Transfert et contre transfert chez Frank Lloyd Wright
 

Manuel Periáñez______________________________manuelperianez1940@gmail.com

 

       

 

_accueil

_publications

_ textes en ligne

_liens

   

Transfert et contre transfert chez Frank Lloyd Wright

 

Extrait du chapitre « La relation entre l’architecte et son client », pp. 191-228, du texte Suivi de processus de conception architecturale, Michel Conan, Manuel Periáñez, CSTB, 1986.

   
   

Cette courte notation, suite à la lecture du texte stimulant de Michel Conan sur Frank Lloyd Wright semble nécessaire pour illustrer concrètement des effets de transfert et contre-transfert que nous allons reprendre dans les conclusions. Ces concepts, pour centraux qu'il soient dans la psychanalyse au même titre que ceux de résistance ou pulsion, n'ont rien a voir, par eux-mêmes, avec une quelconque pathologie. Sans transfert, aucune amitié ne serait pensable — il ne s'agit, au départ, que de la simple sympathie entre les individus. Celle-ci, comme la radioactivité, existe à l'état de nature et c'est une heureuse chose.

 

 

   

Manipulée dans un contexte expérimental adéquat, cette sympathie se révèle capable de dégager une énergie (pulsionnelle) assez étonnante, et parfois détonnante, et cette qualité surprenante est a l'origine de son changement d'appellation : de la sympathie courante on passe au transfert, celui de la situation psychanalytique. Mais il importe de garder à l'esprit qu'il s'agit de quantités, ou concentrations différentes du même minerai psychique. Si nous revenons brièvement sur Frank Lloyd Wright et ses clients, c'est pour essayer d'y montrer a l'œuvre, dans la situation qu'installent leurs échanges, des transmutations de cette alchimie de la sympathie dont quelques radiations typiques prouvent la parenté, même lointaine, entre situation psychanalytique et « situation d'architecture ».

 
   

La thèse ici sera donc celle d'une certaine qualité transférentielle des rapports entre clients et certains architectes (ou tous les architectes à certains moments). Thèse qui, si on parvient à l'admettre provisoirement, sur les quelques indices que le texte de Conan fournit en plus des propos des architectes que nous venons de lire lors de notre enquête, pose une question qui fera l'objet de l'examen suivant : celle des déterminants exacts de cette parenté entre les deux situations pourtant dissemblables sinon opposées.
Cette opposition dans le cas de Frank Lloyd Wright étant d'emblée maximale, lorsqu'on lit dès la première page du texte de Conan que Frank Lloyd Wright estime que ses concitoyens ne savent pas vivre (et que cela constitue l'obstacle principal à toutes solutions véritables du problème de l'habitat social). Ce n'est donc certes pas dans les idées de Frank Lloyd Wright que l'on pourra trouver les points de convergence que nous cherchons, le « pasteur face à ses ouailles » (page 16) étant aux antipodes de l'analyste. La ressemblance est déjà plus grande du côté des clients. Ainsi, quand Mme Coonley déclare à Frank Lloyd Wright l'avoir choisi parce que ses maisons exprimaient une discipline, on peut être certain qu'il ne s'agit pas d'une discipline dont elle manquerait elle-même, au point de la chercher dans l'agencement de son espace de vie par Frank Lloyd Wright. Mais bien sûr, d'une reconnaissance de sa part d'un principe commun entre Frank Lloyd Wright et elle : une réduction préalable de « l'hypercomplexité » dont parle David, sur le mode projectif caractéristique des phénomènes transférentiels. Il y a là un préalable important, sans doute, pour la réussite du travail commun entre architecte et clients. Le client, même s'il ne choisit pas l'architecte, signifie à celui-ci de quelle part de sa personnalité il accepte une compétence existentielle plutôt qu'architecturale.

 
   

On se demande alors, qui, de l'architecte ou du client, est à l'origine de quoi chez l'autre. Le ravissement de Frank Lloyd Wright d'avoir été ainsi préalablement (ou préventivement ?) architecturé par Mme Coonley montre bien le plaisir, le bénéfice de plaisir d'une relation d'échange qui d'hypercomplexe devient, tout à coup, aussi « simple » que la relation que l'on entretient couramment avec diverses parties de sa propre personnalité. Mme Coonley, intelligente personne, entame avec Frank Lloyd Wright une partie d'échanges internarcissiques, dans laquelle les deux partenaires s'adonneront aux délices de l'altération de soi dans l'identification à l'autre et vice-versa. C'est quasiment une définition de l'amour, que ce rapport d'interaltération rendu acceptable sous la protection d'un investissement narcissique. Et, de fait, Frank Lloyd Wright vivra avec une autre cliente le dérapage de la relation architecte/client vers la relation amoureuse, tout bonnement (de même que Le Corbusier avec Mme Savoye, et d'autres encore, sans doute une indication du caractère « amoureux » de toute reconnaissance des formes...). Nous avons cependant connu l'inverse, mais confirmant sans doute ce point, un « architecte assassin » qui truffait des maisons de vacances à Ibiza de véritables pièges à habitant, origine de multiples hospitalisations en place et lieu de villégiature chez des clients que par ailleurs, au plan conscient, il adorait manifestement : ambivalence quand tu nous tiens...

 
   

Les effets du ravissement de Frank Lloyd Wright, nous dit Michel Conan, sont qu'il mit dans le projet « le meilleur de lui-même ». C'est bien dire combien on ne se risque à exposer à autrui ce que l'on sait posséder de meilleur que si cet autrui a montré patte blanche. Une Madame Coonley qui aurait lu Winnicott aurait pu dire à Frank Lloyd Wright en somme « je vous ai compris. Votre « vrai self » est chez moi en sécurité, à bonne distance ni trop loin ni trop près du mien. Je vous donne ma commande pour que vous en fassiez autant pour moi. C'est l'occasion de loger l'histoire de notre — rare — rencontre psychique dans des formes et espaces voulus par vous, qui resteront et en témoigneront ».
Une autre indication que nous sommes ici face à des phénomènes de nature transférentielle est donnée par la gêne de l'enquêteur qui interroge le couple Greene, et qui s'aperçoit de la qualité « intime » des relations qui ont fini par se développer entre ce couple et Frank Lloyd Wright. Cette gêne, bien connue de quiconque a entendu un analysant parler de certains moments de son analyse, est celle de se sentir un voyeur de relations affectives d'autrui. Les résistances de l'enquêteur des Greene à prendre conscience de l'obscénité transférentielle de ce qui pour lui se met à prendre les contours d'une sorte de ménage à trois sont évidemment amusantes. Il tient à remettre M. Greene, ingénieur, dans le rôle de l'architecte, et à minimiser le rôle de Frank Lloyd Wright comme étant celui d'un simple catalyseur de la conception de la maison des Greene, que ceux-ci auraient pu en fait assurer quasiment seuls... Ou alors, l'enquêteur, au contraire, essaye de faire dire que Frank Lloyd Wright a tout imposé aux Greene, l'essentiel dans un cas comme dans l'autre étant de séparer les protagonistes d’une interaction aussi scandaleuse, de nier leur interaction.

 
   

La qualité, « intime » pour un observateur extérieur tel que l'enquêteur, de la relation Frank Lloyd Wright-Greene, serait scandaleuse de par la nécessaire matérialité de l'acte architectural qui équivaut à une reconnaissance agie des contours du couple, contours sociaux, et affectifs, mais aussi quotidiens et indiscrètement concrets. Frank Lloyd Wright serait alors un pasteur, mais qui ayant procédé a la cérémonie du mariage pousserait le souci jusqu'à border le couple dans son lit de noces... L'acceptation, la reconnaissance par l'architecte des multiples contours du couple constituerait en sorte une nouvelle cérémonie de mariage qui, pour être matérielle, n'est sans doute pas moins profonde que la cérémonie sociale : son installation dans les rôles psycho sexuels adultes par l'attribution au couple de tous ses symboles et « organes » architecturaux dont l'ensemble constitue la maison. Tout ceci dans un registre qui, pour être plus classiquement œdipien, surtout dans le cas d'une figure aussi patriarcale que Frank Lloyd Wright (et donc plus rassurant que les jeux internarcissiques précédents davantage périlleusement fusionnels dans leur archaïsme), est tout aussi transférentiel.

 

 

__


   

Au registre plus inquiétant de l'archaïsme pourrait bien appartenir ce qui se fait jour aux pages 20-22 du texte, au sujet du « style » de l'architecte, des éléments architecturaux novateurs introduits par Frank Lloyd Wright, et qui ne peuvent à l'évidence n'appartenir qu'à lui. Le choix de Frank Lloyd Wright par ses premiers clients sur la base de son style plutôt que de sa personne se référerait alors à un mouvement transférentiel très primitif, déclenché par la nouveauté insolite symbolisant l'altérité même. Notre idée est ici que le recours a cette altérité et son incorporation (une certaine cannibalisation kleinienne de Frank Lloyd Wright par ses clients) permet au sujet de régler de très anciens comptes avec ses images parentales, coupables avant toute chose de l'avoir fait tel qu'il est : les parents, dans ce registre, sont les architectes abusifs du Moi-corps du sujet, contre lesquels un architecte aussi prestigieux que possible ne sera pas de trop pour défaire — limiter — le maléfice. Il a souvent été dit que Frank Lloyd Wright (et d'autres grands architectes) se prenaient pour Dieu, mais on peut dite à leur décharge qu'ils y ont été aidés par ce type de demandes inconscientes considérables, contre les effets desquelles les psychanalystes ne se prémunissent que par une théorisation, qui manque totalement chez les architectes. Voilà donc les architectes, comme autrefois Marie Curie, exposés aux effets d'un transfert, que peut-être, comme elle, ils pourraient bien avoir découvert longtemps avant les psychanalystes ! (1).

 

 

 

 

 




1 - 1969, SERGE VIDERMAN, La construction de l'espace psychanalytique, Denoël.

   

Venons-en au cas, central, des Hanna, dont nous retiendrons comme éléments de départ leurs origines communes (enfants de pasteurs tous deux), et l'appréciable réduction d'hypercomplexité dont ils bénéficient de ce fait ; leur grande « mobilité résidentielle » dans l'enfance, et le désir d'architecture situante qui semble en découler ; ainsi que leur lecture nocturne des écrits de Frank Lloyd Wright, après cinq ans de mariage. Ayant lu ce qui précède, le lecteur ne s'étonnera pas du chemin que nous allons ici prendre. Nous allons postuler que, pour des enfants de pasteur, une fois vécue la « lune de miel » de la fusionnalité initiale du couple, un deuxième mariage s'impose. Dans d'autres recherches, nous avons pu voir comment le recours à une « résidence secondaire » intervient souvent à ce moment précis de la vie du couple, pour à la fois lui redonner des nouvelles bases (ou un régime de croisière) et édifier un monument à l'histoire de sa constitution. Notamment les objets domestiques des débuts de la vie du couple, témoins de la « période héroïque », se retrouvent dans la résidence secondaire (sous le prétexte fallacieux de leur prétendue obsolescence), dont on voit le rôle du côté du roman familial. Si, dans la France des années 60-80, la résidence secondaire ex-rurale a eu ce rôle, il semble que ce soit en partie par une difficulté socio-économique, mais aussi socioculturelle, à assumer de front cette proclamation publique de son narcissisme que constitue le fait de « faire construire » par un architecte ayant son style propre, voire célèbre : cette pratique est chez nous réservée à quelques happy few.

   
   

Il faut donc être prudent, en qualifiant de manœuvre grandiose le « second mariage » des Hanna par devant Frank Lloyd Wright : celui-ci était, en 1931, loin d'avoir socialement la stature internationale qu'il a de nos jours. De plus, il semble bien que de tous temps faire construire par un architecte en vue passe davantage pour une aventure risquée que pour une consécration. Mais, sur le plan inconscient, on peut aisément postuler que Frank Lloyd Wright a été « choisi » par les Hanna comme représentant d'une toute-puissance infantile, retrouvée chez un architecte un peu foldingue là où elle était perdue chez leurs pasteurs de pères : les voies du Seigneur... N'insistons pas sur le caractère nocturne de ces retrouvailles, mêlant un certain dépassement du sexuel avec la régression vers la mère à bonne distance : les livres de Frank Lloyd Wright — et ses dessins — faisant office d'objet transitionnel. Bref, les Hanna ont trouvé qui damera le pion a leurs géniteurs réels : un personnage que, symboliquement, ils peuvent mettre à la place de ce Dieu dont leurs pères avaient fait leur maître : les intermédiaires sont court-circuités. En allant maintenant à la liste des exigences (p.38-39) on voit en passant les « organes architecturaux » que les contours du couple Hanna nécessitent. Cela débouche  — et cela ne saurait nous surprendre —  sur « une maison qui puisse se remodeler facilement quand la composition de la famille ou les usages à remplir l'exigeraient ». À notre sens une exigence d'évolutivité dans le droit fil d'une fantasmatique du Moi-corps de l'enfant, à la fois celle de la croissance lente mais assurée et celle d'hypothétiques révolutions (pubertaires) à venir.

   
   

Mais l'important ici n'est pas seulement le transfert : c'est, d'emblée, l'acceptation relative de son échec. Se choisir des parents, ou des géniteurs inconnus, à la place des trop connus qui vous ont fait vivre l’Œdipe, et qui même vous ont fait tout court, cela donne du roman familial quand on se cantonne dans l'imaginaire. Et quand on passe à l'acte, pour changer vraiment quelque chose, il y a cette variante de l'analyse que constitue le fait de se refaire tout (sauf la vie psychique) et, notamment, le schéma du Moi-corps symbolisé par l'architecture de son cadre de vie. Pour être complets, il faut mentionner aussi la « perversion » combien significative de ces patients qui n'accédant pas à cette dimension symbolique de l'architecture, se ré-architecturent le corps lui-même, au moyen de maintes interventions de chirurgie esthétique.

   
   

L'échec accepté d'emblée est alors celui de l'arbitraire (par rapport a « soi-même-architecte-idéal ») qu'impose nécessairement l'interaction avec l'architecte-autre. Le bénéfice de l'opération semble d'autant plus apprécié que l'arbitraire des origines est remplacé par un autre arbitraire, mais celui-là, choisi ! On aura reconnu là une manœuvre qu'exécutent volontiers les surréalistes mais aussi presque tous les enfants, le climax du grandiose étant la raison qu'ils invoquent dans l'exercice d'une précieuse toute-puissance archaïque retrouvée le temps d'un instant : « PARCE QUE  ! » On aurait tort de rire, il semble bien que les Hanna aient trouvé en Frank Lloyd Wright le partenaire idéal pour leur faire revivre à intervalles réguliers cette expérience du « parce que »...

   
   

On comprendrait mieux ainsi sinon le calvaire, du moins le caractère très laborieux des péripéties de la réalisation de la maison Hanna. Dieu fit le monde en six jours, mais si les Hanna avaient été ses clients, il aurait peut-être mis des siècles, poussé dans ses retranchements narcissiques du « parce que » par ces athées inconscients acharnés à régler leurs comptes avec leurs pères. N'appellent-ils pas, d'ailleurs, Frank Lloyd Wright leur « ultime protecteur » (p.52) pour maintenir ce type de lien quand il en a manifestement assez ! De son côté, Frank Lloyd Wright semble bien sentir inconsciemment ses clients, et il aura plus que le souci, même le « concern » de commettre quelques géniales bêtises permettant à ses clients/enfants, qui en feront leurs choux gras, de commencer à le voir dans des figurations moins dramatiquement archaïques. D'où le soupçon que nous portons sur les bêtises d'architecte, la plus célèbre étant « ils oublient les escaliers » (qui, ici même, resurgit entre RH et ses parents !) et dont le succès ne peut être dû au hasard : s'agirait-il d'accuser les architectes d'empêcher l'accès à leur pouvoir divin ? Quoi qu'il en soit, une porte de 21 inches excluant la baignoire, infligée au moment opportun, dégonfle de façon thérapeutique l'image irritante de divine perfection de Frank Lloyd Wright contre laquelle les Hanna passaient des nuits à conspirer.

   
         
   

Conclusions provisoires

   
   

Le parcours que nous avons fait débouche maintenant sur une série de questions, celle d'abord du rôle de la compétence reconnue à l'architecte (que ce soit par les collègues, les clients et, surtout, lui-même) dans la relation architecte-client. Dans le cas de la participation, les architectes sont mis rudement a l'épreuve car leur compétence doit être prouvée à chaque instant : à « programmation continue », compétence continue. Or, le « voyeurisme » auquel est soumise sa compétence de la part des habitants-participationnistes rebute certains architectes et en séduit d'autres, une majorité y étant plutôt indifférente chez qui le plaisir d'être architecte est trouvé dans le maniement des espaces davantage que dans le montrer de ce maniement. Et on pourrait sans doute distinguer la compétence proprement architecturale de celle, davantage sociale, du maniement de la relation. Derrière la compétence se cache souvent la question de la qualité, ou de la « légitimité » des solutions architecturales souvent trouvées par un architecte dans sa propre créativité que dans une quelconque interaction. Dans sa jeunesse, le premier Freud était souvent aux prises avec cette même difficulté, comme le rapporte O. Mannoni :

   
   

« A cette fin du XIXe siècle, Freud était beaucoup plus libre et hardi qu'il ne l'a laissé voir ensuite dans le reste de sa vie. Il croyait aux intuitions et même aux « perceptions endopsychiques ». En 1892, exposant un cas traité par hypnose, il présentait l'explication d'un symptôme en disant qu'il l'avait devinée, il avait bien fallu, car on n'en trouvait aucune dans la « littérature ». Il a toujours gardé, semble t-il, la même confiance dans son intuition, mais avec plus de discrétion. Dans l'analyse de l'Homme aux Rats, il donne une interprétation du doute obsessionnel qu'il ne peut justifier que par ces mots : « Qu'on ne me demande pas d'explication sur ce point ! » Or, ce qui mérite toute notre attention, c'est que nous n'avons aucune envie de lui en demander. Nous sommes assez convaincus, non pas pour le croire aveuglément, mais pour trouver valable le travail d'éclaircissement auquel il nous fait participer. Tout le livre sur l'analyse des rêves serait absolument inacceptable si notre acceptation ne fonctionnait précisément sur ce mode et s'il fallait chercher des preuves (il n'y en a pas) dans le chapitre VII. D'ailleurs, si on ne pouvait pas s'entendre de cette façon avec quelqu'un, on ne pourrait jamais convaincre personne. L'art de convaincre le plus rigoureux n'est qu'une suite d'accords de ce genre, qui s'enchaînent les uns aux autres » (2).

 

 

 

 

 



2 - MANNONNI Octave, 1967-1980, L'analyse originelle (in : Un commencement qui n'en finit pas, Seuil, pp.26-27.)

   

On aura reconnu ici notre problématique du « parce que », accompagnant celle des effets positifs d'un arbitraire-altérité lié aux fantasmes originaires. C'est sans doute pour refaire l'expérience de l'enchaînement des accords, ponctués de « parce que » symbolisant peut-être le destin, ainsi que celle de l'absence de désir de demander des explications, que certains ateliers participationnistes entament de longs conflits avec leurs architectes. La compétence de l'architecte, voire l'architecte lui-même doit prouver sa capacité a survivre en tant qu'objet, cette condition première pour exister que l'on trouve chez Winnicott dans le concept « d'utilisation d'objet », et sa distinction avec la « relation d'objet ». Cette capacité d'user de l'objet survient après l'installation de la relation d'omnipotence. Winnicott constate une phase, obligatoire, pendant laquelle le sujet « détruit » l'objet, celui-ci n'étant plus sous son contrôle omnipotent. Si l'objet survit, et alors seulement, le sujet peut l'utiliser. Le fantasme naîtrait de cet intervalle entre la destruction et la réapparition :

 

 

   

« En d'autres termes, en raison de la survivance de l'objet, le sujet peut alors commencer a vivre sa vie dans le monde des objets et ainsi le sujet est a même de faire des gains inestimables, mais le prix a payer sera l'acceptation de la destruction qui s'opère dans le fantasme inconscient en rapport avec le mode de relation à l'objet » (3).




3 - WINNICOTT D.W.W., op.cit., pp.125-126.

   

Ceci étant posé, en pourrait alors mieux comprendre la différence entre les ateliers participationnistes « laborieux » et le type de relation architecte/client où c'est la facilité, la rapidité (voire l'immédiateté) qui priment (ceci parfois également dans des ateliers de participation). Les architectes de Vauréal, lors d'une table ronde de synthèse, ont fini par proposer de distinguer ces deux catégories d'habitants-participationnistes :

 

 

   

a) « ceux qui ont vécu » : ils savent, même si c'est leur premier contact avec l'architecte, se repérer très vite dans la problématique participationniste, posent peu de problèmes, sont même plutôt une aide dans le groupe (par rapport a la deuxième catégorie). Ils « réussissent » leur projet, et restent satisfaits du résultat. La maison, le quartier, ont été perlaborés par eux en fonction de tout leur contexte existentiel, avec l'ensemble de leur vécu précédent qui constitue un acquis, un capital d'expérience ;

   
   

b) « ceux qui ont tout à apprendre » : très jeune (mais parfois moins jeune), cette catégorie de client vient à l'architecte, sous le prétexte de l'opération de participation, en fait pour apprendre à vivre, peut-être parfois même pour acquérir le sentiment d'exister. Le travail avec eux est aussi lourd que celui d'élever ses propres enfants ; ils donnent l'impression de jouer, à travers la création de leur futur cadre de vie, une nouvelle donne par rapport a une enfance ou adolescence qu'ils remodèlent ainsi magiquement...

 

 

   

Ce sont évidemment les deuxièmes qui principalement sont à l'origine de la plupart des conflits (recherche empirique des limites) ; ce sont aussi ceux-là auxquels s'applique clairement le cri du cœur de Frank Lloyd Wright (« ils ne savent pas vivre ! »). Les architectes rêvent par contre de n'avoir affaire qu'aux premiers : qui ne désire maintenir l'illusion de la communication intégrale, immédiate, bref magique ? Comment ne pas préférer des divines Mmes Coonley à une bande de râleurs aux tracasseries courtelinesques ?

 

 

   

Terminons cette brève exploration, forcément très incomplète, de la relation architecte/client en signalant à propos de ce dernier groupe qui, comme disait Frank Lloyd Wright, doit apprendre à vivre, que le succès de l'échange avec l'architecte dans ce type de relation s’est très souvent joué, nous a-t-il semblé lors des ateliers de Vauréal, par l'acceptation par les architectes du graphisme des dessins apportés par les habitants ; ceux-ci sont un concentré de leur investissement narcissique. Si l'architecte n'est pas psy, il sent par contre très finement ce que le « rendu » d’un dessin exprime au plan psychologique lors du va-et-vient de petits dessins entre architecte et client, qui (comme le dessin de l'étudiant d'architecture) acquiert de l'assurance et de l'identité. Cet aspect du problème renvoie à la technique thérapeutique de Winnicott, dite du « squiggle », où tour à tour Winnicott et l'enfant faisaient un dessin qu'ils échangeaient.