Manuel Periáñez___________________________________manuelperianez1940@gmail.com |
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Durabilité du service d'eau potable : quelle est la demande à gérer ? ARIISE, juin 2006, 61p. (Résumé). |
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Synthèse : l’évolution à Paris depuis 1995 |
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La
baisse de consommation d’eau potable à Paris se poursuit depuis le
début des années 1990, et si cela est en partie dû à la lutte contre
les fuites en réseau, à la modernisation des installations des grands
comptes, et à la réduction du nombre de bureaux, une partie de la
baisse reste quand même inexpliquée, et les acteurs du service public
sont conduits à se demander si l’on n’assiste pas à un changement
d’attitude chez les consommateurs ordinaires. Mais la baisse constatée
ne corrèle pas bien avec l’augmentation des prix. Il est apparu
nécessaire de conduire des analyses plus en profondeur pour savoir ce
que les particuliers font avec l’eau du robinet, en allant les
interviewer. Cette recherche tente de situer selon quelles modalités
psychosociologiques, quelles attitudes culturelles, représentations
mentales et comportements réels des consommateurs résidentiels se
poursuit cette baisse. Il y a dix ans, une première recherche avait
permis de dégager une typologie simple : |
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Cette
typologie était issue de l’analyse de contenu de 73 entretiens
approfondis (1). En effet, nous utilisons de longue date une méthode
qualitative d’origine psychanalytique afin de déceler des tendances
émergentes, non seulement au plan des conduites mais également (et
surtout) au plan des représentations, conscientes et inconscientes. Pour cette recherche, dix ans plus tard en 2005, sur l’évolution des attitudes des consommateurs d’eau potable à Paris, il s’agissait de mieux connaître les façons dont, dans certain cas, ce genre d’attitudes peuvent se retourner : basculer de l’insouciance à l’économie, de la méfiance à la confiance ou inversement. Cette recherche psychosociologique s’est déroulée en deux phases :
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1 - Cf. Manuel Periáñez, 1996, Attitudes et comportements des consommateurs d'eau, FAR et Lyonnaise des Eaux, octobre, |
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La phase quantitative
visait surtout un repérage pour situer rapidement les répondants sur la
typologie des attitudes envers l’eau du robinet dégagée en 1995. Cette
phase à dominante sociologique et urbanistique a été menée auprès de
personnes vivant toutes dans des immeubles équipés en compteurs
divisionnaires (au moins pour l’eau chaude). Elle a permis de
recontacter un nombre appréciable des participants de 1995, et en outre
de choisir les futurs interviewés de la phase « clinique ».
Ce groupe a été choisi en tenant compte de la baisse ou la hausse des
consommations d'eau (estimée subjectivement par les habitants, parfois
objectivée par les factures quand elles étaient disponibles), les
disparités de revenus des habitants, et trois sites dans Paris : |
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Il
a, en outre, été possible de revoir dans leur nouveaux logements 6
anciens interviewés de 1995 ayant quitté le quartier, et d’ainsi
obtenir des indications sur certains changements d’attitude envers
l’eau et le lien éventuel de ces changements avec leur changement de
lieu, davantage qu’avec des changements au sein de la famille, par
exemple (leurs anciens voisins, restés en contact avec eux, ayant bien
voulu nous donner leur téléphone). |
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Résultats quantitatifs |
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L’entretien
téléphonique rapide a été accepté par 130 personnes, dont les variables
sociologiques se sont avérées dans la moyenne, et dont 118 protocoles
étaient exploitables. Cet entretien d’environ dix minutes abordait 4
thèmes : |
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Concernant
les deux premiers thèmes, les 118 personnes ayant répondu à l’enquête
téléphonique dans ces trois quartiers de Paris estiment que, sur une
liste de dix problèmes majeurs actuels, le chômage est le problème le
plus important, suivi par l’insécurité et la montée de la pauvreté. En
quatrième rang seulement on voit apparaître les problèmes
d’environnement. Quand on détaille ceux-ci à l’aide d’une seconde liste
de dix problèmes, ce sont d’abord la pollution de l’air, le bruit dans
la rue et dans l’immeuble qui devancent la qualité de l’eau potable.
Ces résultats ne concordent pas avec ceux du sondage visant un
instantané de l’opinion publique en matière de protection de l’eau et
de l’environnement, que Lyonnaise des Eaux a demandé en novembre 2005 à
l’Institut CSA. L’enquête «La problématique de l’assainissement » donnait « la
pollution de l’eau au premier rang des préoccupations environnementales
des Français : 89% des Français se déclarent préoccupés par la
pollution de l’eau, soit 15 points de plus que le niveau moyen de
préoccupation sur l’ensemble des thématiques environnementales. » |
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Cette
contradiction montre une nouvelle fois, croyons-nous, la fragilité des
approches quantitatives : selon la liste des problèmes proposés au
public, la séquence et la façon de les lui proposer, la finalité perçue
de l’enquête, la relation à l’enquêtrice, sa voix au téléphone, etc.
les résultats ne seront pas comparables… L’IQV de ces 118 interviewés reste comparable à celui de 1995, et sans incidence notable sur les usages de l’eau. L’IQV est un peu plus fort chez les « nouveaux interviewés » dans le quartier du Quai de la Seine. Concernant les usages de l’eau domestique, deux faits semblent saillants lors de l’enquête rapide au téléphone : |
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Les résultats qualitatifs |
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Par
rapport à l’enquête de 1995, le groupe des « méfiants » ne
diminue pas en nombre en 2005, mais l’on se méfie maintenant davantage,
dans la vie quotidienne, de phénomènes sociaux qui paraissent plus
inquiétants que les éventuels problèmes liés à l’eau (les bandes de
jeunes, l’évolution de l’emploi, le réchauffement climatique, la
qualité de l’air) ; |
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Chez
les « confiants » et « insouciants » on devient
souvent plus économe, leurs enfants sont partis, il y a davantage de
personnes seules, etc. : diminution du poste eau, du moins dans la
résidence principale ; mais probable augmentation dans la
résidence secondaire, maintenant plus souvent fréquentée avec les
enfants et petits-enfants : arrosages de la pelouse et plantes,
etc. Cela n’est cependant pas contradictoire avec le fait que nous
voyons davantage d’« eau-plaisir » : la pauvreté
augmente, donc « gaspiller » de l’eau bon marché est le seul
luxe des « pauvres », et nombre d’« économes »
passent à l’insouciance. |
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À
noter qu’il s’agit là davantage d’un sentiment dépressif
d’appauvrissement que d’une réalité socioéconomique, comme le tend à
prouver l’absence de corrélation avec l’IQV. Ce qui est recherché, en
compensation, est un sentiment d’abondance à bon compte en gaspillant
de l’eau… Le lien avec Internet est parfois fait, abondance et
immédiateté. |
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Un
cas proprement pathologique nous a été rapporté (facture d’eau de 1700
euros !), où une très vieille dame atteinte de « syndrome de
Diogène », vivant recluse et refusant d’ouvrir à quiconque depuis
dix ans, a été finalement internée. Elle laissait couler l’eau des
robinets jour et nuit, sans doute pour chasser la solitude ? Un
cas assez semblable, heureusement moins grave, était apparu en 1995
également : la personne tirait sans cesse sa chasse d’eau, dont le
bruit la rassurait contre la solitude. |
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De
façon assez générale, on trouve en 2006 davantage présente la dimension
du rêve opposée au principe de réalité : nous y voyons volontiers
à l’œuvre un besoin d’évasion accru par rapport aux nouvelles
contraintes de la société actuelle, qui ici trouve à s’exprimer par une
évolution, minoritaire mais réelle, et peut-être importante à l’avenir,
de l’« eau nécessité » vers « l’eau plaisir ». |
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L’eau
en bouteille participe de l’eau-plaisir : sur un mode plus
élaboré, on va la chercher, on la porte (parfois sans caddie), il faut
la mériter, la préparer comme une boisson conviviale. La raison
essentielle reste le goût de l’eau du robinet qui nous a été décrit, en
2006, comme un « goût médicinal » : les traces de
chlore, de calcaire, sont objectivement vécues comme témoignant du
souci de l’État envers la santé publique, mais ce goût et ce souci
renvoient subjectivement au domaine du raisonnable, contre lequel le
principe de plaisir tend à se révolter... |
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Conclusions |
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De
façon générale, par rapport à la situation en 1995, nous assistons à
une prise de conscience plus claire des problèmes de l’eau, sans doute
comme conséquence de leur médiatisation de ces dix dernières années et
de la montée de l’écologisme. Il s’avère cependant faux de croire,
comme nous l’avons fait un moment, qu’il existerait un lien fort entre
l’implantation urbaine des immeubles, l’accès à la nature (résidences
secondaires, etc.) et les représentations ou l’imaginaire vis à vis de
l’eau ; ni que les comportements économes ou insouciants quant au
gaspillage de l’eau s’organiseraient en fonction d’une idéologie
écologiste ou consumériste. |
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L’engagement
des usagers dans certaines actions environnementales (tri des déchets,
militantisme) n’a pas d’effet direct sur les tendances émergentes que
nous avons pu constater vis à vis de l’eau. Au niveau des discours les plus manifestes, nous semblent en progrès : |
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Nous semblent stables, ou en légère perte de vitesse, par rapport à 1995 : |
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Concernant l’eau qu’ils boivent, les interviewés nous semblent : |
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Mais
si nous quittons ce niveau manifeste pour un niveau davantage
interprétatif, ce qui apparaît plus nouveau, ou du moins plus nettement
évident, serait le fait que le niveau d’information des gens, à travers
tous les media, ne les empêche nullement de se forger leurs propres
représentations (évitons le terme d’opinions…), à partir desquelles ils
se construisent les imaginaires à l’aune desquels ils analyseront et
critiqueront l’ensemble de la problématique de l’eau. |
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Ces
imaginaires de l’eau produisent des effets très différents, selon
qu’ils font référence à l’eau naturelle ou à l’eau domestique, selon,
donc, qu’ils se situent essentiellement dans la rêverie ou dans les
conduites réelles. Mais l’eau domestique échappe cependant à sa
dimension utilitaire lors des moments où prime le plaisir, notamment
dans la salle de bains. |
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Si
l’eau naturelle est liée à des valeurs plus variées qui font appel à
l’affectif, et plus largement au symbolisme de l’eau, elle n’échappe
pas à son tour à des moments de réalité... L’eau naturelle suscite un
imaginaire mystique, ambivalent, devenant à la limite une question de
vie et de mort. La nature, l’eau finiront par devenir mauvaises si
l’homme continue à les maltraiter. |
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Quand
l’eau naturelle est moins sacralisée, elle revêt un signifiant
d’horizontalité, l’horizontalité des plans d’eau calmes, formidable
symbole de stabilité est un élément valorisé de la vie des loisirs,
dans laquelle la nature joue un rôle de premier plan comme rappel du
soutien maternel de jadis, ainsi que le rappel acoustique de la
proximité de l’eau. |
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Selon
le degré de fréquentation de l’habitat-nature que constitue le repli
sur la résidence secondaire on peut assister à des changements des
rapports à l'eau, qu’il s’agit non plus seulement d’admirer, mais aussi
de boire : boire le paysage, incorporer la bonne mère ? C’est
en fonction de la présence de l’eau dans le paysage quotidien (comme au
quai de la Seine) que les dosages personnels de ces différentes
dimensions vont avoir une portée plus ou moins grande dans les
perceptions des sujets. |
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L'eau
livrée à domicile dans des tuyaux semble s’éloigner des signifiants
d’horizontalité, elle serait davantage proche de l’eau de pluie qui
tombe, dans un registre de verticalité plus phallique ; dans ce
registre technique-phallique, elle est d’abord une force mystérieuse
parce qu’invisible tant qu’elle n’est pas sortie du robinet, avant de
prendre docilement la forme du récipient dans lequel l’usager aura tout
pouvoir de la couler. Donner de la forme à l’informe, comme l’eau le
permet, nous semble une des dimensions les plus inconscientes des
plaisirs de maîtrise et de créativité quotidiennes que permet l’eau. |
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L’eau
du robinet, à boire ou pour l'usage courant, n’existe donc pas, pour
l’imaginaire, tant qu’elle est encore dans les tuyaux ; elle
appartient encore, dans ce état invisible, à d’obscurs technocrates que
seul connaît le syndic d’immeuble. Cette eau qui devient docilement ce
qu’en fait l’usager, c’est « l’eau-plaisir », aux multiples
aspects, et dont l’importance pourrait expliquer, à l’autre bout du
cycle de la vie quotidienne, que personne n’évoque l’évacuation des
eaux domestiques usées, ni le détail de leur traitement, ou de la
gestion. |
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Quelle
eau boire ? : l’eau du robinet, l’eau en bouteille? Si
pour beaucoup de personnes boire l'eau en bouteille est d’abord une
question de goût de l’eau, chez d’autres son prix et la charge de
devoir porter les bouteilles jouent en faveur de l’eau du robinet. Fait
nouveau, chez certains ce portage est au contraire une raison pour
préférer l’eau en bouteille (cf. § 4.5.1). Offrir à des invités de
l’eau du robinet est presque unanimement considéré comme
anti-convivial. |
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Les
attitudes des interviewés sur ce thème, qui les motive manifestement le
plus, sont multiples, et toutes les combinaisons d’attitudes semblent
présentes. Ni le statut professionnel, le revenu, l'âge, le niveau
d'enseignement ou quelque autre variable sociologique ne semble avoir
d’incidence pour ce qui concerne ces choix entre l'eau en bouteille et
l'eau du robinet. Ce ne sont pas les plus riches qui boivent davantage
d'eau en bouteille, ni les plus pauvres... Peut-être une exception :
les femmes semblent boire plus d'eau en bouteille que les hommes. |
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La
qualité de l’eau est souvent vue comme s’étant beaucoup dégradée dans
le monde, et également dans quelques endroits en France, mais pas chez
les interviewés personnellement. Ce sont les plus jeunes interviewés
qui se montrent le plus sensibilisés aux enjeux planétaires de l'eau,
le problème qui leur paraît aujourd'hui le plus grave. Pour économiser
l’eau, certains suggèrent spontanément l’installation domestique d’un
double réseau |
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L’idée
nostalgique que « c’était mieux avant » constitue une
attitude très subjective dans laquelle on expulse le mauvais,
projectivement, sur l’autre : tout irait bien si ce monde était
« presque-moi », comme avant (quand j’étais un nourrisson,
l’environnement c’était maman…) Inévitablement, certains recherchent des coupables auxquels attribuer « la faute » des malheurs de la qualité de l’eau, et ils n’ont que l’embarras du choix ; les plus citoyens sont conscients que c’est notre mode vie actuel le principal responsable. |
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En
dehors de ces lamentations, cependant, les problèmes liés à la
pollution de l’eau n’inquiètent pas outre mesure la plupart des
interviewés car ce n’est pas un problème général et les solutions leur
paraissent techniquement simples. L’aspect économique et gestionnaire
de ces problèmes n’est que rarement évoqué, les interviewés témoignent
d’une assez grande confiance dans la gestion, la réglementation, et
dans la dissuasion du gaspillage et de la pollution par des mesures
juridiques et administratives allant des amendes jusqu’à du pénal. |
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Certains
expriment en outre l’idée, dans la mouvance du « développement
durable », que les solutions seraient liées à un changement des
mentalités débouchant sur le fait d’inclure les coûts écologiques dans
la production. |
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Contrairement
aux lamentations impuissantes des nostalgiques angoissés, bon nombre de
nos interviewés adoptent une attitude beaucoup plus sthénique, proche
de la militance écologiste, sans pour autant militer, sauf exception,
au sein d’associations de défense de la nature, ni surtout au parti des
verts, accusé de « faire de la politique avec nos petits malheurs » |
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Comme
dans la recherche d’il y a dix ans, il s’est de nouveau révélé
difficile pour les interviewés de produire leurs factures d’eau, qui ne
sont pas prises très au sérieux par eux car contrairement aux autres
factures domestiques elles semblent souffrir de leur modicité et de
leur inclusion dans les charges d’immeuble. Le prix de l’eau n’est
lui-même qu’approximativement connu (sauf des quelques
« économes » et « méfiants » qui, eux, le
connaissent exactement). |
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Ceux
(rares) qui l’estiment plutôt bon marché tiennent compte du travail des
gestionnaires de l’eau, et se déclarent même prêts à la payer davantage
pour que sa qualité continue à être garantie. Indépendamment donc de
l'opinion sur le prix de l'eau et de son évaluation très variable, une
grande majorité des interviewés trouvent normal de payer les coûts de
traitement des eaux usées |
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Quelques
interviewés plus ouverts aux confidences intimes lors de l’entretien
nous fournissent des pistes nouvelles, davantage liées à leur
personnalité. Une mauvaise relation à la mère, ainsi que d’autres
défaillances du soutien dans la petite enfance, va souvent chez ces
personnes de pair avec un refus total de consommer du lait, qu’il soit
frais ou de longue conservation. L’eau du robinet se présente sans
doute à sa place comme un fluide « naturel », les conduites
d’eau, de gaz ou d’électricité et leurs apports vitaux se laissant
facilement « naturaliser » comme représentants inconscients
du corps de la mère. |
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Ce
rapport aux fluides nourriciers tel que le lait montre l’aversion de
beaucoup de ces personnes également envers l’eau du robinet, et une
préférence fréquente du vin et des boissons fortes. Selon la thèse
classique de Mélanie Klein, l’alcool, le tabac sont mieux à même (dans
le fantasme inconscient !) d’empoisonner la mère mauvaise
intériorisée. |
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Le
recours à l’eau en bouteille se présente alors comme une victoire sur
cette mère fantasmatique, dont on prend la place en tant que bonne
mère : celle qui sait bien accueillir en remplaçant les fluides
« naturels » mauvais du robinet par ceux choisis avec soin
pour étancher la soif en famille, et celle des visiteurs, par le choix
et le transport d’eau en bouteilles... Sollicitude qui ne s’étendra
cependant pas jusqu’à l’achat de lait, trop directement maternel. |
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Une
nouvelle attitude assez révélatrice des nouvelles tendances envers
l’eau à boire nous semble être celle des gens dans la rue qui marchent
en tenant à la main un pack d’eau en bouteilles d’environ 9 kg. Il
semblerait que pour certaines personnes il faille porter l’eau que l’on
boit, il faut, en quelque sorte, l’avoir méritée. Nous soupçonnons que
l’eau en bouteille est d’autant meilleure pour ces personnes qu’elles
se sont fatiguées à la porter ! |
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La
différence se ferait alors sur le fait que l’eau du robinet coule
toujours de la même façon, que ce soit pour boire ou pour laver par
terre ou actionner la chasse d’eau des WC... Or, l’eau que l’on boit
mérite de s’en distinguer par un statut plus noble. Le portage rétablit
sur un mode imaginaire le double réseau de distribution, qui à Paris
sépare, pour le nettoyage de la voirie et l’arrosage des jardins
publics, l’eau potable et non potable. |
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L’anoblissement volontaire de l’eau portée renvoie alors l’eau
distribuée par des tuyaux, celle du robinet, à un statut
fantasmatiquement proche de celui des flux corporels automatiques
naturels, comme celui de l’air et la respiration, la circulation du
sang, la transpiration. Plus abstraitement sans doute également aux
métabolismes psychiques automatiques, car de même que la vie somatique,
la vie psychique fonctionne toute seule. L’eau que l’on se fatigue à
aller chercher fait désormais semble t-il partie, pour certaines
personnes, du même registre que la gestuelle du vin apporté jusqu’à la
table. |
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Inversement
et complémentairement, certains parmi les interviewés les plus âgés
interrogés au sujet du portage de l’eau se sont souvenus avec plaisir
du formidable progrès qu’avait constitué l’installation de l’eau
courante chez eux, ou chez leurs parents ou grands-parents, dans des
endroits reculés ou hors de France (Espagne, Portugal, Maghreb). C’est
toute la différence entre le portage de l’eau actuel, choisi
épisodiquement par plaisir, ou subi tous les jours à l’instar de
Cosette… |
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Concernant
la typologie des attitudes, sur les 26 personnes interviewées, 14 sont
dans l’attitude d’insouciance contre 12 économes ; 21 sont
confiants contre 5 méfiants ; et 16 prennent l’attitude
d’eau-plaisir contre 10 celle de l’eau-nécessité. En outre, sur 46
personnes qui avaient déjà participé aux enquêtes de 1996-97, on en
retrouve 15 parmi les 26 entretiens qualitatifs de 2005. Si la
typologie elle-même reste stable, l’évolution de ces 15 cas depuis 1995
pose d’abord le problème de ses effectifs, ensuite celui de savoir,
malgré tout, lesquels parmi ces 15 cas ont changé d’attitude en dix
ans ? |
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Cet
effectif de 15 familles étant plus que réduit, ce n’est qu’avec la plus
grande prudence que nous oserons voir une possible tendance dans le
quartier le plus modeste, Vercingétorix, vers l’eau-plaisir (4 cas,
contre 1 en sens inverse) et vers l’insouciance (3 cas, contre 1 en
sens inverse également), évolution que nous avons déjà évoqué : le
seul luxe des pauvres, ce serait l’abondance et la quasi-gratuité de
l’eau. |
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Les
progrès de la prise de conscience écologiste se mesurent au fait que
même les personnes apparemment les plus insouciantes de la consommation
de l’eau sont convaincues qu'« elle est une ressource limitée ». |
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Chez
les « confiants » et « économes », on trouve
souvent une problématique « propreté/saleté ». L'eau à l'état
naturel est plutôt « sale ». A l'inverse, l'eau du robinet et
l'eau en bouteille sont « propres ». Ils ont une perception
assez précise du parcours de l'eau du robinet (tuyaux, usines,
traitements...). Surtout, cette eau est considérée comme la plus fiable
car contrôlée et traitée chimiquement. La sécurité est donc d'autant
plus importante que des contrôles et des traitements chimiques sont
intervenus : l’eau naturelle, sale au départ, est sécurisée par
l’action humaine, elle est le « résultat du travail de l'homme »
et, à la limite, le goût « médical » qu’elle garde de ces
traitements est valorisée comme garantie de sa propreté et santé. |
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Cette
même action humaine, cependant, la rendra suspecte aux yeux de
quelques-uns, organisés sur le versant paranoïde et
(heureusement ?) peu nombreux, pour lesquels on ne peut faire
confiance qu’à l’eau en bouteille, celle du robinet « étant trop trafiquée ».
L’eau en bouteille est ainsi censée se rapprocher de l’eau naturelle
(divinisée), et s’éloigner de l’eau du robinet (diabolisée). |
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Ces
résultats encourageants nous mènent à des considérations sur la
démarche même de typologisation. Il serait pensable qu’avec des
effectifs plus nombreux, nous pourrions voir émerger beaucoup plus
clairement des sous tendances intermédiaires entre nos types
d’attitudes, et surtout des possibilités d’établir plus clairement les
passages d’une attitude à une autre. |
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En
effet, les types figés dans l’une ou l’autre des attitudes
d’insouciance/économie, de nécessité/plaisir ou de confiance/méfiance
ne sont finalement (c’est notre impression de clinicien) que peu
nombreux, et correspondent à des personnalités bien installées dans des
tableaux névrotiques ou psychorigides, avec des mécanismes de défense
pauvres et maladroitement utilisés. Une bonne moitié des interviewés,
et notamment ceux qui ont changé d’attitude, sont certes
caractérisables sur ces dimensions cliniques mais présentent un tableau
beaucoup plus nuancé, et sont capables d’évoluer beaucoup plus
facilement. |
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Il
faudrait donc distinguer, au minimum, entre des attitudes massives
presque certainement définitives et des attitudes certes dominantes
mais susceptibles de changements. L’évaluation de ces potentiels de
changement pourrait se faire par des jeu-tests psychosociologiques
recueillant l’acceptation ou le rejet (« vrai ou
faux ? ») d’une longue liste de « propositions »,
des phrases typiques de ces diverses attitudes, déclinées en nuances
jusqu’aux positions intermédiaires entre elles. |