Manuel Periáñez___________________________________________________manuelperianez1940@gmail.com |
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La signification de la gêne attribuée aux bruits dans l'habiter |
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Florence Desbons, Manuel Periáñez, décembre 1975
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Ministère de l'Équipement, 2. av. du Parc de Passy, 75016 - Paris Rapport de fin de contrat n° 74 61041 00 223 75 01 |
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Ont collaboré à cette recherche J.-P. Cordier, D. Poggi, J. Rousseau (de la CEP). |
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« Il est terrible le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain il est terrible ce bruit quand il résonne dans la mémoire de l’homme qui a faim ». Jacques Prévert, Paroles. |
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Sommaire 1. - INTRODUCTION
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1. - INTRODUCTIONLe champ spécifique de cette recherche psychosociologique est délimité par l’ensemble des significations subjectives que les individus, consciemment ou inconsciemment, attribuent aux bruits. La gêne, associée aux bruits, a été privilégiée par rapport au monde sonore vécu comme positif : d’une part pour répondre à la demande qui est de parer au plus pressé en ce qui concerne le bruit-nuisance, en particulier dans les immeubles modernes ; mais d’autre part, c’est l’objet même de l’étude qui ne se laisse que très difficilement saisir sur son versant positif et cela indépendamment de la gêne. Il s’agit pour nous de tenter de savoir, dans la mesure du possible, pourquoi les habitants d’une même zone urbaine, soumis aux mêmes bruits dans des logements identiques, réagissent différemment à ces bruits, soit par la gêne, soit par une relative indifférence (dans certains cas même par un attachement à ces bruits décrite comme coutumiers, rassurants...). Nous avons cherché d’abord à mettre en évidence cette dispersion des attitudes individuelles face à la gêne attribuée aux bruits, par un plan d’échantillon comprenant une vaste typologie d’habitats. Ensuite,
dans l’analyse du matériel, nous avons cherché les hypothèses
sociologiques, psychosociologiques, psychanalytiques, susceptibles de
dégager les traits communs entre des catégories d’attitudes
individuelles. A cette fin, nous avons soumis le matériel recueilli par
70 entretiens semi-directifs à diverses analyses. Le problème des définitions du bruit, (abordé à travers l’étude bibliographique) est celui du glissement conceptuel très fréquent entre bruit et gêne. Dans cette étude nous éviterons le piège formaliste des définitions : il nous suffira de poser le bruit comme l’ensemble des sons perceptibles à l’oreille humaine, en dehors de tout vécu affectif déclenché (ou non) par sa perception ; la gêne correspondant au déplaisir éprouvé à la perception du bruit. Tout au long de l’analyse de contenu des entretiens, il est devenu de plus en plus clair que cette gêne était elle-même aussi complexe que les bruits qui la provoquent. Le travail psychique de « traitement » des informations sonores se faisant pour, une très grande part inconsciemment, la gêne revêt la même complexité que les processus inconscients auxquels elle est associée : le dernier chapitre de ce travail se donne pour but d’essayer de cerner des types différents dans le processus psychique qui conduit à la gêne. Mais ce fait pose le problème des interviews et de leur analyse en termes de « significations ». Dans un premier temps ces « significations » ont été prises au niveau manifeste, celui du discours de l’interviewé, comme il avait été fait dans toutes les études passées en revue dans l’étude bibliographique. Les personnes interrogées ne peuvent répondre qu’au niveau d’une gêne dont ils ont conscience, et à laquelle ils peuvent attribuer des significations. Dans la plupart des cas cependant, l’analyse en profondeur révèle des significations inconscientes très différentes de celles avancées par l’interviewé, ainsi que des déplacements fréquents de problèmes étrangers au bruit et à sa gêne : le bruit est souvent un bruit-prétexte, un support projectif à des processus conflictuels inconscients. Mais la gêne qu’il occasionne est d’autant plus réelle, qu’elle est davantage « personnelle ». Le problème s’est posé de savoir s’il fallait mesurer le bruit dans les logements des personnes interviewées, afin d’intégrer des variables objectives acoustiques dans l’analyse de notre matériel. Bien entendu, une telle mesure eût été indispensable dans une optique de recherche exhaustive. Mais par rapport à notre objet d’étude et son caractère exploratoire, qui vise à démêler les grandes lignes d’une psychosociologie du bruit, les caractérisations physiques acoustiques eussent été un luxe méthodologique qui ne serait justifiable que dans la mesure où il permet de mettre au point et d’essayer sur le terrain, les méthodes de mesure et surtout leur application « humaine ». Ainsi, avons-nous estimé que l’on pouvait en un premier temps se satisfaire de trois niveaux de bruits, niveaux définis comme « calmes », « bruyants » et « très bruyants » par l’observation directe sur place ; s’il reste évidemment toujours possible de procéder à des mesures plus rigoureuses ultérieurement, à l’expérience cette typologie sommaire s’est avérée assez satisfaisante. Les stimuli sonores, c’est-à-dire le monde sonore global perceptible pour l’oreille humaine, découlent d’un phénomène de mécanique ondulatoire que les physiciens peuvent mesurer, catégoriser, voire reproduire à volonté : nous sommes dans un des domaines des sciences dites exactes, I’acoustique. Si nous voulons nous occuper de la perception des sons, nous entrons dans le domaine de la physiologie de l’audition, domaine hautement spécialisé de même que l’acoustique. Des études ont été faites, en grand nombre, portant sur les interactions entre ces deux domaines, assez rigoureuses pour permettre des expérimentations en laboratoire. Pour passer de la physiologie ou de la psychophysiologie de l’audition au problème de la gêne attribuée à certains sons par le psychisme, il y a une difficulté majeure, car nous entrons dans un champ qualitativement différent des précédents, celui des sciences humaines. Dès que l’on introduit le concept de signification des sons, nous sommes dans le domaine des relations de l’individu à l’environnement global dans toute sa complexité, et ce à des niveaux de synthèse différents. La signification des bruits et de la gêne qui leur est éventuellement associée est un concept de nature sémiologique, radicalement différent des caractéristiques physiques du bruit en soi. Les mesures acoustiques peuvent être utilisées en laboratoire pour des recherches de physiologie et de psychophysiologie. Mais au-delà, il y a coupure épistémologique. L’illusion de la connaissance objective de la gène peut être écartée facilement : on mesure les bruits, on ne mesurera sans doute pas avant longtemps (sinon de façon grossière) le déplaisir (ou le plaisir) lié à ces bruits. Encore faut-il être certain que la liaison existe, ce qui est indémontrable rigoureusement, hors des conditions de laboratoire, bien que les études psychophysiologiques aient depuis longtemps démontré l’existence d’une gène « objective » liée aux fortes intensités. Il est évident qu’un réacteur d’avion est vécu comme « gênant » par une très grande majorité d’habitants en raison simplement du niveau sonore ; mais nous pouvons toujours y ajouter les représentations subjectives qui aggravent ou diminuent la gène : nous avons ainsi rencontré tel ingénieur aéronautique qui ayant pris sa retraite dans un quartier situé dans l’axe d’une piste d’envol, semble heureux de finir sa vie dans les hurlements des réacteurs, pour lui la plus émouvante musique...Il n’y a donc pas de primauté absolue des intensités sonores dans le problème de la gêne. Ce qui est valable pour le « seuil de la douleur », l’est certainement aussi pour les autres caractéristiques des sons, leur fréquence, rythme, coloration, etc. C’est pour cet ensemble de raisons que nous ne pouvons envisager le bruit comme le font les acousticiens, c’est-à-dire, comme un phénomène en soi, sur lequel on tiendrait un discours a priori clivé de son origine, de son sens et de celui de la gêne qui peut lui être associée. Nous considérons ici le bruit comme un élément fondamental de la relation au monde. En cela nous essaierons de lui restituer sa place et son importance, car le bruit comme message sonore de notre environnement doit s’envisager dans la dialectique de l’interaction de ses aspects positifs et négatifs : nous ne pensons pas, pour les raisons déjà citées, y être entièrement parvenus. Ajoutons que nous avons insisté sur le contexte socialisé de l’émergence du bruit, ici le logement. Nous pensons que ce contexte social, avec ses nombreux prolongements et ramifications tant en direction de la structure globale de la société que de celle, psychologique, de l’individu, prime nettement sur le phénomène bruit en soi. |
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2. - ÉTUDE DOCUMENTAIREPar rapport à l'objet de notre recherche, nous avons estimé nécessaire, dans un premier temps, de faire une synthèse sommaire des travaux sur le bruit et de préciser les différentes approches qu'ils recouvrent. Nous ne prétendons pas avoir passé en revue tout ce qui existait comme textes sur le bruit. Les difficultés de recueil de l'information ont joué, là comme ailleurs, et l'exhaustivité ne s'imposait que pour les directions de recherches dont la présente étude entend prolonger les acquis. D'autre part, nous nous sommes attachés dans les comptes rendus qui vont suivre à préciser notre propre approche en la dégageant des approches antérieures et en espérant qu’aucune direction de recherche importante, déjà publiée, ne nous soit restée inconnue. Notre démarche a été tout d'abord de nous interroger sur les nombreuses définitions du bruit puis de rendre compte aussi bien des textes spécifiquement consacrés au bruit par les institutions législatives, politiques ou culturelles (Ministère de la Santé, Conseil de l'Europe), que des recherches proprement dites, allant des études techniques d'acoustique, aux études de sociologie appliquée où le bruit apparaît comme une variable dont on cherche les effets, sans oublier les recherches physiologiques et psychophysiologiques. Nous essayons enfin de montrer comment, dans des études sociologiques, le bruit apparaît et peut être analyse en terme d'émergence sociale de la gêne. La liste des ouvrages consultés est publiée en annexe de ce rapport.
2.1. DÉFINITIONS DU BRUITLes diverses définitions du bruit que l'on peut relever montrent la multidimensionnelle de la notion de bruit. Selon le Comité Électrotechnique Français, on entend par bruit : toute sensation auditive désagréable ou gênante ; Plus simplement, « le bruit, c'est ce que nous voudrions ne pas entendre., et, ne pouvant fermer les oreilles comme nous fermons les yeux, c'est ce que nous sommes malgré tout, obligés d'écouter ». (Alexandre et Barde, in « Le temps du bruit », p. 28). Dans la même direction, on peut aussi citer la définition du Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité sociale (in « La lutte contre le bruit », sept. 1971) : « Les définitions du bruit établies en partant de ses propriétés physiques ne sont pas toujours satisfaisantes parce que le caractère distinctif du bruit n'est pas d'ordre physique mais physiologique, c'est son opportunité. » « Le terme bruit désigne communément, toute sensation auditive, plutôt désagréable ou gênante que produit sur notre organisme l'ensemble des vibrations sonores complexes, incoordonnées, reçues et transmises par I'oreille jusqu'aux cellules du cerveau. » La définition actuellement admise est que . « tout son inopportun est un bruit ». On pourrait citer ainsi de nombreuses définitions qui ne font que référer le bruit à la « gêne » qu'il détermine ou recèle en soi; elles ne diffèrent donc que par le point d'application de cette gêne, physique, physiologique, psychologique, etc. Ainsi est-il possible de définir le bruit par rapport à la musique : « Si l'on en croit le dictionnaire, le bruit est un assemblage de sons divers, abstraction faite de toute harmonie. Dans cette optique, la musique n'est pas un bruit, et on oppose déjà à la notion de bruit, la notion de son. Malheureusement, les sons même les plus purs, peuvent dans le monde des sonorités, compter parmi les éléments les plus nocifs, les plus dangereux, les plus désagréables ; (...) Aussi a-t-on été tenté de définir le bruit non pas seulement en fonction de sa nature, mais plutôt en fonction de ses effets et d'une façon générale, de baptiser, bruit, tout son désagréable ». (in Le bruit, fléau social, M. Tamboise). Face
à cette multi-dimensionnalité, il ne reste que deux issues, soit s’en
tenir à des définitions strictement objectives, c'est-à-dire réduire la
notion de bruit à un ordre acoustique et lui donner des limites
mesurables en spectre de fréquences, en décibels ou tout autre mesure
normalisée ; soit élargir la notion de bruit au champ sociologique et
psychanalytique et considérer comme bruit, tout ce qui est désigné et
nommé comme tel dans les pratiques sociales. On doit garder ce champ de
définition présent à l'esprit pour aborder les textes officiels
relatifs au bruit. 2.2. TEXTES OFFICIELS RELATIFS AU BRUITCette dénomination de « textes officiels » n'est pas vraiment pertinente ; nous voulons désigner par là, tous les textes qui, s'appuyant ou non sur des études, proposent par leur objet même des définitions normatives du bruit. Qu'il s'agisse, en effet, de colloques, de textes ministériels réglementaires, ou issus d'organisations professionnelles ayant à voir avec les problèmes du bruit, tous ces textes supposent un passage de la définition objective ou scientifique à une définition normative, Ainsi :
Toutes ces perspectives sont présentes dans le texte du Colloque de Royan, dont l'objet, la défense de l'homme contre les pollutions (notamment le bruit), et le parrainage, l'Association pour le Développement du Droit Mondial, indiquent le souci de donner un statut normatif et réglementaire, sinon juridique, au bruit. Les diverses communications de ce Colloque illustrent à nouveau, la multi-dimensionnalité de la notion. Dans son exposé introductif, N. Jacob, souligne la généralisation, mais non la nouveauté, du problème du bruit (antiquité). Il distingue deux catégories de bruit :
Dans sa communication, Claude Leroy souligne que la notion remet au second plan, la question de l'intensité et que toute définition en terme de sons est insuffisante car elle ne tient pas compte du rapport signal/bruit. Il indique en outre la relativité sociale de la gêne attribuée au bruit en notant que le bruit plus faible de Stockholm est vécu comme plus perturbateur que le bruit plus intense de Ferrare (cf Jonssen, Kajland, Paccagnelle, Sorensen : « Annoyance reactions to traffic noise in Italy and Sweden », OCDE). Mais après ces préliminaires, le Colloque aborde directement les questions d'ordre législatif et réglementaire. Germaine Moreau indique que dès le 5 Janvier 1957, une Commission Technique d'Eude du Bruit est instituée en France, menant aux prescriptions législatives, sur le plan local, d’un règlement sanitaire pris par les maires et préfets (Art. 103bis du Règlement diffusé par circulaire du 17/11/66 du Ministère de la Santé) qui énumère les bruits sanctionnés :
De fait peu de manifestations sonores de la vie quotidienne échappent aux règlements sur le bruit, il en est donc de même pour le bruit dans le travail réglementé par un décret du 12/4/1969, imposant aux chefs d'établissements, l'obligation de « maintenir l'intensité des bruits supportés par les travailleurs à un niveau compatible avec leur santé, par la réduction de l'intensité des bruits à leur source d'émission, l'isolement des ateliers bruyants, l'insonorisation des locaux, etc. ... ». S'ajoutent à ces règlements, ceux relatifs à l'isolation acoustique des nouveaux bâtiments d'habitation (Décret n° 69.596 du 14/6/1969, fixant les règles générales de construction des bâtiments d'habitation.) - « le niveau de pression acoustique du bruit engendré dans un logement par un équipement quelconque du bâtiment ne doit pas dépasser 35 décibels-A, en général, et 30 décibels-A, s'il s'agit d'équipements collectifs tels qu'ascenseurs et chaufferies » (Art. 3). On pourrait penser que la jurisprudence pose de manière plus nette ce qui est bruit et ce qui ne l'est pas, mais comme le souligne L. Bouvier, au Colloque et dans son ouvrage : « Manuel de lutte judiciaire contre le bruit », le Parquet ne poursuit que rarement en ce domaine, et jusqu'aux gardiens de la paix qui n'osent intervenir de peur d'être impopulaires. Le Conseil de l'Europe dans « La lutte contre le bruit, problème de santé publique » (Strasbourg 1964), indique une des raisons de cet « à peu près » réglementaire, en soulignant que le bruit est un élément de la vie sociale et culturelle. Produire du bruit est avant tout lié à des sensations agréables, surtout pour les enfants et la jeunesse. Le bruit exprime la joie de vire, il accompagne les fêtes. Il peut aussi être un facteur de puissance, de sécurité et de réussite et permet de donner libre cours aux besoins d'agressivité. En ce sens le bruit n'est gênant que lorsqu'on est victime de l'agresseur. On voit comment ces ouvrages généraux fondent leurs résolutions ou sont marqués des trois soucis de :
2.3. ÉTUDES ACOUSTIQUESOn peut légitimement attendre des études acoustiques qu'elles donnent une définition objective du ou des bruits. En fait, elles visent toutes à la mesure de ce qui est désigné comme bruit et à la recherche de moyens, pour le réduire ou le supprimer. Dans le Rapport du Groupe de Travail Acoustique réuni sous 1'ëgide du Plan Construction (Octobre 1972 et Septembre 1973), sont regroupées des analyses portant sur :
Il s'agit là, d'un texte charnière entre des études d'acoustique pure et des études se posant la question de la gêne ; il est évident que la technique acoustique peut aider à l'atténuation de la gêne et c'est l'objet de ce groupe de travail. Mais d'autres études ont été menées qui s'efforcent plutôt de qualifier les sons et les bruits :
Ces trois derniers articles montrent par défaut l'objet réel des approches acoustiques et la nécessité pour elles de se donner des invariants d'ordre psychologique ou physiologique. Il en est de même pour « On scaling the unpleasant sounds », by Bauscher & Robinson, British Journal of applied physics, n° 13, 1962. De nombreuses études ont été réalisées sur la musique, mais ce sont les éléments culturels qui sont déterminants et non les sons et bruits en eux-mêmes. De même, les tests visant à déterminer les réactions aux sons, supposent une classification préalable selon des critères psychologiques qui n'évitent pas les références culturelles dans les sons proposés.
2.4. ÉTUDES PHYSIOLOGIQUES ET PSYCHOPHYSIOLOGIQUESToutes ces études traitent les effets du bruit sur l'homme ; ainsi dans « La lutte contre le bruit » (déjà cité, p. 15 à 18), on distingue deux types d'effets :
Dans « Le bruit fléau social », les méfaits du bruit sur l'oreille sont largement décrits : « chaque bruit excessif détruit un nombre non négligeable des 240 000 cellules ciliées, véritables petits microphones qui tapissent l'oreille interne » (p. 18). Quant aux effets indirects : « La communication qui s'établit avec l'ensemble des organes par une interconnexion totale avec le système nerveux, rend théoriquement possibles tous les types de traumatismes de quelque nature qu'ils soient... » (p. 23). Cet ouvrage collectionne les effets les plus terribles et les conséquences les plus catastrophiques pour l'organisme, depuis les phénomènes épileptiformes en passant par la diminution des réflexes, de l'activité psychique, les maux de têtes, névralgies, troubles de caractère, jusqu'aux névroses et actes démentiels (crimes pour bruit). On rappelle même que « dans les grandes villes, 52 % des troubles nerveux, selon un rapport de l'Académie de Médecine, proviennent des excès de bruit » (p. 26). Le bruit peut aussi faire augmenter « le métabolisme de base de plus de 30 % » et « on peut dire que la plupart de nos appareils physiologiques (...) peuvent être perturbés par le bruit » (p. 26). « Le cœur n'échappe pas non plus à la règle » ; et voila le bruit responsable d'un grand nombre d'infarctus du myocarde (p. 27). Ce type de discours est exemplaire dans la mesure où il -ne fait que rarement référence aux conditions de réalisation des bruits et de ses conséquences au niveau du vécu (voir le fascicule du Ministère de la Santé où c'est, en bloc, l'évolution du monde moderne qui en est la cause). Dans ces études, le bruit est isolé de ses significations et seuls les effets pouvant faire l'objet d'une description finalement clinique sont pris en compte. Pour plus de références sur les effets physiologiques du bruit on pourra se reporter à :
Dans toutes ces études, le bruit apparaît comme un tribut payé à l'amélioration des conditions de vie. Ce dont il n'est jamais fait état, c'est la façon dont les différents groupes sociaux sont affectés par cette nuisance. Tout se passe comme si les victimes du bruit exerçaient toutes la même activité professionnelle, logeaient dans le même type d'habitat et étaient soumises au même type de bruit quantitativement et qualitativement. On remarque d'autre part que la responsabilité du bruit est particulièrement soulignée pour ce qui est de la fatigue et de l'agressivité (meurtres !), Envisager la question du bruit en ces termes, occulte les conditions de vie urbaine, la parcellisation du temps, la poids du rapport au travail (même non bruyant), les charges familiales, le système productiviste, Le bruit se présente comme un alibi et un masque qu'on isole de son contexte socio-économique. Comme dans nombre de discours sur la ville où l'urbain est personnalisé, le bruit, dans les études physiologiques, l’est également : « Le bruit domine dans l'usine, le bruit règne dans la rue, le bruit menace dans le ciel, il semble triompher partout, Il 'nous envahit, nous pourchasse, nous donne envie de fuir à la recherche d'un abri. Quel peut être cet abri ? En tout état de cause, ce devrait être le foyer, la maison où, bien calfeutrés, loin de toute agression, on pourrait goûter le plaisir de quelques heures de loisir et surtout jouir pleinement de ce sommeil réparateur qui devrait nous permettre d'autre le lendemain en mesure de résister à un nouveau combat (...) ; mais ce n'est pas chose facile car le bruit nous assiège et sait profiter de la moindre occasion pour s'infiltrer partout (... ). il saura par l'intermédiaire de la moindre défaillance de construction, ou de la complicité des matériaux, franchir l'enceinte qui lui est interdite (in « Le bruit fléau social », p. 70), Le bruit dans ce texte n'apparaît nulle part comme lié au système de production, et notamment au système de production du cadre bâti. Peut-on poser le problème du bruit en terme de besoins fonctionnels de l'homme; c'est la perspective du Séminaire sur « Les dimensions neurophysiologiques et neuropsychologiques des besoins fonctionnels de l'homme (en vue de leur projection ultérieure sur le plan architectural) » tenu par le RAUC (6 octobre 1968). Dans sa communication, J.-C. Lafon, indique le caractère extrêmement relatif des réactions aux stimuli sonores, et notamment des « réactions secondaires » : « La réaction de vigilance est l'alerte donnée à un individu par un signal. L'alerte est essentiellement donnée par les signaux transitoires, c'est-à-dire par les variations brusques d'intensité. Dans un milieu silencieux, un son brusque de 50 décibels, sera très réactogène, l'individu sursautera ; par contre dans un milieu bruyant de 80 décibels, il faut pour obtenir une réaction de vigilance 100 à 110 décibels Ce n'est pas la valeur absolue du signal qui compte, mais sa valeur relative par rapport au fond sonore. L'état de vigilance du sujet est également important. Plus il, est en attente d'un phénomène, plus sa réaction sera vive pour des variations d'intensité énergétique relativement faibles, et inversement. Ainsi, lorsque des mères appellent du 5ème étage d'un HLM, leurs enfants qui jouent sur un tas de sable, elles doivent crier très fort pour arriver à les alerter. Par contre, si l'enfant est attentif, il suffit quelquefois d'un signal, parlé presque à voix normale pour que le son éveille réflexe d'orientation et de vigilance » (p. 45). |
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Il
est remarquable que ce soit finalement un acousticien qui pose la
question du contexte, encore que celui-ci reste un contexte sonore.
Outre la réaction de vigilance, il est aussi fait état des réactions
d'habituation et de conditionnement, J.-C. Lafon, souligne aussi la
fonction protectrice que peut remplir le bruit : « On sait également
que les signaux continus sont beaucoup plus habitués (1) que
les signaux non continus : au bout de deux ou trois nuits, on dort très
bien près d'une rivière, d'une chute d'eau, même d'un train. |
1 - L'auteur fait ici référence à de nombreuses expériences d'habituation aux bruits, le terme habitué signifie que les personnes se sont habituées au bruit après un certain nombre de répétitions. |
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Ces bruits entrent dans le cadre de l'ensemble des perceptions qui donnent la connaissance du milieu auquel on est habitué. C'est la raison pour laquelle beaucoup d'étudiants travaillent avec de la musique. Cette musique ne sert pas d'incitation sensorielle, mais sert à masquer les variations brusques d'intensité, les signaux d'alerte, c'est-à-dire, tous les bruits de la vie courante, cris... » (p. 46). De ces aspects du bruit, on peut déjà tirer quelques perspectives d'approche du bruit en terme de gêne, puisque tout bruit n'est pas générateur de gêne et que, a contrario, il peut servir de rempart à toute gêne possible. C'est dans ce sens que la contribution de Me Bouvier (p. 50 à 61) est intéressante, il souligne en effet que . « les questions de bruit ont longtemps été cantonnées dans le domaine judiciaire aux problèmes de mauvais voisinage ». Depuis on a assisté à une généralisation des problèmes de bruit. Or, « on a cru que le fameux sonomètre, le décibel permettrait de fournir des normes simples (...) ; en définitive, il n'existe un problème de la nocivité du bruit que dans la mesure où il n'est pas très fort. Lorsqu'il s'agit d'un bruit très fort, 115 ou 120 db, tout le monde est d'accord pour constater qu'il produit des lésions physiologiques ou autres. Dans la pratique les affaires judiciaires font apparaître dans une très grande majorité des bruits qui se situent entre 30 et 60 db, très généralement entre 40 et 50 db ». De fait, la question sous-jacente à tous ces aspects du bruit est double : d'une part, reconnaissance des dangers physiologiques des bruits très forts et d'autre part tout le domaine des bruits qui ne se présentent comme trouble, agression, gêne que par rapport à un contexte. Tout le problème est la définition de ce contexte. Comme le note le professeur Scherrer de l'INSERM, dans ses « réflexions sur le sommeil » : »...les sons continus ne sont pas extrêmement gênants, à condition bien sûr de n'être pas à un niveau trop élevé. Par contre, les bruits intermittents sont très gênants, notamment s'ils contiennent des composantes aiguës ou s'ils comportent une signification (...). Certains bruits significatifs comportent une faculté de motivation de la vigilance beaucoup plus importante que d'autres bruits non significatifs » (p. 122). E.T. Hall est assez proche de ce point de vue : « La quantité d'informations collectée par les yeux et les oreilles n'a pas été calculée avec exactitude. Un tel calcul, non seulement nécessite une transposition, mais encore les savants ont-ils été handicapés par le fait qu'ils ne savaient pas quoi compter (...). Il est probable que chez les sujets normalement vigilants, les yeux soient jusqu'à mille fois plus efficaces que les oreilles pour ramasser de l'information. L'espace visuel, par conséquent, possède un caractère totalement différent de l'espace auditif. L'information visuelle tend à être moins ambiguë et plus focalisée que l'information auditive. Une exception majeure est le cas de l'écoute des aveugles qui apprennent à sélectionner les hautes fréquences, ce qui leur permet de localiser des objets dans une chambre. La perception de l'espace n'est pas seulement déterminée par ce que l'on peut percevoir mais aussi par ce que l'on peut filtrer. Des gens élevés dans des cultures différentes apprennent dans l'enfance, sans jamais en être conscients, à filtrer un type d'information tout en étant très attentifs à un autre. Une fois établies, ces structures perceptives restent apparemment assez stables pendant la durée de la vie. « Les Japonais, par exemple, ont besoin de nombreux filtres visuels mais se contentent parfaitement de murs en papier en tant que filtre acoustique. Passer la nuit dans une auberge japonaise alors que dans la chambre à côté, il y a une fête, constitue pour l'occidental une nouvelle expérience sensorielle. A l'opposé, les Allemands et les Hollandais dépendent de murs épais et de doubles portes pour filtrer le son, et ont des difficultés s'ils doivent le faire avec leur propre capacité de concentration » (The hidden dimension, pp. 42 à 45). Prenons bonne note de I'écrasante supériorité de la vue sur I'ouïe (nous y reviendrons), ainsi que des modalités différenciées culturellement de la mise en œuvre des sens perceptifs. On pouvait s'en douter depuis Marcel Mauss (« Les techniques du corps »). Toutes ces relativisations, aussi utiles soient-elles, ne viennent en définitive que rendre plus complexe le problème du sens attribué à la gêne et au bruit, et à leur interdépendance. Ce problème du sens, que nous avions déjà relevé comme la limite des études acoustiques, se révèle aussi être la limite de l'approche en termes psychophysiologiques. Qu'en est-il lorsque les études se déploient sur un terrain psychosociologique, c'est-à-dire qu'elles se définissent par rapport à un contexte incluant le champ des significations dont les bruits sont porteurs ? |
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2.5. ÉTUDES PSYCHOSOCIOLOGIQUES ET SOCIOLOGIQUES « APPLlQUÉES »Parmi ces études, nous distinguerons celles qui se donnent explicitement pour objet les effets sur l'homme (en général, même s'il est ensuite distingué, entre groupes sociaux et types d'environnement), du bruit en général ou de types de bruits, et les études qui s'attachent à des groupes sociaux particuliers généralement distingués par type d'habitat. Dans ce groupe d'études :
Dans le texte « Gêne de la communication causée par le bruit », par Stemerding-Bartens, Bitter et Mulder, TNO, il s'agit d'une étude réalisée aux Pays-Bas, entre 1950 et 1960, en milieu industriel. A la différence des études sur le bruit réalisées dans le but d'assurer une meilleure protection des travailleurs, elle vise à établir une corrélation entre les relations interpersonnelles et la gêne due au bruit. Pour ce faire, on définit deux types de communication :
On définit aussi des seuils de bruit :
Le déroulement de l'enquête répond au schéma classique des études industrielles de type Western Electric, et permet d'aboutir aux résultats suivants :
Le second groupe d'études s'attache au problème du bruit dans l'habitat et souvent spécifie les types d'habitat. On pourra se référer à :
Nous analyserons deux de ces études qui nous paraissent exemplaires dans leurs approches ; l'une s'attache explicitement au bruit (celle du CSTB) et à la détermination des normes permettant une appréciation subjective positive, l'autre laisse émerger la question du bruit d'une enquête générale de satisfaction (Ministry of Housing and Local Government). Mais ces deux enquêtes ne dépassent pas le stade d'un constat pouvant mener à des recommandations normatives. « L'étude sociologique de la satisfaction des occupants de locaux conformes aux règles qui sont supposées garantir un confort acoustique suffisant », réalisée par le CSTB, publiée en Mars 1969, entend vérifier les niveaux de satisfaction des normes 69 de confort acoustique, à savoir :
La méthode expérimentale choisie consiste en l'utilisation de haut-parleurs dont on mesure le niveau dans le local même et dans les logements voisins. L'isolement acoustique normalisé est défini comme les valeurs minimales suivantes :
l'écart entre le résultat des mesures et ces limites est dénommé I.Q. (Indice de qualité). Si l'I.Q. est supérieur ou égal à 0, la protection acoustique est tenue pour conforme. Si l'I.Q. est inférieur à 0, il y a non-conformité aux normes. Dans ce type d'enquête, reposant sur des questions directes : « entendez-vous les conversations de vos voisins du dessus dans votre salle de séjour, votre chambre, votre salle de bains, etc. ? » on obtient une grande dispersion des résultats pour un I.Q. donné; les pourcentages d'habitants entendant ou non le bruit sont très différents différences explicables, selon cette étude, par :
L'étude conclut que l'I.Q. apparaît bon juge de la qualité de l'isolement et que les moyennes suffisantes pour couvrir les bruits de conversation apparaissent néanmoins un peu faibles pour les radios et TV. Pour les bruits d'impact (avec une technique de mesure identique), il n'a pas été possible de donner des conclusions, l'échantillon étant trop faible (408 appartements). « Families living at high density », enquête réalisée par le Ministry of Housing and Local Government, à Leeds, Liverpool et Londres, en 1970, est une enquête de satisfaction classique ; elle établit que 50% des enquêtes (habitants de quartiers et d'immeubles à haute densité de population) se plaignent du bruit dont 25% trouvent le bruit « très gênant ». Plus de 33% déclarent que leur sommeil est troublé par le bruit. De fait, le niveau général de satisfaction est étroitement corrélé aux expériences désagréables de bruit. Excepté à Londres, les habitants des pavillons sont moins gênés que ceux des immeubles. C'est aux voisins que sont attribués les bruits constituant l'essentiel de la gêne (50% des enquêtés). 20%. se plaignent des bruits provoqués par les enfants (qu'ils soient intérieurs ou extérieurs). 12% se plaignent des bruits provoqués par l'utilisation des espaces communs (entrées, escaliers, etc. ). Enfin, on note que pratiquement aucun enquêté ne désigne comme source de bruit, les objets techniques (WC, tuyaux, ascenseurs, etc. Les bruits extérieurs sont aussi très peu mentionnés, exception faite des motos et des automobiles, ainsi que des enfants. La majeure partie de la gêne semble donc occasionnée par des bruits internes qui sont principalement les allées et venues des voisins, l'aspirateur, les enfants et la TV, dans cet ordre. Dans les immeubles, cette gêne est surtout attribuée aux voisins supérieurs. Souvent, c'est à la juxtaposition d'un séjour et d'une chambre voisine que l'on doit la gêne. Une ménagère s'est plainte de « ronflements » et de « pillow-talks » embarrassants, perçus à travers les murs. On enregistre des variations considérables de la gêne, selon « la psychologie des individus ». Ainsi des ménagères vivant dans des appartements identiques déclarent « entendre absolument tout », aussi bien que « n’entendre rien du tout ». Ces résultats sont inversés dans le cas d'habitat de faible densité où les bruits extérieurs apparaissent dominants. Plus de 50% des ménagères se sentent tenues de faire attention à ne pas faire de bruits. Dans certains cas, des jeunes mûres attribuent leur dépression nerveuse à l'obligation constante de limiter le bruit occasionné par leur bébé. On le voit , ces études aboutissent à ce constat la gêne due aux bruits est différente selon la psychologie des individus considérés. De même, les études psychophysiologiques avaient montré que hormis le seuil de gêne physiologique absolu (+ ou - 100 db), la gêne due au bruit dépend non seulement du contexte sonore (acoustique), mais surtout du sens des bruits perçus et du mode de vie sur lequel ils interviennent. Ne peut-on trouver dans des études sociologiques proprement dites, les conditions d'émergence de la gêne due au bruit ? On pourra aussi consulter : « Noise annoyance suceptibility », by Moreira & Bryan, Communication à la Société britannique d'acoustique appliquée, publiée le 22/4/72, in Journal of Sound and Vibration Research. |
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2.6. ÉTUDES SOCIOLOGIQUES (où le bruit apparaît)Nous voudrions tout d'abord montrer comment l'approche de la gêne due au bruit peut se révéler être un artefact qui conduirait à vouloir, à toute force, considérer le bruit comme générateur obligé de la gêne et tenir pour averti qu'il y a toujours un problème du bruit. Dans une étude sur : « Fear and the house as heaven in the lower class ». (Journal of the American Institute of Planners, Jan, 1966), Lee Rainwater, s’est attaché à déterminer les dangers auxquels fait face, dans son habitat, l'individu des classes défavorisées. Il les classe en dangers non-humains et humains. Nous en donnons la liste :
Passons sur le flou de certaines notions typiques de la sociologie américaine, et remarquons que le bruit n'est absolument pas mentionné en tant que problème pesant sur la vie des classes défavorisées. La seule mention d'une gêne due au bruit en milieu de bidonville que nous ayons pu trouver est contenue dans cet extrait d'interview : « ...ici tu ne peux pas te reposer, les rats font du bruit toute la nuit tu vas essayer et tu vas voir ! On ferme pourtant la porte mais ils rentrent quand même. Sur le toit il y en a tout le temps : on dirait un homme qui marche ! La nuit on ne dort pas beaucoup parce qu'on écoute toujours ; il paraît qu'à Nice un bidonville a brûlé ». (in : Bidonvilles de M. Hervo et M.A. Charras, ed. Maspero, 1971, p. 61). Le bruit dans le contexte social et culturel du bidonville n'est un problème et une gêne que parce qu'il est signe de danger, il suscite et entretient la vigilance. Cette gêne n'est à aucun moment référée à l'intensité sonore (mesurée en db ou dbA dans les études acoustiques), mais bien à la signification (ici égale au danger physique). Or, il est bien connu que les bidonvilles, dans le monde entier, sont très bruyants ; la non-émergence d'une gêne liée à ce bruit ne peut qu'être liée à des facteurs socioculturels et socio-économiques qu'il serait extrêmement profitable d'élucider pour le problème qui nous intéresse. Si les habitants des bidonvilles ne semblent pas gênés, ou ne se disent pas gênés par le bruit, par contre dès que l’on franchit un barreau sur l'échelle sociale et que l'on aborde le milieu des habitants des HLM, l'image change radicalement : « Nous recevons un soir, vers 21 heures, un ami venu de loin. C'était la première fois qu'il pénétrait dans un grand ensemble. Nous l'accueillons, parlons, échangeant des nouvelles, préparant des projets, nous à voix feutrée, lui à haute voix. Il s'en étonne : pourquoi parlez-vous si bas ? Nous lui expliquons : pour ne pas déranger les voisins. Nous lui montrons sa chambre. Il visite l’appartement, nous lui ouvrons les portes, actionnons les interrupteurs dans toutes les pièces, Un voisin, un ami vient nous prévenir (il habite au 4e, à l'étage au dessous) : ceux du troisième tapent au plafond, croient que c'est lui qui mène la sarabande. Le lendemain matin nous rencontrons le voisin du second qui se plaint du bruit des locataires du troisième. Ce soir là, les habitants du premier étaient allés au cinéma. Nous avions fait du bruit mais un bruit « normal », nécessaire ; d’habitude, nous évitons après 21 heures d'entrer sans motif sérieux dans nos pièces, mais nous ne pouvons quand même pas ne pas tirer une chasse d'eau ou monter les cinq étages à pied sous prétexte que l'ascenseur fait du bruit Les voisins savent à quelle heure nous rentrons, si nous prenons une douche en rentrant de voyage. Nous entendons des lits grincer, des robinets couler, Nous sommes, comme les autres, des écouteurs. » (in Vivre dans les Grands Ensembles, par R. Kaès, les Éditions Ouvrières). Il apparaît que la gêne attribuée ici. au bruit en fait le bouc émissaire de conditions générales de vie qui supposent un usage de l'espace anonyme, alors que l'habitat devrait prémunir contre toute atteinte à la vie privée, il exacerbe en fait toutes ces atteintes dans le seul rapport signifiant de la vie des grands ensembles : le bruit des autres qui manifestent leur existence. cf. « Des conflits de palier », Barde, in Études Internationales de psychosociologie criminelle, octobre, 1965. En conséquence, toute approche du bruit en terme de gêne, se situe dans la zone de bruit qui n'est pas de l'ordre du trouble physique causé par l'intensité même du bruit : avions, machines (encore que la soumission volontaire à des affects sonores violents comme dans la musique POP puisse se concevoir). Le problème de la gêne ne se pose vraiment que dans les cas où le bruit n'est pas évidemment gênant. Dans ces limites, les études acoustiques renseignent sur les effets fondamentaux des bruits mais ne se posent pas la question de la gêne. Les études physiologiques et psychophysiologiques posent les limites même que nous venons d'établir. Enfin, les études sociologiques lorsqu'elles ne sont pas appliquées à la vérification de partis urbanistiques ne débouchent que sur la constatation de variations psychologiques de la perception de la gêne. C'est dans les études qui ne prenant pas explicitement le bruit pour objet, le font surgir dans le champ des pratiques, que la gêne due au bruit apparaît dans son contexte global sociologique et psychologique. C'est, nous semble-t-il, sur le sens que revêt le bruit dans un contexte sociologique à définir et pour des individus dont la personnalité est aussi à définir que doit s'appuyer une approche cohérente de la gêne due au bruit et inversement sur le sens de cette gêne. L'ensemble des perspectives que nous venons d'évoquer sont présentes dans le rapport du RAUC, intitulé « Étude des besoins fonctionnels de l'homme, en vue de leur projection ultérieure sur le plan architectural, Séminaire n°1, 17 et 18 mars 1968 » Notons au passage la perspective générale de ce séminaire qui pour M. Dameron pose l'architecture comme devant être « l'expression projetée dans l'espace des sciences humaines » (p. 5). Pour ce qui est des problèmes acoustiques, M. Metz souligne : « une distanciation qui est malheureusement trop souvent oubliée, c'est que les exigences acoustiques de l'habitat doivent être définies comme l'absence de gêne et non pas comme l'absence d'effets nocifs sur l'audition (...) Par conséquent, il s'agit d'un domaine où la définition de normes aussi bien que leur application, demandent une connaissance extrêmement précise aussi bien de l'acoustique physique que de l'acoustique physiologique ». (67-68). L'importance de cette distinction est mise en relief par M. Burgard, dans sa communication sur « Fatigue et saturation psychosensorielle » : « Comme tout le monde le sait le travail intéresse tous les organes des sens et le cerveau. Il débouche dans l'informatique, ainsi que sur les problèmes de choix ou de décision, ou au contraire, quand les organes sont bloqués, sur des problèmes d'inhibition au sens pavlovien, ou de refus au sens behaviouriste. L'ennui c'est que l'homme est déjà saturé d'informations à son travail, dans la cité et les transports et qu'il rentre chez-lui pour être soumis à de nouvelles salves de stimuli sensoriels qui lui sont imposés par des moyens de masse : radio, télévision, presse illustrée, etc. Ceci se passe à un niveau privilégié du cortex cérébral mais aussi en résonance des zones plus profondes de la personnalité du sujet, des circuits affectifs et émotionnels. Tous les impacts que l'on trouve dans la cité, en particulier dans le domaine des communications de masse, font appel aux instincts et aux pulsions, c'est-à-dire qu'ils sont chargés de meurtre et d'érotisme » (p. 81). Ce contexte de toute étude du bruit en termes de gêne permet de comprendre l'intervention de M. Sapir sur la psychopathologie de l'environnement ; après avoir parlé des relations à l'intérieur de la maison, il poursuit , « Mais dès que l'on touche au dehors, nous sommes devant une problématique extrêmement multiple qui comporte les structures mêmes de la maison, le palier, les voisins du palier ou des étages, les séparations, l'insonorisation. Autant le bruit des autres peut gêner, autant l'insonorisation parfaite peut-être nocive. Le silence peut être jugé comme mort et dans le silence, le bruit retentit comme l'ennemi. Dans certains cas au contraire, surtout dans les classes populaires habituées à des rencontres, le bruit est un facteur de vie, un facteur de communication et pas forcément un facteur d'hostilité ». (p. 98). C'est le même thème que développe Mlle Cournet, s'agissant du logement : « Le logement répond à la nécessité que les familles ont de se différencier et d'exister indépendamment. Il répond à ce besoin en créant des limites qui le localisent matériellement, mais sur le plan de l'odorat, de l'ouïe, de la vue et même du toucher, cette nécessité fondamentale ne parait pas respectée. La facilité avec laquelle on perçoit, les bruits des voisins mais aussi la conscience que l'on a que ces mêmes voisins écoutent nos propres bruits, amènent en plus d'une fatigue sensorielle, des troubles importants de la vie psychique des individus et du groupe familial » (p. 118). Qu'on se souvienne des conclusions de l'enquête anglaise à laquelle nous avons fait référence sur les bruits des enfants réprimés par des mères soucieuses de ne pas gêner le voisinage. Mlle Cournet ajoute . « Sur le plan du bruit j'ai eu à m'occuper personnellement d'une famille dans laquelle un problème très grave se posait au niveau de la mère et des enfants, qui n'est pas encore résolu parce que le père a été assassiné par un voisin qui ne pouvait plus supporter le jeu des enfants avec une balle contre son mur. Cela s'est passé il y a sept ou huit ans dans le I3ème arrondissement (... ) ». Mentionnons aussi l'importance des scènes de ménage : elles sont salutaires mais sont souvent évitées parce qu'on craint toujours de gêner le voisin. Pourtant les couples ont besoin de s'exprimer, « c'est nécessaire » (p. 119). L'aspect social de la gêne due au bruit est enfin souligne par Mme Audry qui note que : « Les bruits des voisins sont difficilement supportables parce qu'ils reflètent toute l'activité minime du quotidien : le bruit des casseroles, d'enfants qu'on gronde, etc. C'est le fond presque sordide de la vie quotidienne. On se sent soi-même devenu cela, car à partir du moment où on se sait écouté, on s'écoute comme une espèce d'objet extérieur à soi. » (p. 146). Ces diverses communications aboutissent bien à montrer que « les conditions que peuvent donner le physiologiste ou le psychologue, doivent être bien définies dans des systèmes limites » (p. 155), selon M. Bresson. « Autre problème : le psychologue cherche à étudier des processus de façon relativement indépendante des conditions culturelles, mais les besoins, les motivations qui interviennent dans les systèmes de valeurs qui vont jouer pour définir des options, eux, dépendent étroitement des conditions culturelles ». (p. 155) Finalement, ne peut-on aussi se référer à l'ouvrage de H. Laborit, La nouvelle Grille, pour concevoir les problèmes de la gêne due au bruit en ces termes . « Il y a donc probablement une régulation « en tendance » provoquée par l'action de l'homme sur son milieu, aboutissant à en homéostasier de mieux en mieux les caractéristiques physico-chimiques mais aboutissant à la perte progressive de l'entraînement aux variations de ces caractéristiques, rétrécissant d'autant la marge des écarts supportable entre lesquels le « bien-être » est conservé. Il en est ainsi pour l'air conditionné, l'ascenseur, les différents moyens de locomotion remplaçant la marche, etc. » (p. 106), et ajouterons-nous, pour les diverses catégories de bruits manifestant la présence, ou l'hostilité d'autrui. |
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3. - MÉTHODOLOGIE ET DÉROULEMENT DE L’ENQUÊTELa méthodologie de la collecte des informations auprès des habitants a été modifiée plusieurs fois pendant sa mise au point; pour cette raison méthodologie et déroulement de l'enquête sur le terrain ne peuvent être décrites qu'ensemble. On peut distinguer quatre phases principales. |
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3.1. LANCEMENT DE L’ÉTUDECommencé en janvier 1974, le travail de l'équipe s'est d'abord orienté vers des discussions de groupe sur la notion de gêne, de bruit et de signification, ainsi que sur les déterminants idéologiques de l'étude. Ces discussions visaient à acculturer l’équipe à son objet d'étude ainsi qu’à recenser et préparer des méthodes potentiellement envisageables. A l'issue de ces réunions le plan de travail s'est structuré suivant cinq objectifs :
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2 - Plan Construction, Rapport du groupe de travail acoustique, octobre 1972, Union Nationale des Fédérations d'organismes d'HLM, p. 6. § 2. |
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3.2. OUTIL D'INVESTIGATIONDans un deuxième temps, ont été explorées les différentes possibilités, quant aux méthodes de recueil de l'information auprès des habitants. Il a été procédé à une demi-douzaine d'entretiens non-directifs (laissant l’interviewé entièrement libre) dont la consigne était « pouvez-vous me parler de l'endroit que vous habitez », afin d'éviter toute induction du thème du bruit, qui n'apparaissait donc qu'aléatoirement dans le discours de l'interviewé (indépendamment du bruit réel existant dans l'environnement). Cette première approche permit de constater le niveau d'exploration très partiel du thème de la gêne attribuée au bruit, dont le champ n'était pas délimité. Cet échec relatif conduisit à envisager de recueillir l'information par exploration semi-directive et ouvertement centrée sur le bruit. Les arguments en faveur d'une telle approche étaient :
Mais son inconvénient majeur est évidemment de mal situer l'importance du problème de la gêne attribuée au bruit par rapport à d'autres préoccupations des habitants touchant à leur cadre matériel de vie (et davantage encore par rapport à des facteurs plus globaux de société, personnalité ou idéologie). Le test sur dix entretiens qui fut effectué en avril/mai 1974, montra rapidement ce défaut, d'où la nécessité de structurer l'outil par champs d'exploration : le champ du logement, du relationnel, de la famille et du couple, de l'enfance, de la répétitivité des stimuli sonores dans la journée, du travail, et de l'idéologie du bruit (cf. Annexes, p.149). La formulation des questions et des relances éventuelles aux questions de chaque champ, ainsi que leur succession furent étudiées longuement à ce stade du travail de constitution de l'outil. Parallèlement se posait le problème du recueil de variables psychologiques à l’aide de tests de personnalité : le seul test sonore existant, le « tautophone », mis au point par Shakow et Rosenzweig, a été abandonné depuis longtemps car les résultats obtenus étaient discutables. Une tentative récente, en Suisse, mise au point par G. Roissier, n'a pu finalement être retenu du fait de son maniement lourd et long et de l'incertitude de ses résultats. L'idée de constituer un test sonore nous-mêmes, en enregistrant sur bande magnétique une série de sons en liaison avec le champ d'exploration de notre étude, et en demandant aux personnes interviewées d'associer sur chaque stimulus sonore, dut être abandonnée. En effet, mettre au point un tel test demandait un travail important de cotation et étalonnage des réponses, travail qui excédait nos moyens et supposait une compétence que nous n'avons pas. D'autre part, le phénomène de projection n'est saisissable qu'à travers des données verbales ou graphiques, et les associations, pour l'audition comme pour les autres sens, ne sont décriptables qu'à travers un système facilement utilisable par tous, en l'occurrence, le langage. Restaient donc les techniques projectives classiques du type T.A.T., Rorschach ou tests associatifs. Nous avons délibérément fait le choix, (compte tenu de notre expérience de l'utilisation du T.A.T.) de ne pas utilisera pour la présente étude, des planches projectives. En effet, la mise au point de ces planches à concevoir pour cette recherche spécifique, l'augmentation de la longueur de l'entretien, ainsi que la difficulté de son interprétation visant à obtenir des données sur la structure psychologique profonde des interrogées, nous ont semblé déborder le niveau d'exploration que nous pensions pouvoir atteindre dans cette première approche psychosociologique du bruit. Nous avons préféré nous centrer sur un test associatif court, moins ambitieux quant à la recherche d'informations sur la structure profonde des individus, mais dont la valeur clinique est prouvée pour la recherche de renseignements concernant le contenu de la pensée et des sentiments du sujet. Cette méthode des phrases à compléter est tout à fait souple et est facilement applicable pour des problèmes expérimentaux spéciaux dans le domaine de la personnalité. Dans cette méthode, on demande au sujet de terminer le plus rapidement possible une phrase dont on donne les premiers mots. Ces phrases sont construites de façon suffisamment ambiguë pour que les réponses qui y sont faites correspondent aux sentiments, attitudes et réactions spécifiques des sujets. Le but d'une réponse rapide et d'une construction de phrase à la troisième personne, est d'obtenir un matériel préconscient, c'est-à-dire ce qui vient spontanément à l'esprit. Nous avons ainsi construit 26 phrases en liaison avec les différents corps d'hypothèses disponibles à cette phase de notre étude. Cette liste est publiée en annexe. |
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3.3. ÉTABLISSEMENT DU PLAN D'ECHANTILLONLe caractère exploratoire de l'étude excluait d'emblée d'envisager de traiter des échantillons représentatifs, mais sans chercher une représentativité statistique sur le plan de la population, nous avons voulu recueillir du matériel auprès de personnes vivant des conditions souvent aussi variées que possible, ce qui implique la constitution d'un échantillon où seraient représentés, à part à peu près égale, des habitants de zones calmes, bruyantes et très bruyantes, répartis selon des types d'habitats différents. La délimitation des zones acoustiques posant des problèmes si elle devait se faire de façon rigoureuse à l'aide d'une campagne de mesures sur le terrain, nous nous sommes contentés, dans notre optique exploratoire, de procéder par l'observation directe des conditions sonores, en allant contradictoirement sur place écouter. Cette méthode, pour subjective qu'elle soit, peut s'objectiver par la confrontation du vécu subjectif sonore des différents observateurs (et nous voulons rappeler ici que, par exemple dans le domaine de la Hi-Fi, après la période scientiste qui multiplie les mesures abstraites d'unités acoustiques toujours plus insaisissables, on en est venu à créer des jurys d'écoute pour départager les qualités musicales des installations techniques...). D'autre part, et c'est plus important, les personnes que nous allions interroger étant elles-mêmes pourvues d'un appareil auditif en tous points semblable au nôtre, les différences physiologiques d'audition, compte tenu de la subjectivité psychique du vécu du bruit, bien que réelles, peuvent être légitimement tenues pour des quantités négligeables (si l'on exclut les sourds de l’échantillon). Le travail d’établissement de l'échantillon prit sa forme définitive dès lors que fut reconnu l'intérêt à dédoubler l'échantillon entre Paris et la banlieue et de combiner des variables a priori liées à la « gêne » tel le type d'immeuble, zonage ... L'échantillon envisagé peut ainsi se distribuer selon :
Ces variables se combinent pour donner finalement 20 zones, présentées dans le tableau suivant : (Les numéros des zones se rapportent au document en annexe, p.151-152, qui fournit leur localisation) : |
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3.4. L’ENQUÊTELa centration du guide d'entretien sur le problème du bruit nous a permis de présenter I'enquête, lors de la prise de contact avec les habitants, comme « une enquête sur les problèmes du bruit ». Ceci produisait rapidement un premier résultat : dans les zones bruyantes l'enquête était facilement acceptée, mais trouver des rendez-vous dans les zones calmes était beaucoup plus ardu. En banlieue notamment, les pavillonnaires des zones calmes ont souvent réagi de façon significative à la présentation, en conseillant aux enquêteurs « d'aller dans les HLM, ici on n'a pas de problèmes ». Les refus d'enquêtes ont atteint 100% pour la zone B6, des pavillons en bande dans une zone calme de Massy-Antony : ce type d'architecture, intermédiaire entre le HLM et le pavillon individuel classique, semble conditionner chez ses habitants une sensibilité poussée à se démarquer des grands ensembles, associés aux « problèmes sociaux ». Le pavillon fonctionnant comme symbole de « la réussite sociale », il est pénible aux habitants de ces constructions, qui rappellent trop la sériation des collectifs, de se voir rétrograder à l'image sociale du HLM, des enquêteurs sur le bruit ne pouvant dans leur esprit que s'intéresser aux HLM. Dans les pavillons en bande de la zone bruyante B8, les enquêteurs ont été nettement mieux accueillis. Dans les zones très bruyantes, surtout en HLM, l'acceptation de l'enquête reposait parfois sur l'illusion d'un certain pouvoir administratif détenu par les enquêteurs, supposés pouvoir intervenir et résoudre des problèmes techniques ou de voisinage particuliers à l'immeuble. L'enquête sur le terrain a été effectuée en août, septembre et octobre 1974. Les entretiens, d'une durée variant entre une et deux heures, ont été enregistrés au magnétophone et retranscrits intégralement, aux fins d'analyse. |
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4. - ÉCHANTILLON RECUEILLI (tris à plat)4.1. STRUCTURE SOCIOLOGIQUE DE L’ÉCHANTILLONL'échantillon des personnes comprend 1/3 d'hommes et 2/3 de femmes : ces dernières étant plus souvent présentes lors du passage des enquêteurs, mais peut-être également plus motivées pour répondre à l'enquête du fait même de leur plus intensive utilisation de l'habitat pour celles qui ne travaillent pas au dehors. Les classes d'âge semblent bien représentées, avec 1/4 de jeunes de 20 à 29 ans, 1/2 d'adultes de 30 à 49 ans, 1/4 de personnes plus âgées, et quelques jeunes de moins de 20 ans (ces deux dernières classes d'âge ayant été moins souvent exploitées dans l'analyse qualitative). La quasi totalité des personnes interrogées sont mariées (ou ne vivent pas seules). Les niveaux de scolarité se répartissent de façon égale entre 1/3 n'ayant fréquenté que l'enseignement primaire, 1/3 le secondaire, 1/4 ayant eu accès à une forme ou une autre d'enseignement dit supérieur. Les classes sociales (référées à la catégorie socioprofessionnelle) sont ainsi distribuées : 30% de personnes appartiennent aux couches sociales les plus défavorisées, 64% à la « classe moyenne », 6% aux couches sociales plus privilégiées. Les revenus du foyer n'ont pas été communiqués par tous les interviewés, une majorité (40%) dispose de plus de 4 000 F par mois (ce groupe comprend les privilégiés ainsi que la plupart des familles à double salaire), 25% disposent de 2 000 à 4 000 F et 15% ne disposent que de moins de 2 000 F par mois. Une variable « mobilité sociale » (basée sur le niveau de scolarité ainsi que celui du conjoint, des parents et beaux-parents, la CSP antérieure et actuelle de l'interviewé et la CSP du conjoint) classe l'échantillon en 50% de personnes stables socialement, 1/3 se situant en mobilité ascendante et 15% en mobilité sociale descendante. La moitié de l'échantillon possède une automobile 75% des interviewés rejoignent leur lieu de travail en moins de 30 minutes (mais ce chiffre ne tient pas compte des 2/3 de femmes qui ne quittent pas le domicile), 15% ont un temps de transport de 30 minutes à une heure et 6% de plus d'une heure. Les transports en commun sont utilisés par 1/4 de l'échantillon et les modes de transport privés par 1/5 (le solde ne se déplaçant pas ou rejoignant le lieu de travail à pied). |
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4.2. L'HABITAT DE L'ÉCHANTILLONLes 3/4 des interviewés sont des locataires et les 3/4 également occupent leur logement depuis plus de deux ans (15% entre 6 mois et 2 ans). La taille du logement reflète celle de la famille, et se distribue normalement, avec 10% de un ou deux pièces, 75% de trois à quatre pièces et 15% de cinq pièces et plus. L'environnement social du quartier est « Populaire » pour 60% des personnes interrogées et « mélangé » pour les 40% restants, l'échantillon ne comprenant pas de quartiers spécifiquement « bourgeois ». Le type d'habitat est le pavillon pour 1/3 de l'échantillon, le « grand, ensemble » pour 57% et les immeubles traditionnels pour 10%. Le « standing » de l'habitat se répartit en 1/4 d'habitat sans confort, 70% de confort moyen, 5% de grand confort. En ce qui concerne les zones d'habitat ; 1/3 habitent Paris, la moitié en banlieue éloignée, 15% en banlieue proche sur un axe routier (RN 20 et RN 136). Le niveau de bruit, subjectivement choisi par les chercheurs, est le suivant 13% caractérisé « calme », 40% « moyennement bruyant » et 47% « très bruyant ». L'habitat connu dans l'enfance, au plan du bruit, a été pour 1/3 des personnes interrogées un « quartier urbain animé », pour la moitié un « quartier calme », pour 20% un habitat à la campagne ou au contact de la nature; 1/3 déclarent avoir la possibilité de passer le week-end dans une résidencesecondaire, (possédée en propre ou non). En outre, 20% quittent en week-end leur logement pour retrouver la nature, 36% restent chez eux et 6% sortent au centre-ville. |
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4.3. ÉVALUATIONS EXPRIMÉES PAR LES INTERVIEWÉSEn ce qui concerne la taille du logement, 70% l’estiment trop petit (et seulement 5% trop grand... ) contre 25% qui se déclarent satisfaits. Le confort est jugé insuffisant par 45%, « moyen » par 5%, suffisant par 50% des personnes interrogées. L'attrait de l'environnement laisse « indifférents » 10% d'interviewés, les autres se partagent entre « attrayant » ou au contraire « peu attrayant ». Le quartier est « calme, un peu mort » pour 30% des interviewés, « animé » pour 21% et « bruyant » pour 45%. Le désir de changer de logement est exprimé par 10% de personnes sans précision quant à son motif, 20% déclarent vouloir déménager à cause du bruit et 40% pour d'autres raisons, notamment la taille du logement. Parmi les interviewés qui expriment le désir de rester dans leur logement actuel, les 3/4 ne savent pas pourquoi, 10% motivent leur décision par le calme, le silence dont ils bénéficient, 10% enfin veulent rester pour d'autres raisons. Le degré de sonorité de l'immeuble est jugé par 20% très bruyant, par 36% moyennement bruyant, par 30% peu bruyant, par 15% pas bruyant. L'insonorisation est jugée assez bonne par 30%, « moyenne » par 35% et mauvaise par 35% des personnes interrogées. Sollicitées ensuite par l'enquêteur de procéder au bilan entre bruits internes à l'immeuble et bruits externes 2% seulement se déclarent le plus gênés par les « bruits de l'immeuble », 15 trouvant que la plus grande gêne provient de l'extérieur, 60% déclarent que ces deux types de gêne sont équivalents, et 20% disent ne pas être gênés. Les facteurs de gêne interne dans l'immeuble sont avant tout les voisins, pour 1/4 de l'échantillon, les escaliers, ascenseurs, portes d'entrée pour 1/4, les enfants pour 15%, les bruits techniques (conduites d'eau, vide-ordures, etc.) pour 15% et « l'ensemble des bruits » pour 5% des personnes interrogées. Les facteurs de gêne externes sont surtout la circulation automobile continue, pour 40% des interviewés, et les bruits de circulation peu fréquents mais très forts (sirènes de police, ambulance, pompiers et motocyclettes) pour 1/3. Viennent ensuite tous les bruits renvoyant à la technicité (engins, travaux, avions) pour 10% des interviewés, enfin la circulation secondaire (spécifique à l'immeuble : automobiles au pas) et les jeux d'enfants, les fêtes et bruits à connotation humaine socialisée ne dérangent que 5% de l'échantillon. |
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5. - ANALYSE FACTORIELLEÉtant donné la très grande complexité des interrelations pressenties entre les différents vécus des stimulations sonores, et pour explorer d’un point de vue méthodologique si une investigation de caractère pseudo-statistique avait quelque cohérence avec les hypothèses de l'analyse de contenu, nous avons procédé, en marge des analyses de contenu proprement dites, à une double analyse factorielle en composantes principales (l'une portait sur la gêne du bruit, l'autre sur son intensité). Certes la taille insuffisante de l'échantillon et le caractère très approximatif de l'échelle des caractérisations ne pouvaient conférer une grande signification à une telle investigation. Notre objectif était essentiellement d'explorer s’il y avait dans les interrelations un symptôme d'homologie entre l’intensité du bruit et sa gêne. Nous avons en conséquence analysé 47 dossiers en relevant dans chacun d'eux :
La gêne ou l'intensité ont été retenues comme variables principales (ou actives) et c'est en fonction du vécu de chaque interviewé que le nuage représentatif a été construit. Un second groupe, de 44 variables, a été retenu comme variables secondaires uniquement pour tenter de caractériser les agrégats des habitants qui, selon la projection, paraissent avoir une attitude voisine à l'égard de la gêne (ou de l'intensité). |
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5.1. LA TYPOLOGIE DES BRUITSAu
terme du travail de compilation des relevés des bruits mentionnés par
les interviewés, une typologie en 13 points a pu être établie; cette
typologie constitue évidemment un compromis entre les discours
individuels et son application ne peut être que réductrice : |
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5.2. LES VARIABLES SECONDAIRESCes variables, parfaitement maîtrisables, comprennent l’âge, le sexe, la C.S.P., etc. Ce sont celles dont le tri à plat a fait l'objet d'une présentation au chapitre précédent. Leur codage n'a posé aucune difficulté. |
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5.3. L'ANALYSE DES BRUITS DANS LE DISCOURSPar
contre le travail de codage des individus dans les 13 catégories de la
typologie des bruits a exigé la définition de critère interprétatif
particulier, avant de porter une caractérisation dans une catégorie
donnée. On ne peut nier la part d'aléatoire et d’arbitraire à ce
niveau.
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Les grandes échelles retenues pour les deux séries de caractérisations étaient les suivantes :
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5.4. LES RÉSULTATS DU TRAITEMENT STATISTIQUE SUR LA GÊNE DUE AU BRUITL'exploration du nuage des 47 individus ou des 13 bruits de la typologie s’est limité à celle du premier espace à trois dimensions. 5.4.1. Le nuage des habitants |
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Structure du nuage des habitants |
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Au
centre de la structure se regroupent les individus dont l'attitude est
la moins différenciée (relativement à l'échantillon) : une ménagère de
35 ans, 2 enfants, mariée à un ingénieur, habitant une HLM dans la zone
1 constitue, si l'on peut dire, le référent de la distribution ;
elle ne se plaint pas des bruits externes, par contre elle parle
beaucoup de la gêne que lui occasionnent ses voisins. Autour de cette
femme se regroupent B51, B44, M08, M03. Ce groupe comprend des individus des zones 1, 9 et 11 qui sont calmes, et des zones 4 et P1, très_bruyantes. Pourtant ces individus présentent à l'interview un même type d’attitude envers le bruit. A titre d’exemple la grappe A comprend notamment l'interviewé B6, très sensible à tous les bruits qu’ils soient internes ou externes au logement (c'est une famille d'handicapés de la vue). On y trouve également B43., une femme très insatisfaite sur le plan social et familial à la suite d'un divorce : elle est passée d'un pavillon tranquille à une HLM très bruyante où elle vit le voisinage comme lui étant hostile. Mais on y trouve aussi Mme B8, dont le cas est tout à fait à l’opposé : elle a le sentiment, d’ailleurs fondé, d'une réussite personnelle et familiale; elle se plaint du bruit de la rue et moins de son voisin du dessus, sauf quand il bricole. B8 est très proche de B48, un homme qui tolère très mal le bruit lui aussi, mais projette sur le bruit une insatisfaction sociale, avec valorisation du « bruit humain » de sa ville natale dans le Midi. L'examen des autres ensembles conduit à la même constatation générale : ils regroupent des attitudes de gêne certainement proches selon la fréquence d'apparition des 13 catégories de bruit, mais pratiquement toutes les variables secondaires individuelles se distribuent de façon peu significative selon les sous-ensembles du nuage des habitants; en particulier les zones de bruit se distribuent de façon quasi aléatoire selon le caractère sonore de la zone. |
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Distribution
des interviewés de chaque sous-ensemble selon les zones d'habitat
calme « bruyante » et très bruyante » |
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5.4.2. Le nuage des 13 types de bruits Structure du nuage des 13 bruits de la typologie |
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Les lettres-code se rapportent à la typologie : |
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A
: Circulation automobile intense, engins, travaux, motos, ambulances,
TV et radio des voisins, famille adulte : ce groupe constitue un type
de gêne assez homogène, à l'exception des « membres adultes de la
famille » dont on ne peut à ce stade proposer une interprétation
satisfaisante de sa proximité avec les autres bruits.
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5.5. RÉSULTATS SUR L'INTENSITÉ DES BRUITSConcernant l'intensité,
sa structure spatiale la fait apparaître comme nettement moins
déterminante que le type de gêne, ce qui indique bien que (dans la zone
d'intensité où nous opérons) la gêne est davantage liée à la
signification qu'à l'intensité. A noter cependant que pour les niveaux
sonores forts et moyens, il y a une corrélation avec un comportement
plus bruyant de l'interviewé. |
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6. COMPLÉMENT D'ENQUÊTE AUPRÈS DE DIX FAMILLES
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6.1. BUT DE CETTE SOUS-ÉTUDE.La
grande dispersion des attitudes envers le bruit dans les différentes
zones de l'échantillon (attitudes qui ne recoupent pas les types
d'habitat contrairement à l'hypothèse qui nous avait fait adopter cette
variable) nous a amenés à nous interroger davantage sur l'absence
apparente de corrélation entre le vécu du bruit dans une zone donnée
d'habitation et les caractéristiques acoustiques de cette zone. Il nous
a semblé qu'une étude de cas sur dix familles supplémentaires dans une
des zones déjà étudiées devrait permettre de mieux dégager les
mécanismes par- lesquels des stimuli sonores sont affectés de telle
signification, plutôt que telle autre, et ce, en fonction des
caractéristiques de tout ordre intervenant au niveau de la zone
d'habitat, sa localisation, sa « structure sonore » (ou paysage
sonore), son architecture et urbanisme, mais également la composition
sociale de sa population, son histoire récente dans le processus
d'urbanisation, l'image globale dominante du quartier chez ses
habitants (le complexe de représentations liées au vécu synchronique et
diachronique du quartier); bref, en fonction d'un maximum de variables
pouvant intervenir dans la formulation (ou l'attribution) des
significations du bruit et/ou de la gêne. |
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6.2. DESCRIPTION DE LA ZONE HLM DANS PARISL'échantillon
étudié dans ce chapitre habite dans un ensemble HLM qui présente
l'avantage d'être homogène socialement, ainsi que sur le plan
architectural, tout en étant composé d'immeubles dont certains
subissent le bruit considérable de rues ou d'avenues très « passantes »
(autobus, métro aérien), tandis que d'autres, situés au centre de
l'ensemble ne reçoivent ces bruits que très fortement atténués. La
proximité d'un hôpital provoque de nombreux passages d'ambulances
(ainsi que des survols d'hélicoptères, dont aucun n'a été mentionné).
Les immeubles situés au centre de l'ensemble bordent de vastes cours
plantées de gazon. Les dix entretiens complémentaires (qui portent à 16
le total de personnes interviewées dans cet ensemble) se répartissent
de la façon suivante: |
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6.3. : ANALYSE QUALITATIVE DES TROIS SOUS-GROUPES PAR ZONE DE BRUIT6.3.1. Analyse des entretiens avec des locataires de logements exposés au bruit de la circulation. (6 cas) |
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Entretien C 05A) Données factuellesMonsieur
C 05 est un homme marié, d'âge mûr, il vit avec sa femme et deux jeunes
filles dans un trois pièces, sur rue. Il travaille comme vendeur, sa
fille aînée est employée ; sa femme est sans profession. Son père,
retraité, était ouvrier d'usine. Ses revenus mensuels sont de 3 000
Francs. B) Caractéristiques dominantes dans l’entretienMonsieur C 05 nous parle de façon assez fine et vivante de ce qu'il aime dans la vie ; il manifeste le sentiment d'avoir réussi comme mari et père, d'avoir pris une revanche sur sa jeunesse où il s'est vécu comme tyrannisé par deux sœurs cadettes. Il a « réussi ses enfants » quand il les compare aux autres. « Heureux de vivre » . il n'est pas capable d'imaginer ce que peut penser autrui et même ne cherche pas à y penser. Il se montre cependant capable d'empathie dans un contexte d'action. Cette façon de se présenter à l'enquêteur ne semble pas être une défense, l'interviewé semble effectivement capable d'être heureux, de façon relativement indépendante des circonstances extérieures, sur la base inconsciente d'une introjection de l'image de la « bonne mère » . C) Caractéristiques dominantes de l’attitude de l’interviewé par rapport à la problématique bruit/gêne/significationCette
interview est d'un bout à l'autre sous-tendue par la relation entre M.
C 05 et son voisin de l'étage en dessous. Monsieur C 05 « aime faire du
bruit » , tous les bruits le rassurent, il aime les gens qui font du
bruit et supporte très bien l'agression sonore d'autrui. Il n'entend
même pas ses voisins d'habitude, mais, par contre, -1,1. déclare aimer
que les autres entendent ses bruits à lui, « c'est la vie, c'est une
vie de faire des bruits » ; cet interviewé se sentirait « très très mal
» S'il n'y avait personne autour de chez lui, avec les bruits que cette
présence comporte inévitablement. Il dit, par ailleurs, que les bruits
« l'occupent » , c'est-à-dire que le monde sonore ambiant accapare
suffisamment sa vie psychique pour lui éviter des élaborations mentales
qui semblent l'effrayer quelque peu : « Moi le bruit ne m'effraie pas, j'ai travaillé dans... dans l'industrie lourde, dans la chaudronnerie, dans la soudure, dans ces choses-là » . |
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Interview n° 5A) : Données factuellesMme
5 est une mère de famille de 50 ans, vivant depuis 10 ans avec trois de
ses six enfants et son mari dans un cinq pièces exposé au bruit de la
rue. Son mari est journaliste ; elle a été institutrice avant son
mariage. Deux de ses enfants ont fait (ou font actuellement) des études
supérieures, deux filles sont « mariées » (sans précision sur une
éventuelle activité professionnelle). Les revenus mensuels du ménage de
Mme 5 sont de l'ordre de 4 500 Francs, son loyer est d'environ 750
Francs. L'appartement est très bien tenu, aménagé avec recherche, dans
un style conforme au modèle culturel de la petite bourgeoisie
traditionnelle. B) : Caractéristiques dominantes dans l'entretienL'entretien
se structure sur un problème d'ordre social, le décalage perçu par Mme
5 entre l’image qu'elle attache à sa couche sociale d'appartenance (qui
est également sa couche sociale d'origine, la « classe moyenne
supérieure » ) et l'image sociale qu'elle attache au type
d’architecture HLM qu'elle est manifestement contrainte d'habiter pour
des raisons financières. Cette tension entre deux pôles opposés des
représentations sociales de I’interviewée se concrétise dans
l'entretien dans l’évocation du piano au niveau du bruit, et en
dehors du contexte du bruit dans un discours de réhabilitation
insistante de son habitat, visant à séparer l'ensemble HLM qu'elle
habite de l’image traditionnelle des « grands ensembles » que
l'interviewée semble noircir quelque peu pour accentuer la différence
souhaitée : C) Caractéristiques dominantes de l’attitude de l’interviewé par rapport à la problématique bruit/gêne/significationLe
vécu sonore du conflit, mineur mais réel, de Mme 5 se laisse
schématiser en quatre catégories opposées deux à deux, selon qu'elles
sont anonymes ou, « relationnelles » : |
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Interview C 01Il s'agit d'un homme jeune, récemment marié, encore mal dégagé de son enfance vraisemblablement conflictuelle. La signification du bruit semble étroitement liée à sa propre agressivité : les bruits extérieurs de circulation sont vécus comme agressifs ; ceux des voisins comme sécurisants. Assez grande agressivité caractérielle ; probablement problème actuel en relation avec son « dépassement » social du modèle paternel (le père est ouvrier; l'interviewé est expert-comptable). Le clivage des significations des bruits reproduirait alors une attitude inconsciente agressive envers l'image paternelle, régressive par rapport à l'image maternelle ; les bruits techniques extérieurs étant affectés de la signification castratrice, et ceux des voisins (bruits humains) qui l'enveloppent (utérus) étant pris dans le registre régressif de la protection « maternelle » . |
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Interview C 06.Mme C 06 est une mère de famille de 45 ans avec 5 enfants. |
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Interview C 07Cet interview concerne un couple de 45 et 55 ans avec le mari au chômage. |
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Interview C 08(Femme d'origine paysanne, mère de quatre enfants). Elle se montre très difficilement capable d'affects, et probablement organisée sur le mode obsessionnel avec très grande recherche de l'ordre, de la propreté. Elle semble avoir remplacé les relations avec autrui par une série de tâches ménagères à accomplir dans une succession quotidienne rigide, ceci lui permet de se montrer bonne épouse et bonne mère. Le bruit est vécu comme persécuteur (« on « fait » exprès de l’embêter » ) et elle se déclare gênée par pratiquement tous les bruits qu'elle perçoit : il semble donc qu'elle possède un grand voyeurisme; (l'attitude envers les bruits semble déterminée presque exclusivement par sa structure psychologique). |
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6.3.2. : Analyse des entretiens avec des locataires exposés à la fois au bruit de la circulation et au calme des cours intérieures. (6cas) |
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Interview C 10 A) : Données factuelles Monsieur C 10 a 37 ans, il habite depuis 5 ans son trois pièces (construit à quelques mètres près sur l'emplacement du logement de son enfance). Il travaille en tant que cadre commercial ; sa femme est ouvrière tailleur dans un grand magasin du centre-ville. Ce couple a eu deux fils., âgés de I4 et 8 ans. Les parents de Mr C 10 étaient ouvriers ; ses enfants resteront, comme lui, très liés à la classe ouvrière (l’aîné se destine au métier d'ébéniste). Les revenus mensuels du couple sont d'environ 5 000 francs ; le loyer est de 550 francs par mois. Mr C 10 pense que son logement est trop petit (il lui manque une pièce pour le fils cadet), mais plutôt confortable, mis à part la petite taille des pièces. L'environnement immédiat le laisse indifférent bien qu'il le trouve « animé » . Cet interviewé est très satisfait de son quartier qu'il a toujours habité et n'envisage pas de changer de logement, à moins de trouver une bonne situation en province. L'interviewé trouve son immeuble peu bruyant, l'insonorisation moyenne ; les bruits du dehors et ceux de l'immeuble lui paraissent l’identiques » ; la circulation le gêne le plus à l'extérieur et les conduites d'eau le plus à l'intérieur de l'immeuble. B) : Caractéristiques dominantes dans l'entretien. Le thème central est ici celui du quartier, qui représente pour l'interviewé toute son enfance : « Çà représente... c'est une habitude déjà, çà c'est sûr... çà représente la jeunesse y a pas de problème. Çà représente toute la jeunesse, l'enfance, l'adolescence, tout est représenté là, bien que les endroits on les retrouve plus, il suffit de se mettre à la fenêtre ici je suis revenu exactement à 10 mètres près où j'avais mon premier logement, où j'ai vécu mon enfance, à quelque chose près » . Son insertion sociale se joue au niveau des relations qu’il a maintenues avec l'historicité de ce quartier ouvrier et son vécu personnel et ce sentiment semble aiguisé par la rénovation urbaine : il fréquente les endroits restés intacts, porteurs de vécu affectif. L'image du quartier est pour Mr C 10 donc très positive. Un pôle d'attraction secondaire, nettement plus faible, est représenté par le Sud-Ouest, dont est originaire l'épouse de l'interviewé. Son rêve, ou projet en gestation, de changer sa vie en quittant son quartier n'est concevable que lié à une nouvelle intégration dans le Sud-Ouest. « Dans le Sud-Ouest parce que je pense toujours à cette histoire de racines que j'ai ici., si je devais les brûler je les brûlerais alors catégoriquement pour m'éloigner assez loin disons, ne pas sentir le quartier. Et puis je reviens aussi sur une chose c'est que j'ai vécu, enfin j'ai vécu... disons que j'ai passé longtemps mes congés dans le Sud-Ouest depuis très jeune et que j'y ai quelques attaches » . Mr C 10 cependant redoute la solitude : E. : « Et la solitude, comment la trouve t-on ici ? » H. : « Ah la solitude... j’ai horreur de la solitude, c'est une chose que je n'aime pas, c'est une chose aussi qui vient dans les racines parce que j’aime sentir du monde autour de moi. Or, en province la vie n'étant pas pareille, dans une petite ville de province à huit heures ben y a plus personne dans les rues et il me manque comme dirait ma femme la foule... enfin la foule, pas la grande foule mais il me manque... peut-être la vie trépidante de Paris aussi... c'est une habitude en définitive ». Ailleurs, il dira ne pas supporter le métro, à cause de la foule, et à tel point qu'il ne se déplace qu’en voiture malgré tous les inconvénients de la circulation automobile dans Paris. Là nous touchons probablement un symptôme du registre agoraphobie/claustrophobie, révélateur de certains problèmes chez cet homme par ailleurs manifestement équilibré, symptôme qui se révèlera structurant dans son attitude envers le bruit. C) Caractéristiques dominantes de l’attitude de l’interviewé par rapport à la problématique bruit/gêne/signification. L'attitude envers le bruit est structurée par un rapport agoraphobique/claustrophobique au monde environnant (lequel repose lui-même sur des facteurs psychologiques qui ne peuvent être suffisamment dégagés avec ce matériel). Une certaine qualité de bruits représente pour l'interviewé la sécurité, celle de savoir sa famille près de lui, et le laissant vivre de façon indépendante; ce sentiment de sécurité est évidemment renforcé par la très bonne relation de l'interviewé à son quartier et lui permet, en outre, de mieux supporter les bruits désagréables du voisinage (quand il y en a). Le bruit anonyme (« confus » ) de l'environnement semble représenter la présence maternelle protectrice : E. : « Et si. on parlait maintenant des bruits que vous aimez alors ? » H. : « Les bruits que j'aime... je sais pas s’il y a des bruits particuliers, c'est des brou-ha-ha, c'est des bruits confus » . E. : « Que vous aimez ? » H, : « Oui, mais je crois que c'est le bruit de la ville que j'aime, c'est le bruit des enfants dans la cour, la présence, toujours on revient à cette histoire de présence... non parce que pour moi les bruits... je vous dis on en revient toujours à cette enveloppe que forme la ville, donc les bruits sont confus, je peux pas en sortir un plus particulièrement qu'un autre » . L'idée que les bruits anonymes forment une enveloppe protectrice (=uterus) trouve à se renforcer dans l’évocation par l'interviewé de son attitude face au silence : E. : « Et si on parlait maintenant du silence » . H. : « Le silence pour moi c'est la solitude. J'aime pas beaucoup le silence » . E. : « -Et si votre appartement était totalement silencieux » . H : « Attendez c'est pas la même chose. Je voudrais un appartement silencieux mais jusqu'à une certaine limite parce que justement il me manquerait ce bruit confus dont on parlait tout à l'heure » . E. : « C'est-à-dire qu'il vous faut quand même une certaine enveloppe de bruit mais de bruit qu'on reconnaît pas tellement » . H. : « Des bruits qu’on connaît pas tellement mais il faut disons un murmure, un fond. Regardez, vous allez en forêt, c'est calme, c’est silencieux mais y a un murmure, vous le reconnaissez pas tout le temps. Ca peut-être le mouvement des branches et les feuilles qui se froissent, un pas lointain. C'est silencieux pourtant la forêt et y a un bruit. Vous sentez dans la forêt, même si vous êtes seul, une présence » . Donc, ici également, nous trouvons la fuite du silence absolu ; cet interviewé ne va pas jusqu'à évoquer sa symbolisation en termes de mort, possiblement la charge anxiogène de cette évocation est trop forte pour lui. Le « calme », qui substitue le silence absolu, est évoqué en termes de nature, c’est-à-dire qu'il est lié à une entité régressive de type maternel et bénéfique. Par rapport à la claustrophobie, on peut citer des bruits désagréables perçus par cet interviewé. Il s'agit tout d'abord des grandes intensités (avion à 20 mètres qui « arrache le toit » ) ; mais dans les bruits perçus dans son logement il nous parle des enfants qui tapent à coups de pied dans les portes (évocation de l'enfermement) ; également dans ce registre on trouve les bruits du chantier proche où des ouvriers frappent à coups de marteau dans des tôles. D'autres bruits « désagréables » se semblent cependant pas participer de cette signification : les chasses d'eau, la baignoire qui se vide, les chaises traînées sur du carrelage. L'enveloppe de bruit anonyme, protectrice pour Mr C 10, est constituée par l'entourage lointain, à l'exclusion des bruits des voisins directs ; ceux-ci ne sont généralement pas perçus. Quand ils le sont, les bruits non anonymes provoquent une gêne : « (les voisins), je sais qu'ils sont prêts à me rendre service aussi... que ce soit le voisin du dessous, même celui du dessus, on sait bien qu'en cas de besoin on pourrait leur demander quelque chose... mais il me semble que... non c’est pas comme s'ils n'existaient pas mais une fois rentré chez moi c'est comme s'ils n'existaient plus une fois que je suis à l'intérieur de mon logement » . « Vous savez on les entend quand même... très peu... à part quelques discussions qui arrivent une fois de temps en temps, encore c’est très rare, à part le fait que celui du dessus il sait pas ce que c'est que de mettre des chaussons, jusqu'à 11 heures du soir c'est quand même énervant... on peut pas dire qu’on entende les voisins. Autrement on est au calme » . L'interviewé possède une bonne capacité d’isolation psychique ; en termes psychanalytiques, on peut dire que son Moi présente des limites bien définies, ce qui lui permet de bien discriminer entre les bruits « utiles » à son activité psychique du moment et ceux, bien repérés (les pas des voisins sans chaussons), dont il rejette la perception, sauf quand celle-ci est prise sous sa signification « ils exagèrent », c'est-à-dire que la gêne liée à ces pas n'est pas induite par le type de bruit mais par un ensemble complexe de significations dont la résultante aboutit à une signification en termes de transgression des règles de bon voisinage. Ces règles, Mr C 10 se les impose lui-même : « C'est une certaine forme de... je peux pas appeler çà du civisme si presque. Je pense que c’est une certaine forme dont on a besoin dans des immeubles collectifs comme on est ici » . E. : « Mais vous aimeriez, vous, éventuellement faire du bruit ? » H. : « Oui, oui, enfin du bruit... j'aimerais pouvoir chanter par exemple à tue-tête pendant une réunion de famille alors que des fois je me retiens justement pour ne pas gêner l'entourage » . C'est ce « civisme acoustique » dont il fait preuve, qui le rend accessible à la gêne des bruits des voisins, mais seulement en termes de transgression du civisme. Mr C 10 se montre d'ailleurs très tolérant par rapport à cette gêne : E. : « Vous-même vous acceptez une certaine contrainte et vous trouveriez normal... » H. : « Que certains autres l'acceptent aussi. Ceci dit vous savez quand vous entendez danser le fandango là au-dessus, au bout de 5 ans je pense que j’ai vraiment fait preuve de patience. Quand çà se produit une fois par mois c'est long pendant 5 ans. Çà fait 60 fois. Je crois que çà fait quand même une bonne moyenne... » |
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Interview C 02A) : Données factuelles |
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Interview C 03 Interview de Mme 8 |
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Interview de M. 7 |
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Interview C 09 Il s'agit de l'entretien d'un ouvrier imprimeur de 36 ans, ancien parachutiste. Marié, trois enfants. Une insatisfaction généralisée, touchant pratiquement tous les aspects de sa vie actuelle, semble être le trait dominant chez cet interviewé ; il se sent agressé par le bruit à son travail (presses d'imprimerie) aussi bien que chez lui (le travail, le logement sont « étouffants »). M. C 09 rêve de la campagne, d'un élevage, à la rigueur de vivre en pavillon, mais « on ne peut pas se le payer »... Son quartier, où il a vécu son enfance, lui parait détruit par la rénovation urbaine, qui en a fait un ensemble « bourgeois », c'est-à-dire que la composition sociale des habitants est responsable selon lui du manque de communication (les gens se cloisonnent, sont privés). La vie de quartier étant détruite, règne l'insécurité : des petites filles ont été agressées, et l’interviewé « fait la milice » avec son seul ami (un copain ancien para également). Sa vie de couple est gravement perturbée par les dépressions répétées de sa femme ; au moment de l'entretien elle était en traitement depuis 15 mois, les enfants placés par « les allocations familiales ». Il dit « avoir une relation de communauté » avec son « copain para ». De fait, il semble bien que la composante homosexuelle de sa personnalité soit très développée, bien que restant latente. Provocant face à l'enquêtrice (« la mitraillette fait un bruit agréable ») il se décrit comme « agressif », « nerveux », du fait du manque d'affection dans sa jeunesse d'orphelin (père tué à la guerre) ; l'interviewé est conscient de la répétition de cette situation par ses enfants (placés) : « ils deviennent comme moi ». Lui-même se montre très affectueux avec les enfants qu'il protège ; il joue volontiers avec « la bande de gosses du quartier ». Les bruits des enfants sont toujours bien supportés. Par contre, les bruits des adultes sont perçus comme gênants, en raison de leur caractère « bourgeois » (?) : l'interviewé « entend toujours... les voisins » (phrases à compléter) et il oppose ses anciens voisins — du vieux quartier ( « l'endroit était tranquille ») — à la vie de voisinage « étouffante » de cet ensemble HLM. Par contre, le bruit du métro le rassure : depuis que le métro aérien est monté sur pneus, il le trouve « agréable », il rythme la vie du quartier. Cet interviewé semble sensible à la qualité acoustique des bruits, en raison probablement de son besoin réel de « détente sonore » après son travail. Le manque d'isolation acoustique est vécu ici aussi comme une frustration : l’interviewé n’ose pas discuter à voix haute avec sa femme, par exemple. Il avance lui aussi l'idée de la « tolérance « nécessaire pour vivre en commun à cause de ces conditions d'isolement acoustique. |
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6.3.3. : Analyse des entretiens avec des locataires exposés uniquement au calme des cours intérieures. (4 cas) |
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Entretien 59A) : Données factuelles.
L'interviewée nous fournit un deuxième exemple de bruit toléré parce qu’en relation avec la sublimation : |
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Interview 61 A) : Données factuelles B) : Caractéristiques dominantes dans l'entretien C) Caractéristiques dominantes de l’attitude de l’interviewé par rapport à la problématique bruit/gêne/signification |
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Interview C 04Homme de 38 ans, deux enfants ; milieu ouvrier (il est magasinier, sa femme était serveuse de restaurant). L'entretien est décevant, en partie à cause de la mauvaise volonté de l'interviewé qui pensait qu'il durerait beaucoup moins de temps et qu'il serait interviewé en même temps que M. C 09 (qui habite deux étages plus haut, mais exposé en partie aux bruits de la rue : il est donc possible que cet interviewé ne soit autre que le « copain para » de M. C 09). Mais d'autre part, l'interviewé se révèle très passif et conformiste acceptant sa vie telle qu'elle est, tout lui semble participer d’un ordre naturalisé une fois pour toutes. M. C 04 ne peut réellement élaborer aucun affect, sa vie affective semble pauvre (et probablement ritualisée). Il ressent le besoin de faire plaisir aux voisins et amis car il ne supporte pas les affects négatifs, et possède une grande facilité d’identification (allant quelquefois jusqu’à la confusion d'identités). L’interviewé est satisfait de son quartier, qu’il habite depuis 10 ans ; son environnement lui semble attrayant, calme, et il ne désire pas changer de logement. M. C 04 juge son immeuble pas bruyant, l'insonorisation moyenne, et ne se déclare gêné que par les bruits du dehors. L'absence de matériel sur la fonction qu'assurent pour lui les bruits dans l'habitat pourrait-être significative d'une certaine rétraction du Moi, qui irait dans le sens de sa soumission apparente à la réalité de son existence. |
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Interview 6(Homme de 50 ans, standardiste réceptionniste dans une entreprise de charité chrétienne ; marié, deux enfants. La famille entière est handicapée de la vue ; l’interviewé se déplace avec canne blanche). Cet entretien est très riche sur le thème du bruit, l'interviewé semi-aveugle étant particulièrement sensible aux sons, faculté qu’il utilise pour se repérer et déplacer dans l'espace. Mais le thème central est celui d'une très grande agressivité liée à son handicap (à moins que son handicap serve à la justifier). Par contre son discours est remarquablement pauvre en thématique affective. L'interviewé est très hypersocialisé, ce qui se manifeste au niveau du groupe de voisinage quand il intervient pour aider des alcooliques à faire des pétitions, etc. Cet aspect remplit deux fonctions (au moins) : il lui permet de compenser son handicap (il peut faire autant que les autres) et même de le surcompenser (il fait mieux), ce qui lui permet à son tour de critiquer autrui et de remplacer une vie relationnelle authentique. La deuxième fonction, plus en profondeur, est de satisfaire son voyeurisme. Le bruit est alors (comme toujours dans l'habitat) un vecteur d’informations privilégié : M. 6 porte une grande attention, presque une vigilance, aux moindres bruits ; il réagit à l'absence de certains bruits devenus coutumiers. Ce voyeurisme émerge à plusieurs reprises dans le discours, lié au fantasme de la scène primitive de façon directe, par exemple lorsqu'il évoque la très grande gêne qu'il éprouve en été, quand on entend par les fenêtres ouvertes les postes de télévision de tout le voisinage qui regarde la même émission, et que les gens rient tous en même temps sans qu'il sache pourquoi. Agressé par le bruit au dehors, dans son travail et dans la rue, il évite les artères trop bruyantes qui le saturent en informations sonores et qui compliquent son repérage spatial. L'interviewé attribue à sa grande activité auditive dans la journée le grand besoin de calme qu'il éprouve chez lui, où il a tout calfeutré, ne se déplaçant que sur des patins : il a préféré habiter au dernier étage pour être sûr de ne pas subir le bruit d'un voisin au-dessus de lui, et ce malgré le chauffage moins efficace aux derniers étages. Ce besoin de chaleur, de protection, de calme semble en relation avec une demande de maternage consécutive à son enfance d'orphelin, élevé par sa grand-mère à la campagne. Il va de soi que l'interviewé valorise tous les bruits naturels. A l'opposé, des bruits mécaniques, techniques lui paraissent souvent n'être produits que dans le but de le gêner, »d'embêter le monde ». |
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6.4. ANALYSE DU « BILAN-BRUIT » DES SEIZE CASNous
appelons « bilan-bruit » le jugement exprimé par les interviewés sur
les bruits dans leur habitat, jugement qui leur a été demandé en fin
d'entretien, et qui concerne l'attrait de l'environnement, la qualité
sonore (calme, anime, bruyant) de cet environnement, ainsi que la
qualité sonore de l'immeuble et les sources de gêne acoustique.
L'analyse factorielle sur 60 cas n'a pas permis de mettre en évidence
une corrélation nette entre ces « bilans » et les zones de bruit par
type d'habitat. Dans cette sous-étude., il apparaît clairement que sur
les 16 cas étudiés, l'attitude (exprimée en terme de bilan) envers les
bruits extérieurs ou intérieurs à l'immeuble reste inchangée d'un
groupe à l'autre : que les interviewés habitent au calme, soient
exposés à des bruits de circulation intenses, ou connaissent des
conditions mixtes de bruit et silence, ils sont toujours portés à
attribuer une gêne plus forte aux bruits extérieurs (un seul cas, C 08,
manifeste l'attitude inverse, et quatre interviewés attribuent la gêne
aussi bien aux bruits extérieurs qu’intérieurs). Cette homogénéité des
attitudes conscientes des interviewés face au bruit pose un problème
par rapport à l'hétérogénéité des conditions acoustiques d'habitation.
On pourrait penser qu'il existe au moins une amorce de corrélation, et
que les cinq interviewés mentionnant les bruits internes comme source
de gêne habitent davantage au calme que les autres. De fait, on
constate sur les trois tableaux d'ensemble de chaque sous-groupe (voir
pages suivantes) que dans le groupe uniquement exposé au bruit de la
rue, 4 interviewés sur 5 ayant répondu mentionnent bien la rue comme
source de gêne ; mais ces interviewés sont, par ailleurs, sensibles à
la gêne interne (qu'ils détaillent dans l'entretien par ailleurs). La
cinquième interviewée, C 08, qui ne mentionne comme source de gêne
maximale que la gêne interne, habite elle aussi dans ce groupe
où domine le bruit de la rue, et la prévalence chez elle de la gêne
interne (attribuée aux bruits sur le palier) ne la rend pas moins
sensible, semble-t-il, aux sirènes d'ambulances et pompiers qu'elle
cite comme facteur de gêne externe. |
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Sous-groupe exposé au bruit (rue)
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Sous-groupe mixte (bruit de la rue et calme des cours intérieures)
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Sous-groupe habitant au calme (cours intérieures)
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7. - ANALYSE DE CONTENU SUR 70 CAS
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L'objet
de ce chapitre est d'exposer de la façon la plus exhaustive possible
les hypothèses explicatives que nous avons pu cerner pour l'étude de la
signification de la gêne attribuée aux bruits dans l'habitat. Les hypothèses ont été développées après analyse de contenu des interviews réalisées pour cette étude, c'est-à-dire que pour chaque interviewé nous avons cherché à comprendre quelles étaient les réactions aux bruits dans le logement, et comment s'organisaient ces réactions compte tenu de la personnalité de l'interviewé et de son mode de rapport au monde environnant. Ce sont donc des hypothèses explicatives de cas individuels elles peuvent être considérées comme interindividuelles quand, sur les 70 cas étudiés, plusieurs individus participent de la même hypothèse. Il nous semble cependant possible de présenter certaines hypothèses comme tendances plus larges, au niveau psychosociologique, malgré la dispersion très grande des attitudes, dispersion exposée au chapitre précédant. Ces tendances existent certainement et une étude sur un vaste échantillon mais menée en profondeur par des méthodes qualitatives analogues aux nôtres permettrait sans doute de les cerner avec plus de netteté que nous n'osons le faire ici (cf. 7-9, récapitulation des hypothèses principales). Les hypothèses seront présentées pour chaque champ en allant du moins interprétatif, c'est-à-dire le constat à un premier niveau du discours des interviewés de leurs réactions aux bruits, au plus interprétatif, c'est à dire ce qui émergeait du discours latent. |
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7.1. LE BRUIT ET LA PERCEPTION DU FONCTIONNEMENT SOCIALDans
ce sous-chapitre, nous allons envisager les réactions des interviewés
aux questions de notre guide d'entretien centrées sur la société et les
idéologies.
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Il
faut noter que les opinions recueillies auprès des interviewés sont
souvent données de façon projective et que c'est d'eux-mêmes qu'ils
nous parlent indirectement.
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Certains
interviewés nous disent que le problème du bruit n'est pas isolable
d'un ensemble de problèmes soulevés par notre mode de vie urbain et que
les solutions au problème ne sont pas techniques mais politiques.
Généralement, ce type de discours reste vague, les solutions politiques
éventuelles ne sont pas précisées, il n’y a pas d'analyse véritable à
ce niveau-là. Plus rarement, quelques interviewés nous disent que les solutions politiques actuelles s'attaquent aux effets du bruit en développant des campagnes antipollution, mais que ce n'est pas le bruit qu'il faut attaquer en tant que tel, mais le problème du mode de vie dans les villes et que ce n'est pas aux effets qu'il faut s'attarder, mais aux causes. Pour un certain nombre d’interviewés ; il n'y a pas de solution au problème du bruit, le bruit est inhérent à notre type de société et il faut l'accepter avec résignation, c'est la fatalité ; une attitude proche consiste à aimer le bruit, consciemment, précisément parce qu'il représente la société « fraternelle ». (Ces deux attitudes forment un couple centré-. sur une même détermination psychologique, nous le retrouverons au paragraphe « bruit et personnalité »). Si nous laissons la thématique des réponses à ces questions du guide d'entretien pour passer à des hypothèses sur les liens qu’établissent les interviewés entre bruit et faits sociaux, nous trouvons comme catégorie majeure la distinction — le clivage peut-on dire — entre bruits techniques, externes à l'habitat (pris au sens de logement, environnement et quartier) d'une part, et tous les bruits d'origine humaine, animale ou naturelle, généralement liés spatialement à cet habitat (et souvent localisés avec une certaine précision) d'autre part. Le fonctionnement social est surtout présent dans le discours sur les bruits techniques externes, comme représentant à un niveau global la société occidentale industrielle, avec une connotation le plus souvent négative (cf. Ch. 6;entretiens 5, 8, C06, 59). Cependant, cette connotation peut être positive dans certains cas mais ce type d'attitude ou le bruit de la technicité est valorisé (parfois recherché) semble très lié à des facteurs précis soit de personnalité (cf. Ch. 6, interview C 05), soit de stratégie familiale (utilisation du bruit-écran, interviews C 08, 18) soit encore d'historicité personnelle en termes de rupture socioculturelle. La distinction très nette entre les deux sources de bruit, externe et interne, et leurs significations de base en termes de société technicienne et de société « humaine », ne conduit pas toujours à opposer consciemment ces deux significations. Il arrive cependant que la signification « Société technicienne » soit utilisée comme dans le mécanisme du bruit-écran, et fonctionne comme une « signification-écran » contre des significations sociales liées aux bruits en provenance de la sphère humaine dont la gêne est supérieure. C'est notamment le cas lorsque des significations des bruits du groupe de voisinage sont prises en termes de classe sociale. Dans le cas de Mme 5, la signification « ouvrière » de ces bruits de voisinage est fortement opposée à ses propres aspirations d'intégration aux classes sociales supérieures (moyenne bourgeoisie) : le discours sur la gêne des bruits externes, qui reste réelle et perçue, n’est que purement fonctionnel, sans connotation d'ordre sociologique, et semble très minimisé en importance. Les bruits internes, (de voisinage ou externes, (mécaniques peuvent également ne déclencher aucune gêne spécifique dans des cas ou la situation sociale propre de l'interviewé est en congruence avec ses aspirations (ex. entretien 44 : adhésion aux normes et valeurs sociales) et ou l'enveloppe sonore est vécue également dans cette congruence. Paradoxalement, un vécu très anomique de conditions relativement dramatiques sur le plan social (avec les inévitable répercussions familiales et psychiques : par exemple alcoolisme) peut entraîner une attitude envers la gêne en apparence identique à la précédente, mais ici, il se révèle que l'ensemble du monde sonore a cessé d'avoir la moindre importance car l'existence de problèmes matériels accapare toute l'activité mentale du sujet : « le bruit c'est pas un problème... on l'entend sans l’entendre » (c o8). Lorsque la promotion sociale récente entraîne l'acquisition ou la location d'un nouveau logement ayant des caractéristiques de standing social plus élevées que le précédent, la tolérance aux bruits dans le nouveau logement est très grande. Inversement, lorsque le nouveau logement correspond à une position sociale inférieure à la précédente, les nuisances en matière de bruit sont très mal tolérées. Si on compare les entretiens 401 et 413, entretiens effectués dans le même immeuble situé en bordure de la Nationale 20, on est surpris de constater combien les appréciations des interviewés sur les bruits externes ou internes à l'immeuble sont différentes. Pour l'une, le nouveau logement correspond à « un palace » par rapport à ce qu'elle avait auparavant, elle est passée effectivement d'une chambre de bonne au 6ème étage à un appartement de 3 pièces dans -une HLM. Sans nier la circulation de la Nationale 20, pour elle Ies bruits dans son logement correspondent à une nuisance assez secondaire par rapport aux avantages acquis (espace, confort, etc.). Pour l'autre qui vient de quitter un pavillon avec jardin pour venir en F2 dans cette même HLM, les bruits ambiants sont ressentis comme extrêmement gênants au point qu'elle estime ne pas pouvoir mener la vie qu'elle souhaite dans ce logement. Le récit qu’elle nous fait de ses conditions de vie correspond à une agression quotidienne due aux bruits de ses voisins, ou une crainte d'être agressée si elle-même fait du bruit, même les plus anodins. Quand le logement correspond au standing social désiré, les contraintes liées à l'habitat, et en particulier celles dues au bruit, ont tendance à être annulées ou bien rationalisées. D'emblée l’interviewé 44 nous définit l'endroit où il habite en termes de standing social : « Ben j’habite à... Massy, dans la zone sud du... grand ensemble de Massy, sur le bord de... d'une bretelle qui mène à l'autoroute de Chartres, donc au sud de Massy, mais également... à l'ouest, c’est-à-dire dans les quartiers résidentiels, d'ailleurs les plus les plus agréables. Enfin les plus agréables question... aménagement des jardins, et... question de... la construction des immeubles. » Bien que son appartement soit situé sur le bord d'une autoroute et à proximité d'Orly, il insiste essentiellement sur les qualités techniques de l'immeuble : « L'avantage c'est d'avoir un appartement relativement agréable, pour la question de bruit, relativement bien insonorisé... où y a des vitres en... triplex là, celles le mieux insonorisés qui puissent être quoi, pour les avions. Les chambres sont de l'autre côté, ce qui, fait que c'est moins bruyant, mais bon... je n'ai pas choisi parce que... c'est une zone résidentielle ou quoi, hein. Le fait que... l'appartement soit... soit bien conçu... fait que les gens... qui peuvent venir... les gens... qui ont plutôt pas mal d'argent, et de ce fait c'est... résidentiel, quoi., les HLM ils les ont mis à... à l'Est de Massy, et... et puis là ils ont mis plutôt le quartier plus résidentiel » . Lorsqu'on compare cet interview avec ceux qui ont été effectués dans le même immeuble, n° 48 et n° 3, on voit combien ce discours technicisant permet d'annuler l'importance très grande des bruits tant à l'extérieur qu'à I’intérieur de l'immeuble. En ce qui concerne la gêne attribuée au bruit comme impression d'un mal à l'aise dans la société nous allons prendre l’interview n° 48. Il s'agit d'un homme de 30 ans, originaire du Sud de la France et venu travailler à Paris il y a quelques années pour faire un travail qu’il juge « idiot » (il fait un travail de dessinateur alors qu'en fait il est architecte). Il habite un immeuble résidentiel de bon standing dans une banlieue bruyante en bordure de l'autoroute de Chartres. Il présente une intolérance globale au mode de vie parisien ce qui lui. fait dire : « je ne vis pas à Paris, je survis » . L'accumulation d'un travail bruyant (perforatrice IBM), de temps de transport long et d'un habitat proche d'une grande voie de circulation, le rend hypersensible aux bruits : « C’est tout cet ensemble de choses, de fatigues ajoutées les unes aux autres, certains bruits, je le disais tout à l'heure, même la parole, certains bruits qui sont très normaux, on les appellerait même pas bruit... il arrive qu'ils sont beaucoup plus amplifiés parce que nous sommes beaucoup plus sensibilisés, nous avons ce qu'on appelle les nerfs à fleur de peau, et pour des petits riens, on s'énerve tout de suite » . Il nous dit également : « On ne parle plus parce que çà devient pas bien, parler çà fait du bruit... personnellement ou ma femme. Je nous surprends à dire « tais-toi, tu fais du bruit » . « On ne parle plus parce qu'on évite de pas parler, toujours pareil parce que çà fatigue de parler, de parler mais d'écouter l'autre » . Ainsi, chez cet interviewé, l'ensemble des agressions de la vie quotidienne provoque un retrait sur lui-même où le nécessaire n'est même plus tolérable. il nous explique lui-même très bien combien le bruit est un facteur agressant parmi d'autres : « Malheureusement, il y aurait que le bruit, ce serait peut-être le moindre mal, mais enfin, le bruit rajouté à tout le reste... » . « Tout le reste », l’interviewé le rationalise en disant que ce sont les fatigues accumulées liées au mode de vie parisien, mais en fait « tout le reste » correspond à toutes ces caractéristiques de Paris qu’il refuse car il regrette sa ville natale (Montpellier). On peut dire que cet homme est très insatisfait de ses conditions de vie ce qui le rend hypersensible aux stimuli externes, mais nous devons ajouter que ceci ne suffit pas à expliquer sa si grande intolérance aux bruits. Corrélativement, il existe chez cet homme une structure de personnalité se caractérisant par un Moi aux limites mouvantes et une difficulté de discrimination mentale face aux stimuli externes. Nous dirons qu’ici les facteurs dus à la structure de personnalité et ceux liés à l’insatisfaction dans société se surdéterminent réciproquement. Dans un cas (59, cf. Ch. 6) nous trouvons une attitude de rejet de la civilisation technicienne, s'exprimant par la contre idéologie de la non-consommation d'appareils électroménagers de toute sorte, avec une grande intolérance au bruit de ces appareils. Cette attitude va de pair avec une valorisation de la vie de famille rurale traditionnelle et des projets d'évasion (vivre dans une vieille ferme), ainsi qu'une grande tolérance aux bruits, valorisés, de la communication, des enfants, des activités artistiques. Citons parmi les représentations sociales liées au vécu des bruits dans l'habitat, la relativisation socioculturelle de la gêne selon la socioculture soit du gêneur, soit du gêné. Dans le premier cas, nous trouvons une assez grande sous-estimation de la gêne provoquée par leur propre bruit dans le logement chez des interviewés des sociocultures méditerranéennes (classes sociales défavorisées uniquement. Ce facteur est parfois source d'hostilité, parfois de tolérance accrue de la part du voisinage ( « que voulez-vous... ils sont italiens... », Mme 5), selon des déterminants complexes, parmi lequel la concurrence sur le marché du travail semble jouer fortement. En ce qui concerne les modalités socioculturelles du vécu propre de la gêne, nous voyons chez Mme C 06 une certaine nostalgie du bruissement de la vie de quartier arabe, réactivée par le bruit de Paris, tellement différent : mais il est remarquable que cette nostalgie inclut la gêne vécue dans le pays d'origine (si seulement Mme C 06 était à nouveau « gênée » par ces bruits-là...) Le problème de la répression sociale en matière de bruit renvoie à l'intolérance des individus et groupes sociaux différents du sien. Il peut s’agir de rivalités, de classes d'âge ou bien encore de classes sociales différentes, ou bien d’ethnies différentes. Parmi les bruits extérieurs de circulation, il apparaît nettement que tous les bruits provenant des véhicules motorisés à deux roues sont associés aux jeunes et sont alors souvent vécus comme extrêmement gênants. Le refus du mode de vie des jeunes générations s'exprime à travers les bruits qu'ils produisent. Par exemple, dans l'interview n° 45, l'interviewée nous dit pour les voitures : « Si y avait que le roulement des voitures, bon ben, c’est pas un roulement continu, mais qui ne fait pas un bruit quand même » . et pour les deux roues : « Non ici c'est surtout les pétarades, je vous dis on est toujours en train de dire, on va faire quelque chose pour les grosses motos, pour les petites, mais moi je trouve qu'on devrait les arrêter ces gars-là » . Les problèmes raciaux sont très présents dans les HLM ou le mélange des ethnies focalise beaucoup d'agressivité. Une interviewée française accuse les étrangers de son immeuble de faire énormément de bruit à n'importe quelle heure du jour et de la nuit à tel point qu'elle se sent, elle, émigrée de cet HLM puisqu’elle nous dit : « J'ai hâte de retourner dans mon pays » (elle est originaire de Normandie). Elle nous dit : « Moi, j'estime qu'on devrait mettre les étrangers dans une HLM, rien que pour eux, et puis laisser les français tranquilles » . Au sujet des bruits la nuit, elle dit : « Oh oui souvent, souvent... il m'est arrivé d'être réveillée la nuit heu... même à cinq heures du matin, c'était des Noirs, heu, ils étaient en train de faire une fête ou je ne sais pas quoi ils se croyaient vraiment dans leur pays » . On voit dans ce passage qu'un évènement isolé a été vécu de façon si intense que pour l'interviewée cela se produit souvent, et qu'alors, il faut mettre les étrangers à part des français. |
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7.2. LES BRUITS ANONYMES, NON-RELATIONNELSNous
appellerons ici « bruits anonymes » les bruits dont la composition
acoustique est telle qu'ils échappent plus facilement à l'attribution
d'une signification très précise. L'émetteur de ces sons est anonyme et
leur fréquence dans une grande ville telle qu'ils sont perçus comme des
bruits-en-soi, et non comme produit d'une activité référée à ses
acteurs, sociaux ou individuels. La plupart des bruits techniques dont
il a été question au paragraphe précédant (ainsi que dans certains cas
également une partie des bruits ''humains » ou naturels) peuvent
facilement être pris dans cette signification d'anonymat. |
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7.3. LE BRUIT ET LA RELATION A L'HABITATNous
entendons ici par « habitat » l'ensemble formé par le logement, son
environnement et le quartier pratiqué par l'interviewé. |
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7.4. BRUITS RELATIONNELS ET PROMISCUITÉToutes
les études statistiques concernant les plaintes en matière de bruit
dans les logements montrent que ce sont les bruits domestiques qui
recueillent le plus de plaintes. Les bruits de voisinage, et en
particulier les bruits des voisins du dessus sont très mal acceptés.
Lorsqu'on
analyse l'entretien n° 80 on voit combien l'interviewé est sensibilisé
au fait d'entendre ou de ne pas entendre ses voisins, et ce qu'il
imagine de leur vie. A la phrase à compléter « Quand j'entends plus mes
voisins je... », il associe :
Les
mécanismes de défense mis en œuvre pour la contrôler sont soit des
mécanismes structuraux de la personnalité, (instance surmoïque face à
l’interdit) soit des mécanismes de régulation des groupes sociaux
(règles civiques).
On
assiste aussi parfois au fait que les bruits extérieurs anonymes
(bruits de circulation, importants) sont récupérés comme des bruits
faisant écran aux bruits familiers permettant ainsi d'annuler
symboliquement la présence d'autrui dans le logement. Les bruits animaux : Le bruit de la télévision. |
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7.5. LE BRUIT ET LA FAMILLED'une
manière générale, les interviewés sont peu prolixes lorsqu'on leur
demande si dans leur propre famille il y a des problèmes au sujet des
bruits. Par rapport à ce type d'interrogation, seules des réactions de
défense apparaissent, déniant toutes tensions à l'intérieur de la
structure familiale.
C'est
le cas des enfants qui, pour capter l'attention de la mère occupée
ailleurs, font de plus en plus de bruit jusqu'à ce que leur mère soit
obligée de se tourner vers eux. Bien qu'aucun interviewé ne nous parle
aussi de leur enfant, presque tous les enquêteurs ont dû, un jour ou
l'autre, interrompre un entretien parce que le bruit des enfants
couvrait l'enregistrement magnétique, et, pour cette étude, nous
pouvons citer le passage suivant de l'entretien no 51 : Mais
il semble bien que ce maniement inconscient du bruit dans une stratégie
intrafamiliale ne soit pas l'apanage des enfants et peut s'étendre à
tous les membres d'une famille, mais cela est moins clairement
repérable dans les entretiens d'autant plus que la finalité de ce
maniement du bruit est moins simple chez les adultes. Dans un registre plus positif, on note l'existence d'un véritable impérialisme acoustique familial chez des familles valorisant à l'extrême le mode de vie familial, par intériorisation des valeurs dominantes ou de façon réactionnelle à une enfance vécue dans une famille dissociée ou conflictuelle. Le cas de l'interviewé 8 est exemplaire de ce point de vue, cette interviewée alliant une grande gêne exprimée envers tous les bruits, sauf ceux — considérables — de sa propre vie familiale : primauté du narcissisme s'exprimant à travers la réussite d'une vie de couple, familiale et' sociale, et réparant une enfance vécue dans des conditions très dures. (Le cas de Mme C 02 peut aussi être rapproché de cette position) A noter que ces familles vivent le manque d'isolation acoustique comme une véritable mutilation de l’épanouissement (bruyant) de leur vie sociale, familiale et de couple. |
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7.6. LA GÊNE ET LA TEMPORALITÉ DES BRUITSNous
examinerons dans ce paragraphe le discours des personnes interviewées
du point de vue de l'organisation temporelle des bruits qu'elles
perçoivent dans leur logement. Un premier aspect, assez mal défini par
la méthode d'entretien, mais, sur lequel des expériences en laboratoire
semblent possibles serait celui des caractéristiques de durée des sons
eux-mêmes : l'atténuance bruit/ silence. La perception de ces
atténuances ne fait jamais l'objet de remarques de la part des
interviewés, nous pensons que leur perception est trop automatique et
inconsciente pour être aisément verbalisée dans une relation
d'entretien, qui exerce un biais sociologisant dans l'auto exploration
du vécu des sons par le sujet. Sur ce plan, nous ne disposons que de
matériel ayant trait à la continuité ou à l'irrégularité des bruits
matériels qui confirme le fait connu d'une meilleure tolérance, en
général, au bruit continu... sauf lorsqu'il est gênant. Un bruit de
fond de circulation continue, d'un seuil tolérable (permettant la
conversation) est mieux toléré que les « pointes » des motos ou
ambulances, bruit imprévisible. Le bruit totalement insolite est
évidemment le plus gênant (nous reviendrons sur ces aspects dans le Ch.
8).
C'est
le cas des mères qui, habituées à vivre dans le brouhaha de leurs
enfants, sont brusquement inquiètes lorsqu'elles ne les entendent plus.
C'est le cas également de I'interviewée 53 lorsqu'elle nous parle du
moment de son réveil :
Les
personnes sont autant gênées du passage d'un environnement sonore
ambiant calme vers le bruyant que d'un environnement bruyant vers un
plus calme. Nombreuses sont les personnes interviewées à nous dire que
lorsqu'elles arrivent à la campagne, elles ne dorment pas les premiers
jours parce qu'il y a trop de silence.
Écoutons ce que nous dit l'interviewé no 80 :
«
Dans la cabine insonorisée, c'est le silence total, c'est très
désagréable parce qu'il n'y a vraiment aucun bruit... c'est désagréable
parce que j'ai l’impression d'avoir des... enfin de sentir mon. sang
bourdonner dans mes oreilles » .
L'interviewée no 408 nous explique comment elle réagit au silence : |
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7.7. LE BRUIT ET LE TRAVAILNotre
étude n'était pas centrée sur le problème du bruit dans le travail,
nous avons toutefois jugé utile d'introduire le thème dans notre guide
d'entretien. |
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7.8. BRUIT ET TRAITS DE PERSONNALITÉLe
choix méthodologique que nous avons fait concernant le guide
d'entretien ne nous a pas permis d'obtenir des éléments précis sur la
structure de personnalité des personnes que nous avons interviewé. |
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7.9. RÉCAPITULATION DES PRINCIPALES HYPOTHÈSESIl
nous a semblé utile de rassembler ici les hypothèses affranchies de
leur illustration par le discours des interviewés et d'essayer de les
formuler avec concision. Cette tâche s'est avérée déplaisamment
réductrice : la parole de l'interview, pour anecdotique qu'elle puisse
paraître parfois, est toujours plus riche de sens que la formalisation
de son contenu.
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8. - SYNTHÈSE (essai de repérage des niveaux des significations des bruits) |
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Nous avons vu dans l'analyse de contenu (Ch. 6 et 7) que les significations de la gêne attribuée au bruit font intervenir des dimensions hétérogènes : sociales, idéologiques au niveau de la société globale ; plus relationnelles au niveau du groupe de voisinage ; très subjectives, enfin, au niveau individuel où se reflètent des dynamiques de conflits souvent inconscients. Une première distinction, évidente, est à faire entre le niveau inconscient et conscient du vécu des significations des bruits. Au plan inconscient, c'est le symbolisme fantasmatique qui, sans doute, joue le rôle le plus considérable (mais un niveau plus archaïque existe également, riche en possibilités méthodologiques). Au niveau conscient, pratiquement toutes les représentations peuvent intervenir dans le complexe bruit/gêne/signification, sur un mode associatif, dans la pensée (opératoire ou non). La plupart des significations qu'a dégagées l'analyse de contenu participent de cette dimension consciente complexe, la plus accessible à la situation d'entretien semi-directif. Mais de surcroît, la gêne n'est souvent qu'un moment particulier de tout un processus dialectique entre ces catégories de significations. Il faudrait donc étudier les enchaînements entre ces diverses significations, alors même que les personnes interrogées en sont toujours restées aux bruits isolés, statiques. Aucune ne nous a décrit., par exemple, comment un bruit, perçu comme gênant, est devenu tolérable après un certain temps (de quelques secondes à quelques mois...) ou l'inverse. Il semble donc bien que nous nous trouvions face à une polysémie ; mais qui plus est, une polysémie en mouvement dialectique permanent même chez un individu isolé. Nous pensons au terme de cette étude qu'il faut donc partir du fonctionnement de l'esprit humain, plus particulièrement des problèmes de la perception, pour tenter de dégager ce que l'on pourrait appeler « le processus du devenir gêné » : une perspective psychanalytique. Cette perspective (tout à fait provisoire) une fois ébauchée, nous pouvons essayer d'y situer les différentes significations de la gêne que nous avons observées, selon une deuxième approche, celle-ci génétique. C'est en essayant de dépasser les deux points de vue, économique et génétique que nous pouvons tenter une première mise en ordre de la polysémie des significations des bruits. Les deux approches correspondraient à des « problématiques de gêne » différentes par leur nature même : dans « l'approche économique » nous considérons des types de gêne liés au mécanisme perceptif, sans intervention des significations ; la gêne « signifie » ici toujours « être dérangé« quel que soit le stimulus et sa signification propre (gêne « fonctionnelle »). Dans « l'approche génétique », par contre, nous avons affaire aux significations des bruits intégrées lors du développement de l'appareil psychique à ses différents stades et y laissant leur trace mnésique (en dehors du travail psychique que provoque leur perception). |
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8.1. LA GÊNE DUE AU BRUIT (perspective psychanalytique « économique »).A l'intérieur du domaine des hypothèses psychanalytiques susceptibles d'expliquer, du moins partiellement, le phénomène de la gêne acoustique, nous trouvons des champs assez différents. Un premier champ serait celui des instincts, celui de conservation en premier lieu ; un champ en quelque sorte « atavique », constitutionnel, proche du biologique. A ce niveau, il semble exister une « veille acoustique » (identique à la « veille radar » des militaires) qui assure en permanence (et surtout la nuit, dans des périodes de maladie, de faiblesse ou de vulnérabilité conjoncturelle) la vigilance nécessaire au déclenchement éventuel des séquences d'actes moteurs en réponse à une situation périlleuse. Dans cet ordre d'idées, la gêne maximale correspondrait aux stimuli sonores chargés de significations en termes de danger physique; mais il semble qu'il faille inclure ici, également, tous les stimuli sonores « inhabitués » (les « bruits insolites ») qui déclenchent la vigilance non pas à cause. de leur signification mais de leur absence de signification. L'habituation a fait l'objet de recherches psychophysiologiques ; elle semble s'acquérir en moyenne après six répétitions du même stimulus, au cours desquelles la réaction de vigilance va en décroissant rapidement. Passons sur le problème de savoir comment s'opère la reconnaissance des stimuli présentant des caractéristiques proches au plan acoustique ; c'est tout le problème théorique du signifiant (modèle structural inconscient permettant une traduction psychique des stimuli sonores en représentations symbolisées). Si nous admettons la réalité de « la veille acoustique permanente » (difficilement contestable, à vrai dire), le problème qui surgit immédiatement est celui de l'envahissement par les stimuli sonores (aussi bien que visuels, tactiles, etc.). Comment la concentration, la pensée, l'élaboration fantasmatique inconsciente, l'ensemble des activités psychiques peuvent-elles coexister avec la masse considérable des excitations externes ? Il semble que postuler l'existence d'un « filtre psychique » d'un triage de ces stimuli, et de mécanismes assurant leur acheminement vers les instances concernées, bref, l'existence d'un véritable « secrétariat du cerveau » (3). Dans ses tous premiers écrits, notamment dans son « Esquisse pour une psychologie scientifique » écrite en 1895, Freud définit très clairement le modèle d'appareil psychique, composé du système Phi assurant la perception des stimuli externes ; du système Psi agi par les processus primaires, où sont enregistrés les perceptions sous forme de traces mnésiques (une trace mnésique étant un ensemble unique de « frayages neuroniques ») ; et du système Omega , la conscience. L'idée importante, jamais abandonnée par Freud, est le rôle inhibiteur du système Psi par rapport aux excitations externes transmises par le système Phi, mais aussi par rapport aux excitations endogènes de l'énergie pulsionnelle interne. L'importance de ce passage de « l'Esquisse » est soulignée par J. Laplanche (4) qui y situe « une problématique qui a les rapports les plus étroits avec la fonction du Moi : la problématique de la réalité et de sa reproduction dans « l'expérience de satisfaction » (...). Ce qu'il importe d'affirmer c'est que l'individu psychique et biologique perçoit directement la réalité, qu'il a un signe pour la reconnaître, et qu'il n'a pas besoin d'une « loi » pour cela. C'est seulement une fois ce modèle fermement établi, et branché sur la réalité, que le Moi va être introduit. En effet, la fonction du Moi ne s'avère pas nécessaire pour accéder à la réalité dans le monde extérieur, mais pour discriminer ce qui est réalité de ce qui veut se donner comme réalité venant de l'intérieur ». |
3 - L'expression est empruntée à G. Mendel, Anthropologie Différentielle
4 - Vie et Mort en Psychanalyse, p. 101.
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Ici Freud jette donc les bases de « l'épreuve de réalité« et de ce qui deviendra le « système perception/conscience ». Notons déjà la description du Moi comme possédant des limites, fermées mais devant être « défendues », et évoluant au gré de l'incorporation psychique des objets externes à travers l'expérience perceptive liée aux différents sons. Il est particulièrement intéressant de relever l'idée sur le jugement « pré-réflexif et préverbal » des stimuli externes, elle nous semble rejoindre notre image de la « veille acoustique permanente », et renforcer l'idée du « secrétariat du cerveau », chargé en quelque sorte de ne pas laisser déranger le Moi sauf par des stimuli bien définis, ou au contraire non-identifiables. A la page suivante de « l'Esquisse », citée par J. Laplanche, Freud décrit le processus d'attribution d'une signification à un stimulus sonore : « (...) Il en sera de même pour d'autres perceptions de l'objet. Ainsi, lorsque celui-ci crie, le sujet se souvient de ses propres cris et revit ses propres expériences douloureuses. Le complexe d'autrui se divise donc en deux parties, l'une donnant une impression de structure permanente et restant un tout cohérent, tandis que l'autre peut-être comprise grâce à une activité mnémonique, c'est-à-dire attribuée à une annonce que le propre corps du sujet lui fait parvenir. Cette analyse du complexe perceptif a été qualifiée de reconnaissance, implique un jugement et s'achève avec ce dernier ». (p. 349.) On comprend mieux, à travers ce texte de Freud, le fonctionnement du secrétariat ; un bruit est perçu par l'oreille, converti en influx nerveux par la cellule ciliée de la cochlée, (dont certains mécanismes au plan proprement physiologique, restent mystérieux) et acheminé par le nerf auditif vers les centres perceptifs ; au niveau psychique, la traduction électrique du stimulus auditif est confrontée aux traces mnésiques. Là, elle sera « reconnue » après un « jugement » mnésique qui en identifie la signification pour le sujet, sans intervention du Moi si sa signification se rapporte à une trace mnésique sans importance particulière, au moment de sa perception, dans l'ensemble d'interactions complexes entre l'appareil psychique et la réalité extérieure. Prenons un exemple classique, celui des habitants riverains d'une voie de chemin de fer : il est bien connu que ceux-ci ne se réveillent plus, ne réagissent plus au bruit du train qui passe. Le stimulus régulier, tant en rythme (les horaires précis tout au long de l'année) que dans sa caractéristique acoustique, a fini par imprimer des traces mnésiques correspondant à toutes les caractéristiques acoustiques de ce bruit. Reprenons l'idéogramme de Freud en 1895 : |
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Le bruit du train crée une excitation externe acheminée par Phi qui touche directement le système Psi (secteur (a)). Le système Psi reçoit également un « signe de réalité« provenant d'Omega qui authentifie ce bruit de train (secteur (b)) , et qui constitue donc un « message sur le message ». Ce signe de réalité est donc fourni par Omega en dehors du travail de Psi, qui consiste à discriminer (a) et (b) des excitations internes ; ce qui explique que le train, à la longue, ne soit pas « entendu ». (Il peut arriver, dans certains états pathologiques, que le « signe de réalité« se déclenche pour une excitation interne : il y aura alors une hallucination, vécue comme la réalité). A partir de 1915, Freud établit sa « Métapsychologie », où l'ancien système Omega deviendra le système Perception-Conscience (Pc-Cs) ; le système Psi donnera naissance à l'instance du Moi, dont le système Pc-Cs formera le noyau: « le Moi est la partie du Ça qui est modifiée par l'influence directe du monde extérieur par la médiation de Pc-Cs, d'une certaine façon il est une continuation de la différenciation superficielle » (5). Notons encore chez Freud à cette époque son hypothèse sur l'énergie mobile dont disposerait le Moi, énergie qui se déplace vers ce système Pc-Cs, pour assurer la fonction d'attention : « la règle biologique de l'attention s'énonce ainsi pour le Moi : lorsque survient un indice de réalité, l'investissement d'une perception qui est simultanément présent doit être surinvesti ». (6). |
5 - « Le Moi et le Ça » 1923
6 - « La naissance de la Psychanalyse » |
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Nous avons donc un premier type de gêne, essentiellement « économique », résultant du désinvestissement temporaire de l'appareil psychique par l'énergie mobile qui se porte vers Pc-Cs ; un deuxième type de gêne correspondant à l'absence de représentation quant au nouveau stimulus et au travail psychique nécessaire pour l'identifier ou lui trouver une signification suffisamment plausible pour éteindre l'excitation (la « reconnaissance ») ; enfin un troisième type de gêne, lié à l'élaboration de la signification attribuée et a son intégration dans le travail du Moi en cours au moment où est survenu le stimulus (surcroît de travail du Moi). Ces niveaux de gêne ne correspondent évidemment pas à des quantités dans notre esprit mais sont simultanés. Dans le langage courant nous avons recours, pour exprimer l'idée des variations de la gêne, aux termes déplaisir, gêne, souffrance. Nous proposons de réserver le terme souffrance à la souffrance physique, celle endurée par le sujet exposé aux très fortes intensités sonores (cas que nous avons écarté du champ de notre étude). Il serait tentant de relier les termes déplaisir et gêne à l'un ou l'autre des trois « types de gêne » de notre modèle économique. Cela ne nous semble pas réaliste. Les trois types de gêne se combinent, intriquent et désintriquent en permanence, de leur résultante seulement peut dépendre la quantité de déplaisir, l'intensité de la gêne. Les problèmes de la surstimulation sensorielle, de « stress », s'inscrivent bien dans une telle perspective. La fatigue due à l'exposition prolongée à un milieu riche serait simplement celle consécutive au va-et-vient de quantités de libido entre le Moi et Pc-Cs, au travail d'attribution d'une signification aux nouveaux stimuli et éventuellement à leur intégration dans l'équilibre mouvant entre les instances qui incombe au Moi. Il va sans dire que ce travail de défense incessante des limites du Moi est en relation étroite avec la force du Moi, qui varie d'un individu à l'autre, et qui diminue dans les états pathologiques (tels que névrose, psychose) ainsi que dans les états de régression momentanée du Moi (sommeil). Nous retrouvons l'image de la place forte : la gêne augmentera avec le degré de mobilisation nécessaire pour la défendre, lui-même fonction de l'agencement et la solidité des remparts. Pour les individus, dont le Moi est faible et aux limites floues, qui ne font que laborieusement la discrimination entre stimuli externes et internes, le travail de reconstitution des limites du Moi absorbera une part considérable de l'énergie libidinale, ces sujets seront en quelque sorte déjà surstimulés dans un environnement relativement pauvre en stimuli sonores (on touche là au grand problème de la « normalité »). Nous pensons jusqu'ici avoir suffisamment démontré que le vécu de la gêne attribuée aux bruits est extrêmement « subjectif ». Mais la quantité de gêne tolérable l'est tout autant. Le travail du Moi est le lieu où se joue la péréquation entre qualité des stimuli (signification) et leur quantité (intensité, durée). Une « signification » peut évoluer, changer en son contraire, selon sa durée ou son intensité : nous dirons que ces paramètres font partie du signifiant, de l'image acoustique. Les riverains du train seront capables d'identifier du premier coup le nouveau bruit comme signifiant « locomotive », parce que le nouveau bruit comprend nécessairement certains paramètres identiques à ceux de l'ancien : le sens du déplacement (rails), la localisation, la vitesse (effet Doppler). Mais la signification de la nouvelle image acoustique identifiée à partir des traces mnésiques proches n'est pas forcément la même, on peut imaginer des réactions psychologiques très diverses à l'apparition de ce nouvel engin. Tout changement intervenant dans une image acoustique enregistrée est un nouveau stimulus sonore ; mais la répétition de stimuli absolument identiques est extrêmement rare. Il faut donc penser que le travail d'attribution de la signification est très grandement facilité par l'existence mnésique des images acoustiques proches. Cependant, il n'en est pas toujours ainsi, dans la paranoïa, notamment dans ses prodromes, on assiste à une hypersensibilité acoustique se traduisant, entre autres, par une grande faculté à percevoir les petites différences entre images acoustiques. Cette faculté pourrait être liée à la nécessité, pour le paranoïaque en proie au délire de persécution, de pouvoir se défendre à temps contre l'agent « persécuteur » : sa « veille acoustique permanente » est surinvestie de libido mobile, afin de lui fournir de multiples occasions de projeter sur le monde extérieur ce qu'il refoule en lui-même. Les bruits sont alors de véritables supports privilégiés de la projection ; cependant il n'y a pas de « gêne » attribuée aux bruits en soi, comme chez l'individu dont le Moi a des limites floues. Ici le Moi est tout-puissant, hypertrophié et l'hypersensibilité aux perceptions permet une maîtrise de la réalité externe, source sinon de plaisir du moins d'un sentiment de sécurité. On voit que la « quantité de gêne » tolérable est variable selon les structures de personnalité des individus, et à l'intérieur d'une même structure selon les états du Moi que le sujet traverse. Nous n'avons jusqu'ici considéré que les excitations externes. Or, ce qui vaut pour les stimuli en provenance de la réalité externe est aussi vrai pour ceux de la réalité interne, d'ordre pulsionnel, contre lesquels le Moi utilise également des mécanismes afin d'assurer l'équilibre (les pulsions sont dans l'œuvre de Freud un concept-limite entre le somatique et le psychique, elles sont définies comme ayant une poussée constante, un but qui consiste en une action visant à atteindre un objet, ce qui provoque la décharge de la tension). Dans la théorie du refoulement qui reste une pierre angulaire de l'édifice psychanalytique, Freud a été amené à établir une distinction entre une qualité de la pulsion qui est sa représentation et une quantité, le « quantum d'affect ». Ces affects ne subissent pas le même « destin » que la représentation de la pulsion ; celle-ci est refoulée dans l'inconscient, l'affect peut être présent dans le Moi ou le Pc-Cs (ou à son tour il « représente » la pulsion). Tout ceci nous intéresse directement. En effet, si l'on considère qu'un même signifié peut s'habiller de nombreux signifiants, il est clair que de nombreuses images acoustiques réactivent des pulsions qui leur sont associées, par le truchement de l'appareil mnésique, tant par leurs représentants inconscients que par leurs affects. Ceci se traduira au plan des excitations internes par des poussées pulsionnelles qui viendront compliquer la tâche des mécanismes de défense du Moi si elles tombent sous la censure au moment considéré. Dans le cas de bruits brusques, inattendus, ces réactivations pulsionnelles pourront percer les défenses et se traduire au niveau du Moi par une conversion du quantum d'affect en un affect d'angoisse. Il y a là donc un quatrième type de gêne que nous pouvons définir comme résultant de débordement de Pc-Cs (surcroît de travail trop important). Ce point nous amène à discuter brièvement une définition du bruit citée dans l'étude documentaire (Ch. 2) : « tout son inopportun est un bruit ». C'est à notre avis effectivement la définition la plus exacte. Nous pourrions dire que c'est une définition du point de vue dit adaptatif en psychanalyse ; l'adaptation entre réalité externe et le jeu pulsionnel opéré par le Moi. Au plan purement intrapsychique qui est le nôtre ici, nous pourrions inverser la définition afin de mieux illustrer notre propos : « tout son trop opportun est un bruit », trop opportun, c'est-à-dire survenant à un moment où son image acoustique réactive une pulsion trop « bien placée » par rapport au jeu du désir et des défenses. Cette notion d'opportunité nous semble centrale dans la problématique de l'émergence de la gêne ; c'est elle qui peut expliquer, par exemple, le phénomène de la gêne liée à l'absence d'un bruit familier. Dans notre exemple du train, il est connu que les riverains d'une voie de chemin de fer sont plus gênés le jour où les cheminots sont en grève, car l'absence du bruit des trains rompt un rythme qui structurait leur vie quotidienne. Mais l'absence inopportune d'un bruit joue au niveau intrapsychique. Freud a écrit que « (le bruit) est l'exigence nécessaire de la fantaisie d'écouter » (7) à propos du surgissement des fantasmes paranoïaques. Une exigence interne suffisamment puissante peut conduire à halluciner un bruit (comme certaines jeunes filles à la puberté s'entendent siffler dans la rue, sifflements qui n'existent que par leurs propres désirs érotiques projetés au dehors). L'opportunité n'est donc pas passive, le psychisme ne se contente pas de « choisir » les stimuli dans la masse des sensations sonores, il a aussi une demande active, demande qui repose sur l'activité fantasmatique, et qui peut, dans certains cas, conduire à la fausse perception. Nous passons maintenant à la gêne consécutive aux significations des stimuli sonores. |
7 - « Un cas de paranoïa, cité par D.J. Geachan, in « Scène primitive et complexe d'Oedipe », Revue Française de Psychanalyse, tome XXXV, vol. 1.
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8.2. APPROCHE GÉNÉTIQUE DES SIGNIFICATIONS ATTRIBUÉES AUX BRUITSEn considérant maintenant le développement de l'appareil psychique, en ce qui concerne l'audition plus spécialement, il nous semble pouvoir distinguer trois moments principaux pour l'intégration de significations spécifiques liées aux stimuli sonores : a) Des significations archaïques liées aux images acoustiques sont intégrées pendant la vie intra-utérine ; puis vient l'établissement de la « veille acoustique », du mécanisme d'habituation aux nouveaux bruits au service de l'instinct de conservation et de la préservation du plaisir « thalassal », fusionnel, du fœtus. b) Après la naissance, l'acquisition de la phonation, où intervient le vécu corporel de la production des sons qui fournit la base pulsionnelle des significations du monde sonore : en quelque sorte, l'entendu équivaut au phonétisé. c) Plus tard, la différenciation des « images acoustiques parentales » selon des rôles socioculturels mâle et femelle, et leur intégration aux fantasmes de la scène primitive de la castration, à l'Oedipe et aux formations symboliques de façon générale. |
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8.2.1. Le vécu sonore intra-utérin Le monde sonore du fœtus ou de l'adulte ne diffère pas autant par le bain sonore réel auquel l'un et l'autre sont soumis, mais évidemment par la signification des bruits, identifiés pour l'adulte, inconnus pour le fœtus. Le développement et l'accroissement des complexes de signifiants possibles pour chaque bruit est donc fonction du développement du psychisme, non du bruit. Nous étions partis, pour le modèle dynamique, de l'Esquisse de 1895. Il peut sembler quelque peu aventureux de se référer à un texte de la fin du siècle dernier. Nous avons déjà vu que le modèle proposé par Freud n'a pas été abandonné dans son principe, mais développé tout au long de son œuvre. En 1972, un nouveau modèle psychophysiologique a été avancé par G. Mendel, qui combine une approche psychanalytique socioculturelle avec les acquis récents de la neurophysiologie et se situe dans la démarche même de l'Esquisse (8). Son concept de « double secrétariat du cerveau » a provoqué chez nous des résonances au moment où nous pensions au terme de « filtre » sensoriel. Pour G. Mendel, il y aurait un double cerveau, chacun ayant son secrétariat. Le premier est celui du paléoencéphale : »... siège des automatismes héréditaires bio-physiologiques, et, disons-le globalement sans entrer dans aucun détail, des grandes régulations neurovégétatives, endocriniennes, neurohumorales, ainsi que des émotions au sens large du mot. (...) Les premières inscriptions mnésiques, les premières traces de mémoire de la vie de l'individu s'impriment, peut-on penser, à son niveau, (...) en rapport avec le développement précoce sensitivo-sensoriel du petit d'homme (...), les pulsions sont là vraiment à la limite du psychique et du biologique. La circulation énergétique, entre ces traces mnésiques très rapidement groupées, (...) est soumise au processus primaire, à la recherche de l'identité de perception ». (9) Cette paléopsyché permettra le développement de l'appareil psychique proprement dit, dont elle est en quelque sorte le socle fonctionnel. Le second cerveau correspond au néopallium, « en particulier certaines parties du néencéphale, telles que le cortex frontopariétal jouxtant la scissure de Rolando (qui comprend uniquement les voies d'association), les centres néencéphaliques de la vision et surtout de l'audition » (10). Le « second secrétariat » est au centre des fonctions de ce néencéphale, dans lequel »... au fur et à mesure que la maturation fonctionnelle de la vue, de la sensibilité extéroceptive et surtout de la motricité du langage (de l'audition) s'effectue, un nombre considérable de mnésies s'impriment sur les circuits préformés (non encore investis ?) du tissu nerveux« (11). G. Mendel avertit le lecteur qu'il n'est évidemment pas question de considérer l'inconscient comme appartenant au premier et le conscient au second cerveau ; le partage des voies se fait selon le modèle de l'Esquisse de 1895 entre le domaine des excitations internes (premier cerveau, paléoencéphale) et celui de la réalité externe (néencéphale). |
8 - G. Mendel, « Anthropologie Différentielle », Payot 1972.
9 - op. cit. p. 197.
10 - op. cit. p. 199.
11 - op. cit. p. 200 |
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Le schéma du développement génétique de ce double cerveau introduit la notion de « pré-Moi » : « l'homme appartient à une espèce où s'est gravé avant la lettre (opérationnelle, psychomotrice et verbale) tout un ensemble de traces mnésiques sensitivo-sensorielles groupées en deux systèmes (selon le déplaisir et le plaisir), un pré-Moi mesurant la prévalence de l'un ou l'autre système, Et toute tension-frustration-besoin stimule rythmiquement la séquence fondamentale formée par ces deux systèmes. Ultérieurement, lors des débuts de la perception, le refoulement primitif intervient (...), l'image archaïque mauvaise « maternalisée » sur laquelle s'exerce le refoulement primitif a noué des liens électifs qu'elle conserve avec le premier secrétariat. L'image archaïque bonne, elle, noue des liens électifs avec le Moi secondaire, et, par lui, avec le second secrétariat neurofonctionnel (...). La paléopsyché, c'est la séquence fondamentale, l'origine de la loi du désir. La néopsyché, c'est l'acte, le développement de l'activité volontaire » (12). Nous noterons dans ce texte l'assimilation du rythme au vécu inconscient du plaisir, par l'intermédiaire de ce que G. Mendel appelle « la séquence fondamentale plaisir-déplaisir », à l'origine entre autre de la notion du temps. G. Mendel s'écarte ici de Freud, comme il le souligne lui-même, en refusant le finalisme de l'idée freudienne selon laquelle le but de l'activité psychique serait la recherche du plaisir et l'évitement du déplaisir. Pour lui, le plaisir et déplaisir sont les deux moments d'un rythme à deux temps, « la séquence fondamentale, c'est le muscle cardiaque de la vie psychique (...) ; plus importante encore que le fantasme, plus élémentaire, nous parait être cette houle fondamentale (...) ce concerto de base cliquetant et cadencé de la vie psychique » (13). G. Mendel donne ici des exemples de musiques rythmées aux Bahamas qui entraînent la population entière à la danse, semblant indiquer implicitement une relation entre le vécu rythmique corporel déclenché par l'audition et la « séquence fondamentale » organisée elle aussi en pulsations rythmées de l'énergie libidinale. Cette idée de l'importance première du rythme se retrouve dans un texte de F. Dolto, non pas théorisée au niveau du neurophysiologique comme chez G. Mendel mais en tant qu'expérience nodale du vécu intra-utérin, convertie en image acoustique par la suite. |
12 - op. cit. p. 201
13 - op. cit. p. 16 |
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Pour F. Dolto, le fœtus pourrait bien connaître « les perceptions passives, auditives celles qui perçoivent le rythme des pas de l'adulte tutélaire puisqu'il était soumis au rythme de déambulation du corps de sa mère. Ce rythme des pas de la mère qui approche, cette odeur, la sienne (...) fait que l'enfant européen, déposé dans son berceau, développe un appel muet, un guet par ses sensations subtiles beaucoup plus précocement que ne peut le faire l'enfant africain (...). Est-ce que le rythme du bercement ne serait pas le moyen intuitif que les mères et les nourrices européennes ont trouvé pour rendre à leurs nourrissons la sécurité qu'ils avaient connue quand ils étaient inclus dans le corps de la mère, et qu'elle les soumettait à tous ses rythmes de déplacement et d'activité ? Ou bien ce rythme pendulaire, ce rythme entreteneur du bercement, puisqu'en naissant, si le nourrisson entend dans ses oreilles son propre cœur, c'est au rythme de celui de sa mère tel qu'il pouvait le percevoir à travers les enveloppes du placenta » (14). F. Dolto poursuit en rappelant les expériences américaines dans les maternités de prématurés, où l'on réussit à sauver un plus grand nombre de bébés dans les couveuses équipées de hauts-parleurs diffusant le bruit du cœur maternel que dans les couveuses silencieuses : primauté ici, aussi, de l'image acoustique, l'audition étant simplement le sens permettant le plus facilement de nourrir la vie fantasmatique, supérieur à la vue qui est davantage volontaire, plus opérationnelle, préparant et contrôlant l'acte, et pour cela intervenant préférentiellement dans le domaine de la relation d'objet. Comme le rappelle D. Anzieu, « l'oreille interne n'est pas entourée d'un sphincter, comme le sont l'œil avec les paupières et la cavité bucco-pharyngée avec les lèvres. Pour ne pas voir, pour ne pas parler, il suffit de fermer les yeux ou la bouche. Il est, par contre, impossible au petit enfant de se protéger des stimulations sonores. Il est envahi par elles à distance, de la même façon que dans le contact il est envahi par les sensations cutanées » (15). Notons, en passant, l'idée de G. Devereux selon laquelle le degré de sublimabilité des stimuli en provenance des différents sens serait lié à leur excitation intra-utérine ou extra-utérine : ainsi, les sensations cénesthésiques ne seraient pas sublimables, par contre tout ce qui a trait à la vue serait sublimable. L'audition serait à cheval sur cette frontière : le vécu sonore intra-utérin ne serait pas sublimable, la musique par exemple ne peut renvoyer qu'au vécu sonore postnatal. Nous ajouterons que si tel est le cas, la charge pulsionnelle du vécu intra-utérin n'en est que plus forte, et plus fortes les angoisses et satisfactions que sa réactivation inconsciente peut provoquer (16). |
14 - F. Dolto, « Au jeu du désir, les dés sont pipés », Bulletin de la Société Française de Philosophie, octobre-décembre 1972, p. 110-111.
15 - D. Anzieu, « Éléments d'une théorie de l'interprétation ».
16 - G. Devereux, « Poésie et Tragédie Grecque », Ch.I). |
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L'audition permet la transposition symbolique des impressions des autres sens, en images acoustiques, surtout celles du rythme que F. Dolto estime être « la sensation la plus nodale à l'origine de la sécurité du fœtus devenu nouveau-né, et référence pour lui de la première relation authentifiante humaine » (17). Mais il y a d'autres images acoustiques chez le fœtus, celle de la voix de la mère perçue intérieurement ; et celle des voix les plus familières, le plus souvent celle du père, « que le fœtus reconnaît bien avant sa naissance ». On est en droit de supposer que ces perceptions se font sur des modes différents entre bruits externes et bruits de la mère, ces derniers s'accompagnant de vibrations, de flux, etc. Il est connu que le fœtus présente des réactions (de peur ?) aux bruits violents, un claquement de porte, par exemple. Cette perception différenciée des bruits pourrait, c'est notre hypothèse, fonder un vécu archaïque non-spatial, de l'intérieur et de l'extérieur (modèle reproduit dans le logement de façon concrète) mais également après le « traumatisme de la naissance » conditionner un vécu précoce de avant » et de « l'après », ou « l'après » correspond à « l'extérieur » et au déplaisir. Transposé au vécu sonore adulte dans le logement, le modèle utérin permettrait de distinguer entre les significations « utérine » des bruits et les significations extérieures. Non pas que le fœtus possède ce schéma spatial; il ne peut commencer sa spatialisation qu'une fois le Moi en voie de formation par l'acquisition de l'image du corps (dans laquelle le bruit jouera aussi, bien qu'à un autre niveau). Pour l'instant, il n'est question que d'une expérience première des sons « naturels » du corps de la mère et de celle, surprenante, d'autres sons étrangers, rythmiques, qui laissent la trace mnésique d'un « au-delà« de la mère. Il n'y a donc pas un schéma dehors-dedans à ce moment mais un vécu clivé en « utérin » et « non-utérin » ou « insolite ». Les premières significations seraient essentiellement les rythmes, les bruits des flux auxquels sont associés plus tard les sons de la nature (vent, pluie, mer), affectés de sentiment de plaisir et renvoyant à la signification de base « sécurité ». Il est très possible que les grands rythmes cycliques soient vécus dans cette même catégorie de significations. Nous pensons au rythme nycthéméral, des quatre saisons, de marées, des phases lunaires, etc. La répétitivité cyclique des bruits de la vie familiale, des voisins, de la ville, etc., entendus dans le logement pourraient alors partiellement être perçus comme étant de l'ordre de la nature. Être bien au chaud dans son lit alors qu'il pleut dehors est une sensation de bien-être assez largement partagée, nous pensons qu'au delà de la représentation consciente, le bruit rythmique de la pluie associé au bien-être dans le logement renvoie directement aux bruits du corps de la mère perçus par le fœtus. L'exemple contraire nous est fourni par l'angoisse que provoque, dans une ambiance totalement silencieuse, l'émergence de ses propres bruits corporels : ceux-ci renvoient alors à l'absence de ceux de la mère et l'angoisse provoquée serait celle de la réactivation des pulsions sadiques à l'égard de l'image de la mauvaise mère. |
17 - F. Dolto, op. cit. p. 112. |
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Rappelons que ce que nos interviewés appellent « le silence » n'est pas du tout ce silence absolu, mortifère, mais simplement le calme, c'est-à-dire la présence d'un certain nombre de petits bruits familiers, à faible intensité, souvent rythmés (va-et-vient de pas lointains, jeux d'enfants, oiseaux surtout) et proches de la nature. Ce calme familier nous semble renvoyer à la présence de la mère, dans le vécu intra-utérin complété plus tard par les bruits de la mère dans la vie postnatale. Par contre, les sons violents, surtout non-naturels et externes au logement seraient associés au danger ; non d'une pénétration mais de la perte du caractère sécurisant de l'utérus. L'acquisition de la « veille acoustique » vers le 7ème mois de la grossesse serait naturellement liée à ce vécu clivé en « naturel » et « insolite ». Comme le note un psychanalyste spécialisé dans la rééducation des enfants mutiques, « il semble bien que le fœtus est véritablement à « l'écoute » de sa mère dont il connaît les bruits spécifiques (bruits viscéraux et organiques) ». (18) La voix des parents, surtout celle de la mère, jouera un rôle considérable dans le développement de la phonation, ceci non seulement chez les humains mais également dans le monde animal . « (...) il est intéressant de noter l'évènement que Négor relate dans The Mecanism of the Larynx à propos des oiseaux chanteurs : si les œufs de ces derniers sont couvés par des oiseaux non-chanteurs, les oiseaux qui naissent de cette couvée ne chantent pas. Il faut donc bien supposer que l'acquisition du langage, même aussi peu évolué que celui de l'oiseau, nécessite une excitation permanente de la synergie neuromusculaire de l'oreille dans le but de structurer cet organe fonctionnel du langage, et ce, bien avant la naissance...« (19). F. Dolto a insisté également sur l'importance chez le nourrisson de la « veille acoustique » : « Les perceptions auditives de l'enfant, plus encore que ses perceptions visuelles, introduisant sa connaissance de l'espace, et par son cri il manifeste son désir à distance ; il devient ainsi parfois maître du déplacement et du retour à lui de sa mère disparue pour lui dans l'espace. Les perceptions auditives vont beaucoup plus loin que les perceptions olfactives et le nourrisson perçoit très tôt les bruits lointains (jusqu'à 4 ou 5 kilomètres, chez les Esquimaux, cette qualité d'acuité auditive des bébés est bien connue. Le cri de l'ours est toujours détecté par un tout jeune enfant avant que d'être perceptible aux oreilles des adultes) car l'intelligence des sens d'un tout-petit est extraordinaire par rapport à ce qu'il en sera pour le même enfant plus tard (... ) quand (il) aura beaucoup d'autres façons de percevoir et de s'exprimer dans la communication » (20). Ceci s'accorde bien avec notre idée de l'importance variable de la « veille acoustique » selon le degré de vulnérabilité du sujet ; en termes psychanalytiques nous dirons que le système Pc-Cs est surinvesti par la libido mobile du Moi dans ces états de vulnérabilité particulière (l'enfance, le sommeil, la fatigue, la maladie) de même que dans des structures de personnalité paranoïdes. S'il est exact, par ailleurs, comme le pense F. Dolto que le nouveau-né reconnaît la voix de la mère et celles des familiers de la mère, dont il n'avait pourtant que l'image acoustique intra-utérine, il faut supposer qu'il est également capable d'opérer la reconnaissance de nombreux autres bruits non-humains extra-utérins, dont ceux vécus comme dangereux et marqués du sceau de « l'insolite », de « l'au-delà-de la mère ». N'y a-t-il pas lieu de penser que les bases sont jetées, pour l'établissement futur du schéma dehors-dedans, par le rapprochement des traces mnésiques acoustiques et cénesthésiques de la vie intra-utérine avec celles acquises lors des premiers jours après la naissance ? |
18 - Dr. I. Beller, « Oreille, langage et communication », in Communication et Langage, n°3, septembre 1969, p. 35.
19 - op. cit. p. 35
20 - F. Dolto, op. cit. p. 118, 119 |
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8.2.2. L'acquisition de la phonation Nous avons déjà mentionné l'importance de la voix des parents pour l'acquisition de la phonation, étape dernière de la maîtrise du monde sonore et de sa mise en service de la relation d'objet. Avec le langage, le sujet passe de la perception passive à l'acte, mais l'acquisition de cette pièce maîtresse est étroitement dépendante du bon fonctionnement, au plan physique, de l'appareil auditif, et au plan psychique du système Pc-Cs. La voix de la mère est associée au plaisir de la tétée, à la relation de la mère-nourrisson, dans un « complexe perceptif » ou la vue, mais aussi toutes les sensations cénesthésiques jouent leur rôle, comme l'explique D. Anzieu à la suite de René Spitz : « le nourrisson qui tête avec plaisir regarde en même temps sa mère qui lui parle avec tendresse. R. Spitz a vérifié que l'enfant regarde sans cesse le visage de sa mère pendant qu'elle lui donne la tétée ou les soins. Il a précisé que l'enfant voit presque toujours ce visage de face, et qu'il est saisi d'angoisse quand il le voit de profil parce qu'il ne le reconnaît plus (...). Le tout-petit ne sait pas encore qu'il entend par les oreilles. Bien qu'il semble, d'après des travaux américains récents, que l'ouïe soit chez lui le premier organe perceptif fonctionnant à plein, lui permettant par là le repérage des personnes et des objets dans l'espace ». « (...) Le nourrisson, tenu dans les bras de sa mère, blotti dans sa douceur, sa tiédeur, son odeur, voit le mouvement de la bouche parlante de sa mère en même temps qu'il sent le mouvement de sa propre bouche avalante (...) : il boit, dit-on, ses paroles ; ou encore, il boit le lait de sa tendresse. Les sons entendus sont source de plaisir, non par leurs structures sémantiques ou phonématiques lesquelles échappent encore à l'enfant, ni même par leur timbre (...) mais par leur mélodie. La voix chantée de la mère le berce et le prépare au plaisir du sommeil. La voix articulée de la mère exerce sur lui son « incantation » (chère ensuite aux poètes) redoublant le plaisir de la tétée. Mieux que « bains de paroles », une expression plus exacte serait « bain de prosodie » (21) ». |
21 - D. Anzieu, « Éléments d'une théorie de l'interprétation », revue Française de Psychanalyse, tome XXXIV, vol. 5-6, p. 808. |
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Cette situation, nous explique ensuite D. Anzieu, entraîne un véritable vécu corporel des sons : « les tendres paroles entendues passent par la bouche de l'enfant et elles descendent dans son ventre où elles lui font du bien. Si ce sont des paroles dures, c'est à ce même ventre qu'elles lui font mal. Quand à son tour l'enfant parlera, il parlera à partir des lieux du corps où il a vécu la parole verbale maternelle. Le génie de Platon éclate une fois de plus ici : sa distinction des trois parties de l'âme correspond au système imaginaire de localisation de la parole élaborée par le petit enfant. Il reçoit dans son ventre la mélodie (ou la gronderie) maternelle. Il est touché dans son cœur par la voix articulée, car à partir de huit mois, l'articulation phonématique renouvelle pour lui le plaisir de la succion, qu'elle lui fait découvrir comme plaisir indistinct d'aimer un objet distinct de lui et d'être aimé de cet objet. Enfin, il accueille dans sa tête le sens que donne aux paroles l'organisation lexicale et sémantique, quand au cours de la deuxième année, spécialement à partir de l'acquisition du « nous », il commence à percevoir cette organisation » (22). Bien que le propos de D. Anzieu soit ici une théorisation de l'interprétation dans la situation psychanalytique, il rejoint nos préoccupations en ce qui concerne la réactivation pulsionnelle provoquée par les sons, puisqu'il estime que pour l'adulte en analyse, « la parole exprimée ou entendue ne peut être libératrice que si elle pèse son poids de chair ». Le vécu corporel se reconnaît alors en elle et réciproquement elle est profondément ressentie dans le corps. Une telle parole retrouve l'origine corporelle imaginaire de toute parole chez « l'enfant » (23). Il y a dès lors une véritable équivalence pulsionnelle entre le vocalisé et l'entendu, et ce, déjà à un niveau préverbal, il existe un système de sons entre mère et enfant qui précède le langage, et qui tire son pouvoir pulsionnel du vécu corporel de ces sons. Ce système n'est pas sémantique, il s'agit d'un « flot vocal à fonction d'expression, non de communication (...) il est la pure expression d'un plaisir » (24). Ce plaisir vocal est la répétition du plaisir primitif de la succion : excitation des muqueuses buccales par la langue. Par là, le plaisir vocal est associé à l'introjection du sein maternel, mais il réside également dans « l'exercice d'une puissance narcissique, produire la même chose que ce que la mère produit et s'imiter soi-même (...) l'activité vocale constitue ainsi la première sublimation réparatrice (25) », comme l'a souligné Mélanie Klein. Nous n'irons pas plus loin sur le chemin de l'acquisition du langage, la phase qui nous intéresse est celle-ci même, le moment ou s'ébauche l'équivalence symbolique entre le monde sonore et le vécu corporel, par le truchement de la reproduction phonatoire des sons entendus. Nous postulons qu'il y a nécessairement dans cette séquence une relation entre le monde sonore entendu et les pulsions associées au vécu corporel de la reproduction phonatoire. |
22 - D. Anzieu, op.cit. p, 808.
23 - D. Anzieu, op.cit. p. 809.
24 - D. Anzieu, op.cit. p. 810.
25 - D. Anzieu, op.cit. p. 811.
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C'est bien la même idée qui est présente au niveau implicite chez un auteur comme Ivan Fonagy quand il décrit les « bases pulsionnelles de la phonation » dans ses travaux. Il s'agit pour I. Fonagy de dégager le contenu pulsionnel de certaines caractéristiques phoniques du langage telles que, « consonnes dures ou molles, sons mouillés, douceâtres, voyelles mâles et femelles, prononciation vulgaire ou mignarde ». Comme l'écrit I. Fonagy au sujet de l'accent : « l'insuffisance de la définition acoustique explique en partie les conclusions contradictoires : selon certains auteurs c'est surtout l'intensité ou la sonorité qui caractérise l'accent ne joue aucun rôle dans la perception selon d'autres, l'intensité ne joue aucun rôle dans la perception (...). Une zone invisible, une sorte de résistance semble empêcher les chercheurs de « saisir l'accent, elle les écarte de l'interprétation physiologique de l'accent ». Dans cet article, I. Fonagy décrit ensuite la base pulsionnelle sadique-anale de l'accent dans le langage : « les muscles thoraciques et abdominaux qui, par leur contraction, mettent en relief la syllabe accentuée, servaient bien avant la naissance de la parole, et servent toujours à exercer directement et indirectement une pression sur les intestins afin de faciliter et d'accélérer la défécation. Au cours de la défécation, la glotte est fermée pour empêcher l'air d'échapper en réduisant la pression sous-glottique. Dans la parole, la forte contraction sert, au contraire, à pousser des bouffées d'air pour le sphincter glottique et le larynx. L'accentuation, en tant que processus physiologique, apparaît donc comme un reflet de la défécation, son image renversée ( ). Ella Frieman Sharp a mis en évidence (1940) que, le contrôle sphinctérien une fois acquis, les mots peuvent remplacer les « substances corporelles » (26). I. Fonagy poursuit son étude en reliant deux types de phonation défectueuse, dans les moments de colère, aux deux stades d'évolution de la pulsion anale selon Abraham, expulsion et rétention. (Il trouve d'excellents exemples dans les commandements militaires dont il fournit le myogramme et la courbe de pression acoustique). L'étude de la voix, surtout de la voix chantée, nous fournit un véritable pont méthodologique pour l'étude de la gêne provoquée par les bruits : « (la perception du) chant pose beaucoup moins de problèmes au centre auditif que la voix parlée, et surtout moins que les bruits (...) ». La perception d'un ton musical est beaucoup plus plaisante que celle du bruit ou de la voix parlée puisque son décodage exige beaucoup moins d'effort. Sachant quelle part importante l'économie intellectuelle joue dans le plaisir esthétique (Freud), on sera à peine surpris de retrouver ce même facteur à la source de la jouissance musicale. Il y a une corrélation remarquable entre la prévalence du principe de plaisir dans les premières années de l'enfance et à la même époque, une très nette préférence pour la parole mélodieuse. La parole d'un enfant de 2-3 ans est plus « chantonnante », sa courbe mélodique plus régulière que celle des adultes. L'enfant aîné frustré par l'arrivée du petit frère ou de la petite sœur reprend souvent le ton chantonnant (...) pour récupérer sa place privilégiée. Même l'adulte, parlant à l'enfant, adopte quelquefois une voix semi-chantée, en s'identifiant à lui, ou, simplement, pour lui faire plaisir. « Le rapport entre la performance linguistique et le message corporel devient sensible, on ressent pleinement le plaisir qui naît de leur fusion, sans devenir conscient. Cette contradiction apparente est à la base du plaisir sans partage et sans remords que nous offre la phonation expressive, et en général, le langage expressif, y compris l'expression poétique ». |
26 - I. Fonagy, op. cit. p. 551 |
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Nous pouvons ici rappeler la distinction entre l'affect et la représentation refoulée de la pulsion : le langage peut alors être vu comme permettant une manipulation continue des pulsions associées à ses conditions corporelles de production (la phonation). Le vécu préconscient de cette réactivation pulsionnelle résultera des variations que subiront les affects, par la reviviscence des représentants d'un vécu corporel dans un premier niveau, qui crée, en quelque sorte, la ligne mélodique de fond sur laquelle viendront jouer les représentations plus complexes liées aux différents stades de la structuration de la personnalité. Nous quittons ici I. Fonagy, qui poursuit l'analyse des éléments prosodiques du langage à la lumière de leur base pulsionnelle, pour indiquer la transposition possible de sa méthode au problème des bruits en général. L'articulation se fait par deux hypothèses, la première déjà avancée plus haut ne posant guère de problème : il y aurait équivalence pulsionnelle entre le phonétisé produit et le phonétisé entendu. La deuxième hypothèse que nous devons faire concerne la relation entre le phonétisé et le monde sonore global, « les bruits » en particulier. Il nous semble que « les bruits » ne provoquent pas d'autres phénomènes psychiques que les sons phonétisés, et que l'image acoustique correspondante à un bruit se forme également au travers de l'interprétation inconsciente en termes corporels, le bruit du cœur de la mère le premier. Il y aurait dès lors chez l'enfant un apprentissage du monde sonore ambiant par la reproduction, aussi approchée que possible, des sons entendus à l'aide de l'appareil vocal. Dans tous les jeux d'enfants, dans toutes les cours de récréation, par exemple, on entend reproduire des bruits non-humains : vroum-vroum, tchou-tchou-tchou, etc. Cette activité ludique de reproduction phonatoire ne concerne que des sons très limités en nombre (et dont les significations, surtout au stade anal, ne sont certainement pas indifférentes), mais il paraît évident que ce n'est là que la fraction agie, observable, de tous les sons réinterprétés par le vécu interne du mécanisme phonatoire : ce vécu corporel n'a plus besoin d'être passé à l'acte pour chaque stimulus sonore dès lors que sa pratique suffisante a créé une grille interprétative inconsciente, à travers laquelle tout l'univers sonore se voit affecter un second niveau de significations spécifique, radicalement différent du niveau archaïque d'origine intra-utérine/néonatale. L'enfant qui entend un son nouveau procède à un travail d'incorporation psychique en convertissant les sons en pulsions corporelles, auxquelles resteront associées les images acoustiques entendues en tant que représentants de la pulsion, et les sensations corporelles en tant qu'affects. Ce travail s'effectue par l'imitation phonatoire, avant l'acquisition du langage. Après son acquisition, l'enfant préférera souvent se faire expliquer les bruits avec des mots, par les adultes qui l'entourent; mais nous sommes là dans un champ relationnel intellectualisé. Malheureusement, nous ne possédons pas ce niveau de signification, dont l'exploration, qui semble prometteur d'éléments explicatifs du phénomène de l'apparition de la gêne, n'a jamais été faite (mis à part des travaux comme ceux de I. Fonagy sur le langage). Ce travail consisterait à ramener les caractéristiques acoustiques des bruits à leurs « équivalents » phonatoires, et de traduire ensuite ceux-ci par leurs représentants pulsionnels : tâche considérable, en partie expérimentale. Pour l'instant, nous devons nous contenter d'une première classification grossière, à partir de l'étude de l'accent, entre les bruits violents consécutifs aux brusques détentes d'air comprimé (tels que pétarades, explosions, etc.) qui réactivent la pulsion sadique-anale ; et toutes les séquences mélodiques, chargées de libido narcissique, réactivant les pulsions partielles narcissiques et orales. La synthèse des pulsions partielles au niveau glottique constitue pour I. Fonagy la projection sonore de la génitalité : « la vibration hautement régulière des cordes vocales satisfait pleinement la contrainte de répétition, la pulsion létale et attire en même temps la libido narcissique. Cette vibration permanente de l'air excite les muqueuses nasales, l'air vibrant qui sort continuellement et facilement par la bouche rappelle le modèle urétral. La tension croissante des cordes vocales relève de la stratégie anale. Le jeu tonal, verbal ou musical, l'enchantement, doit donc son énergie psychique considérable à une synthèse de la pulsion létale et des pulsions sexuelles, surtout à l'investissement génital du mouvement mélodique ». |
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8.3. SIGNIFICATIONS D'ORDRE SYMBOLIQUE : LES « FORMATIONS COMPLEXES »Nous avons évoqué, dans les deux points précédents, quelles pourraient être les grandes lignes d'un vécu sonore archaïque, au niveau des traces mnésiques fœtales et néonatales d'une part, et d'autre part au point de vue des pulsions spécifiques réactivées par certains sons, en liaison avec le vécu corporel de la phonation. Ce vécu sonore archaïque serait lié, au niveau pulsionnel, davantage à l'affect qu'au représentant de la pulsion, et ceci en vertu de la nature non-verbale ou infra-verbale des sons (ou bruits). Il en va différemment, pensons-nous, dès que les sons sont perçus comme séquences sonores, organisées ou aléatoires, dont le sens composite équivaut à un message que nous appellerons « formations complexes » : dès lors en plus des affects mis en jeu par chacune des composantes sonores, les représentations joueraient également, nous conduisant sur le terrain de la vie fantasmatique plus sûrement que ne peuvent le faire les simples affects. Avec les représentations, c'est la verbalisation et la pensée, l'attention qui sont mobilisées. L'affect peut court-circuiter le langage, la représentation ne le peut pas. C'est ce qui fonde, à notre avis, une distinction entre d'une part la gêne due aux bruits à un niveau archaïque, où sont réactivées les premières traces mnésiques uniquement liées au principe de plaisir/déplaisir, ainsi qu'au niveau déjà plus riche des affects accompagnant les pulsions différenciées lors des divers stades de développement de la personnalité ; et d'autre part la gêne due aux bruits liée aux représentants des pulsions, qui elles s'organisent par le truchement du langage en séquence de représentations, elles-mêmes organisées en fantasmes. Ce dernier type de gêne n'est pas exempt d'affect, ceux-ci pouvant fort bien accompagner la réactivation des représentations. Nous pensons qu'il existe une articulation entre ces deux type de gêne, la gêne d'affect et la gêne de représentation, autour de la notion de vécu immédiat. La vigilance, la « veille acoustique permanente » régie par le deuxième secrétariat du cerveau a besoin des affects comme indicateurs opérant un premier tri des perceptions acoustiques, tri qui au niveau des affects a J'avantage de s'opérer sans délai. Les représentations, et de façon générale toutes les « formations complexes » aussi bien des sons perçus que d'éléments psychiques internes, n'opérant pas dans l'immédiat, restent par définition toujours à la traîne du vécu. « Le moment du vécu et le moment de la signification ne coïncident pas. Ce qui est signifié au moment du vécu est pour ainsi dire en souffrance, en attente des significations. Le moment de la signification est toujours rétroactif. Si une signification paraît dans la remémoration avoir coïncidé avec le vécu, le plus souvent, il s'agit d'une élaboration ultérieure rapportée au vécu initial. Celui-ci s'accompagnant d'une « signification » tout autre » était en quelque sorte cadré par une « théorie sexuelle qui en rendait compte » (27) ». Nous pouvons donc dire que la gêne de représentation suit après coup le gêne d'affect. Mais nous retrouvons alors le problème du début, celui de la masse énorme des stimuli acoustiques auxquels nous sommes soumis quotidiennement : on ne comprend pas que toute l'activité psychique ne soit pas dirigée vers l'élaboration des représentations toujours nouvelles exigées pour la perception de ces stimuli, même en déduisant une très grande partie répétitive, habituée, de ces stimuli ; la combinatoire incessante des stimuli habitués créant perpétuellement de nouvelles « formations complexes » qui devraient accaparer la libido du Moi dans le but de les intégrer à la vie psychique. C'est ici, à notre avis, qu'intervient la vie fantasmatique qui, dans notre optique, se présente comme une somme de modèles d'investissements libidinaux correspondant à diverses positions des objets. L'idée qui nous occupe est celle de la fixation dans le fantasme qui explique la relative simplification de la vie psychique inconsciente (par comparaison au chaos évoqué ci-dessus). Nous retrouvons ici Gérard Mendel et sa « séquence fondamentale » plaisir/déplaisir qui rythme la vie psychique : « (...) cette succession donc est bien l'activité fantasmatique en germe. Le fantasme c'est, un peu plus tard, l'arrêt momentané de cette succession grâce à un surinvestissement (...) : un film dont le déroulement s'arrête pour mieux scruter une photographie. Mais le sentiment de confiance, lorsqu'il apparaît, qui préside à l'activité fantasmatique et qui est déjà de l'ordre du Moi, transcende cette activité. La séquence fondamentale très exactement subsume l'activité fantasmatique » (28). Selon cette conception, l'activité fantasmatique rend possible la mise en ordre et le jeu d'interrelations des « formations complexes » exogènes et endogènes, mise en ordre selon des scénarios préfabriqués, d'où naît le sentiment de confiance. Quels sont, dans la multitude de ces scénarios fantasmatiques, ceux qui, plus particulièrement, font intervenir des perceptions acoustiques ? A notre avis ce sont les imagos maternelles et paternelles liées à la voix de la mère et à la voix du père ; ensuite la grande famille des fantasmes de la scène originaire ; enfin les fantasmes de castration (les imagos ne sont pas des fantasmes à proprement parler, on nous pardonnera de les inclure provisoirement dans cette catégorie). |
27 - A. Green, Le discours vivant.
28 - G. Mendel, op. cit. p. 377-378. |
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8.3.1. Les imagos acoustiques Nous avons déjà relevé l'importance de la voix de la mère dans des citations de D. Anzieu et F. Dolto notamment. Les sons de la voix de la mère lors des premiers rapprochements entre la mère et l'enfant, alors que ces sons ne sont pas figurables, garantissent déjà la satisfaction, le repos. La mère qui parle, qui chante à l'enfant avant qu'il ne s'endorme : promesse de satisfaction. Le son vient ici au secours des limites du Moi (P. Letarte) ; il permet de temporiser la faim, d'attendre la satisfaction et il possède pour cela un effet structurant sur le Moi de l'enfant. Une des sources importantes de la sensibilité ultérieure à la musique, aux sons chargés de libido narcissique pour les organisations mélodiques, c'est la voix caressante de la mère. Il va presque de soi, si on se remémore les textes de I. Fonagy, que la voix du père, par contre, sera beaucoup plus facilement associée à l'autorité, aux interdits. Non pas que la mère n'exerce d'autorité, mais les rôles socioculturels maternels et paternels ont pour conséquence un plus grand investissement par la mère et l'enfant des interdits paternels, dont les caractéristiques acoustiques feront davantage appel aux bases pulsionnelles sadique-anales (cf. les commandements militaires). La voix du père, plus forte, plus grave, venant de plus haut sera essentielle dans la constitution du Surmoi. Freud mentionne « les racines auditives du Surmoi » comme provenant des traces mnésiques liées à la voix du père. « Étant donné le rôle que nous avons assigné aux traces verbales inconscientes qui existent dans le Moi, on peut se demander si le Surmoi, lorsqu'il est inconscient ne se compose pas de ces traces verbales » (29). L'avènement du Surmoi résulte du « déclin du complexe d'Oedipe » dont le Surmoi est « l'héritier ». La scène primitive, la « castration » jouent un rôle antérieurement au dégagement du Surmoi. La voix du père, connue auditivement dans tous ses registres, sera « fixée » fantasmatiquement dans le registre sadique-anal au moment de la résolution de l'Oedipe. Ce moment est nettement plus tardif que celui auquel est intégré la voix de la mère. Il semblerait plus exact de parler, avec G. Mendel, d'image archaïque maternalisée et paternalisée, les voix des deux parents étant intégrées selon le rôle affectif « maternel » ou « paternel » qu'ils jouent sur un plan fantasmatique au stade considéré. |
29 - Freud, 1923. |
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8.3.2. La scène primitive Dans le « vocabulaire de la Psychanalyse » la scène primitive (que leurs auteurs, J. Laplanche et J.B. Pontalis, préfèrent appeler scènes originaires, marquant ainsi le statut principal de ce fantasme, dont découleraient tous les autres) est défini comme une « scène de rapports sexuels entre les parents, observée ou supposée, d'après certains indices et fantasmée par l'enfant. Elle est généralement interprétée par celui-ci comme un acte de violence de la part du père » (30). Ici, non plus, nous n'entrerons pas dans de longues considérations théoriques, nous contentant de signaler avec D.J. Geahchan (31) que l'importance de ce fantasme reste primordiale aussi bien dans l'optique Freudienne (où son contexte est toujours œdipien) que dans une optique kleinienne (où les stades de l'œdipe précoce donnent d'emblée à la scène sa configuration triangulaire). Pour D.J. Geahchan, « le fantasme de la scène primitive répond au passage d'une organisation préœdipienne à une organisation œdipienne, passage au cours duquel le sujet se constitue dans son identité sexuelle. Ainsi conçue la scène primitive impliquerait, non pas un seul fantasme, mais des séquences fantasmatiques corrélatives des divers temps de ce passage d'une organisation duelle à une organisation œdipienne triangulaire. Ces fantasmes traduisent les diverses positions que le sujet peut occuper en travers de ses pulsions qui trouvent ainsi à s'organiser. Au terme de ses remaniements progressifs, le fantasme de la scène primitive débouche sur la relation œdipienne (32). Dans les premières descriptions par Freud de ce qu'il croyait encore être un vécu réel de la séduction par un père pervers, le bruit joue un rôle majeur : c'est Katharine, réveillée par un bruit, celui du père coïtant avec une servante, et reconnaissant soudain ce bruit et cette situation pour l'avoir subie elle-même ; c'est aussi l'Homme aux Loups faisant le célèbre cauchemar où il voit des Loups, « leurs oreilles dressées comme les chiens quand ils sont attentifs à quelque chose ». Il semble bien que l'importance de l'entendu, dans les fantasmes de scène primitive, soit en rapport avec la difficulté, certaine, pour l'enfant de se représenter ce que les parents peuvent bien faire. Pour Freud, l'enfant fantasme une agression sadique de la mère par le père, d'autant plus facilement qu'il pourra observer des traces de sang menstruel dans le lit de sa mère. De façon plus générale on peut considérer avec P. Letarte le fantasme du point de vue de l'exclusion de l'enfant d'un plaisir partagé par les parents : les parents délaissent l'enfant, se tournent l'un vers l'autre, les bruits que l'enfant perçoit font qu'il se sent indûment stimulé, ils constituent un appel au plaisir dont il est exclu, et il se sentira frustré et de plus persécuté par le danger du retour contre lui de la rage qu'il éprouve envers les parents. L'importance de l'entendu est d'autant plus grande que la scène primitive, qui détermine chez l'enfant le sentiment d'abandon, se joue dans l'obscurité donc sans possibilité de perceptions visuelles précises. |
30 - J. Laplanche et J.B. Pontalis, « Vocabulaire de la Psychanalyse ». p. 432. 31 - D.J. Geahchan, « Scène primitive et complexe d'Oedipe », Revue Française de Psychanalyse, tome XXXV, janvier 1971, p. 47.
32 - D.J. Geahchan, op. cit. p. 48. |
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On peut d'ailleurs penser que même quand l'enfant assiste de visu au coït, il ne peut rien voir qui explique clairement le comportement des parents. C'est de là que naît le fantasme, de la nécessité psychique de l'enfant de fabriquer des images en rapport, dirons-nous, « pulsionnellement suffisant » au vécu sonore de la scène : essayer de donner un sens à ce bruit entendu dans la pièce voisine. C'est quoi ? Et qu'est-ce qu'ils font ? Et comment ? Pourquoi ? Et le font-ils contre moi ? Par ce travail de fantasmisation le son vire en images d'après la fantasmagorie propre de l'enfant. A partir de la scène primitive, le monde sonore devient évocateur d'images alors qu'à l'inverse les images ne sont pas évocatrices des sons. La plus ou moins grande faculté à attribuer un sens aux bruits nouveaux serait liée au degré de curiosité sexuelle de l'enfant obligé de trouver des images expliquant ces sons mystérieux liés à l'abandon par les parents. Pour l'adulte génital, la gêne des bruits à ce niveau serait celle du plaisir d'autrui en général dont la perception acoustique renvoie à l'idée d'abandon, de solitude. Curieusement, sans doute par l'effet d'un renversement en son contraire, cette gêne semble pouvoir être également induite par le silence d'autrui : dans un contexte de voisinage bruyant à l'état normal, c'est le silence insolite des voisins qui pourrait signifier qu'ils s'adonnent à quelque activité mystérieuse, donc de l'ordre de la scène primitive. Dans des états pathologiques, passagers ou structuraux, certains bruits se révèlent, en cours de cure psychanalytique, renvoyer en définitive à la scène primitive, ainsi tel patient présentera une gêne spécifique au bruit des camions : l'analyse permettra de remonter les associations de bruit en bruit jusqu'à celui provenant de la chambre des parents. Telle patiente, qui ne peut écraser une araignée qu'en se bouchant les oreilles, dormait pendant toute son enfance à côté de la chambre des parents ; devenue « trop grande » les parents lui assignèrent la chambre à côté des W.C. (il s'agit d'une névrose obsessionnelle... ). Il ne semble pas trop aventureux de lier la problématique des fantasmes de la scène primitive au domaine psychosociologique des relations de voisinage, par le biais du couple des pulsions voyeuriste/ exhibitionniste, dont la racine réside précisément là. Une bonne composante voyeuriste devrait permettre de mieux tolérer les bruits de ses voisins, tous les bruits en général ; à l'exception peut-être précisément des bruits sexuels qui agiraient trop directement sur la pulsion. Rappelons que nos interviewés, mis à part quelques exceptions, ne mentionnent jamais ces bruits (ce tabou semble s'étendre au domaine animal, les cris de chattes en chaleur, pourtant particulièrement audibles, n'ayant également jamais été évoqués). Au plan de l'exhibitionnisme, il nous semble possible qu'une part des récriminations dont font l'objet les bruits soient l'expression d'une résistance à s'exhiber symboliquement par son propre bruit, qui conduit accessoirement à valoriser des sociocultures offrant cette possibilité en terme de plus grande « humanité » : le Midi, la classe ouvrière, les jeunes, etc. A l'inverse, la tolérance suspecte dont font preuve certains « bruyants », (ceux qui jouent du piano, par exemple) provient sans doute de leur culpabilité à agir cette composante exhibitionniste sur le voisinage. |
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8.4. SCHÉMA D'ENSEMBLE DES NIVEAUX DE SIGNIFICATIONS DES BRUITSA) Niveau fonctionnel :
B) Niveau sémantique :
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ANNEXES |
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ANNEXE I - BIBLIOGRAPHIE |
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ANNEXE II - OUTILS D'INVESTIGATION |
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A.2.1. PHRASES A COMPLÉTER ET GUIDE D'INTERVIEW DES 60 PREMIERS INTERVIEWS. 1. Phrases à compléter
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II. Logement
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III. Le relationnel
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V. L'enfance
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VI. La sérialité/rythmicité
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VII. Le travail
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VIII. Idéologie du bruit
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A.2.2. GUIDE D'ENTRETIEN DU COMPLÉMENT DE 10 ENTRETIENS DANS UNE ZONE HLM DE PARIS (cf. Ch. 6). |
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A.2.3. QUESTIONNAIRE FACTUEL.
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ANNEXE III - DOCUMENTS RELATIFS A L'ANALYSE FACTORIELLE |
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A.3.1. VARIABLES FACTUELLES ET EXPLICATIVES (grille de codage) A.3.2. TYPOLOGIE GÉNÉRALE DES BRUITS MENTIONNES PAR L'INTERVIEWE. Remarque : Il s'agit des bruits recueillis dans l'ensemble du matériel obtenu par voie non directive, ce qui exclut les bruits cités au cours du test initial d'association - sauf rares exceptions. Le code applicable pour les colonnes 45 à 60 incluses est le suivant SR= sans réponse 1 - bruit intense : très gênant 2 - bruit intense : peu gênant 3 - bruit moyen : très gênant 4 - bruit moyen : peu gênant 5 - bruit agréable faible ou intense col. 45 Les voisins adultes col. 46 Enfants dans l'immeuble ; fête ; vie sociale intense col. 47 Bruits d'escalier, d'ascenseur, porte d'entrée, téléphone col. 48 Bruits « techniques » (conduites, écoulements, vide-ordures) col. 49 Circulation intense rapprochée, avec bruit continu col. 50 Circulation secondaire sporadique ou spécifique à l'immeuble (boueux, etc.) col. 51 Avions., trains, engins, travaux col. 52 Motos, ambulances, sirènes col. 53 Enfants dans l'habitat, nourrissons col. 54 Bruits naturels (oiseaux, etc.) col. 57 Bruits des proches adultes de la famille (+ piano, animaux) N.B. Les colonnes 55 et 56 doivent être extraites de cette typologie et replacées parmi les variables explicatives précédentes. Col. 59 Bruits des médias, télévision, radio, disques, etc. Col. 60 Bruits insolites, indéterminés A.3.3. TYPOLOGIE DES BRUITS ATTRIBUES AUX VOISINS PAR L'INTERVIEWE. Les colonnes 61 à 80 suivent un code identique au précédant, soit · - sans réponse 1 - bruit intense, très gênant 2 - bruit intense, peu gênant 3 - bruit moyen, très gênant 4 - bruit moyen, peu gênant 5 - bruit agréable, faible ou intense Col. 61 Plaintes, gémissements, signes de souffrance, de maladie Col. 62 Claquements de portes, réveils matin, volets coulissants Col. 63 Équipement électroménager Col. 64 Ascenseurs Col. 65 Escaliers, palier, couloir, espace commun Col. 66 Impacts, pas, vibrations Col. 67 Conversations normales, vie domestique Col. 68 Bruits de disputes, d'agressivité Col. 69 Bruits associés à l'intimité du corps, à la sexualité Col. 70 Bruits d'écoulement - conduites, évier, salles d'eau Col. 71 Musique ; médias Col. 72 Jeux d'enfants, cris, etc. Col. 73 Animaux domestiques Col. 74 Fêtes Col. 75 Rappels à l'ordre véhéments (coups de balai au plafond, etc.) Col. 76 Le silence des voisins Col. 77 Bruits des véhicules des voisins dans l'espace de l'immeuble (parking) Col. 78 Bruits de travail ménager, de bricolage, jardinage Col. 79 Bruits insolites ou mystérieux Col. 80 Vide-ordures |
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ANNEXE IV - HYPOTHÈSES EXPLICATIVES INDIVIDUELLES |
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(étude sur 16 cas cf, Ch. 6)
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