Manuel Periáñez___________________________________manuelperianez1940@gmail.com |
||
|
||
Au sujet des aréoles... |
||
Notes pour une émission de radio de Marie Lisel |
|
|
(Email reçu le 5 mai 2014 : Bonsoir, Je viens de
lire votre article "un sein ou deux", sur le web. Je vois qu'il date de
1986. Auriez-vous développé un autre travail à ce sujet? Je ne suis pas analyste, juste femme de radio préparant une chronique autour de l'aréole :) et je cherche donc un extrait de texte psychanalytique autour de l'aréole... Bien à vous, Marie Lisel PS: l'enregistrement est prévu vendredi) |
|
|
Il me semble que la question des
aréoles présente trois aspects différents, selon :
Décrivant le « museau fouisseur
du nouveau-né », René Spitz avait fait état des mouvements de quête du téton
par le nourrisson, qui progressait de la périphérie du sein vers cette cible
vitale pour sa survie. Les aréoles auraient donc une fonction de guidage,
autant visuel qu’olfactif. Une autre fonction, purement
fonctionnelle, est celle d’un renfort de la peau du sein autour de téton.
L’allaitement, en effet, ne commence à fonctionner que quand le nouveau-né ne
prend pas seulement le téton dans sa bouche, mais aussi une bonne part de
l’aréole qui l’entoure, ce qui lui permet de faire jaillir le lait du téton.
Cette zone du sein étant donc particulièrement éprouvée par l’allaitement,
l’aréole vient en quelque sorte la renforcer, comme le ferait une rustine. Il faut mentionner également, sur
le plan des hypothèses éthologiques, celle de l’individuation totale que
permet l’ensemble seins plus aréoles : comme les rayures pour le zèbre,
absolument uniques pour chaque animal, le nourrisson apprendrait dès les
premiers jours à quel sein il doit se vouer, impossible de vraiment se tromper
de mère… Concernant la psychanalyse, nous
ne pouvons que suivre Winnicott quand il donne une importance primordiale, lors
de la première phase de la vie néonatale, au rôle de miroir des yeux de la
mère. Le bébé au sein de sa mère, dont il voit bien la similitude entre les
aréoles et les yeux, lève pendant la tétée ses yeux vers les siens. Il reçoit
du sein la nourriture qu’il sait vitale au plan physique, et du regard de sa
mère la nourriture affective, tout aussi vitale pour le démarrage de sa vie
psychique. Le tableau de Magritte intitulé « le viol » (titre qui n’a rien à
voir, pour cause de surréalisme), un portrait de femme dont les yeux sont
remplacés par des tétines, illustre à mon sens parfaitement cette idée. Je formulerai une hypothèse plus
personnelle après un coup d’œil rapide aux aréoles dans la sexualité. Sur le plan du plaisir sexuel, le
rôle joué par les aréoles semble bien confus. En 1951, quand Ford et Beach
décrivent le comportement sexuel dans 191 sociocultures suffisamment bien
décrites par les ethnologues (d’où il ressort que seulement 12 cultures
accordent aux seins le rôle de déclencheur de la sexualité – dont surtout la
nôtre !), ils ne mentionnent cependant à aucun moment un rôle des aréoles dans
la sexualité. Or, celui-ci existe bel et bien,
du moins dans notre culture occidentale. Il me semble que l’aréole fait,
davantage que le sein lui-même, l’objet d’un tabou. Le décolleté s’arrête
impérativement au bord de l’aréole. Le montré/caché des seins dans le
décolleté, qui est non seulement admis, mais même fortement conseillé dans les
tenues de soirée mondaines, peut être considéré comme une « preuve » de la
domestication des pulsions du ça par une opération de sublimation, au sens de
Freud (il en va de même dans la danse de salon, le tango, notamment). Il s’agit
de rendre civilisée la sexualité, animale quant au fond. Mais comment faire,
pour civiliser l’aréole ? Il n’y a guère que les naturistes, gens très
surmoïques, pour s’y risquer… Acceptant tout de la nature, ceux-ci ont la
chance d’échapper aux jugements esthé-tiques, parfois cruels. Si les seins de la femme sont
souvent arborés triomphalement, l’aréole peut en effet venir tout gâcher. Leur
extrême versatilité, encore plus anarchiste que celle des seins eux-mêmes par sa
polysémie de taille, forme et couleur, semble souvent poser problème à leur
détentrice. Peut-être pourrait-on ici
risquer, pour finir, une hypothèse vraiment psychanalytique, celle qui concerne
le fantasme d’auto engendrement. C’est surtout à l’adolescence que les humains,
hommes et femmes, reprochent inconsciemment à leurs géniteurs de leur avoir
donné la vie : la fameuse crise de l’adolescence. Le corps, surtout lors
de la puberté des jeunes filles, fait facilement l’objet de récriminations et
de révoltes inconscientes : l’idéal aurait été d’être son propre architecte,
d’avoir pu décider soi-même de sa forme corporelle. Revendication de pouvoir, donc.
Mais voilà qu’arrivent les seins ! Qui souvent ne vont pas du tout avec le
reste du corps, qui semblent eux réellement avoir pris le pouvoir, celui de
décider de leur architecture en toute liberté ! Et, de surcroît, révolte dans
la révolte, les aréoles à leur tour semblent faire ce qu’elles veulent, ne
s’accordent pas avec la forme, le style des seins… Au total, une histoire assez
compliquée. Comme si l’avènement des seins et de leurs fichues ou sublimes
aréoles venaient préfigurer, dès l’adolescence, la loterie de la procréation à
venir : si parmi les Mammifères seules les femmes ont des seins, c’est
peut-être aussi parce que nous ne sommes pas des animaux, que nous n’avons pas
d’instincts programmés comme un logiciel, mais des pulsions nous laissant une
grande liberté, et que les seins constituent le prototype annonciateur des
enfants futurs, à materner et à élever. Immense sagesse du corps, à la
Groddeck, après des millions d’années d’hominisation… |
||