle.

 

 

   

La « villa » traversante
Les traversantes s'utilisent comme des rues traversières et ont fonction de raccourcis. La preuve en est qu'elles n'auraient pas été admises au statut de voies privées ouvertes, si la Ville n'y eût trouvé un quelconque intérêt public. C'est le cas de 80% des « villas » toutes tracées selon une régularité déconcertante. À l'intérieur de cette série on peut cependant citer deux cas formant une catégorie à part : la « villa » C. Plonet et la « villa » Verlaine.
Dans le premier cas, la forte dénivellation d'un accès à l'autre occasionne la présence d'un escalier tortueux qui participe à la « villa » et lui donne un aspect très pittoresque.
Le second cas est dû au même phénomène, mais l'originalité réside dans une longue côte très progressive, qui passe, de ce fait, par un long dédale de cours intérieures dont l'aboutissement dans la « villa » est assez inattendu.

 

 

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La « villa » en impasse.
Elle est presque toujours acculée ; soit aux limites de la zone étudiée, soit aux frontières des deux anciennes propriétés. Il s'agit des « villas » Alsace, Lorraine, Laforgue, Rollinat et A. Fallières. La vue sur le mur du fond, à partir de la rue, n'engage pas à y pénétrer et renforce l'idée de « privacité » de la voie. L'exigence d'avoir à retourner sur ses pas pour en ressortir n'incite pas psychologiquement à en passer le seuil, mais simplement à y porter le regard.

 

 

   

La « villa » en boucle
Seule du genre dans le quartier elle se manifeste par l'exemple du hameau Danube. Ce nom de hameau porte en lui la différence avec ses proches voisines et sa forme repliée sur elle-même renferme plus que jamais la notion d'univers privé et secret. La maison du concierge, seul élément distinct de la rue, détourne vite l'intention d'aller y jeter un oeil.
Ce hameau joue le rôle subtil de double appartenance en offrant deux de ses faces à la « publicité » sans laisser supposer qu'elles font partie du même tout. De plus ses côtés sur rue ne laissent rien deviner du monde intime et privé de sa voie intérieure ; ses maisons rue du Général Brunet, artère assez passante, se lient bien au reste des façades mitoyennes sans laisser percer la présence des jardinets à l'intérieur. Sur la rue de la Liberté, moins fréquentée, et d'échelle plus petite, le hameau laisse voir les jardins de ses pavillons. Difficile alors d'établir une relation entre ces derniers et les façades plus urbaines situées à l'opposé.
On a l'impression d'un brouillage de pistes destiné à détourner les regards indiscrets de ce microcosme. La présence d'ateliers prouve que l'ensemble est réservé à une catégorie de gens bien décidés à rendre imperméable leur petit monde. Trois facteurs expliquent ces changements.

 

 

   

 

Illustration de Catherine Lauvergeat 1980, op. cit.

 

 

   

Généralement le propriétaire des terrains conseillait aux futurs acquéreurs une entreprise ou un architecte qui bâtissait la quasi-totalité des pavillons ; souvent ce personnage rassemblait en sa personne le double rôle de vendeur et d'architecte C'est le cas du fameux P.F., animateur de la Société Parisienne des HBM et qui a ainsi réalisé les plans de très nombreux pavillons. L'uniformité régnait alors dans toute la « villa ». Dans les années 1922-26 où l'individualisme est glorifié, c'est à qui aura la maison la plus originale, chacun fait donc appel à son propre architecte ou entrepreneur et rivalise en excentricité avec son voisin. Dans cette même période, certains acheteurs opéraient uniquement dans le but précis de revendre pour faire un bénéfice, aussi regroupaient-ils en une seule parcelle l'équivalent de deux ou trois d'entre elles ; ce qui ne correspondait alors plus à aucun des trois types. Le jeu se brouillait alors et faute de pouvoir gagner en hauteur les clients s'étalaient en agrandissant ainsi la superficie de leur maison.

 

 

   

De toutes ces variations, celles opérées sur la parcelle d'angle sont les plus spectaculaires du fait de leur double appartenance « villa-rue ». Elles jouent le rôle de charnière dans l'articulation de deux systèmes, bénéficient d'une dérogation par rapport aux autres parcelles ; elles peuvent, si les propriétaires le désirent, être construites sur toute la largeur de la parcelle déduction faite de la zone non aedificandi (jardin à l'avant et courette à l'arrière). On peut voir dans cette clause une tentative de la part de la Ville d'obtenir ainsi une élévation sur rue plus homogène une sorte de ressoudage au reste des maisons mitoyennes évitant ainsi cette vue perspective sur une rangée de courettes arrière souvent disgracieuse. Nous verrons dans les parcelles d'angle, plusieurs cas de figure se présenter, nous n'en étudierons que les principaux.

 

 

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Cas 1 : Les propriétaires bâtissent tous deux sur toute la largeur de la parcelle, les maisons s'adossent l'une à l'autre sans laisser d'espace entre elles.

 

 

   

Cas 2 : Aucun des occupants n'occupe le terrain jusqu'au bout de son lot, laissant un vide entre eux, mais ils élèvent le long de la rue un mur d'environ 2m de haut qui masque ainsi les cours arrière converties parfois en garage ; on ne distingue alors la limite des deux parcelles que par une différence de hauteur de mur et de couleur de crépi. L'un des deux seulement, construit sur la totalité de la parcelle et laisse (ou non) côté rue, un jardin devant la maison, l'autre bâtit sa cour arrière par un petit édifice.

 

 

   

Cas 3 : Enfin une troisième construction s'élève entre les deux autres sur la surface des deux courettes arrière.

Une autre dérogation venue tardivement modifie l'aspect initial des parcelles d'angle.

 

 

   

Contrairement aux autres pavillons dont la fonction résidentielle est imposée, « les lots en bordure peuvent disposer de boutique sur rue mais sans devanture ni étalage sur la façade de la "villa" ». Certaines personnes en ont profité pour aménager un garage grâce à la dénivellation du terrain.
Pour en terminer avec le bâti, nous allons examiner l'allure qu'il revêt par les matériaux utilisés et leur mise en œuvre. C'est encore le temps qui, dans ce domaine, introduit la diversité dans l'apparence des maisons. Celles de la première génération, étant bâties par une seule et même personne, étaient toutes pareilles à l'intérieur de chacun des trois types existants. Celles restées intactes sont toujours en brique ou en moellons, recouvertes d'un crépi, la toiture à deux pentes, invariablement en tuile plate. Cependant, les derniers acquéreurs ont su leur donner une touche amusante en jouant sur les couleurs d'encadrement de fenêtres et de porte, sur le crépi et sur les grilles bordant la « villa ». Ils ont même été plus loin en bouleversant parfois les percements ou en surélevant, et malheureusement pas toujours de façon heureuse.

 

 

   

 

 

Illustration de Catherine Lauvergeat 1980, op. cit.

 

 

   

Pour les pavillons de la seconde génération, toutes les fantaisies se manifestent  — pierre de taille, meulière, briques colorées, céramique, ciment imitant la pierre, béton. Quant aux toits ils brillent du zinc à l'ardoise et se transforment en terrasse (33) Tous les styles sont permis. La coquette maison normande côtoie l'humble pavillon de banlieue, l'édifice « art déco » voisine avec l'habitation ouvrière.
Cette analyse achevée nous passons au point le plus sensible de ce sujet et qui en fait tout le charme : la trouble atmosphère « privée-publique » entretenue par la « villa ». Sa forme juridique ne contient-elle pas le paradoxe criant de cette relation ambiguë : voie privée ouverte.

 


33 - Cahier des charges de la "Villa Rollinat"'

   

Le rapport « privé-public »
L'articulation de la « villa » avec la rue, son frottement avec elle, se fait grâce a la parcelle d'angle dont la double appartenance « rue-villa » assure la liaison entre les deux.
Le traitement du seuil de la voie privée joue un rôle important dans ce « liaisonnage » : celui qui y vit se sent chez lui dès qu'il franchit cette limite ; l'étranger, lui, a l'impression de troubler une certaine intimité en y pénétrant et d'en violer sa tranquillité.
Tout un système de protection plus ou moins provocante assure le flirt « publicité-intimité ».
Dans la majorité des cas, la « villa » se protège sans se cacher puisque les grilles des jardins privatifs des parcelles d'angle donnent sur la rue. En revanche, elle passe assez inaperçue quand les propriétaires ont installé soit un garage soit une boutique éliminant l'élément résidentiel pur et le jardin qui marquent sa présence dans le défilement de la rue. Pour marquer ces éléments protecteurs nous suivrons l'ordre suivant dans la pénétration de la rue à la « villa » :

 

 

   
  • le seuil de la « villa » ;
  • la voie privée ;
  • clôture, porte et grille ;
  • le jardin ;
  • le perron et les trois marches.
 

 

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Le seuil de la « villa »
La voie privée accuse une élévation par rapport au niveau du trottoir de la hauteur d'une petite marche mais ce dernier n'offre aucune particularité de traitement sur la largeur de son entrée. Le véritable franchissement se matérialise par des aspects formels allant du plus simple au plus sophistiqué. Souvent rien n'est là pour signaler le marquage de la « porte ». On passe ensuite de la quille en fer plantée au beau milieu de l'entrée à l'arceau de ferraille en U inversé. On peut trouver aussi une borne en béton. Ces différents objets agissent comme élément obstructeur pour empêcher les voitures de pénétrer dans la voie. Par contre des systèmes plus compliqués et plus complets de fermeture sont les réminiscences d'un « privé » jadis en vigueur. Ce sont d'ailleurs les « villas » restées « fermées » qui en conservent les traces les plus marquantes : au Hameau Danube, un portail en bois surmonté d'une pergola ferme à clé et protège de façon efficace les occupants.
Pour la « villa » Hauterive c'est une grille en fer encore en place à l’une de ses extrémités et incomplète à l'autre bout, qui symbolise ce privilège perdu. Parfois seul le linteau de fer joliment ouvragé et les montants du portail subsistent (« villa » Amalia). Du temps où ces voies étaient privées-fermées un règlement obligeait les propriétaires à maintenir closes les « villas ». Le texte officiel dit :

 

 

   

« Les voies privées-fermées doivent être munies d'un système de fermeture par grille (barrière ou chaîne) placé à l'alignement de la voie publique et parfaitement éclairé » (34)

Lors de leur ouverture au public, ce système devint inutile et même contraignant puisque les passants eurent droit d'y circuler librement.

 


34 - Règlement des voies privées - Voirie de Paris.

 

   

 

 

Illustration de Catherine Lauvergeat 1980, op. cit.

 

 

   

La voie privée
Elle se différencie du trottoir de la rue par un pavage ou une composition de motifs répétitifs en béton et par une réduction d'échelle (elle dépasse rarement 3m de large) alors que les rues varient de 12 à 20m ; elle ne comporte pas de trottoir mais deux caniveaux latéraux pour l'écoulement des eaux. Ce rétrécissement de voie, qui humanise le décor, donne un peu l'impression de rentrer chez quelqu'un ; la présence de lampadaires restitue par contre l'ambiance du domaine public.

Clôture, porte et grille
L'invariable mur-bahut surmonté d'une grille assure la limite entre la parcelle et la voie privée.
Les murettes forment parfois de véritables murailles qui ne laissent percer aucun regard indiscret. La grille se colore et se métamorphose au gré des caprices des habitants et sert de support à la végétation du jardin.

Le jardin
Cette végétation renforce l'idée de séparation et forme un second écran surtout quand elle se matérialise par d'épais taillis derrière le barreaudage. Il peut être une mini-jungle laissée à l'abandon, une composition de massifs de fleurs bien ratissée.

 

 

   

 

 

Illustration de Catherine Lauvergeat 1980, op. cit.

 

 

   

Quelquefois le feuillage n'apparaît pas du tout et met ainsi en valeur la maison qui se montre sur toute sa hauteur. il arrive même que des édicules empiètent sur les dimensions pourtant minuscules de cette zone non aedificandi et laissent voir dans ce qu'il reste quelques centimètres de ciment au sol.

Le perron et les trois marches
Ultime étape avant de franchir le seuil du « chez soi », le perron met à l'abri des intempéries en offrant une situation supérieure : trois marches dues à la présence de la cave qui assure un vide d'air et assainit la construction surélèvent la maison et constituent un poste idéal de surveillance qui privilégie les bavardages avec les voisins ou les invités. Il dote la maison d'un élément décoratif par la marquise qui prend parfois des formes très sophistiquées. Ajoutons qu'au delà de la porte, dans les pavillons de type 2 et 3, l'ambiguïté public-privé, se prolonge car il existe des parties communes aux 2 ou 3 familles (couloir, W-C., escalier) et d'autres strictement privées. La cour arrière, que l'on pourrait ajouter à cette tentative de classement est le rejet des activités que l'on ne montre pas ; elle n'est pas colonisée pour agrandir la maison.

 

 

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3

La densité

 

 

       

 

   

« Ce qui me plaît dans ce quartier c'est qu'il n'est pas fait d'un seul bloc, qu'il y a une multiplicité d'aspects dans ce quartier. Autant au niveau de l'architecture que des habitants. Je me sens à l'aise là dedans. je n'ai pas eu à souffrir de la rénovation urbaine, ni de l'augmentation de la densité après la construction des tours. Je n'ai jamais eu à souffrir de ça, la foule, non, on peut pas dire qu'il y ait la foule dans ce quartier, peut-être rue de Belleville quand les gens traversent et que vous êtes en voiture, oui, ça peut vous agacer parce que vous avez peur d'en écraser un, c'est l'habitude des gens rue de Belleville de traverser à n'importe quel moment de la rue. Mais bon, c'est pas bien grave. » (Tr5).

Ces propos (tenus par un interviewé qui habite un immeuble classique à l’angle des rues Compans et Bellevue, et qui voit par conséquent tous les jours le face à face des six « paquebots » et des pavillons les plus intéressants pour nous, ceux situés en quelque sorte sur la ligne de front des deux densités urbaines) illustrent parfaitement les sentiments du groupe de vieux habitants du quartier, pour lesquels la diversité bellevilloise, finalement, s'est encore enrichie grâce à la rénovation.

Loin d'être une plaie, la forte densité (dont ils ignorent le chiffre impressionnant seulement pour les urbanistes, 1000 habitants/ha), est la garantie de la survie d'une animation urbaine fortement menacée par la disparition du mode de vie populaire d'avant la quatre-chevaux Renault et la télévision, inventions bistroticides qui tendent à transformer des faubourgs vivants en quartiers dortoir.

Mais la faible densité du quartier des maisons, indissolublement associée à sa verdure, constitue également une garantie de continuité de ce passé, continuité symbolique ici aussi puisque les pavillons ouvriers sont devenus bourgeois : la promenade-rêverie n'est en que davantage nostalgique. Comme on vient de le voir on peut rechercher l'ambiance genre Le temps des cerises sans pour cela tomber dans l'idolâtrie des vieilles pierres ; le même interviewé est d'ailleurs un adepte cultivé de la promenade historique, connaissant les recueils photographiques d'époque (Ronis, Doisneau, etc.) :

« Je ne fuis pas la Place des Fêtes, je dirais qu'il y a la Poste, le marché, toute la Place, des commerçants de l'autre côté aussi, vers la rue de Belleville, et jusqu'à Jourdain. Plus bas, c'est le vieux Belleville dont je vous ai parlé. Plus haut, vers Télégraphe, le XXe, j'y vais très rarement, je m'y balade aussi parce qu'il y a des coins très intéressants que j'ai découvert ; j'ai visité aussi le cimetière de Belleville, tout en haut, très intéressant. Vers Ramponneau, j'y vais souvent, le nouveau parc de Belleville vers la rue Piat, jusqu'au métro Couronnes... Il y a par là tout un vieux coin de Paris, autour de la rue des Cascades, le film Casque d'Or et tout ça. Mais tout ça, c'est pas du tout pour fuir la Place des Fêtes, c'est pour avoir un autre éclairage de la vie du quartier, je me régale avec les photos du quartier faites par Willy Ronis, par exemple, et j'essaye de redécouvrir des rues qui n'existent plus. L'impasse Compans, je ne sais pas ce que c'était, j'ai dû voir ça sur les images de Ronis. Les deux sont intéressants, les deux quartiers ». (Tr5).

Dans ces deux sites de Belleville, les données factuelles de nos enquêtes montrent sommairement quatre cas de figure concernant le croisement densité urbaine/densité familiale :

 

 

         
   

 

DENSITÉ
URBAINE

DENSITÉ
FAMILIALE

ESPACES INTERMÉDIAIRES

Place des Fêtes

bcp. plus forte
1000 hab/ha

plus faible
35m²/personne

néant (couloirs)

Pavillons

bcp. plus faible
132 hab/ha

plus forte
20m²/personne

existe (jardins)

 

 

   

Les deux populations sont donc très largement au dessus du seuil critique de 9m²/personne de densité familiale trouvé autrefois par l'équipe de Chombart de Lauwe dans les logements ouvriers, seuil correspondant à la manifestation d'agressivité intrafamiliale. Reste que la différence, de 15m² environ, joue à l'encontre de l'image courante de la vie en pavillon, et montre bien qu'il s'agit ici d'une situation toute particulière. La sociologie des deux quartiers se différencie également sur un assez grand nombre d'autres points, comme le montre le tableau ci-dessous.

 

 

   

 

Quartier des tours :

Quartier des pavillons

 

 

NATURE

haute densité/compacité

faible densité

square public planté ; jeux d'enfants ; surveillance ; mixité ethnique forte

jardinets individuels, pratique directe ;homogénéité sociale

parc des Buttes-Chaumont : pratique populaire familiale ; bandes de jeunes

plutôt sorties culturelles dans Paris ; (Buttes-Chaumont pour jogging)

rues bordées d'arbres entre les tours

allées minérales devant les maisons

sorties, week-ends à la campagne

loisirs dans « vraie » nature lointaine

l'intérieur des appartements est souvent en plein ciel ; jeux de luminosité naturelle du ciel et des nuages réfractes par les nombreux pans de verre

intérieur des maisons intimiste ; vue sur nature appropriée : le jardinet, les arbres propres et ceux des voisins (amis le plus souvent)

 

VILLE

place minérale au centre du quartier ; vie « publique » de quartier (effet agora) ; rencontres fortuites fréquentes mais anticipables (prospects lointains, « grand espace ») ; sentiment de sécurité dominant

aucun lieu de rencontre désigné ; rues et allées à faibles prospects ; rencontres fortuites rares mais inévitables ; sentiment d'insécurité dominant la nuit ; relations par cooptation sociale

SITUATIONS

DE FORTE

DENSITÉ

ascenseurs pleins aux heures de pointe

pavillons minuscules parfois surpeuplés

trottoirs bondés ; heurts entre piétons, landaus, caddies, chiens, etc.

circulation automobile laborieuse ; chasse aux créneaux pour se garer

centre commercial ; marché public

SITUATIONS

DE FAIBLE

DENSITÉ

place, square, parc aux heures et jours banaux

 

(situation dominante de ce quartier)

intérieur des grands appartements

garages souterrains inquiétants

 

 

   

Le terme de densité apparaît comme néfaste pour le contenu des entretiens s'il est prononce en début d'entretien. « Densité » semble un terme connoté négativement (un peu comme le terme « bruit »), et suscite des images négatives d'entassement, de multinuisances rapprochées, d’étouffement même... Associé à certaines des images du jeu d'images, le terme densité a suscité chez une interviewée des images infernales vues sur un tableau de Jérôme Bosch (surdensité infernale), et associées aux signes dans le quartier de la crise actuelle (mendiants, SDF). Le terme est toujours associé à l'espace public, on ne pense pas facilement à la densité du taux d'occupation des logements ou des bureaux...
Seul un petit nombre des densités familiales sont comparables entre les deux quartiers (si l'on exclut les jardinets), car les pavillonnaires sont le plus souvent des familles de quatre ou cinq personnes, et les habitants de tours plus souvent seuls ou en couple avec un ou deux enfants. Un des effets positifs de la faible densité du quartier pavillonnaire pourrait être cette tolérance d'une densité familiale plus forte.
Les scores de « bien-être potentiel » (BEP, cf. Annexe A1) montrent dans l'ensemble un peu plus de valeurs fortes (donc, de gens qui vont bien) dans les pavillons que dans les tours, avec des exceptions notables. Il y a une certaine tendance à l'isolement à la Place des Fêtes chez les BEP faibles (les gens qui vont mal), et inversement une petite minorité de cas de recherche de la foule anonyme chez les pavillonnaires à BEP faible... (foule trouvée le plus souvent au centre-ville de Paris, mais tout autant à la Place des Fêtes !). Il y a une symbiose urbaine, symétrique dans les discours des deux groupes ; autant ceux du haut descendent volontiers se promener rêveusement dans les villas verdoyantes, autant ceux du bas prennent plaisir (sauf celui de la montée...) à faire leur marché sur la Place des Fêtes.

 

 

   

 

3.1 la densité à la Place des Fêtes

 

 

 

   

Dans les tours les habitants sont pour une large majorité assez envieux des habitants des immeubles classiques et surtout des pavillons, pour plusieurs raisons. La plus banale est l'argument économique courant selon lequel les loyers sont de l'argent « qui part en fumée », et que la propriété de son logement équivaut à sa gratuité ; le sous-groupe mieux informé et entretenant de vrais contacts avec des habitants des pavillons sait à quoi s'en tenir (réparations chroniques aux budgets léonins dans des pavillons construits sur un terrain « en gruyère »). Assez banalement encore, la propriété d'un tel pavillon leur paraît un symbole de réussite admirable, et comme le corollaire de cette « réussite » ils imaginent dans ces ruelles pavillonnaires et leurs jardinets une vie de village à l'ancienne encore beaucoup plus conviviale que celle qu’ils vivent dans leurs IGH. Malgré leur expérience quotidienne, ils semblent pris dans l'image médiatique du HLM à problèmes ; ils ne peuvent concevoir  — et le fait est que cette convivialité en IGH est exceptionnelle —  que dans les constructions classiques et les pavillons ce soit justement leur mode de vie à eux qui soit valorisé sur ces critères de vie villageoise à l'ancienne ! Encore moins imaginable pour eux est le sentiment de solitude, d’insécurité, et le harcèlement par la décrépitude technique qui sont le lot, nous l'avons vu, de certains des pavillonnaires. Mais s'il peut y avoir de l'encombrement dans les pavillons, il y a aussi parfois de la solitude, du vide et de l'ennui dans le quartier des tours.
L'encombrement est parfois combattu en vivant à contretemps, en évitant les heures de pointe des diverses activités du quartier (nous avons décrit dans le rapport les divers épisodes typiques liés à l'encombrement sur ce quartier, le chemin de l'école, le marché, le Monoprix, le « club des chiens », la poste, la chasse aux places assises à l’ombre dans le square, etc.). Lié à cette attitude nous retrouvons ce que nous avions appelé « bénéfice de gêne » il y a vingt ans dans des études sur la gêne due au bruit : un plaisir certain lié à la fréquentation aux heures de moindre gêne, mais extravagantes, des divers endroits souvent encombrés. Le plaisir d'en profiter enfin seuls et au calme semble davantage lié au souvenir du désagrément aux heures de pointe qu'à la qualité des espaces ou de l'activité par elle même.
La vivacité, dont serait garante la forte densité urbaine pour certains urbanistes, est donc bel et bien recherchée par les vieux habitants qui tiennent au passé populaire de Belleville. Mais l'est-elle également par les habitants les plus récents des pavillons ? C'est le cas du ménage Pv9, le plus intéressant de notre douzaine d'entretiens car habitant cette même rue Bellevue où les pavillons et les barres se font face. Arrivés il y a environ un an à peine, ils pensaient se promener souvent aux Buttes Chaumont, mais finalement :

 

 

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« ...on va plutôt vers le haut, bien sûr il y a les tours mais il y a aussi le marché de la Place des Fêtes, et on aime bien ça, moi je le fais, le marché. C'est les dimanches, un jour où on a du temps, je n 'y vais pas le mardi ou le vendredi, mais le dimanche. Et on a notre banque sur la Place ; on a un chat, ben il y a le vétérinaire il est là ; non, la vie elle est là aussi, il y a des foires à la brocante, donc c'est à la fois ludique et pratique ». (Pv9).
 (Question : et au delà de la Place des Fêtes, le XXe ?) « Alors là, inconnu ! Ça s'arrête rue de Belleville pour nous le quartier, et encore même pas, toute cette frange là (montre sur la carte) entre la tue de Belleville et la Place, je suis incapable de vous dire ce qu'il y a ! Si, j'ai remarqué qu'il y a une jolie vieille chose, là, une fontaine, un ancien regard de l'aqueduc » (le Regard de la Lanterne) (Pv9).

 

 

   

L'agrément du marché de la Place des Fêtes fait la quasi-unanimité dans les deux quartiers, et d'autres pavillonnaires l'expriment également, pour lesquels le marché, traditionnel et très fréquent (tous les mardi, vendredi et dimanches), constitue un rappel de la vie villageoise qui vient complémenter la vie en pavillon de façon tout à fait cohérente :

« C'est calme, mais c'est pas mort dans le quartier des Villas, à 100m il y a le métro si on veut être parisiens, par exemple aller à la Samaritaine, et trois fois par semaine on a le marché là-haut, comme dans un village, bon, faut pas regarder les tours, de toute façon depuis le temps on les voit plus ». (PV2).

 

 

   

L'animation du quartier des tours vaut bien qu'on en supporte, brièvement, les encombrements ; le marché est un bain de foule choisi, et non subi, un but de sortie dominicale ludique et pratique à la fois. Mais ces pavillonnaires ne parlent pas avec l'amertume des vieux bellevillois au sujet de cette animation, qui est très inférieure à celle de l'ancien temps. Le passage d'une densité urbaine traditionnelle à celle des 1000 hab/ha qui résulta de la construction de la quinzaine de tours du nouveau quartier n'a même pas permis maintenir cette ancienne animation, qui permettait à de nombreux cafés et cinémas de quartier de rester ouverts tard le soir :

(B3  — le degré de connaissance et l'implication dans la rénovation ; le bilan de cette rénovation)
 « Moi je trouve que c'est une catastrophe la Place des Fêtes, je suis catastrophé par l'aménagement de la nouvelle place, le manque de convivialité aussi bien que l'esthétique, tout. Cette fontaine, je sais pas, l'obélisque central est pompeux au possible, inutile, je pense qu'on aurait pu faire un lieu d'accueil pour les gens, un lieu où les gens auraient pu se retrouver, là ! je trouve terrifiant qu'il n'y ait pas de café le soir qui fonctionne, à huit heures c'est fini ! Le couvre-feu ! » (Tr11).

 

 

   

« Autrefois il y avait des cafés, des guinguettes, il y avait des cinémas, il y avait tout, quoi ! Ou alors c'est volontaire, on veut pas que les gens puissent y sortir le soir, aient envie de descendre de leur tour pour boire un pot, bavarder autour d'une table, je sais pas. Et c'est pas le minable petit café qu'il y a là avec trois tables en plastic blanches qui accueille des femmes d'un certain âge et d'une certaine communauté qui va régler le problème... Alors Karmitz, qui est un très bon distributeur de films, va ouvrir six petites salles dans l'entrepôt près de la Rotonde de Stalingrad qu'il fait refaire pour combler le manque de cinémas de quartier, on est resté sans un seul cinéma dans tout le XIXe, mais on en avait à la Place des Fêtes, autrefois, on avait un quartier beaucoup plus vivant que maintenant ; c'est devenu un dortoir ». (Tr5).

 

 

       

 

   
 

 

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« Mon mari, il a connu la Place des Fêtes d'autrefois, avec les cafés, et tous les soirs les réunions politiques, et tout ça, et c'était vraiment un truc très très particulier la Place des Fêtes, c'était caractéristique dans Paris, la Place des Fêtes il y avait la vie de la Place des Fêtes, c'était connu. Lui il a vu une quantité de westerns et de machins de série B comme ça au cinéma de la Place des Fêtes, qui marchait très bien ! Mais il a fermé déjà avant la rénovation. Ils ont fait le vide, ils ont gardé juste le square, et cet endroit complètement venté, c'est une horreur ». (Tr3).

Le vent, qui a toujours été très fort à la Butte de Beauregard, semble ici invoqué dans un fantasme de désertification, d'érosion éolienne de l'espace public à la fois urbain et politique consécutif à la volonté de destruction du caractère populaire du quartier de la part d'une instance persécutrice qui reste dans l'ombre : « Ils ».

Mais c'est le vent qui est intéressant par ce qu'il laisse entrevoir de la relation ville-nature dans l'esprit de cette interviewée. Connaissant fort bien le Mistral à Marseille, Mme Tr3 est sensible à l’absence de bistrots et cinémas permettant de s'y réfugier contre la nature mauvaise, ou de mauvaise humeur passagère tout au moins, tout en restant dans l’espace public.

Certains des commentaires enregistrés lors de la passation du jeu d'images (cf. Annexe) vont dans le sens de l'évocation du calme de cet endroit, calme effectif sur les images montrées, mais que les interviewés avaient tout loisir de démentir si leurs images intérieures allaient à l'encontre de celle que nous leur montrions :

 

 

   

— image D8 : L'un des rares bancs à côte du Monoprix, quelques personnes qui vont et viennent. (Tr11).
— image D6 : Place des Fêtes, image tranquille, les gens passent, il n'y a pas beaucoup de gens, image de tranquillité. (Tr2).
— image D5 : Une fontaine, LA fontaine je dirai, je ne sais pas si elle est en état de marche encore, place des Fêtes... Peu de monde sur les marches, il y a toujours eu peu de monde là. (Tr5).

 

 

   

Personne ne s'est récrié que la Place des Fêtes, ça n'était vraiment pas ça, mais au contraire un endroit très animé en permanence. Il n'est pas surprenant dès lors que le thème de l'encombrement soit absent du discours de nos interviewés quand ils parlent de la Place des Fêtes :

D4 –Choisissez-vous certains créneaux horaires pour être tranquille à certains moments ? Lesquels, et où ?
D5  — Marcher dans la rue, ça devient parfois difficile ? Où ? Quand ?

« Non, pas dans ce quartier, non... La Poste, là oui, dès huit heures du matin c'est infréquentable, j'y vais à huit heures moins dix ! Alors que là où je travaille, à Hôtel de Ville, c'est le contraire. J'utilise le quartier en tenant compte des habitudes locales... » (Tr14).

« Moi pas, il y a des gens, c'est conditionné par le moment où on est obligé de faire des courses, par exemple, et se dire que si on va au Monoprix le samedi à 16 heures, il y aura du monde. Les trottoirs, dans certains quartiers de Paris c'est infernal, mais c'est pas le cas chez nous, alors là je vais vous raconter quelque chose, j'ai une connaissance qui a fait un petit journal et qui a questionné les uns et les autres et une des réponses que je lui ai fait c'est que moi un de mes plaisirs c'est de me promener dans les rues de Belleville, donc pour moi il n'y a aucun problème d'encombrement.. Même s'il y a des femmes âgées qui ont du mal à avancer avec leur sac et leur cabas ou caddie, ça ne me met pas en colère. Si je ne peux pas passer parce qu'il y a un landau, un caddie, un chien et deux vieux, moi ça me laisse froid, il y a des choses plus importantes que ça... » (Tr5).

 

 

   

Cet interviewé est parmi les rares à être sensible au thème des encombrements de circulation sur les trottoirs du quartier des tours, bien qu'il se défende d'en pâtir lui-même... L'observation banale montre vite que ce thème est pourtant très présent ; les incidents dus à l'énervement, des remarques un peu vives, parfois des altercations ne sont pas rares aux heures de pointe, quand de trop nombreux piétons se disputent des trottoirs de rues anciennes dont la largeur n'a pas suivi la construction des tours dix fois plus peuplées que les anciens immeubles qu'elles desservaient à l'origine. De surcroît, des panneaux de signalisation, du mobilier urbain en tout genre réduisent encore leur largeur qui par endroits n'excède pas le mètre. Les landaus et caddies slalomant entre les crottes de chiens transforment le cheminement du piéton du quartier des tours en quelque chose qui tient d'une nouvelle discipline sportive.

C'est ici que la convivialité montre un aspect pervers inattendu : alors qu'une telle voirie n'est à peine utilisable que si chacun fait attention aux autres, un peu comme sur une autoroute, il est dans les habitudes du quartier de s'arrêter pour faire un brin de causette avec les amis ou connaissances de rencontre ! Ce qui est bien agréable en toute autre circonstance se transforme, pour les piétons pressés et qui n'ont fait, eux, aucune rencontre valant la peine de s'arrêter, en provocation. On s'attendrait à ce que deux ou davantage de piétons qui, se croisant dans de telles rues, éprouvent le besoin d'entamer une conversation, le fassent à l'écart, un peu plus loin, par exemple sur la place, où ils ne dérangeraient personne. Il faut bien constater cependant qu'une telle conduite ne vient à l'idée de personne. Au contraire, tout se passe comme si la rencontre inopinée valait droit de blocage des parcours des autres usagers, de préférence sur le seuil des magasins ou des immeubles. La tchatche a tous les droits, et ce trait culturel manifestement arabe ou séfarade a été repris avec joie par à peu près tout le monde dans le quartier, avec seulement des nuances dans la durée estimée légitime du conciliabule. C'est donc avec une belle indignation que des groupes de tchatcheurs, qui d’ailleurs sont le plus souvent des tchatcheuses, rétorquent aux rares remarques acerbes des gens qui ne peuvent plus entrer ou sortir de chez eux, de la Poste ou des magasins.

Une autre comportement facile à observer est celui des petits groupes ou familles déambulant ensemble, de front, à trois personnes ou plus. Il est tacitement admis que le piéton qui vient en sens contraire, devant cette touchante flânerie, doit céder le plein passage au convoi adverse, moyennant quelques contorsions le long du mur. Pour bien faire, dans un quartier à 1000 hab/ha où les gens sont si méditerranéennement conviviaux, il faudrait des trottoirs de 2 X 3 personnes de largeur, soit environ 420 cm. Or, ils en ont 100 ou 120.

Au vu de cette réalité, les propos précédents de M. Tr5 nous semblent sans doute dictés par le souci de ne surtout pas paraître grincheux, et montrent par ailleurs la distinction qu'il faut faire entre un piéton (contraint de circuler) et un promeneur (flânant sans autre but que son aventure intérieure). Son plaisir de promeneur dans Belleville l'empêche de voir le caractère infernal de certains de ces trottoirs, qu'il perçoit très bien ailleurs. Mais son évocation précise des encombrements sur les trottoirs du quartier montre bien la conscience aigue qu'il en a.

Ce qui joue le vécu de la densité dans ce quartier, c'est bien sûr la taille importante et l'implantation centrale de la Place :

 

 

   

D10  — Que pensez-vous de la densité, du nombre de gens dans ce quartier ? Et dans le quartier d'à côté ?
 « Pour moi ça ne pose pas de problème, en apparence comme ça en surface du moins, je ne ressens pas le quartier comme bondé, elle est grande la Place des Fêtes, si vous faites le calcul entre la population environnante qui habite là et le nombre de gens qu'on trouve à l'heure, on va dire sur cette place, le taux est ridiculement bas ! Il n'y a pas des centaines de personnes qui sont debout, ou vautrées sur la Place des Fêtes ! Peut-être d'ailleurs que si on avait conçu autrement la Place des Fêtes, elle serait devenue un lieu très fréquenté et qui peut-être aurait posé des problèmes. Si on l'avait conçue comme un lieu très convivial ; mais manifestement elle a été conçue pour que les gens s'en servent uniquement comme lieu de passage, on arpente les côtés seulement, et elle reste enclavée par rapport au quartier Belleville. » (Tr11).

 

 

   

Excellente analyse de la situation, à laquelle nous pouvons rajouter notre constat ci-dessus, pour en conclure que si la Place fonctionne bien comme un vase d'expansion par rapport à la forte densité, il s'agit plus d'une potentialité d'expansion (on pourrait à tout moment s'y rendre, et ainsi échapper aux encombrements) que d'une pratique de cheminements réels. Les encombrements se produisent en effet aux franges de la Place, et surtout dans les voies du tissu urbain ancien adjacent à la rénovation, et non dans les passages créés en même temps qu'elle, indépendamment du « lifting » récent par Bernard Huet. Du même interviewé, une réponse à l'image 818 nous a semblé mériter l'attention (l'image 818 montre une vue aérienne de Sarcelles) :

— image 818 : « Image concentrationnaire, qui fait penser à un labyrinthe, et à des dominos. Pas de traces d'êtres humains, seulement des voitures. Beaucoup de monde » (Tr11).

Si nous le comprenons bien, dans l'esprit de Tr11, « beaucoup de monde » peut parfaitement aller de pair avec « pas de traces d'êtres humains, seulement des voitures ». La voiture aurait donc pour lui le don de transformer les humains en foule anonyme, encasernée dans des grands ensembles, et faisant quotidiennement la navette vers la vraie ville pour y gagner sa vie. Une idée qui nous semble proche du comportement de nos piétons tchatcheurs, qui se ré-humanisent lors de leurs rencontres sur des trajets purement instrumentaux au départ en donnant la priorité au temps inter-individuel sur le temps social-productif... Ce ne serait alors pas la densité (« concentrationnaire ») en elle même qui serait mauvaise, mais sa connotation conjoncturelle : celle des voitures est inhumaine, mais la concentration de ceux qui parviennent à rester humains suscite la vivacité urbaine recherchée des quartiers traditionnels. Concentration positive jamais formulée ainsi pour éviter la proximité évidente du terme avec les camps de concentration, voire les camps de la mort, comme le démontrera un peu plus loin dans le jeu d'images l'impossibilité de se représenter le grouillement de corps de l'image 912 autrement que comme une scène dantesque de la Shoa (en réalité, une cérémonie religieuse japonaise plutôt bon enfant !).

 

 

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Ce genre d'attitudes posent bien entendu le problème des équations personnelles différentes face aux effets de densité. Les différences personnelles se laissent aisément illustrer à l'aide de quelques cas, par exemple en opposant ce que dit Mme F14, qui s'est exprimée très finement, aux propos déjà cités de Pv9, Pv2, Tr5, Tr11 :

D2  — Aimez-vous foule, la multitude ? Dans quelles circonstances ?
 « J'aime pas ! Au marché, j'y vais vers 9 heures du matin pour qu'il n'y ait pas encore trop de monde ! À la piscine, aussi j'essaye d'éviter au maximum. C'est rare que j'aime la foule, seulement des manifestations, exceptionnellement ! Tiens, l'autre jour, je voulais aller au cinéma rive gauche, je voulais marcher à pied, les rives de la Seine sont agréables l'été, mais elles étaient barrées à cause de l'arrivée du Tour de France ! Ça m'a fortement déplu, j'ai vu une foule qui m'empêchait d'aller de l'autre côté, j'ai repris le métro pour arriver à mon cinéma ! » (Tr14).

 

 

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Voilà une dimension inattendue du métro, comme sauveteur in extremis d'une sortie intimiste sur les quais, ratée à cause la foule sportive et nationale. Le repli vers une salle obscure (foule compacte, mais immobile et dissoute, en quelque sorte, par sa polarisation hypnotique sur ce qui se passe à l'écran) constitue à nouveau un destin choisi, el non subi, dimension essentielle qui contribue à différencier toutes les situations de densité en agréables ou désagréables. La plus désagréable étant, chez elle également, l'embouteillage automobile :

D3  — Qu'est ce qui est pire, le métro aux heures de pointe ou les embouteillages en voiture ?
 « Les embouteillages en voiture, de très très loin. Le métro aux heures de pointe, c'est plus bref. » (Tr14).

   
   

On peut avancer, d'après l'ensemble du matériel qu'elle nous a livré, que Mme Tr14 possède une vie intérieure très riche, richesse intérieure qui ne s'accommode de la concurrence du monde extérieur que parcimonieusement : elle choisit soigneusement son environnement du moment en tenant compte aussi méticuleusement de l'état de fréquentation des espaces urbains que les navigateurs plaisanciers tiennent compte de la météo avant toute sortie.

Par ailleurs, elle introduit l'idée importante de la durée d'exposition aux désagréments comme élément crucial de stratégie de consommation de l'espace urbain. Pour sa part, Tr5 est davantage sensible à la proximité physique dans le métro bondé, promiscuité inévitable décrite par Hall (La dimension cachée) qui, pour le vieux parisien qu'est Tr5, reste parfaitement acceptable pendant une vingtaine de minutes, si toutefois elle ne va pas jusqu'à la compression :

 

 

   

D3  — Qu'est ce qui est pire, le métro aux heures de pointe ou les embouteillages en voiture ?
 « Les deux sont un désagrément pas bien grave, sauf si votre voiture chauffe dans les embouteillages, comme c'est le cas de la mienne, alors ça me file des sueurs froides. Pour travailler, je fais une vingtaine de minutes de métro le matin et le soir, c'est pas trop pénible, je voyage debout mais je suis pas compressé. » (Tr5).

 

 

   

Les deux, aussi bien Tr14 que Tr5, modulent consciemment la densité à laquelle ils consentent à s'exposer, mais pas tout à fait selon les mêmes modalités :

D1  — Et la solitude, parvient-on à la trouver, ici ?
 « Ici, je trouve que c'est un peu l'idéal comme mode de vie, on peut être seul ou retrouver les autres, dès qu'on descend chercher son courrier.. Il y a toujours du monde sur la place ! » (Tr14).

D1  — Et la solitude, parvient-on à la trouver, ici ?
 « Dans ce quartier, pour trouver la solitude, il y a plein de balades possibles où on est assez seul, il n'y a pas de problème. » (Tr5).

L'une utilise la densité pour ne plus être seule (retrouver les autres), l'autre pour se retrouver lui-même seul en se baladant. Mais la solitude est préférable à l'encombrement chez Tr14.

 

 

   

D6  — Dehors, êtes-vous moins gêné par l'encombrement ou par la solitude ?
L'encombrement est plus gênant. (Tr14).

Tandis que Tr5 ne parvient pas à formuler une réponse devant un tel choix :

D6  — Dehors, êtes-vous moins gêné par l'encombrement ou par la solitude ?
Je ne me suis jamais encore posé cette question, c'est trop abstrait pour moi. (Tr5).

 

 

   

Donc Tr5, interviewé à la lucidité exemplaire, ne répond qu'aux questions sur lesquelles il estime avoir une opinion fondée sur une réflexion personnelle. Ce qui nous fait passer de la densité urbaine à sa densité intérieure, encombré par notre question D6 qu'il n'attendait pas, et, sans doute par ce que cette question fait résonner chez lui d'arbitrage impossible entre le Soi et l'Autre (avec lequel est-on en meilleure compagnie ? lequel encombre le plus ?). Tr5 nous rejette de son monde, avec nos histoires compliquées.

La différence entre ces deux personnes se voit également dans l'évocation d'une situation particulière de densité, celle qui fait augmenter la densité familiale jusqu'à des limites, variables pour chacun, lors d'invitations et réceptions où l'habitation familiale se voit plus ou moins envahie de gens, en principe amicaux :

 

 

   

D8  — Entre amis, ou gens de bonne compagnie, vous supportez d'être à combien ? (dans un séjour moyen 30m²)
D9  — Pendant combien de temps ?

En société, l'encombrement, c'est quand on n'est pas assis, qu'on ne s'entend plus, tant qu'on est debout c'est presque qu'on est de passage, chez moi je peux recevoir une dizaine de personnes, au delà ça risque d'être difficile. (Tr5).

D8  — Entre amis, ou gens de bonne compagnie, vous supportez d'être à combien ? (dans un séjour moyen 30m²)
D9  — Pendant combien de temps ?

Si c'est pas de la famille, j'en supporte beaucoup, donc cela dépend des invités ! Un nombre raisonnable, cinq-six personnes, est tout à fait supportable. Au delà, si c'est moi qui reçois, c'est tenable, mais quelquefois quand je vais dans un endroit trop peuplé, ça me dérange de ne pas pouvoir bouger, papillonner entre les invités... (Tr14).

 

 

 

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On retrouve, pour TR14, le même problème que lors de l'arrivée du Tour de France, celui d'être bloquée, sans choix personnel possible des objets composant l'environnement. Or, pour papillonner, il vaut mieux rester debout... Nous ignorons, par ailleurs, à quelle conflictualité familiale elle fait allusion, mais il est clair à l'entendre que la notion de densité doit être affectée d'un coefficient exprimant la sympathie, l'indifférence, l'antipathie ou un mixte ambivalent et variable des trois envers les gens présents, pour avoir le moindre début de sens :

« Si c'est moi qui reçois » exprime bien la dimension très différente entre subir ou choisir.

Pour Tr5, en revanche, si on invite, il faut être assis. Donc, sans papillonnage, le rôle social de chacun est assigné de par sa place, et on reste peu nombreux, donc entre gens choisis. La densité semble d'autant plus supportable qu'il s'agit de celle de gens que l'on connaît. Mais on ne choisit pas sa famille !
Les deux attitudes psychologiques, celle de Tr14 et celle de Tr5, l'une reculant instinctivement devant l'encombrement, l'autre l'acceptant avec philosophie (il y a des choses plus importantes), se retrouvent bien dans leurs réactions à l'image 801 (le jardin du Luxembourg, par une chaude journée d'été) :

— image 801 : Versailles, par un dimanche ; c'est assez insupportable c'est pas une image de bonheur, la foule, la chaleur, l'été... (Tr14).

— image 801 : la présence de palmiers me fait penser au Midi ; aux Tuileries aussi, le bassin des Tuileries (Tr5).

Un bénéfice inattendu de la forte densité, sur lequel les interviewés sont pratiquement tous d'accord, c'est la moindre insécurité :

D7  — L'insécurité est un sentiment lié plutôt à la foule, ou aux espaces plutôt déserts ?
Le sentiment d'insécurité pourrait naître dans des lieux plus déserts qu'ici, mais il y a toujours quelqu'un, alors... (Tr6).

D7  — L'insécurité est un sentiment lié plutôt à la foule, ou aux espaces plutôt déserts ?
C'est un peu contradictoire, mais c'est plus lié pour moi aux espaces déserts... Hier je revenais chez moi tard de chez mes amis du XXe à dix minutes à pied d'ici, et je n'ai pas eu peur, mais dès que j'entendais des pas j'étais inquiète, sinon je n'ai pas vraiment de sentiment d'insécurité, je prends le métro tard.. (Tr9).

D'autres interviewés ne se situent pas au niveau du sentiment, mais à celui de l'insécurité réelle, qu'ils minimisent :

 

 

   

C'est sûr que, quand je dis que j'habite à la Place des Fêtes, on me dit ah la Place des Fêtes, c'était tellement joli avant avec les maisons, les petits jardins, etc., et les gens ont l'idée qu'on n'est pas en sécurité ici, le métro a une très mauvaise réputation, les dealers, etc. Moi je n'ai jamais eu de problème ici, si, un jour on m'a piqué mon porte-monnaie au marché, mais sinon jamais. je n'ai jamais eu peur de promener ma chienne à dix heures du soir, ou de rentrer fard,chez moi... Et puis il y a eu des films où on montrait la Place des Fêtes comme un quartier à problèmes, et un jour on a retrouvé une seringue dans le square, alors comme en plus maintenant il y a des punks en bas, l'image de la place c'est devenu ça, mais moi je ne m'y sens jamais en danger. Ils n'ont pas l'air bien méchants, d'ailleurs. (Tr1)

 

 

   

Le contrôle social d'un quartier bordé de centaines de fenêtres est donc plutôt bon, meilleur dans tous les cas que celui du quartier pavillonnaire (cf. plus loin). Certains poussent le mythe bellevillois jusqu'à la nostalgie de la dangerosité du temps des Apaches, et semblent en cela confirmer les propos ironiques de Schifres, cité plus haut, au sujet des faubourgeois. (35)

Il reste plus grand-chose, ça m'intéresse vachement, l'histoire du quartier, c'était une ville, Belleville, C'était un quartier complètement révolutionnaire, et c'était la campagne aussi, il y avait de la vigne, il y avait des moulins, les villas étaient des repaires des Apaches qui s'y cachaient, c’était génial ! Et quand on pense qu'il y a tellement de gens jeunes et sympathiques ici, et anciens soixante-huitards, c'est dommage qu'il y ait une telle inactivité due à la rénovation. (Tr3)

 


35 - Alain Schifres, Les parisiens, J.-C. Lattès, pp.58-59.

   

La sécurité relative se mesure cependant par rapport à la situation sécuritaire du Bas-Belleville, celui des romans de Pennac :

Le côté vie ancienne de Paris, quoi. Rue de Belleville, ça existe encore, mais plus tellement Place des Fêtes... J'aime pas le bas de la rue de Belleville, hein, pour moi Belleville s'arrête rue des Pyrénées. Après c'est vraiment trop la zone. Vers le haut, la porte des Lilas, je la trouve affreuse, mais entre la Place des Fêtes et le métro Pyrénées j'y vais de temps en temps, il y a des boutiques, même s'il n'y a rien d'intéressant, ça fait de l'animation, et puis pour amener le chien. (Tr3)

Le sentiment d'insécurité manifeste par Tr14 le soir tard est cependant inexistant dans la journée, compris vers le XXe arrondissement :

À pied, j'aime beaucoup faire les courses vers la rue de Belleville, vers Jourdain, chez Nicolas, à la pharmacie, il y a à cet endroit des commerçants que j'aime bien. Et rue du Jourdain maintenant pour la librairie, dans le XXe ; XIXe ou XXe c'est pas une coupure pour moi, c'est Belleville des deux côtés, je me sens plus proche du XXe, je connais bien le XXe, j'ai des amis chez lesquels je vais à pied. J'aimais bien aussi le square de la Butte-Rouge, quand Irène était petite. (Tr14).

 

 

   

Par rapport à la vie d'avant la rénovation, le plus grand facteur d'insécurité est constitué par l'automobile, dont la densité du trafic a augmenté comme dans le reste de Paris, mais ici avec le résultat sensible d'avoir mis un terme à la longue survie locale du mode vie populaire lié à la rue, appropriée davantage par les piétons. Notamment la voiture a mis fin aux jeux des enfants dans la rue, encore possibles jusqu'aux années 70 dans les ruelles les plus calmes :

On était davantage dans la rue, il y avait davantage de bancs aussi, c’était une époque plus à la Doisneau finalement... Tous les gamins jouaient dans la rue, et il n'y avait aucun problème, là avec la circulation actuelle on pourrait pas. Pourtant c'était la rue des Pyrénées, qui est quand même assez grande... il y avait encore des chanteurs des cours qui passaient et alors on leur envoyait des sous, il y a des tas de choses comme ça qui ont disparu... (Tr6)

 

 

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Si la convivialité, réelle et surprenante dans des tours, est le plus souvent référée au mythe bellevillois, parfois elle est pensée comme un effet de la densité ; dans des constructions pareilles, il faut communiquer :

Les relations de voisinage, les voisins ils sont très bons, il y a un effort, les gens font peut-être plus attention à se parler, à communiquer, c'est vrai que l'immeuble est assez convivial, les gardiens sont vachement importants aussi... Les gens font très attention à ça parce qu'ils sont dans une tour et qu'ils évitent le côté froid et impersonnel d'une tour. L'ascenseur prend une minute, on arrive à la longue à connaître un petit peu les gens. On essaye de faire un effort vers les autres. L'important ce sont les bons rapports les uns avec les autres... Un environnement agréable... L'urbain passe au second plan, parce qu'on n'y peut rien, on est obligé de faire avec ce qu'on nous donne. IL vaut mieux essayer de composer avec ce qu'on nous offre, avec ce qu'on a. (Tr3)

La Place des Fêtes, j'y promène mon chien, j'y rencontre des amies, je m'y arrête deux minutes pour discuter avec l'une ou avec l’autre, c'est rare qu'on traverse la place sans rencontrer quelqu'un. C'est pas sûr qu'il y ait beaucoup de places dans Paris comme ça. (Tr1)

 

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

Cette convivialité, exactement celle que Le Corbusier attendait du « village vertical », semble d'ailleurs contagieuse, et suscitait des déménagements :

C'est un hasard ; j'avais des amis dans les cinq immeubles derrière la Place des Fêtes ; en leur rendant visite j'ai vu un panneau « à louer » sur la façade de la tour, et j'ai loué. Avant, j'étais à Bondy, dans un immeuble ancien de sept étages ; je préfère ici parce c'est Paris, et c'est plus pratique, les activités sont plus faciles... (Tr4)

C'est la convivialité de la vie dans les immeubles qui finit par faire la décision chez ceux qui sont arrivés avec une assez forte appréhension :

Si je me déracinais encore, il faudrait encore se refaire des liens dans un autre quartier. Finalement on a trouvé que les appartements n'étaient pas si désagréables que ça, qu'ils étaient lumineux, qu'ils ont une belle vue, donc je suis resté là. Mais au début, quand je suis arrivée ici, je faisais quand même un peu la gueule, hein... Parce que j'étais pas habituée à ce genre d'immeuble immense, j'avais toujours habité dans des petits immeubles plutôt anciens... (Tr1)

Il faut bien sûr rapprocher ces déclarations des interviewés de nos tours IGH de Belleville de celles, rapportées par Annie Moch et son équipe, concernant le quartier Italie (36), négatives pour la plupart. Dans cet article, les auteurs citent une locataire dans une grande tour, qui se plaint de la promiscuité des logements, et dit :

« Si tous les gens étaient du même milieu, avaient la même éducation, le même sens de la responsabilité, le souci de préserver l'environnement de leurs voisins, ce serait tout à fait habitable. »

Les habitants des tours que nous avons vu expriment bien quelque chose d'approchant, pour en constater la réalité, les tours sont tout à fait habitables. Mais elles le sont malgré des différences considérables de milieu social, de culture d'origine, d'éducation et de souci envers l'environnement. Il existe par contre un souci de convivialité réel, néo-bellevillois comme nous l'avons appelé, qui permet localement de dépasser toutes ces inégalités. Nous sommes bien conscient, ceci dit, qu'il s'agit ici d'un site très particulier aux plans sociohistorique et de l'imaginaire social...

Certains habitants du quartier de la Place des Fêtes, très rarement, semblent parfois sur le point de s'exprimer comme ceux décrits par Mme. Moch :

Ici, à la fois je me sens bien et pas bien, il y a un problème de la cité en général, et puis l'appartement lui-même, cet endroit-là c'est bien, je m'y sens bien... En même temps j'ai conscience de toute cette énorme population qui m'environne et qui est parfois pesante, difficile... Aussi bien Paris que le quartier, un petit peu l'ensemble... Le monde, le bruit... Le quartier, il est insipide, il n'y a rien dans le quartier, il n'y a pas de cinéma, pas un libraire intéressant, pas un disquaire, bon c'est pas un quartier-dortoir parce qu'heureusement il y a quand même le marché et de la vie dans la journée, on a pas mal de femmes au foyer qui animent dans la journée, mais pour faire la moindre activité il faut aller à l'intérieur de Paris, quoi. (Tr3)

Ici, c'est moche ! Les tours sont moches, alors que des tours ne sont pas nécessairement moches, il y a des très belles tours, je pense à certaines tours à New York ou à Chicago, même à la Défense il y en a qui ne sont pas mal, mais ici les tours sont moches, donc on habite dans un truc qui est moche. Cela étant, à l'intérieur c'est très fonctionnel, très habitable, c'est pour ça aussi qu'on a choisi d'habiter là. On avait une amie qui était intégrée dans la tour... (Tr2)

 

 

 

 

 

 

 

 


36 - A. Moch, F, Bordas, D. Hermand, « Approche psychosociale de la densité », Les annales de la recherche urbaine, n°67, juin 1995, p.124.

 

   

Cet aspect fonctionnel, pratique, fait intervenir le taux d'équipement du quartier, sans prendre conscience du fait qu'il découle du grand nombre d'habitants, donc de la densité :

Je suis arrivée en 1979. Endroit parfaitement équipé (commerces, poste, banque, métro...). Mes enfants étaient petits, les Buttes-Chaumont n'étaient pas loin, il y avait de l'espace sur la place pour les laisser courir, les écoles à côte, c'était relativement pratique. Le quartier ne me plaisait pas, mais il était pratique, et le loyer était très raisonnable. Sinon, c'était pas mon rêve d'habiter dans une tour. (Tr8)

Je le trouve bien au point de vue géographie, parce qu'on est hors des grands axes et embouteillages, et près du périf. Et le métro direct pour le Châtelet... Très pratique comme habitat, et puis la rue de Belleville a beaucoup de petits magasins, quand même moins ennuyeux que le Monoprix d'en bas. Le ravitaillement en produits frais, ça c'est important. Et puis les écoles, la crèche, c'est bien organisé. (Tr4)

Cette dernière personne, un artiste graphique qui fuit la ville dans sa maison de campagne dès qu'il le peut, est en fait un habitant bilocal, qui a tranché le problème de la mise en vente des appartements (et de la mise à la porte de tous les locataires en fin de bail) en décidant de s'y installer pour de bon.

Nous laisserons, concernant le caractère urbain du quartier, le mot de la fin à deux interviewés :

Ça a gardé quand même un côté populaire du XIXe qui était comme ça ; dans les autres quartiers de Paris où j'ai habité, le XXe, on se croisait avec les voisins de palier sans se saluer, alors que là il y a quand même un climat sympathique, les gens se rencontrent, se saluent... Si, il y avait la rue du Commerce qui était sympa, comme la rue de Belleville. (Tr1).

Le quartier me plaît parce qu'il est simple, la simplicité des gens, le côté populaire, des fois ça m'énerve, mais c'est vrai que c'est sans prétention, c'est des rapports simples et naturels. Il n'y a pas de vrais problèmes de race ou de choses comme ça, je pense. Les gens se connaissent depuis qu'ils sont petits, ça c'est un côté sympa qu'on ne trouve pas dans d'autres quartiers de Paris. C'est assez jeune aussi... (Tr3).

 

 

   

 

3.2 la densité dans le quartier des pavillons

 

 

   

À l'arrivée du beau temps, les pavillonnaires sortent déjeuner dans les jardinets, où du coup règne une forte densité de convives, les tablées n'étant séparées que par cinq ou six mètres, sans communication visuelle. Les identités familiales sont alors en concurrence festive érotisée au plan des odeurs, des bruits, des musiques et des rires. L'ensemble est parfois qualifié de « sacre du printemps », l'idée en somme d'une identité collective affirmée une ou deux fois l'an tout aussi bien que celle des « collectivistes » de la Place des Fêtes avec leurs brocantes, leur marché et leurs réunions associatives, politiques et religieuses. Le reste de l'année, il est plus difficilement toleré qu’une famille fasse la fête toute seule dans son jardin, que lors de ce « sacre » annuel ; de tels désordres sont mal reçus. Ces fêtes pavillonnaires spontanées restent discrètes, informelles, et semblent réglées par un consensus de bon voisinage qui prescrit les heures et dates où les nuisances sont tolérées.

Il règne une certaine solidarité entre les pavillonnaires pour se défendre contre les étrangers au quartier, en passe de devenir une attraction touristique. Un plan distribué par la Mairie d'arrondissement à l'intention des promeneurs amateurs de verdure fait passer un des itinéraires par les « villas »  — ruelles  — entre la rue de Mouzaïa et la rue de Bellevue, au dam des riverains « il y a des dimanches où on se demande s'ils ne finiront pas par nous jeter des cacahuètes » nous a dit l'un d'entre eux. La défense, pour l'instant fort civile, de ce territoire n'en exige pas moins une vigilance soutenue qui rend l'ambiance du quartier beaucoup plus pesante qu'on ne l'imagine dans les tours. Comme nous en avons fait l'expérience, seules les recommandations personnelles y favorisent les contacts, les habitants y étant sur la défensive.

Ce n'est pas la moindre surprise de cette recherche que de retrouver des discours finalement comparables sur cette fantasmatique de l'encombrement dans nos deux quartiers du XIXe. Comment, dans le cas des pavillons si calmes en apparence, si provincialement conviviaux, s'exprime la crainte de l'encombrement et de l'affrontement ?

Paradoxalement, ce sont les gens qui se sont plus habitués à la faible densité de ce quartier qui sont le plus regardants sur la moindre intrusion dans leur petit paradis, et cela semble bien provoquer davantage de conflits que dans le quartier des tours. Il y a donc très vite « encombrement », ce qui, nous l'avons vu, n'est que rarement le cas à la Place des Fêtes.

Les voisins pavillonnaires sont plus souvent de vieux amis que les habitants des tours. Mais il y a aussi des conflits et des affrontements, voire des procès en dommages et intérêts, liés à des incompatibilités esthétiques entre les travaux entrepris par les uns et les autres, les dégâts provoqués par l'affaissement du sous-sol et attribués à certains de ces travaux, etc. et finalement une atmosphère de suspicion et de surveillance parfois mesquine entre nombre de ces habitants. Ces habitants sont certes dix fois moins nombreux qu'à la Place des Fêtes, mais ces interactions inamicales produisent un discours qui étonne dans ce quartier réputé bucolique. Quartier sans histoires, disions-nous : certes, au plan urbanistique, mais quartier à chicanes de voisinage. Ce n'est certes pas là la tendance dominante, mais ce type d'interaction nous semble de nature à éclairer notre propos lorsque nous abandonnons la notion de densité urbaine conçue comme un indice abstrait.

 

 

 

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L'encombrement dans le quartier pavillonnaire est d'abord un encombrement automobile, pour circuler et pour se garer. Non seulement les embouteillages « de tout le monde », comme dit Pv9, mais surtout ceux dus à l'enclavement du quartier par rapport à Paris ou à la périphérie. Matin et soir les accès au quartier sont bondés, ce qui fait supposer que ces pavillonnaires ne prennent que rarement le métro. Ce dernier en effet est représenté localement par la ligne la plus bizarre de toute la RATP, à l'exception peut-être du funiculaire de Montmartre. De plus, ces anciens pavillons ouvriers ne possèdent que très rarement un garage, ce qui crée les conditions d'une véritable guerre des nerfs pour les places le long des trottoirs :

   
   

Mon voisin et moi, nos femmes dans la journée si on a une, on se gardienne chacun la place juste devant la Villa, rue de Mouzaïa... On garde nos vieilles voitures pour occuper les places, et quand on revient le soir, on les permute et on part garer la chiotte beaucoup plus loin, parfois vers l'hôpital Robert Debré. Le problème, c'est le jour où elles démarrent plus. (Pv3).

D6  — Dehors, êtes-vous moins gêné par l'encombrement ou par la solitude ?
L'encombrement, pour nous, ce n'est pas le quartier, ce sont les embouteillages matin et soir pour aller et revenir du travail, mais ça c'est le lot de quasiment tout le monde. Ma femme travaille du côte de Sentis, moi du côte de Meudon ! C'est assez loin, finalement. (Pv9).

D7  — L'insécurité est un sentiment lié plutôt à la foule, ou aux espaces plutôt déserts ?
Un jour, on nous a volé le vélo du petit. La voiture par quatre fois elle a été esquintée, parce qu'elle dort dehors. (Pv9).

Cette préoccupation de parvenir à garer son automobile se reflète assez dans la passation du jeu d'images, où le thème revient plusieurs fois (il n'apparaît pas dans les interviews du quartier des tours) :

— image 803 : Des immeubles de petite taille, un quartier en retrait, dans une banlieue... petits trottoirs, difficulté à se garer donc on se gare à cheval sur les trottoirs (Pv2).

— image 806 : Près d'un bois, en France, peut-être en région parisienne, de arbres en bordure, interdiction de se garer, des arbres à égale distance (Pv8).

— image 808 : Des vieilles maisons, dans une banlieue, ça existe encore des baraquements comme ça, clôture en bois, pas de voitures, il y a l'aspect tranquille mais il y a l'aspect abandonné aussi. (PV2).

 

 

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Pas de voitures, c'est le rêve, mais il ne concerne que les quartiers de grande pauvreté !
Si dans le quartier des tours, l'effet majeur de la densité est la vivacité de l'espace public, celle-ci est bien sûr absente, par définition, du quartier des pavillons. Aucune place centrale ne vient fédérer ce quartier, dont l'identité se morcèle, comme Catherine Lauvergeat l'avait parfaitement repéré, en une demi douzaine de sous-quartiers, entre lesquels on ne se fréquente que très peu. De fait, la vivacité urbaine liée à la densité, les pavillonnaires vont la trouver dans le quartier du haut, vers la Place des Fêtes. Il y a là donc une symbiose urbaine, symétrique dans les discours des deux groupes ; autant ceux du haut descendent volontiers se promener rêveusement dans les villas verdoyantes, autant ceux du bas prennent plaisir (sauf celui de la montée...) à faire leur marché sur la Place des Fêtes :

B1  — les usages réels des espaces des deux quartiers ; les trajets et parcours ; les endroits préférés ; ceux qu'ils évitent ; les endroits indifférents ;
Moi je suis là, moi. Alors, ma rue, je la pratique bien entendu, et quand on va faire des courses le plus fréquent c'est Place des Fêtes. On traverse les blocs derrière chez nous, rue Bellevue, mais ma femme n'aime pas tellement, quand elle est seule elle préfère faire le tour par la rue Compans. (Pv9).
C'est pas seulement une histoire de sécurité, c'est qu'elle n'aime pas la masse des immeubles, le petit passage ; on n'a pas eu de problèmes de sécurité, nous. Il y en a eu, hein ! Le squat rue Compans, ils sont pas agressifs. Non, non. Ma femme elle préfère la rue Compans aussi parce qu'il y a le boulanger, les journaux, des choses comme ça. Mais moi j'aime bien passer entre les immeubles. On a un petit garçon qui va à l'école ici (montre sur la carte le groupe scolaire situé au Nord du quartier des tours). (Pv9).

   
   

La tristesse des blocs, les six barres situées entre les deux quartiers, est également évoquée par des habitants du haut, qui essayent de les éviter tout autant :

B1  — les usages réels des espaces des deux quartiers ; les trajets et parcours ; les endroits préférés ; ceux qu'ils évitent ; les endroits indifférents ;
Irène allait à l'école rue des Bois, plus tard à l’école rue des Lilas. La psy était rue David d’Angers, j'y allais tôt le matin ou en revenant du travail, je n'aimais pas du tout traverser les bâtiments "paquebots", ils sont incroyablement tristes, je me sentais oppressée dans ces escaliers qu'il faut prendre pour me promener un peu dans les rues des petites maisons, en revenant je prenais le métro à Danube (à cause de la côte à remonter). (Tr14).

Il est curieux que ces pavillonnaires, dans leurs interviews, s'expriment aussi peu sur le calme du quartier. Cela va sans doute trop de soi. Ils plaignent par contre les habitants du haut, surtout pendant les années de travaux et de bruits du chantier (marteaux piqueurs...) qu'ils ont eu à subir lors de la construction de la nouvelle Place :

Là haut, ils sont peut-être mieux reliés et mieux équipés que nous, mais faut savoir ce qu'on veut, si on a la tranquillité on n'a pas l'agitation ! Et puis les travaux ! Une horreur, dès sept heures du matin, heure légale, les bulldozers, les grues, les marteaux piqueurs. Et finalement, leur place, elle est à peu près comme avant, le truc au milieu, avant il était gazonné, maintenant c'est un catafalque... (Pv4).

Tout se passe comme si ce quartier était tellement calme que ce qui vient à l'esprit, pour en parler, c'est d'abord ce qui perturbe ledit calme :

Vous savez, il n'y a pas de bruit ici, il y a un bruit de fond, c'est celui du périphérique qui monte, qui rebondit sur les pignons des immeubles, ça fait un brouhaha. Et puis on a la terrasse juste devant chez nous rue Bellevue, où les jeunes s'installent le soir, juste pour bavarder, mais ne serait-ce que bavarder, dans cet univers là, la voix porte bien et notre chambre donne juste là ! Alors des fois on leur dit. Il faut leur dire gentiment, et ça se passe bien, ils comprennent et puis ils baissent la voix... Oh, deux ou trois fois je vous dis pas qu'il n'y a pas eu des problèmes, hein. Visiblement cette terrasse est recouverte de gravillons, et des fois ils se mettent à lancer des cailloux, là c'est autre chose, ça. Je sais qu'il y a un certain nombre de maisons le long, là, entre les maisons adossées vous avez un petit passage où ça n'est qu'une succession en fait de petites loggias privatives, donc il y a que des verrières, et certains jeunes trouvent très drôle de lancer des cailloux et ça rebondit dans les verrières, là ça fait un peu crier les gens, c'est pas drôle. C'est assez rare. (Pv9).

 

 

   
   
   

 

D1  — Et la solitude, parvient-on à la trouver, ici ?
Aucun sentiment de solitude. C'est pas la campagne isolée ! Ici, on profite à la fois du calme dans notre coin retiré et de l'animation de la Place des Fêtes, le marché, la brocante, etc. on y va avec plaisir, sans sentiment d'encombrement non plus, on y va quand ça nous convient, on ne subit pas, on est bien aux deux endroits ! (Pv9).

Le thème de la convivialité est absent des interviews du quartier des pavillons ; or, ces pavillonnaires se connaissent tous, et on peut supposer que ce qui paraît si unique aux gens d'en haut, c'est de se parler, de communiquer entre inconnus, chose qui ne se fait pas dans les pavillons. Les nouveaux, comme le ménage Pv9, ne sont acceptés qu'après un délai probatoire ; l'accès aux cercles plus importants de pavillonnaires se fait par une cooptation plus ou moins institutionnalisée.

Q20  — Connaissez-vous vos voisins ?
On fait connaissance petit à petit, le voisin immédiat, en face, et derrière, et avec les enfants. C'est un lien qui est facile, ça passe beaucoup par l'école, hein. Ensuite, ça commence avec les parents, un peu... Sinon, c'est comme partout, les nouveaux mettent un peu de temps à être acceptés par les anciens, mais ce n'est pas propre à ce quartier... Les personnes âgées, qui sont là depuis trente ans, ou plus, sont un peu plus méfiants. (Pv9).
Là où on a rencontré quelques problèmes c'est au sein de l'association des habitants, une certaine défiance par rapport aux nouveaux, visiblement. Sinon on a fait connaissance avec des personnes âgées très gentilles. Les relations se font par les enfants et par le mouvement associatif. (Pv9).

 

 

   

Si les pavillonnaires plaignent les avatars urbanistiques auxquels sont régulièrement soumis les habitants du quartier des tours, et qu'ils connaissent dans le détail, certains parmi ces derniers sont tout autant informés des problèmes des pavillons, notamment au plan financier :

Q7- Êtes-vous satisfait de votre quartier ?
Moi je suis bien dans mon immeuble classique ici, depuis une vingtaine d'années. je suis bien dans ce coin là. Je dirais que les petites villas ont un charme évident, ça doit être très agréable d'y habiter, mais les ayant visitées, je sais qu'il y a aussi certaines difficultés à y trouver son espace. Ce sont des vieilles maisons, dans lesquelles il y a beaucoup de travaux. Les pièces sont petites aussi... Sinon, les prix de ces maisons ont flambé, dans les années 70 une de ces villas était en vente pour environ 120 000 francs, donc 300 000 en francs constants, maintenant elles valent un peu plus cher, dans les deux millions ! Donc ça a changé socialement, il y a beaucoup de gens connus, ou pas connus, qui sont venus habiter là et qui ont l'air d'être bien. (Tr5).

Mais les pavillonnaires formulent également quelques récriminations à l'encontre des habitants des tours, même s'ils reconnaissent avoir avec ce quartier quelques échanges insoupçonnés (de garages). La symbiose a donc des limites :

On a mis un an et demi, deux ans à trouver. C'est pas le quartier qui a été déterminant pour nous, c'est l'indépendance, pas de copropriété. En copropriété, si vous êtes minoritaire, vous subissez ce que veut la majorité. On a pris des mauvaises habitudes du côte de Senlis... On était dans un lotissement avec des maisons par deux, là on louait. On avait un garage, qui nous manque ici, mais on va en louer un dans les blocs, il y a des échanges insoupçonnés entre les deux quartiers... À part les bagnoles, on se plaint seulement de quelques nuisances, les crottes de chien surtout ! Il y en a partout ! Les gens viennent promener leur chien dans notre quartier, les gens des tours ont énormément de chiens et nous laissent leurs crottes. Je trouve ça un peu saccager les lieux, quoi, c'est vraiment pas agréable. Il y a deux choses, de la malveillance des gens dans la rue, ou les gamins qui lancent des cailloux, des vieilles bougies, dans notre jardin. (Pv9).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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4

La nature

 

 

   

 

4.1 la nature à la Place des Fêtes

 

 

   

Dans les tours, il existe une relation un peu insolite à la nature. Tout d’abord celle qui passe par les nuages et les différentes luminosités du ciel parisien selon les saisons et les heures, une nature météorologique qui n'est pas celle des espaces verts. Raison sans doute pour laquelle dans les étages élevés des tours de la Place des Fêtes le spectacle changeant du ciel, pourtant très prisé, n'est pas compris dans le signifiant « Nature ». Ces éléments non végétaux de l'environnement naturel ne reçoivent pas de nom, mais ils font l'objet d'un discours positif par longues périphrases. Une exception est la mauvaise nature : les tornades et tempêtes sont, elles, reconnues comme faisant partie de la Nature. Le panorama du haut des tours, ensuite, installe une relation ignorée des pavillonnaires, celle du spectacle du conflit Ville / Nature. En effet, la vue depuis les étages dégagés des IGH permet de voir la « vraie » nature au loin, au delà des limites de l'agglomération, mais cela uniquement quand la pollution de l'air le permet. Autrement dit, au plan symbolique, quand les dysfonctionnements de la vie urbaine ne sont pas trop graves, le contact visuel avec la « vraie » nature est rétabli. Les jardinets des pavillonnaires ne sont du coup pas pris au sérieux (mais enviables par le marquage de territoire qu'ils constituent). En dehors de cette relation sui generis, la Nature est consciemment entendue comme la végétation dans la ville, et associée à la densité : sa présence est tenue pour un signe de moindre densité, elle même conçue comme positive. Mais il faut dire que ce qui est associé à la densité n'est pas le quartier des tours lui-même, mais la capitale dans son ensemble, qui vue du haut des tours fait plaindre les parisiens pris dans l'agitation d'en bas !

La nature animale existe davantage que la verdure, sous la forme d'une quantité apparemment impressionnante de chiens, ceux dont se plaignent les mères de famille sur le chemin de l'école, et les pavillonnaires (chez lesquels les chats semblent l'emporter, y vivant souvent dans une semi-liberté). À y regarder de plus près, il ne s'agit pas là d'un engouement particulier envers la race canine, mais d'un des effets de la densité : les propriétaires de chiens sortant deux ou trois fois par jour promener leur animal, on voit un piéton sur trois accompagné d'un chien...

 

 

   

La Place des Fêtes, quand on vient du centre de Paris, on a l'impression qu'on va être à la campagne, on a de l'air, mais c'est souvent la tempête, ça incite pas à rester dehors, sauf le club des chiens. J’en fais partie, parce qu'ils sont marrants, mais ils ne parlent que des chiens, que des chiens, que des chiens... (Tr.3).

Les rafales de vent dans les tours, qui s'engouffrent dans les gaines, sont parfois d’une telle violence qu’elles empêchent les portes automatiques des ascenseurs de se refermer. Elles créent une ambiance de haute montagne, ou de grand large. Cette puissante ventilation suscite un micro climat porté aux extrêmes, dès qu'il vente il fait beaucoup plus frais qu'au sol, et quand le soleil chauffe il fait aussi plus chaud dans les tours qu'ailleurs. Ce caractère radical de la thermique et l'aéraulique est ce qui fait sans doute dire à l'interviewée Tr3, sur le ton du dépit « on a l'impression qu'on va être à la campagne, mais c'est souvent la tempête » : autrement dit, on espère le calme campagnard de la nature bonne, et ce qu'on trouve c'est la furie non domestiquée de la nature sauvage ! C'est évidemment surprenant, mais certains apprécient ces ambiances assez uniques dans une grande ville.

La tempête ici, c’est impressionnant ! (Tr2, plutôt admiratif)

D11  — Comment vivez-vous la nature dans ce quartier ? (C'est quoi, la nature, ici ?) Et dans le quartier d'à côtê ? [celui des tours / celui des pavillons]
Ici, on a le square, maintenant j'y vais plus du tout, je le traverse, il y a les arbres du quartier des maisons, ceux des Buttes-Chaumont, ça me suffit de savoir qu'ils sont là. Regardant de chez moi, (au 24e étage), je vois le Père-Lachaise, Vincennes... mais c'est plutôt la ville que je regarde, je vois toute la ville ; mais on voit aussi la nature et elle rend la ville plus présente ! Quelquefois il y a un pigeon qui rentre dans la maison ! On entend beaucoup les oiseaux, curieusement, le son remonte du square. On est en plein ciel, c'est aussi la nature, comme en montagne dans ma maison d'Avoriaz, on a le soleil, des nuages superbes, on suit plus le mouvement du cosmos, mais c'est pas la même nature, c'est pas vert, quoi !
Les chiens sont une calamité, spécialement dans cette tour ! Les chats ça va, mais je suis entourée de chiens ! Il y une densité effrayante de chiens sur cette place !
(Tr14).

 

 

   

Sachant que Mme Tr14 est amatrice de haute montagne, on est moins étonné de sa désillusion concernant la fameuse fontaine à cercles concentriques, qui ne coule jamais ou presque. Bien sûr, qui dit fontaine évoque le bruit des cascades de montagne, or cette fontaine-ci semble avoir été dessinée pour couler silencieusement : donc, elle est morte !

La fontaine de Marta Pan, ça me rend triste parce que j'aime beaucoup l'idée de cette fontaine et elle ne fonctionne pas, elle est morte... Ca aurait pu être quelque chose qui fédérait, avec l'eau, moi qui adore et là il n'y en a jamais et quand il y en a c'est un petit filet... Il a été question de l'enlever au moment du nouveau projet de place... (Tr14).

La Place des Fêtes est bordélique. On a une fontaine sans eau, qui ne sert à rien... On parle toujours de la Place des Fêtes d'avant, mais moi je suis arrivé après... Il n'y a pas d’âme, sauf le petit square, où j'emmenais ma fille, dans le temps quand elle était petite, il était assez sale, les crottes de chien et tout... Je ne sais pas ce qu’ils vont en faire, de cette place... (Tr4)

La maison à Avoriaz introduit au thème de la résidence secondaire comme pôle de nature, très important dans les tours, moins semble t-il dans les pavillons, comme cela semble logique. Pour beaucoup d'habitants des tours, leur appartement parisien insolite en plein ciel n'est vivable qu'en retournant régulièrement dans la vraie nature, très supérieure à celle des jardinets de pavillonnaires.

C'est Tr4 qui utilise le plus intensivement ce système ; artisan, il se rend dans sa campagne parfois en pleine semaine pour y travailler au calme. Sa façon un peu unique de pratiquer la tour nous a fait réfléchir, quand il déclare :

La campagne me manque, mais la tour elle-même ne me dérange pas, j'aurais peut-être même du mal à revivre au deuxième ou troisième étage, parce qu'on est dans le ciel, là... On voit le Sacré Cœur, les tours de la Défense, c'est de l'oxygène, ça... C'est bien de ne pas avoir de voisins en face ; ce que je n'aimerais pas c'est d'être dans la tour au neuvième ou dixième, et de voir surtout l'autre tour. (Tr4)

Nous n'avions pas pensé à ça : la forte densité du quartier, suscitée par les tours, permet, en habitant justement dans une tour, de se retrouver seul, en plein ciel, sans voisins en vis à vis, et ainsi d'échapper à cette densité davantage que dans les pavillons ! Il est permis de penser qu'il s'agit ici chez Tr4 d’une naturalisation de la ville, qui vue d'assez haut et d'assez loin serait perçue comme une autre nature, complémentaire de celle, la vraie, qu'il préfère...

Les autres pôles de nature sont les Buttes Chaumont, le square sur la Place, et les villas pavillonnaires.

Les Buttes-Chaumont ne sont intensivement utilisées que quand les enfants sont petits ; ensuite ce parc est surtout pris dans l'image du quartier comme élément de standing :

Mon quartier, c'est beaucoup les Buttes-Chaumont, avec Irène quand elle était petite, nous y allions en traversant l'ensemble d'immeubles de la rue Compans, très tristes. Les Buttes-Chaumont nous les utilisions bien... (Tr14).

Le quartier, l'image n'est pas mauvaise ; mais les gens de Paris ne situent pas où c'est, il faut leur dire les Buttes-Chaumont et ils commencent à situer. (Tr4)

Peut être aussi que « les gens de Paris » (dont les bellevillois ne font pas partie ?) sont légèrement inquiets d'apprendre que leur interlocuteur habite une sorte de grand ensemble intra muros ; et l'évocation des Buttes Chaumont les rassure : socialement, c'est un quartier bourgeois.

Le square de la place, avec son kiosque à musique qui sert de pigeonnier, est redevable d'une autre surprise de taille concernant le rapport à la nature dans les tours :

Ce que j'aime bien ici, curieusement, c'est en été le bruit des oiseaux, on les entend quand même, on est au 23e mais on arrive à entendre le bruit des oiseaux, et puis le bruit du marché, des gens qui, le marchand de pommes de terre qui chante et tout ça, ce genre de choses. Le joueur de saxophone, tout ce qui appartient vraiment à l'être humain, quoi. Ou à l'animal. À part les hurlements qu'on entend parfois dehors le soir ! Ce qui dérange, c'est surtout le bruit des voitures, les camions du Monoprix, les machines pour nettoyer les rues dès six heures du matin, c'est affreux... Et l'espace résonne, ça diffuse plus... (Tr3)

 

 

 

   
   
         
   

Mme Tr3 manifeste t-elle une sensibilité particulière aux bruits ? La plupart des autres habitants des tours n'en parlent pas du tout de la même façon :

Des bruits qui manqueraient ? C'est déjà assez silencieux comme ça. Il y a un vague ronron de la ville, rien ne me manque en particulier. (Tr4)

Des bruits qui me manquent, sûrement pas les marteaux piqueurs ! Non, il n'y en a pas tellement, des bruits en définitive, si, quand les voisins font la fête, mais c'est normal ; le bruit du vent c'est angoissant, mais je suis habituée,- c'est vrai qu'il y a beaucoup de vent sur cette place. (Tr1)

Chez Tr3, il semble qu'une insatisfaction concernant sa vie actuelle à Paris entre en ligne de compte dans son exaspération attribuée aux bruits, comme à la lumière ou à la qualité de sommeil :

Moi j'en ai marre, maintenant. Mon mari, lui, il aime bien, mais moi cette tour elle me pèse, moi j'aimerais bien partir, c'est vrai que ça suffit, quinze ans au même endroit. J'irais bien à la campagne, si tout était possible, la vie de Paris, c'est bruyant. Ici on est encore pas trop mal lotis, mais il y a quand même un murmure incessant, une lumière continuelle, une qualité de sommeil très inférieure, ça n'a rien à voir. (Tr3)

Quant à la promenade dans le quartier des villas, elle se doit par définition d'être sans but précis :

J'aime bien les deux quartiers, mais pas de la même façon, moins je dirais le quartier des pavillons, évidemment, j'habite rue Compans et je fréquente la Place des Fêtes pour des raisons de transport évidentes, le métro, la vie quoi, les courses etc. En revanche le quartier des petites villas... c'est plus pour la promenade, on va dire ça comme ça, seul ou en famille ou alors il y a un but à la promenade, par exemple quand les ateliers d'artistes s'ouvrent au public. Il y a eu rue de Bellevue des maisons qui étaient ouvertes. C'est agréable et c'est aussi, quand des gens viennent découvrir notre quartier, c'est l'occasion de leur montrer cet aspect là de la vie du quartier. (Tr9).

Dans le vieux Belleville, j'aime bien regarder les portes cochères, quelquefois on peut rentrer dedans, il y a des jardins à l'intérieur des immeubles... (Tr3)

Cependant, la promenade chez les pavillonnaires est loin d'être le seul centre d'intérêt des amoureux de ce quartier, tel Tr5, qui préfère le Bas-Belleville (le vrai Belleville, où il se passe des choses) :

B4  — Voici un fond de plan de votre quartier. Pouvons-nous voir en détail comment vous l'utilisez ?
Je vais pas partout, mon quartier c'est rue de Bellevue, la rue Janssen avec la bibliothèque de quartier, les petites villas ici et là (il trace sur la carte). Je connais pas trop vers la rue Hidalgo, je sais qu'il y des jolies choses par là, je les devine quand je descends toute la rue Compans, hein... Quand je descends la rue Compans là, je les devine. Rue du Gal Brunet aussi, j'y vais, mais davantage en voiture, je vais pas chez les épiciers place du Danube ni à la piscine, vers les Buttes-Chaumont aussi un peu, je m'y balade ; mais surtout je vais au Bas-Belleville que j'aime beaucoup. Je l'aime davantage que le quartier des maisons, c'est plus vivant et pas pour les mêmes raisons ! Dans le quartier des maisons c'est plus la verdure, l'architecture qui est intéressante, mais Belleville aussi, si vous poussez une porte de la rue, vous découvrez des jardins et une succession de maisons... C'est grâce aux journées portes ouvertes des ateliers que j'ai découvert Belleville. (Tr5).

   
   

 

4.2 la nature dans le quartier des pavillons

 

 

   

Dans les pavillons, l'absence d'espace public autres que les voies de circulation dans le quartier est vécu comme allant de soi, le prix à payer pour être au calme dans la nature : cette nature est tellement miniaturisée qu'elle semble avoir symboliquement besoin d'un surcroît de silence pour mieux parvenir à rester elle même (à accomplir la tâche symbolique que l'on attend d'elle). La présence des jardinets privatifs paraît donc corrélative de cette absence de vrais jardins d’une taille comparable à ceux des banlieusards de la grande couronne. Pourvus de « vrais » jardins (et de garages !) ces faux pavillonnaires auraient sans doute mieux supporté une plus forte animation urbaine du quartier, comme nous le voyons couramment dans des cités jardin hollandaises. Mais inversement à la Hollande, où l'on vit à rideaux ouverts, il y a ici une idéologie tacite, mais clairement observable, qui fait du jardinet parfois lilliputien de ce quartier un équivalent symbolique d'un « jardin secret ». Son paradoxe est alors que le secret doit être montré, mais juste assez pour tout de même rester secret. La nature est également importante pour les deux groupes, mais il y a une conception de la nature propre à chacun des deux quartiers ; nous avons vu la nature un peu cosmique des habitants des tours... Dans les pavillons, le jardinet fonctionne comme vitrine montrée-cachée, et en modèle réduit, du type de relation que l'habitant entretiendrait idéalement avec la Nature au sens large. Cette relation paraît souvent opposée ou critique du traitement urbain de la nature (celui de la Direction des plantations et jardins de la Ville). L'exiguïté de ces jardinets est le plus souvent perçue comme caricaturale par les habitants eux-mêmes, simple rappel des vrais jardins (voire parcs...) connus dans l'enfance ou à d'autres périodes de l'existence, ou de la vraie nature de la résidence secondaire actuelle. L'image 126 du jeu d'images a fonctionné dans ce sens.

 

 

 

   
 

 

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D11  — Comment vivez-vous la nature dans ce quartier ? (C'est quoi, la nature, ici ?) Et dans le quartier d'à côtê ? [celui des tours / celui des pavillons]
La vraie campagne, on y retourne souvent, on a des attaches familiales à la campagne, nous y étions encore ce week-end. Surtout que c'estl’ endroit où il n'y a vraiment personne, pour les vacances aussi... Un peu de montagne, un peu de campagne... On recherche jamais les endroits avec beaucoup de monde. (Pv9).

Nos pavillonnaires se comparent spontanément au quartier de la Place des Fêtes, à la situation inverse, et préfèrent leur « individualisme ». Mais le (magnifique) parc des Buttes-Chaumont est beaucoup moins pratiqué, ici aussi, qu'on ne pourrait le penser de par son voisinage tout proche :

Sinon, quand on a à se promener, au début on se disait qu'on ne se promènerait qu'ici (montre les Buttes Chaumont sur la carte), mais finalement on se promène dans tout ça (montre sur la carte). Là on n'y fait pas de courses, on ne fait que s'y promener. Si, l'été, en descendant jusqu'ici (montre sur la carte) vous avez des commerces, une pharmacie, un bureau de tabac, cette petite place là, vous savez, au métro Pré St. Gervais. On ne va jamais dans les commerces de l'angle des Buttes-Chaumont, ni ceux de la place du Danube... J'ai le souvenir qu'il y a deux tabacs, et deux cafés, mais nous sommes beaucoup plus attirés par la rue de la Mouzaïa, c'est une belle voûte d'arbres, c'est assez agréable ; mais en dessous non, non non. (Pv9).

Les Buttes Chaumont, qui paraissent le grand truc quand on vient s'installer ici, finalement c'est uniquement le dimanche et même pas tous les dimanches, si je vous dis une fois par mois je vous mens ; c'est peut -être tous les deux mois. (MPZ : et les autres squares ?) Je sais qu'ils existent, mais on ne les fréquente pas. Il y a un nouveau petit square entre l'école et la rue Compans, il est assez fréquenté, les jeunes paraissent contents d'y trouver quelque chose... Il y a un terrain de sport qu'ils ont l'air de beaucoup fréquenter, on les entend d'ici, le son rebondit sur les tours qui nous le renvoient, ils jouent tard, hein, à minuit ou à onze heures l'été ils font des matches, du basket surtout, ça marche très fort. Et on entend bien... Mais ça ne nous dérange pas. (Pv7).

La belle voûte d'arbres est peut être significative de cette relation particulière à une idée de la nature plus offensive, une avancée de vrais arbres dans la ville qui réussissent à recréer l'ambiance de la forêt ou du bocage là où l’habitat humain a su rester de taille raisonnable : il n'y a pas de belle voûte d'arbres sur la Place des Fêtes ! Si les Buttes-Chaumont sont un peu tenus à distance, le très beau parc de Belleville, récemment ouvert vers le XXe arrondissement, n'est pas perçu comme élément du quartier pavillonnaire, là où certains habitants des tours parvenaient à l'intégrer au leur :

On a visité ce quartier, quand on cherchait une maison, on a vu ce nouveau parc de Belleville, là où il y a un panorama sur Paris, mais on n'y est pas encore vraiment allé. C'est un peu loin pour y emmener les enfants. (Pv9).

Pour les habitants des tours un peu au fait de Belleville, le quartier pavillonnaire est avant tout un rappel historique, davantage qu'un lieu de communion avec la nature. Pour Mme Tr3, une des rares personnes désirant partir vivre à la campagne (cf. 4.1), et faubourgeoise qui disait que le Belleville des Apaches était super, les pavillons n'ont jamais été des maisons ouvrières :

Il y a ce groupe de villas, et il y a encore quelques rues du vieux Belleville, les Buttes-Chaumont, etc. Mais il ne reste plus grand chose, quand même. C'est sûr que c'étaient des taudis, des maisons insalubres, mais en même temps c'est un passé qui meurt, et on ne sait pas si c'est si impossible que ça de les réhabiliter. Parce que ça continue, ils démolissent des vieux immeubles en pierre pour les remplacer par des grandes constructions... Ils essayent de faire des trucs très néoclassiques, très monumentaux, tout ça, mais bon, c'est pas la même chose. On fait de la banlieue. C'était des maisons d'ouvriers ? Je croyais que c'étaient des bourgeois de Paris qui avaient fait construire là pour avoir une espèce de maison à la campagne... elles sont très recherchées maintenant, malgré qu'elles soient toute petites... Mes parents sont dans une maison comme ça, avec un bout de jardin, c'est sympa je trouve. (Tr3)

Maisons de poupées, maisons pour vieux sympas, mais pas maisons à prendre au sérieux. Ce n'est bien sûr pas l'opinion des nouveaux arrivants Pv9, qui en décrivant leurs motivations très personnelles pour s'installer dans ce quartier ne mentionnent pas la nature, pour la bonne raison qu'ils l'ont justement quittée pour venir vivre la :

Q1  — Qu'est-ce qui vous a conduit à habiter ici ? (explorer la part du conjoint dans le choix)
À Senlis, la vie c'était la vie de province, on était dans la vraie campagne. Mais avant Senlis, nous vivions à Paris, et en partant vivre à Senlis au bout de quelques années ma femme s'est sentie privée d'activités, d'amis, de relations faciles avec un certain nombre de choses, donc elle a souhaité de revivre à Paris... On s'est mis d'accord, OK pour revivre à Paris mais dans une maison ! On avait goûté au plaisir de la maison. (Pv9).

 

 

   

Ce ménage bien informé joue le jeu qu'impose l'identité particulière du quartier :

Le samedi et le dimanche il y a des gens qui visitent le quartier, mais ça ne dérange pas. C'est inévitable quand on vit dans une curiosité ! On est sur le trajet d'un plan de la verdure dans Paris que distribue la Mairie pour des tours pédestres dans l'arrondissement ! (Pv9).

L'évaluation par ce couple du degré de naturalité de sa maison dans Paris, et à la campagne en même temps, nous paraît également instructive :

Nous sommes là depuis un an... Auparavant, on était à côté de Senlis, dehors de Paris dans un pavillon, et c'est un peu ce qui nous a poussé à vouloir retrouver un pavillon et on a rendu l'affaire un peu complexe en voulant retrouver un pavillon dans Paris ! C'était un peu difficile, mais on a trouvé. Ici, ça tourne un petit peu, on trouve...  (MPZ : Vous diriez qu’ici c’est un vrai pavillon ?) Oui, ici, c'est un vrai pavillon, oui, vous pouvez faire le tour, enfin sur plusieurs côtés, c'est une maison complètement autonome, on a pas de... complications de copropriété ou des choses comme ça, on a quelques servitudes de... des points communs. Il y avait jusqu'à, il y a quelques années, le fait que chaque propriétaire de maison comme ça était copropriétaire de la moitié de la Villa, c'est à dire du passage, deux à deux. Mais ce n'est plus vrai, ces portions de terrain ont été rachetées par la municipalité, je crois savoir que c'est dans un souci d'entretenir en fait, que ce soit les canalisations d'eau, enterrées, les canalisations de gaz d'électricité, l'éclairage public, et les revêtements de sol. Donc c'est la Voirie qui est maintenant chargée de l'entretien. Vous avez la Villa ici qui est en travaux, Indice qu'ils retour l'électricité, toutes ces petites interventions sont faites maintenant par la Ville, alors c'est pas toujours à la satisfaction des gens qui l'habitent. (Pv9).

Architecte, M. Pv9 saisit immédiatement la portée de notre relance (vrai ou faux pavillon ?) et livre le fondement de son diagnostic, trois côtés libres font bien un pavillon. Le sien est bien choisi, le sol en dessous est solide, non miné par la société industrielle du siècle passé, il est suffisamment naturel là où certains voisins se sont eux fait avoir :

Vous avez des villas qui sont en contrebas, de l'autre côté de la Mouzaïa, là vous avez des villas qui ont un problème d'effondrement de sol. Tout ce talus (montre sur la carte) il est sur des carrières, et c'est un gros problème pour les propriétaires des petites maisons, pour la municipalité, etc. pour retrouver les causes des effondrements, au niveau des assurances... (Pv9).
En ce moment c'est ici mais il y a quelques années, Mme. X, la personne qui est propriétaire de l'immeuble d'en face, vous dira qu'il y a eu d'autres problèmes d'effondrement, (montre sur la carte) par ici, là, etc. On vit sur quelque chose qui bouge, visiblement. (Pv9).

 

 

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5

Conclusions

 

 

   

 

5.1 érotise t-on la densité ?

 

 

   

Et la fameuse érotisation de l'urbain selon Wickler ? Supposons que son hypothèse soit exacte. Depuis vingt ans nos deux quartiers se font face, l'un dix fois plus dense que l'autre. Sans aller jusqu'à prétendre de façon mécaniste que le quartier des tours devrait être dix fois plus érotisé que celui des pavillons, il devrait bien y avoir une différence entre les deux, observable dans la vie de tous les jours, et démontrant une érotisation supérieure à la Place des Fêtes. Rappelons la distinction que nous avons faite dans l'introduction de ce travail, entre érotisation et sexualisation. Pour l'éthologue Wickler, sans doute les deux termes sont-ils équivalents. Tant mieux, la sexualisation (des actes, et non de la fantasmatique) est plus facile à observer. C'est dans ce but que nous avons inclus deux images à connotation sexuelle dans le jeu d'images, des photographies de piétons passant devant des publicités osées de lingerie féminine. Les passants sur nos deux images restent impavides. Mais les interviewés tout autant, pour lesquels ces images ne suscitent pas le moindre commentaire à thématique sexuelle, même très indirectement (du genre « évolution des moeurs publiques », etc.). Sans doute ces images ne peuvent pas ne pas avoir un impact inconscient, mais comme elles ne montrent pas de l'érotisme, sinon des panneaux érotiques dans la ville, leur signification est déjà trop complexe pour qu'en émerge un discours conscient. Le lien avec l'urbain n'est pas fait, sans doute à juste titre : l'érotisation de la publicité passe par les médias, qui inondent la province et la campagne tout autant (sinon davantage) que les grandes villes ; sur ce point le mythe de la métropole babylonienne pécheresse a vécu.

L'éventuelle sexualisation de l'urbain dans ces deux quartiers peut être approchée d'une autre façon, plus directe, en allant voir les patrons des vidéoshops et simplement leur poser quelques questions : qu'est ce qui marche le mieux, la location de cassettes de karaté, de Rambo, etc., ou le porno ? Car il y a dans chacun des deux quartiers un vidéoshop qui loue des cassettes aussi bien pour les enfants (Blanche-Neige) que pour les psychopathes (Les douze salopards) ou les gens dont la sexualité nécessite un exutoire supplémentaire (Fais-moi tout). Nous n'entrerons pas dans les considérations psychanalytiques savantes d'un Robert Stoller (37) où il démontre combien Blanche-Neige et Rambo sont proches voisins de la pornographie (selon lui, les romans roses et feuilletons télévisés romantiques dont sont friandes les honnêtes ménagères sont bel et bien une forme féminine de pornographie). Les vidéocassettes violentes ou sexuelles (parmi beaucoup d'autres catégories) en location dans les deux quartiers sont autant demandées, sans que l'on puisse en déduire si il y a un rapport éventuel comme celui proposé par Wickler. D'ailleurs quels pourraient bien être, dans ce cas, les gens qui regardent des films ultraviolents ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 


37 - Robert Stoller, 1979, L'excitation sexuelle, Payot, 1984 ; et 1985, L’imagination érotique, PUF, 1989.

   

Indifférence des passants devant les provocations sexuelles de la publicité.

 

 

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On peut déjà se demander pourquoi, à densité dix fois supérieure, il n'y a pas dans le quartier des tours dix vidéoshops face à celui, place du Danube, du quartier des pavillons peu équipé en commerces et où il manque, par exemple, un vétérinaire, un marchand de couleurs, etc. Mais, de plus, la comparaison des deux boutiques, et celle des propos de leurs tenanciers, montrent une activité de location de cassettes à contenu sexuel brut plutôt supérieure dans le quartier des pavillons (dont la boutique reste ouverte même le dimanche et tient le coup depuis douze ans, alors qu'elle périclite Place des Fêtes).

Pour continuer à nous faire l’avocat de Wickler et sauver malgré tout son hypothèse, il faudrait effectuer l'acrobatie qui consiste à penser que cette sexualisation ponctuelle de l'urbain est plus forte dans les pavillons précisément parce qu’une érotisation  — discrète, agréable, diffuse et globale —  de la vie quotidienne du quartier n'y existe pas comme effet de sa trop faible densité. À la Place de Fêtes, l'érotisation serait telle que cette sexualisation n'y est pas nécessaire, d'où la ruine des marchands d'hédonisme grossier. Est-ce bien raisonnable de formuler une telle hypothèse ? Nous avouons ici notre perplexité.

En relisant les éthologues tels que Hall, Morris, Cyrulnik on se rend compte que la différence entre l'éthologie animale/humaine devrait passer par le constat de la différence entre instinct et pulsion. Pulsion implique signification, sens, jugement de réalité sur les percepts (chez Freud, pulsion = affect + représentation). L'instinct, lui, est inaltérable comme le logiciel d'un ordinateur. L'instinct est plus « naturel », en tous cas plus premier que la pulsion déjà « culturelle ». D'autre part, la ville, c'est de la culture (même si on y place des citations de la nature telles que des squares et des marronniers... ou les formes des femmes). Il s'ensuit que l'érotisme urbain serait donc, par rapport à la naturalitê des pulsions et l'artificialité de la ville, une drôle d'idée. Bien plus évidente à ce respect serait une érotisation de la nature.

L'expérience « naturiste », popularisée ces derniers vingt ans, constitue ici bien évidemment une donnée intéressante, non plus par rapport à un agréable érotisme diffus et sublimé dans des oeuvres culturelles ou ambiances urbaines mais, retour aux sources, par rapport au stimulus sexuel brut. Paradoxe du naturisme, qui met la sublimation (des pulsions vers la culture) et la répression du désir sexuel à l'épreuve des tentations du jardin d'Eden : on y joue, de fait, à s'y durcir le Surmoi (tout autre durcissement étant réprouvé). L'érotisation de la densité se présente à l'inverse comme la transformation du déplaisir en plaisir, phénomène absent du discours brut de nos interviewés mais observable incidemment. La sexualisation wicklerienne de la densité ne s'observe guère à la Place des Fêtes que dans des contextes ludiques comme le marché (grivoiseries faubouriennes des vendeurs envers les clientes, folklore oblige) ou les bals, autrement dit, elle préexiste à la recherche de la situation dense qu'elle provoque en partie, au lieu d'y être subséquente. Essayons maintenant de proposer autre chose.

   
   

 

5.2 densités et destinées des densités

 

 

   

Au plan social, et sur celui de l'ethnopsychanalyse, il faut d'abord constater que Belleville, haut lieu en quelque sorte du pluri ethnisme urbain réussi, héberge un melting-pot dynamique de cultures très diverses et fonctionne comme une machine à intégrer des immigrés, qui en deux générations à peine deviennent de bons citoyens républicains français. Belleville produit des néo-bellevillois dont certains parfois même parviennent au statut d'emblèmes de francité populaire, comme Édith Piaf, enfant de Belleville à la grand-mère kabyle (38). Belleville, remarquons-le en passant, donne ainsi tort à l'ethnopsychiatre Tobie Nathan de réclamer des ghettos urbains pour les immigrés, sous prétexte que seuls ceux-ci préserveraient les cultes traditionnels, qu'il voit comme désormais seuls garants de leur intégrité psychique. Le progressisme ouvert ou sous-jacent des révoltés permanents que sont ceux qui adhérent au mythe communard de Belleville fait mieux, qui facilite aux immigrés une acculturation dans une plus grande égalité envers des français (et d'autres étrangers) vivant le lieu de la légende de leurs luttes.

 

 


38 - Cf. Corinne Daubigny, 1994, Les origines en héritage, Syros-Alternatives, p. 116. .

 

   

Les différentes densités de ce lieu sont caractérisées différemment selon leur fréquentation. La rue de Belleville même est dite « populeuse », ainsi que le Bas-Belleville, terme qui semble inclure l'idée d'encombrement. Nous avons vu qu'il n'en va pas de même pour le quartier de la Place des Fêtes, où la grande place dilue les usagers ; et les rues anciennes voisines de la place, souvent aussi encombrées que la rue de Belleville ne sont pourtant pas dites « populeuses » : elles ne sont que faiblement marchandes, autre composante du caractère populeux de la densité. Le quartier des pavillons, assez bourgeois et très tranquille, n'est pas, lui, dit « résidentiel », ce qui le couperait du mythe bellevillois ; l'absence quasi-totale de garages ne lui permet pas vraiment de revendiquer ce caractère.

Les densités objectives de ces lieux nous paraissent en définitive beaucoup moins importantes que le vécu de leurs habitants, pour lesquels nous avons vu que la densité ne signifie pas grand chose. La pauvreté des entretiens en ce qui concerne le thème de la densité constitue un résultat en soi ; il est difficile d'en parler, comme de tout ce qui est trop habituel et qui ne pose que rarement des problèmes. Il est pareillement malaisé de parler de son corps quand celui-ci est en bonne santé : seule la souffrance nous en fait prendre conscience. Malgré une batterie de questions précises sur le thème de la densité (cf. Annexe A2), seules nous ont livré des idées des personnes (toutes cirées dans ce rapport) qui prennent une position d'observateurs de la vie de leur quartier. Nos interviewés efficaces sont donc comparables à ces « informateurs privilégiés », avec lesquels travaillent les ethnologues.

Il faudrait alors décanter le concept de la densité résidentielle en types d'événements les plus fréquents liés (plus ou moins directement) à cette densité. Tel que nous l'avons vu à travers le vécu des habitants, les seuls problèmes liés à la densité semblent bien être celui de l'encombrement des espaces publics aux heures d'affluence. Affluence de piétons sur des trottoirs trop étroits dans le quartier des tours, et affluence de voitures dans le quartier pavillonnaire dont l'urbanisme date d'avant l'automobile populaire. Si le chiffre de 1000 hab/ha paraît effrayant, c'est sans doute parce que la notion de densité résidentielle date de l’époque de l'urbanisme hygiéniste, celui qui se battait contre les taudis et la tuberculose : il pourrait y avoir contrebande sémantique entre le sens implicite de cet indicateur en termes de surpeuplement des logements (que nous avons appelé ici densité intrafamiliale), et le sens qu'il devrait avoir à notre époque et dans des tissus urbains non pathologiques (où les logements offrent en moyenne quinze à vingt mètres carrés par habitant). C'est bien parce qu'autrefois les logements étaient surpeuplés et insalubres qu'il y avait dans l'espace public une telle vivacité, jusque tard le soir. La vie de quartier animée et conviviale sur la place et dans les bistrots que connut Belleville jusqu'aux années soixante, et que beaucoup regrettent de nos jours en oubliant tous les inconvénients de la promiscuité, correspondait à cette, époque où l'on ne pouvait pas vraiment vivre toutes ses activités dans son logement ; cela est depuis longtemps devenu possible, et les gens sont devenus « casaniers » : ils regardent la télévision, élèvent leurs enfants, s'adonnent à des hobbies, bricolent et se rendent visite. Cette récupération domestique des univers de l'ancien bistrot et du cinéma de quartier diminue de beaucoup la densité effective dans l'espace public, et les 1000 hab/ha du quartier des tours passent inaperçus (on l'a vu, l'un de nos interviewés pense même que la densité serait trop faible, puisque le quartier est devenu un « quartier-dortoir » comparé au bon vieux temps). La même chose existe peut-être dans les pavillons, où la densité de 130 hab/ha est presque trois fois plus forte que celle de 50 hab/ha préconisée par Le Corbusier... On touche à nouveau le fait que ces pavillons sont minuscules et donc très peuplés.

 

 

   

Faut-il proposer la notion de « densité publique » contre celle de densité résidentielle, afin de lever cette difficulté ? Le problème semble de même nature que celui qui s'est posé dans le domaine du bruit, quand on s'est aperçu que l'unité d'intensité exprimée en décibels (le dB(a)) n'expliquait pas grand chose de la gêne subie dans la durée. Une nouvelle unité, le Lacq, fut définie qui tenait compte de divers paramètres temporels. Très utile pour des diagnostics de sites gravement pollués par le bruit, tels que les abords de pistes d'aviation, friches d'autoroutes, carrières, etc. le Lacq s'avéra cependant à son tour assez peu intéressant pour le paysagisme sonore en finesse, celui des ambiances urbaines dans lesquelles intervient puissamment la signification des bruits.

De même, dans la densité publique on ne pourrait pas ne pas prendre en compte la signification pour les passants ou riverains de tel ou tel attroupement : est-ce la fête, ou l'émeute ? Du plaisir, ou de la gêne ? La polysémie, voire l'intrication sémantique, aussi complexe que la vie même, paraît ici encore plus inextricable que dans le domaine du bruit. Avec le vécu subjectif nous passons donc à l'autre scène, celle de l'inconscient. Concernant ce vécu subjectif, l'hypothèse de Wickler parait trop liée à l'éthologie animale : nous ne sommes pas des rats de Calhoun. Reprenons alors notre hypothèse de l’équipression psychique.

Pour avancer notre hypothèse d'une équipression psychique entre le dedans et le dehors, nous avions commencé par poser que dans la vie de quartier, comme partout, il y a du conflit entre les principes de plaisir et de réalité, conflictualité qui est constamment élaborée par la prise en compte de l'offre urbaine symbolique du quartier. Le sentiment d'identité lié au quartier parvient à s'imposer  — ou échoue  — selon que l'interaction de ces deux offres (réelle et symbolique) parvient à créer du sens. Le sens de l'urbain se fonderait ainsi sur l'oscillation entre le fantasme personnel et le « mythe de quartier » (fantasme collectif et socialisé). Mais cela n'était pas suffisant, car la densité urbaine est aujourd'hui puissamment concurrencée par une « densité communicationnelle » (les contacts téléphoniques, la TV, le câble, le Minitel, Internet, le télétravail, etc.). Autrefois, la forte densité urbaine était la seule manière de parvenir à cette densité communicationnelle, maintenant une densité médiatique y supplée, et les plaintes concernant les embouteillages d'Internet commencent à prendre le pas sur celles, antiques, liées aux encombrements.

À la suite de Searles, nous avions ensuite proposé quatre attitudes possibles chez le citadin :

 

 

 

   
  • il recherche l'environnement non humain comme étant peu objectal et lui offrant un maximum d'espace pour les jeux de ses objets internes ;
  • il fuit l'environnement non humain, et recherche la convivialité et les situations de densité ;
  • il traite résolument l'environnement humain comme étant non humain (anonymat confortable des grandes villes) ;
  • il traite l'environnement humain comme seulement potentiellement humain, et le non humain comme couramment plus gratifiant, sauf bonne surprise objectale qui le conduit instantanément à se re-humaniser. Ce serait la description d'un promeneur winnicottien.

 

 

 

   

La seule densité résidentielle ne peut être vue comme dominante sur les autres acceptions pensables de cette notion. Il faut ajouter déjà à la « vraie » densité (externe, urbaine) la densité des lieux marquants, idéalisés voire magnifies dans le souvenir, celle donc, intrapsychique, des élaborations en cours de la pensée, consciemment ou inconsciemment.

Nous retrouvons ici la dynamique dedans-dehors et les quatre situations typiques déjà évoquées dans l'introduction à ce travail. Le travail psychique permanent des individus (que l'on peut voir comme des densités intrapsychiques différentes) vient affronter les événements suscités par la densité urbaine. L'exigence d'équilibre du Moi qui vise à l'équipression psychique produit des « stratégies de densité » par rapport au bilan quotidien des événements, selon les situations vécues maison / transport / travail / loisirs / ville (flânerie...) :

 

 

 

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  • une densité urbaine forte avec une densité intrapsychique forte : tendance au stress et la fuite au calme ;
  • une densité urbaine forte avec une densité intrapsychique faible : l'équilibre (homéostasie du Moi) ;
  • une densité urbaine faible avec une densité intrapsychique forte : l'équilibre (homéostasie du Moi) ;
  • une densité urbaine faible avec une densité intrapsychique faible : tendance au stress de solitude, et la fuite vers la foule.
 

 

   

On voit tout de suite que, pour chacune des quatre situations typiques de densité urbaine, le citadin peut réagir selon chacune des quatre attitudes que nous avons défini à la lecture de Searles, ce qui donne déjà 16 façons différentes d'établir cette équipression, que l'on pourrait encore appeler « densité constante dedans/dehors ».

Ceci nous a conduit à évoquer l'hypothèse d'un « bilan annuel de densité », idée proche de celle de l'exposition quotidienne aux multinuisances. Il y aurait des profils individuels des usagers urbains selon le temps passé dans des contextes de densités diverses au gré de leur métier, leur habitat et autres paramètres de leur existence. Le recours à la soupape de sécurité de la résidence secondaire dans la nature est lié, dans l'ambivalence, à la technique automobile et aux nuisances des embouteillages à affronter pour gagner le repos promis au contact de la nature. Par ailleurs, la dimension du choix apparaît vite déterminante dans le vécu positif ou négatif de la densité. Selon que l'on prenne le métro pour travailler ou pour se rendre à un stade de foot, un wagon bondé sera « infernal » ou festif...

La densité urbaine, qu'elle soit forte ou faible, doit donc d'abord être revue selon le type de comportement des citadins du lieu considéré. Ce n'est pas la même chose de vivre à 1000 hab/ha entre gens qui se sont finalement cooptés au long des années, sur la base d'une communauté d'esprit, d'habitudes calmes, d'échanges respectueux de l’intimité d'autrui (comme nous en connaissons dans certains quartiers d'Amsterdam) ; ou bien sur le partage d'une identité culturelle forte qui implique des communications bruyantes, extraverties mais chaleureuses et une vie nocturne de quartier populaire traditionnel sans expression de la moindre gêne de la part des autochtones (comme à Barcelone ou Séville) ; ou encore dans les cités à problèmes entre survivants hostiles de la crise à affrontements quotidiens et rejet constant de l'autre. Pour rejoindre les éthologues, on pourrait d'abord traduire la densité en signaux échangés, individuels et culturels. Le nombre de signaux par unité de temps n'est pas forcément lié à une haute densité, mais seulement probable (c'est la vivacité qu'en attendaient ses partisans). Selon que ces signaux sont majoritairement amicaux ou inamicaux, le concept abstrait de la densité devient celui, beaucoup plus familier, du civisme allant vers la convivialité ou au contraire de l'encombrement allant vers l'affrontement et la violence.

Nous étions, au terme de ce travail, tentés de conclure à l'existence d'un « système » ou « dialectique » de densités alternées. Densités en habitants dans les quartiers, modulées selon le jour, la nuit, la pleine activité ou la fin de semaine, les vacances. Densités intrapsychiques qui viennent en contrepoint aux premières, et qui apportent leur contrepoids extrêmement personnel jusqu'à l'établissement de l'équipression psychique chez chacun entre les deux densités.

Mais, par acquis de conscience, avant de conclure nous avons jeté un coup d'oeil au célèbre livre de E.T. Hall. Or, dans son livre La dimension cachée, quand E.T. Hall traite de l'espace tactile, il note en passant un article de Michael Balint dans lequel ce dernier décrivait l'existence de deux mondes perceptifs différents, l'un orienté vers la vue, l'autre vers le toucher, et du mode de gestion de l'espace très différent de ces deux mondes. Mais Hall se hâte ensuite de décrire la différence entre la suspension des voitures américaines produites à Detroit et celle des voitures européennes, dans lesquelles on sent le contact avec la route. Et c'est tout ce que Hall a trouvé dans l’oeuvre de Balint, un des grands théoriciens de la psychanalyse moderne. Intrigué, nous avons vérifié la citation, et découvert une pensée chez Balint qui éclaire d'un jour nouveau toute la problématique de l'environnement, et donc aussi celle de la densité urbaine.

 

 

 

   

Lors d'autres recherches, dans le domaine du logement surtout, nous avons souvent fait appel aux idées de Winnicott. La pensée très originale de Winnicott n'aurait sans doute pas vu le jour sans celle de son prédécesseur Balint, qui, pour être plus simple (ou moins compliquée...) n'en paraît pas moins s'appliquer beaucoup plus directement à la problématique de l'espace et de l'environnement. La citation de Hall est tirée de son livre Les voies de la régression (39). Balint y décrit effectivement deux types de relation au monde, aussi bien celui des objets réels externes que celui des objets de la réalité intérieure (que Hall oublie de mentionner). Balint parle de l'attitude « oknophile » et de l'attitude « philobate » :

 

 


39 - Michael Balint, 1959, Les voies de la régiession, Payot, 1972, pp.38-48.

   

« Prenons d'abord l'oknophilie où l'existence d'une quelconque relation d'objet est une condition absolue et le rôle de la peur manifeste. Le terme grec okneo choisi pour désigner cette attitude exprime admirablement cet état de choses. Il signifie "s'accrocher à", "se rétracter", "hésiter", "redouter", sous-entendu que tout cela résulte de la peur, la honte ou la pitié en rapport avec un objet. Il y a manifestement un objet disponible, sinon l'individu ne pourrait pas s'accrocher. Le monde oknophile se compose donc d'objets et ces objets sont séparés par des espaces vides effrayants. L'oknophile va sans cesse d'objet en objet et abrège le plus possible son séjour dans les espaces vides. La peur surgit quand il quitte les objets et s'apaise lorsqu'il les retrouve. (...)

L'accrochage oknophile à des objets ou à des objets partiels est la relation d'objet que la psychanalyse a le mieux étudiée. Peut-être a-t-elle pour caractéristique principale d'entraîner toujours et inévitablement la frustration. Mis à part le fait que l'objet auquel on s'accroche est toujours  — dans la vie adulte —  un simple substitut qui ne procure jamais une satisfaction complète, plusieurs traits inhérents à la relation d'objet oknophile rendent la frustration inévitable.

Au philobate le monde dans son ensemble apparaît sous un jour entièrement différent. Pour peu que les éléments ne soient pas trop incléments  — qu'il n'y ait ni orage ni tempête —  le pilote est en sécurité dans le ciel, le marin en haute mer, le skieur sur les pentes, le conducteur sur la grande route, le parachutiste dans les airs. Le danger et la peur ne surgissent qu'en cas d'apparition d'un objet avec lequel il faut composer. Le pilote doit décoller ou atterrir, le marin quitter ou regagner le port, le skieur éviter rochers, arbres et crevasses, le conducteur tenir compte des autres voitures ou des piétons sur la route, le parachutiste sauter et atterrir. Nous dirons donc que le monde philobatique se compose d'espaces amis, plus ou moins parsemés d'objets dangereux et imprévisibles. Le philobate vit dans les espaces amis en évitant soigneusement tout contact aléatoire avec des objets potentiellement dangereux. Alors que le monde oknophile est structuré par la proximité physique et le toucher, le monde philobatique est structuré par la bonne distance et la vue. On peut aisément vérifier l'étroite relation qui existe entre le philobatisme et la vue, l'oknophilie et le toucher, en essayant de se déplacer les yeux bandés dans un environnement peu familier. Privé de l'orientation par la vue, on vit réellement d'objet en objet, en sécurité tant que l'on est en contact avec les objets et relativement exposé quand on se trouve seul dans les espaces qui les séparent. Soulignons que ce ne sont pas les espaces vides, eux-mêmes qui sont ressentis comme dangereux. Le véritable danger reste celui-là même que nous avons rencontré dans toute situation philobatique : l'apparition soudaine d'un objet aléatoire avec lequel il faut composer.
Si l'oknophile vit dans l'illusion d'être lui-même en sécurité tant qu'il garde le contact avec un objet sûr, le philobate par contre nourrit l'illusion de n'avoir pas besoin d'objets, son propre équipement mis à part, et en tous cas certainement pas d'un objet particulier. L'oknophile a le ferme espoir que son objet élu "collera" à lui et le protégera contre le monde vide, inconnu et sans doute dangereux.
Le philobate, lui, a l'impression qu'en faisant bon usage de son équipement il saura certainement venir à bout de n'importe quelle situation : le monde dans sa totalité "collera" à lui et il sera capable d'éviter les objets perfides. Tandis que l’oknophile suppose qu'il saura gagner les faveurs et la préférence de son objet, le philobate se sent le pouvoir de conquérir le "monde" sans avoir à s'en remettre aux faveurs de certains objets peu sûrs. À cet égard, il manifeste peut-être un excès d'optimisme, d'assurance et de confiance, tant en ce qui concerne la clémence des éléments que l'étendue de ses propres capacités. Seul vient tempérer cet optimisme son besoin, un besoin quasi compulsif, de surveiller le monde qui l'entoure, un besoin qui lui vaut certainement une grande variété de plaisirs. Comme nous l'avons déjà noté, le monde philobatique est structuré par la bonne distance et la vue. Ce besoin de surveiller est véritablement la réplique du besoin compulsif de toucher chez l'oknophile. Il risque d'ailleurs d'évoluer vers une attitude paranoïde ; mais ce danger est tout aussi présent dans le besoin compulsif d'un contact étroit que manifeste l’oknophile.
Qu'est-ce que le philobate doit donc surveiller ainsi ? Il surveille l'éventuelle apparition d'objets, surgissant à l'improviste de n'importe où, objets qui sont des objets entiers et qu'il trouve soit laids, indifférents, insouciants, parfois même hostiles, troublant l'harmonie des espaces amis alentour, soit beaux, bienveillants, attentifs et secourables, renforçant l'harmonie de ses espaces amis. »

 

 

   

 

Le lecteur voudra bien nous pardonner celle très longue citation d'un texte assez oublié, qu'à tort où à raison nous avons cru nécessaire d'inclure à l'appui de notre démonstration. Car à cette lecture, il nous a semblé clairement reconnaître un certain nombre de nos interviewés ! La distinction de Balint entre les oknophiles et les philobates s'applique parfaitement à tout ce que avons vu chez Mme Tr14 (oknophile), chez M. Tr5 (philobate), ou chez le couple Pv9, où lui est philobate, et elle plutôt oknophile. Le modèle du philobate semble cohérent avec les deux derniers points de notre grille d'attitudes inspirée par Searles :

  • l'environnement humain traité comme non humain (anonymat confortable des grandes villes) ; l'environnement humain traité comme seulement potentiellement humain, et le non humain comme couramment plus gratifiant.

 

 

 

   

L'oknophile colle, lui, assez bien avec nos deux premiers points :

  • il recherche l'environnement non humain comme étant peu objectal et lui offrant un maximum d'espace pour les jeux de ses objets internes ;
  • il fuit l'environnement non humain, et recherche la convivialité et les situations de densité.

Les deux notions nouvelles introduites par Balint n'ont eu aucun succès auprès de ses collègues. Balint explique lui-même dans son livre suivant (et beaucoup plus connu) Le défaut fondamental en quoi ses deux notions s'approchent ou diffèrent de celles d'introverti et extroverti chez Jung, de schizoïde et cyclique chez Kretschmer, des trois types proposés par Freud (le type érotique, narcissique et obsessionnel). Il se sent le plus proche de Fenichel avec sa distinction entre type phobique et contraphobique.

 

 

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Les deux notions d'oknophile et de philobate pourraient permettre une relecture du vécu de l'espace urbain par les citadins, en ventilant sur une grille psychologique plus fine les observations que E. Hall a fait essentiellement au niveau de cultures nationales globales. Il paraît par exemple probable, au vu de la citation de Balint, que les philobates doivent souffrir mille morts dans un métro bondé, tandis que les oknophiles tolèrent infiniment mieux ce genre de situation. De façon générale, les oknophiles seront moins partie prenante dans tout ce qui concerne l'espace et son organisation, préoccupations plutôt philobatiques. Cela signifie, en toute modestie, que les préoccupations d'aménagement spatial, architecture, urbanisme, ne concerneraient qu'une moitié de l'humanité, les philobates, dont c'est the cup of tea. Balint cependant ne fait pas œuvre de psychosociologue, et ne nous dit pas comment les ressortissants des deux attitudes humaines fondamentales parviennent à vivre ensemble, à faire affaire ou du moins à se supporter : il ne décrit pas les modes de socialisation de ses deux groupes, mais se borne à indiquer qu'il s'agit pour lui de tendances extrêmes qui cohabitent à des degrés variables en chacun de nous.

 

 

   

 

5.3 Le Corbusier avait-il raison ?

 

 

   

Le mythe des tours, voire celui de la « tour infernale » a certainement un lien avec la mauvaise image des grands ensembles. Il y a ainsi des gens qui font un détour pour ne pas voir les tours de la Place des Fêtes. Même quand ces riverains finissent par connaître quelques habitants des tours, et la convivialité qui y règne, le mythe des tours malfaisantes et du béton-qui-tue ne cède que rarement de sa force. Bizarrement, ceux qui y tiennent décident, plus ou moins consciemment, que ces tours n'en sont donc pas vraiment. Ils ont du mal à s'avouer que ce quartier des hauts de Belleville, qui socialement fonctionne si bien, constitue dans sa forme architecturale et urbaine bel et bien un grand ensemble. Il y aurait là scandale, car cette prise de conscience serait celle que le mal des grands ensembles ne réside pas dans un mystérieux effet de leur architecture ou leur urbanisme (dont la paternité est assez généralement, et à tort, attribuée à Le Corbusier), mais plus politiquement dans leur bannissement hors de la ville, leur affectation aux exclus de la société et leur sous-équipement.

Même quelqu'un d'aussi averti que Boris Cyrulnik a pu écrire :

 

 

   

« Grâce à Le Corbusier, l'expérience de Calhoun a été refaite sur les humains. Dès la charte d'Athènes, il a mis son talent au service d'une conception économique et idéologique moderne : comment utiliser l'espace au sol pour réduire le coût de la construction. Les tours qui résultent de cette démarche inspirent des fantasmes variés qui vont de la justification esthétique au triomphe métaphysique. [...] Mais sur le plan social, la pression de l'architecture, comme chez les rats de Calhoun, induit des conduites et des organisations socioculturelles qui favorisent les groupes archaïques et revêtent des ruptures écologiques » (40) (l'expérience des rats de Calhoun était, on s'en doute, terrifiante).

 


40 - Boris Cyrulnik, op. cit., p.276-277

   

Or, la densité proposée dans ses écrits par Le Corbusier n'est que de l'ordre de 500 hab/ha, la moitié de celle du quartier que nous venons d'étudier (voir illustration suivante). Il est évident que la réussite du nouveau Belleville issu de la rénovation brutale des années 70, la survie de larges pans de la sociabilité bellevilloise et l'émergence d'une convivialité de nouveaux bellevillois habitant des tours et des barres bien implantés dans la ville et bien pourvus en équipements et circulation, crée un scandale frappé de silence, celui d'une victoire posthume de la conception de l'espace urbain corbuséen. Les six « paquebots » du quartier sont trop clairement une citation de la « maison du fada » de Marseille. Admettre que de très hautes tours, fort laides au dehors, et symbole populaire de tous les dysfonctionnements des cités du logement social, s'avèrent avoir été le support du développement d'une grande convivialité de quartier, signifie que Le Corbusier, même si c'est à un seul endroit de la planète, pourrait avoir eu raison. Ce qui empêcherait de recommencer à dire tranquillement que le spatial détermine le social, dont les rapports sont infiniment plus aléatoires et complexes. Que l'on renonce au recours si commode aux boucs émissaires c'est, semble t-il, trop demander. Du point de vue des grands récits urbanistiques passés, il n'est pas exagéré de prétendre que le quartier de la Place des Fêtes correspond bien à la conception corbuséenne de l'espace urbain, si on prend en compte les quelques différences suivantes :

 

 

   
  • la rue, loin d'y être « tuée », y fonctionne comme un lieu fort de convivialité, au pied des immeubles paquebots ou « villages verticaux », avec mélange « jacobsien » voitures/piétons ;
  • la nature, réduite à des « espaces verts », n'y existe qu'à l'état de décor, ces espaces étant interdits surtout aux enfants et aux chiens (interdits, donc, à leurs usagers les plus naturels et spontanés) ;
  • les tours IGH et immeubles de grande taille y sont mélangés avec des immeubles anciens, créant ainsi un jeu d'attirance/rejet entre les usagers de ces deux tissus emblématiques de deux époques. Ce jeu peut s'énoncer comme une « redécouverte » chronique du mode de vie des autres et sa comparaison au sien propre, dont notre interviewé qui vit en immeuble classique, Tr5, nous a donne de bonnes illustrations.
 

 

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Illustration de Le Corbusier, Les trois établissements humains, Ascoral, 1959, éditions de Minuit, p.35

 

 

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L'architecte Paul Chemetov donne la même réponse, et une leçon de sociologie urbaine, quand il s'étonne que les tours du Front de Seine (aux façades signifiant richesse, réussite sociale) ne soient pas décriées comme celles, à émeutes populaires, de la cité du Val Fourré, ni traitées par le silence incrédule dont font l'objet celles de la Place des Fêtes (à l'esthétique identique à celles du Val Fourré) :

« Il est habituel dans cette misère d'invoquer les dieux et les maîtres. Une incertaine Charte d'Athènes aurait oublié la ville et fait fleurir le béton en lieu et place de nos choux. Quand s'édifiaient les cités radieuses, les architectes y trouvaient une radicalité sans ombres, les fonctionnaires l'accomplissement de leur rationalité, le public du soleil, des radiateurs et des baignoires. Faut-il parler des ascenseurs tant décriés depuis ? La dénonciation des grands ensembles serait en ce cas une synecdoque et ne traduirait que la peur des classes dangereuses. On n'entend guère parler du Front de Seine qui défigure proprement Paris, ni du Point du Jour, habités tous deux par les classes moyennes et pourtant formellement semblables, au décor près, aux barres et tours des pauvres. » (41)

 

 

 


41 - Paul Chemetov, 1992, La fabrique des villes, éditions de l'aube, p.154.

   

Cependant, si une densité de 1000 hab/ha donne de si bons résultats, pourquoi Le Corbusier dans ses théories sur la Ville Radieuse avait-il préconisé 500 hab/ha comme la bonne densité assurant l'animation urbaine ? Sans doute n'osait-il pas, le chiffre qu'il proposait était intuitif, basé sur son expérience du vernaculaire. Et que se passerait-il à 2000 hab/ha ? Nous ne savons pas davantage. Il est clair, tout au moins, que nous ne sommes pas des rats programmés par l'instinct ; nous sommes doués non seulement de raison mais d'une plasticité des pulsions qui nous permet d'inventer de la culture urbaine pour toutes les densités.

Nous ne pouvons donc que rejoindre la prudence dans l'extrapolation de l'animal à l'humain du constat de Hall, cité par Pierre Merlin (42):

« La recherche de densités optimales relève largement de l'idéologie. Cependant, de même que l'éthologie animale a mis en évidence des grandes différences de densités viables selon les espèces animales, on constate, dans les sociétés humaines, des écarts considérables, sans qu'on puisse faire apparaître des seuils létaux comparables à ceux observés pour les animaux » (E. T. Hall, La dimension cachée, 1971).

 

 

 


42 - Dictionnaire de l'urbanisme et de l'aménagement, PUF, article « densité ».

   
 

 

   
Annexes
 

 

   

 

A1 -Méthodologie

Au plan des méthodes de recueil des données, nous avons utilisé une approche assez complexe, combinant les entretiens semi-directifs avec la passation d'un jeu d'images et l’observation directe ou participante à la vie des deux quartiers. Au plan de l'analyse de données, nous voulons confronter les mécanismes de défense éthologiques wicklériens à sept autres mécanismes, plus classiquement psychosociologiques et mieux connus, dans une approche pluridisciplinaire des représentations et attitudes envers la ville et la nature, combinant l'éthologie et la psychanalyse, rapportés aux systèmes d'habitats des usagers des deux quartiers.

L'ensemble de ces interrogations nous parant pouvoir s'inscrire dans un cadre thématique inspiré des travaux de G. Devereux (le « complémentarisme » entre sociologie et psychanalyse) et de B. Cyrulnik, cadre à la fois éthologique el psychanalytique se référant à des mécanismes inconscients, autant qu'à des significations individuelles et collectives attribuées à la ville dans sa dimension consciente/préconsciente : l'imaginaire social urbain.

Cette dialectique Éros/Thanatos ne nous semble cependant pas la seule réponse de l'individu face à la surstimulation provoquée par les situations de densité. Plus simplement, la fuite (dont H. Laborit a fait l'éloge dans un livre du même nom) constitue une réponse classique aux situations déplaisantes, et on peut observer dans ce registre la fréquentation des espaces moins bondés, le plus souvent des espaces verts. La nature se situe, au plan de ses significations inconscientes, clairement du côté des éléments maternels. Les diverses configurations sous lesquelles apparaît la nature (réelle ou imaginée) répondent facilement aux différentes figures de la mère : Mère archaïque, bonne ou mauvaise (la mer démontée, par exemple, ou le tremblement de terre), la Mère nourricière et protectrice des origines ou la Mère initiatrice facilitant l’acquisition graduelle de l'autonomie (Winnicott). Outre l'évaluation des mécanismes de défense par L’érotisation ou par le recours à la nature réelle ou symbolique et leurs modalités de mise en œuvre, nous tentons d'en délimiter l'importance par rapport à des mécanismes psychosociologiques plus classiques et par rapport aux écosystèmes des habitants, dans une approche globale des représentations et attitudes envers la ville et la nature. À cette fin, nous mettons en concurrence théorique l'éventuelle érotisation de l'urbain avec d'autres modalités pensables de gestion réussie/échouée du vécu urbain par l'imaginaire social, qui constitueront nos contre hypothèses :

  1. le sentiment réaliste d'une maîtrise sur l'existence propre (dans le champ social, sur son inconscient, voire sur ses origines~ ;
  2. l'intégration à la vie réelle du quartier ou imaginaire à l'identité perçue du quartier ;
  3. la « naturalisation » de la ville (le fait urbain = une néonature) ;
  4. l'accès à un grand espace personnel ou familial (cf., Saint-Ouen et la désaliénation) ;
  5. la projection sur des « boucs émissaires » multinuisances tournantes écologiques ou idéologiques, phénomènes d'intolérance et d'identification ethniques) ;
  6. le profil personnel de pratique urbaine : quantité et qualité des supports réels de l'imaginaire social urbain) ;
  7. le degré de narcissisme de l'habitant (la ville n'existe que peu, quand on habite surtout son Soi...).

 

Chacun de ces mécanismes a été, par le passé, mis en évidence dans les recherches auxquelles nous avons participé, dans l'équipe de la CEP de Jacqueline Palmade et Françoise Lugassy, plus tard au service des sciences humaines du CSTB, et surtout au contact personnel de Georges Devereux.

Pour parvenir à ce type de diagnostics psychosociologiques, il nous faudra mettre en œuvre conjointement deux outils de recueil de données, l'un visuel et inspiré de notre recherche de 1985 sur l'esthétique architecturale, l'autre plus classique, issu de recherches sur la gêne attribuée au bruit, et ce en mettant à profit notre observation participante de deux quartiers très proches mais à densité urbaine opposée, celui des tours de 26 étages de la Place des Fêtes et celui, attenant, des pavillons à jardinets. Nous attendons de cette opposition entre les densités urbaines réelles la vérification ou l’infirmation des deux hypothèses principales concernant la nature et l'érotisation, mais surtout nous voulons illustrer concrètement ces attitudes envers la ville en essayant d'en décrire les supports urbains réels. Il n'est pas exclu, par exemple, que dans le quartier « campagnard » ne règnent d'autres modalités d'angoisse que celles suscitées par la surdensité ou compacité, avec en réponse d'autres défenses que celle par l’érotisation ou la nature...

Le premier outil se compose d’un jeu d’images de photographies nombreuses renvoyant à des lieux, activités, situations, événements et sollicitations diverses dans la ville et la nature et constituant une « maquette » de l'univers perceptif. Il s'utilise comme un test projectif du type TAT de Murray. La question à laquelle doit répondre cet outil serait : « de tout ce que l'on peut vivre dans l'environnement sensible, qu'est ce que les gens privilégient ? Qu'y associent-ils ? » Nous suivons ici la leçon éthologique de B. Cyrulnik, qui écrit : « la signification qu'on attribue à un autre, à un lieu peut modifier nos métabolismes et nos émotions au point d'en bouleverser les comportements qui y prennent racine ».

Le second outil est un questionnaire d'entretien semi-directif visant à recueillir des éléments concernant la vie et la personnalité des interviewés (indispensables pour évaluer les données précédentes), par l'exploration succincte du degré d'importance de douze grands champs régissant pour l'essentiel leur existence. Il nous est, en effet, toujours apparu indispensable de pouvoir situer avec précision les personnes qui expriment les opinions avec lesquelles, pour l'essentiel, nous travaillons. Ces douze champs se divisent en quatre rubriques : l'individu, la famille, la société et l'environnement. Ce sont :

 

Individu

 

a- le degré d'intégration des origines (parents, roman familial) ;

b- la bonne ou mauvaise situation psychologique et somatique ;

c- la réalisation dans le logement actuel ;

 

Famille

 

d- la bonne ou mauvaise entente et perspectives dans le couple ;

e- la satisfaction ou l'insatisfaction quant à l'évolution des enfants ;

f- l'ambiance familiale étendue (collatéraux, ascendants, belle-famille) ;

 

Société

 

g- le degré de réalisation dans le travail ;

h- le degré de réalisation dans la trajectoire sociale personnelle ;

i- l'attitude envers le changement social en général ;

 

Environnement

 

j- le degré de réalisation dans la vie de loisir, la nature ;

k- l'intégration à la vie du voisinage ou à l'image du quartier ;

l- l'intégration de l'historicité du quartier et/ou de la ville.

Ces douze éléments d'analyse fournis par des interviews psychosociologiques approfondis reprennent notre idée de 1977 du « score de bien-être potentiel », constitué du diagnostic, après entretien, sur les champs fondamentaux de la vie des personnes interviewées. Ce score « BEP »  avait  à l'époque corrélé de façon satisfaisante avec l’expression de la gêne, de l'indifférence ou du plaisir attribuês aux bruits ; un « BEP »,faible, notamment induit souvent le mécanisme de la projection sur des boucs émissaires -bruit surtout- la fuite dans des substituts de la nature ebou un narcissisme accru (repli sur soi). Actualisé sous la forme ci-dessus en douze points, il a de nouveau donné toute satisfaction en 1992 dans une étude préopérationnelle de réhabilitation à Metz.

   
   

 

A2  — Guide d'entretien et jeu d'images

GUIDE D'ENTRETIEN DENSITÉ URBAINE, novembre 1995

Entretiens à effectuer de préférence avec des couples, entendus simultanément ou successivement ; si un seul conjoint, le relancer au sujet de l'absent : Et votre mari ? / votre femme ? (ev. « ami », « compagnon », « époux », etc. Adopter le vocabulaire de la classe sociale concernée).

A  — entretien non directif

A1  — Qu'est-ce qui est important pour vous ?         (et vous, monsieur ? / madame ?)

A2  — Pouvez-vous me parler de cet endroit que vous habitez ? (faire définir l'endroit)

B -jeu d'images
(tri silencieux pendant cinq minutes ; laisser tourner le magnétophone ; bien annoncer les numéros des images sur lesquelles parlent spontanément les personnes interrogées !) Explorer souplement :

B1  — les usages réels des espaces des deux quartiers ; les trajets et parcours ; les endroits préférés ; ceux qu'ils évitent ; les endroits indifférents ;        (et vous, monsieur ? / madame ?)

B2  — l' « histoire des deux quartiers pour l'interviewe ; le « standing » urbain par rapport aux quartiers de Paris ; les usages antérieurs à la rénovation urbaine ;        (et vous, monsieur ? / madame ?)

B3  — le degré de connaissance et l'implication dans la rénovation ; le bilan de cette rénovation ;                                                                                (et vous, monsieur ? / madame ?)

PLANS :                          (et vous, monsieur ? / madame ?)
B4  — Voici un fond de plan de votre quartier. Pouvons-nous voir en détail comment vous l'utilisez ?
            (reporter sur les deux fonds de plans les réponses à B1, B2 et B3 et les items des légendes)

C  — entretien semi-directif (les formulations sont indicatives, suivie l’ordre spontané de l'interviewé).

Logement actuel        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q1  — Qu'est-ce qui vous a conduit à habiter ici ?  (explorer la part du conjoint dans le choix)
Q2  — Ou habitiez-vous auparavant ? C'était comment ?
Q3  — Pouvez-vous me décrire votre logement actuel ?
Q4  — Pensez-vous encore en changer ? Comment se réalisera ce projet ?
Q5  — Préférez-vous être locataire ou propriétaire ? Pourquoi ?
Q6  — Quelle est l'image de l'immeuble : pour les résidents ; pour les riverains.

Quartier/ville/nature/environnnement        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q7  — Etes-vous satisfait de votre quartier ? (explorer ville/campagne, jardin, nature, équipements collectifs)
Q8  — Si les questions d'argent ne comptaient pas, que choisiriez-vous dans l'idéal ?
Q9  — Explorer : alentours immédiat des immeubles ; place proche ; autres quartiers fréquentées (par qui,
            pour qui, comment, quand).
Q10  — Si ici, c'était totalement silencieux, quels sont les bruits qui vous manqueraient le plus ?
Q11  — Y a-t-il des bruits qui vous rappellent un souvenir marquant de votre vie ?
Q12  — Quels sont les avantages et inconvénients de ce quartier ?
Q13  — Il y a-t-il des choses nouvelles rendues possibles par ce quartier ?
Q14  — Il y a-t-il à l'inverse des choses devenues impossibles ?
Q15  — Utiliser l'eau sans souci fait-il partie de l'agrément de la vie quotidienne ?
Q16  — Les problèmes d'environnement, eux, prennent quelle place, pour vous ?
Q17  — (éventuellement) C'est quoi, pour vous, l'environnement ?
Q18  — Dans quel ordre d'urgence voyez-vous les problèmes d'environnement ?

Voisinage        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q19  — Vous entendez-vous entre voisins ?
Q20  — Connaissez-vous vos voisins ?
Q21  — Aimeriez-vous les connautre davantage ?
Q22  — Viennent-ils chez vous de temps en temps ?
Q23  — Des amis, de la famille viennent-ils vous voir ? est-ce souvent ?
Q24  — Participez-vous à des activités, des clubs ou des associations ? Où ?

Densité        (et vous, monsieur ? / madame ?)
D1  — Et la solitude, parvient-on à la trouver, ici ?
D2  — Aimez-vous la foule, la multitude ? Dans quelles circonstances ?
D3  — Qu'est ce qui est pire, le métro aux heures de pointe ou les embouteillages en voiture ?
D4  — Choisissez-vous certains créneaux horaires pour être tranquille à certains endroits ? Lesquels,
            et où ?
DS  — Marcher dans la rue, ça devient parfois difficile ? Où ? Quand ?
D6  — Dehors, est-ce pire d'être gêné par l'encombrement, ou par la solitude ?
D7  — Le sentiment d'insécurité est lié plutôt à la foule, ou aux espaces un peu déserts ?
D8  — Entre amis, ou gens de bonne compagnie, vous supportez d'être à combien ?
            (dans un séjour moyen 30M²)
D9  — Pendant combien de temps ?
D10  — Que pensez-vous de la densité, du nombre de gens dans ce quartier ?
            Et dans le quartier d'à côté ? [celui des tours / celui des pavillons] (barrer la mention inutile)

Famille et couple        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q25  — Ce logement correspond-il à un changement familial ? Lequel ? Prévoyez-vous des
changements au sein de votre famille ?
Q26  — Et avec vos enfants, comment ça se passe ?
Q27  — Comment s'est constitue votre couple, autour de quels centres d'intérêt ?
Q28  — Avez-vous ici la possibilité de vous retrouver vous-même, au sein de votre famille ou
isolément ?

Enfance        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q29  — Et lorsque vous étiez enfant, avec vos parents, comment ça se passait ? C'était où ?
Vous étiez combien chez vous ?
Q30  — Avez-vous un endroit, un souvenir qui vous ait particulièrement marqué ?
Q31  — Retrouvez-vous ici quelque chose de votre enfance ?
Q32  — Par rapport à ce que vos parents ont fait dans leur vie comment vous situez-vous ?

Travail        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q33  — Pouvez-vous me parler de votre travail ? (ou celui de votre conjoint)
Q34  — Comment vivez-vous vos conditions          de travail ?
Q35  — Les relations avec vos collègues ?
Q36  — Avez-vous le désir ou le projet de changer de travail ?

Loisirs        (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q37  — Comment employez-vous votre temps libre ?
Q38  — Votre vie de loisir vous satisfait-elle ?
Q39  — Et dans le quartier, la ville ?
Q40  — Connaissez-vous l'histoire de votre ville, de votre quartier
Q41  — Disposez-vous d'un logement de week-end, de famille ?

Changement social/travail         (et vous, monsieur ? / madame ?)
Q42  — Diriez-vous que depuis quelque temps la société change beaucoup ?
Q43  — Trouvez-vous cette évolution positive, ou plutôt négative ?

Q44  — Vous sentez-vous intégré, en accord, avec la société actuelle ?
Q45  — Face à la crise actuelle, être ou devenir économe apporte t-il un sentiment de sécurité personnelle ? De responsabilité civique ?
Q46  — Face à la crise actuelle, dépenser sans souci pour des petites choses, ça installe une ambiance rassurante ?
Q47  — Ces dernières années, êtes-vous en général devenu plus économe, plus dépensier, ou vivezvous comme avant ? (Explorer dans quels domaines)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Photographies des deux quartiers et planches issues du test APM de 1985 explorant la densité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Photographies des deux quartiers et planches issues du test APM de 1985 explorant la densité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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A3  — Bibliographie

Ouvrages généraux :
AUGÉ M, Domaines et châteaux, Seuil, 1989.
AUGÉ M, Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.

BONVALET (C.) ; MERLIN (P.) ; DESPLANQUES (G.) ; CHAMPION (J.-B.) ; GARE (T.), Transformation de la famille et habitat : Actes du Colloque présidé par Pierre Merlin. Paris, 20-21octobre 1989. Paris : Presses Universitaires de France ; Travaux et Documents, n°120 ; 1988 ; 371 p. ill.

CAUQUELIN, A., Essai de philosophie urbaine, PUF 1982.
CAUQUELIN, A., La ville la nuit.

DECOUFLE, C., « Une anthropologie culturelle de l'aménagement de l'espace », in Cahiers Internationaux de Sociologie, janv. 1972.

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HAUTMONT, N., SEGAUD, M., (dir) Familles, mode de vie et habitat, L'Harmattan, 1989.

GOFFMAN, I., La mise en scène de la vie quotidienne, 2 vol, Minuit, 1971.

GOUBERT, J.-P, Du luxe au confort, Belin, 1988.

L'idée de la ville, actes du colloque international de Lyon, Champ Vallon, 1984.

KOPP, A., Quand le moderne n'était pas un style mais une cause, ENSBA, 1988.

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LEDRUT, R., L'espace social de la ville, Anthropos, 1968.

LEFEBVRE, H., La pensée marxiste et la ville, Casterman, 1972

LUGASSY, F., Le discours idéologique des architectes et des urbanistes, S.E.U, 1972.

MITSCHERLICH, A., Psychanalyse et urbanisme, réponse aux planificateurs, Gallimard, 1970.

PALMADE, J., 1977, Système symbolique et idéologique de l'habiter, CSTB - CEP.
PALMADE, J., LUGASSY, F., COUCHARD, F., 1970, La dialectique du logement et de son environnement, MEL.

ANSAY, P., SCHOONBRODT, R., (dir.) Penser la ville, choix de textes philosophiques, AAM, 1989.

PERIANEZ, Manuel, 1975, Les significations de la gêne attribuée aux bruits dans le logement, (avec FI. Desbons), C.E.P.
PERIANEZ, Manuel, 1977, La sensibilité spécifique aux bruits dans les pavillons en bande, CSTB.
PERlANEZ, Manuel, 1978,Dimensions cliniques de l'autre habitat, in : L'Autre Habitat, étude sur le phénomène des résidences secondaires, (dir. G. Barbichon), CSTB.
PERIANEZ, Manuel, 1985, Le jeu-test APM : Architecture, Psychanalyse, Morphologie, CSTB (avec I. Marghieri, P. Sechet).
PERIANEZ, Manuel, 1986, Prévention de l'insécurité dans les grands ensembles : les pratiques américaines, canadiennes et hollandaises, (dir : M. Conan), CSTB.
PERIANEZ, Manuel, 1990, Vauréal, participation et post conception, Plan Construction et Architecture, collection Expérimentations, 63p.
PERIANEZ, Manuel, 1993, L'habitat évolutif, du mythe aux réalités, Plan Construction et Architecture, collection Recherches n°44, 144p.
PERIANEZ, Manuel, 1995, Étude sur la validité des sondages d'opinion dans le domaine de l'esthétique architecturale, PCA, février.

PESSIN, A., SKOFF TORGUE, H., Villes Imaginaires, Le Champ Urbain, 1980.

PETONNET, C., Espaces habités, ethnologie des banlieues, Galilée, 1982.

SANSOT, P., Poétique de la ville, Klincksieck, 1971.
SANSOT, P., Variations paysagères, Klincksieck, 1983.
SANSOT, P., Les gens de peu, 1992.

 

Travaux sur la relation architecture-nature

ACCES (L’) A LA NATURE. - PENN AR BED. (FRA). ; N° 132, 4e TRIM. 1989. - PP. 189-198 ; TEXTE ; DDE22

ARCHITECTURE AS ANOTHER NATURE AND RECENT PROJECTS. - ARCHITECTURAL DESIGN. (GBR). ; VOL. 61, N° 3-4, 1991. - PP. 14-37 ; TEXTE ; CDU

ARCHITECTURE ET SOCIAL-DEMOCRATIE. NATURE ET CULTURE DANS LES CITES JARDINS. PARIS, BRA, 1990.-106 P

ARCHITECTURE FOR ALL SENSES, CONSTRUCTION CELEBRATION. - ARCHITECTURAL R. (GBR). ; VOL. CLXXXIX, N° 1136, OCT. 1991. - PP. 27-34 ; TEXTE ; CDU

ARCHITECTURES ET NATURE ; 18 EXEMPLES INTERNATIONAUX ; TRAD. DE L'ANGLAIS PAR NICOLE VALLEE. - PARIS, EDITIONS DU MONITEUR, 1980. - 183 P. PHOTOGR. NOIR ET BLANC, PHOTOGR. EN COUL, INDEX ; (COLL. « ARCHITECTURE ET DECORATION ») ; CDU 11923 TEXTE ; CD

ARQUITECTURA / NATURA : HISTORIA D'UNES RELACIONS. / ARCHITECTURE ET NATURE : HISTOIRE D'UNE RELATION. - DOCUMENTS D'ANALISI GEOGRAFICA. (CAT). ; N° 11, 1987, PP. 35-59, FIG, PHOT, ILL, BIBLIOGR. ; TEXTE ; IAURIF

ASPECTS DES DOMAINES D'ARCHITECTURE APRES 1940. LES INGENIEURS DANS LA RECONSTRUCTION : IMAGES ET STRATEGIES. - C. DE L'INSTITUT D'HISTOIRE DU TEMPS PRESENT. (FRA). ; NO 5, JUIN 1987. -PP. 51-82 ; (IMAGES, DISCOURS ET ENJEUX DE LA RECONSTRUCTION DES VILLES FRANCAISES APRES 1945) ; CDU 19925 ; EPC NY2744 TEXTE ; PLAN-URBAIN

BACK TO EARTH. NORWEGIAN INTEGRATION. NATURE TRAIL. - ARCHITECTURAL R. (CBR). ; VOL. CLXXXVIII, N° 1123, SEPT. 1990. - PP. 80-89 ; (GREEN ARCHITECTURE) ; TEXTE ; CDU

BOIS (LE) DANS LA CONSTRUCTION. - PARIS, EDITIONS DU MONITEUR, 1990. - 382 P, PLANS, PHOT, ILL, ANN. ; MV 6569 TEXTE ; EPAMARNE

COMPREHENSION (LA) DE LA NATURE DANS L'ARCHITECTURE PAYSAGERE. « LE PARADIS ET LA GEOMETRIE ». -ANTHOS. (CHE). ; NO 3/89. - PP. 12-17 ET 34-39 ; TEXTE ; CDU

CONTROLES ORGANIQUES DE LA LIAISON NATURE/ARCHITECTURE. - ARCHITETTURA. (ITA). ; N° 405-406, AOUT 1989. - PP. 508-519 ; TEXTE ; CDU

EAST GOES WEST ; SYNTHESIS : TOWARDS A TRADITION-BASED ARCHITECTURE ; A FUSION OF NATURE AND CULTURE IN DESIGN ; THE NEW TRADITIONALISTS. - MIMAR. ARCHITECTURE IN DEVELOPMENT. (SCP). ; N° 40, SEPT. 1991. - PP. 30-45, FIG, PHOT. COUL. ; CA RB64 (91:40) TEXTE ; ACA

EAU (L') AU COEUR DE LA CITE. PROJET D'AMENAGEMENT DE LA DARSE DE MILAN ET DE SON CONTEXTE URBAIN. - RECUPERARE. EDILIZIA DESIGN IMPIANTI. (ITA). ; N° 21, JANV. FEV. 1986. - PP. 22-37 ; (PROJETS ET INTERVENTIONS) ; TEXTE ; CDU

GYN/ECOLOGY : ON THE RELATIONSHIP BETWEEN WOMAN, NATURE AND SPACE. - EKISTICS. (GRC). ; VOL. 52, N° 313, JUILL. -AOUT 1985. - PP. 343-351, FIG, BIBLIOGR. ; CA R139 (313) TEXTE ; ACA

JARDINS SECRETS DE PARIS. - PARIS, ED. DU MONITEUR, 1980. - 183 P, PHOTOGR, BIBLIOGR. (COLE. ARCHETYPES/ARCHITECTURE) ; DRE 3609 ; IA 14202 ; CDU 11918 TEXTE ; DREIF

MODERN REGIONALISMS : ARCHITECTURE IN TESSIN CANTON, SWITZERLAND. THEODOR FISCHER, MASTER OF THE SOUTH-GERMAN REGIONALISM. - MAGYAR EPITOMUVESZET. (HUN). ; VOL. LXXX, NO 6, 1989. - PP. 40-58 ; (REVUE CONSULTABLE AU CENTRE DE RECH. SUR L'HABITAT-ECOLE D'ARCHITECTURE DE PARIS-LA DEFENSE) ; TEXTE ; ENPC

MORT (LA) EN VILLE ET LE TERRITOIRE DES DEFUNTS : SESSION DE PERFECTIONNEMENT, 27-29 NOV. 1985. - METZ, INSTITUT EUROPEEN D'ECOLOGIE, 1985. - DOSSIER ; CDU 16877 TEXTE ; CDU

MYTHOS (DER) VOM VERLOREN PARADIES. ZUM VERHAELTNIS VON ARCHITEKTUR UND LANDSCHAFT. / MYTHE (LE) DU PARADIS PERDU : LA RELATION ENTRE ARCHITECTURE ET PAYSAGE. - ARCHITEKTUR WETTBEWERBE. (DEU). ; NO 107, SEPT. 1981. - PP. 4-8 ; (THEME DE CE NUMERO : BAUEN IN DER LANDSCHAFT ». RESUME ANGE.) ; TEXTE ; CDU

PARADOXE (LE) DU « JARDIN NATUREL ». LA NATURE DANS LE PROCESSUS DE GESTION DE L'ENVIRONNEMENT. - ANTHOS. (CHE). ; NO 3/89. - PP. 24-33 ; TEXTE ; CDU

PETER EISENMAN. - ARCHITECTURE D'AUJOURD'HUIL (FRA). ; NO 279, FEV 1992. - PP. 98-115, PLANS, PHOT. EN NOIR ET EN COUL, ILL. ; IA P. 78 TEXTE ; IAURIF

QUALITE (LA) DE LA VILLE. URBANITE FRANCAISE, URBANITE NIPPONNE. - TOKYO, MAISON FRANCO-JAPONAISE, 1987. - XII-327P, PHOTOGR, PLANS, BIBLIOGR. ; IA 25779 ; CDU 25418 TEXTE ; IAURIF

SOLEIL, NATURE, ARCHITECTURE. - ROQUEVAIRE, EDITIONS PARENTHESES, 1979. 246 P, FIG, BIBLIOGR. ; IA 13741 ; CDU 12158 ; CTA 5853 TEXTE ; IAURIF

VILLE ET NATURE. - TECHNIQUES ET ARCHITECTURE. (FRA). ; N° 319, AVR. -MAI, 1978. -PP. 25-111, FIG, PHOT, TABL, GRAPH. ; TEXTE ; IAURIF

 

Travaux sur Belleville :

« La galerie sonore à la MJC des Hauts de Belleville », in Animation et expression culturelles des migrants et enfants de migrants ;. Migrants Formation Paris ; 1982 ; n° 50 ; pp. 129-130

« Sociabilité et associations à la Place des Fêtes », CNRS, Cahiers de l'observation du changement social, vol VI, l982

AMC, n°43 -1978

Annuaire de Belleville - 1854.

BALLION, R., KITCHELL, S., Vivre à la place des Fêtes, production et usage d'un espace public, ronéoté, 251 p, 1978.

Bulletin de la Société d'Études Historiques Géographiques Scientifiques de la Région Parisienne, oct.-déc. 1954 -mai-juin 1955.

CEAUX, J. ; MAZET, P. ; NGO-HONG, T. ; « [mages et réalités d'un quartier populaire : le cas de Belleville » ; Espaces et Sociétés, Paris ; 1979 ; n° 30-31 ; pp. 71-107

CLAUDE (M.) - Mémoire de CLAUDE M. -1881 -

DALLY (Philippe) - Belleville, histoire d'une localité, Paris pendant la Révolution -1912.

DAUZAT et BOURDON - « Paris et ses environs »

De FOVIILLE (A.) - Enquête sur les conditions d'habitation en France -1894.

DRIVAUD (M. H.), PERETZ-JULLIARD (C.) : « Les usages et leurs représentations sur un marché plurilingue à Paris Belleville », Langage et Société ; 1984 ; n° 30 ; pp. 29-59, 2 tabl.

GATTI I. L., « 1 frati minori conventuali (Cordeliers) nel quartiere di Belleville a Parigi (1874-1880) »
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JACOMIN, E., histoire de Belleville, Veyrin, 1980
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PERIANEZ, Manuel, 1994, Un architecte, deux places de Paris, cent effets sociaux, mille représentations..
PERIANEZ, Manuel, 1995, « Architectures achevées, imaginaires en chantier », in : Espaces de vie, espaces d'architecture, (dir. Marion Segaud), PCA, avril.

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A4 - Caractéristiques des interviewés

Échantillon des entretiens Place des Fêtes/Quartier Danube

Légende du tableau:


Symbole

Explication du symbole

ID

Identité et localisation : Tr = Tours Place des Fêtes ; lxv = Quartier de pavillons

BEP

Score en trois chiffres (Positif, Moyen et Négatif) du Bien-Etre Potentiel
sur dix points, cf. « méthodes », page II de ces Annexes

S

Sexe de la personne interviewée (F= féminin ; M= masculin)

A

Âge de la personne interviewée

Ét. civ.

Situation de famille de la personne interviewée : marié(e), concubinage,
divorcé(e), veuf(ve), célibataire.

Enf/A

Nombre d'enfants au foyer et âge des enfants (simplifié ; enfants grands ou petits)

T.O.

Taux d'occupation du logt. exprimé en nombre de personnes / nombre de pièces

R.S.

disposition permanente d'une résidence secondaire

CSP

Catégorie socioprofresionnelle (explicite, non codée selon les cat. Insee)

Quartier

Localisation du logement : (anc. = immeuble ancien ; PdF = voisinage de la Place ; pvp = pavillon proche PdF ; pvI = pav éloigné)

 

 

         
   

ID

BEP

S

A

Ét. Civ

Enf/A

T.O.

R.S.

CSP

Quartier

Tr1

6-3-1

F

44

mariée

2 grds

4h/5p

oui

empl. banque

PdF -ILN

Tr2

5-2-2

M

45

marié

2 grds

3h/5p

poss

vétérinaire

PdF -ILN

Tr3

6-3-2

F

41

mariée

1 grd

3h/Sp

oui

femme au foy

PdF -ILN

Tr4

3-6-1

M

58

marié

1 petit

3h/4p

oui

Art. graph

PdF -ILN

Tr5

7-2-3

M

53

marié

1 grd

3h/3p

non

journaliste

Anc

Tr6

5-3-2

F

54

séparée

NON

1 h/3p

poss

Employée

PdF - HLM

Tr7

3-4-3

M

36

concub.

NON

2h/1p

non

Chm. (ouvr)

PdF - HLM

Tr8

4-4-2

F

29

divorc

2 petits

3h/3p

non

Employée

PdF - HLM

Tr9

5-2-2

F

45

mariée

2 petits

4h/4p

oui

Commerç.

PdF -ILN

Tr10

4-3-2

M

32

célib

NON

1 h/3p

poss

cadre moy.

PdF - HLM

Tr11

3-4-3

M

70

veuf

NON

1 h/3p

poss

retraité

PdF -ILN

Tr12

7-3-0

F

55

mariée

2 grds

3h/4p

oui

avocat

PdF -IN

Tr13

6-2-2

M

52

séparé

2 grds

1 h/4p

oui

cadre fin.

PdF -ILN

Tr14

5-2-3

F

54

veuve

1 grde

2h/5p

oui

fonct.

PdF -ILN

Pv1

5-3-2

F

33

concub.

1 petit

3h/5p

poss

Comédiens

pvp

Pv2

6-2-2

M

64

marié

4 grds

2h/4p

oui

architecte

pvp

Pv3

3-5-2

M

32

concub

NON

2h/5p

Poss

Cadre moy

pvp

Pv4

4-4-2

F

74

veuve

2 grds

2h/4p

non

Retr. (empl).

pvl

Pv5

4-5-1

F

66

mariée

NON

2h/4p

non

Retr (ouvr

pvI

Pv6

5-4-1

F

47

divorc

2 grds

3h/5p

oui

Prof. lycée

pvp

Pv7

7-3-2

M

46

concub

2 petit

4h/5p

poss

Cadre techn

vvI

Pv8

6-3-2

M

60

séparé

2 grds

var/5p

oui

médecin

pvp

Pv9

8-1-1

M

42

concub

1 petit

3h/5p

oui

architecte

nouveau

Pv10

5-3-2

F

50

mariée

3 grds

5h/6p

non

Santé

pvp

Pv11

7-3-2

F

36

mariée

1 petit

3h/4p

oui

Cadre moy.

pvI

Pv12

4-5-1

F

57

veuve

2 grds

1 h/5p

non

Santé

pvl

 

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